Dossier : T-2623-22
Référence : 2024 CF 19
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2024
En présence de monsieur le juge Fothergill
ENTRE : |
HABEEB ALI |
demandeur |
et |
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Habeeb Ali demande le contrôle judiciaire d’une décision du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] de ne restituer qu’une partie des fonds qui lui ont été saisis lorsqu’il a traversé la frontière des États-Unis d’Amérique pour entrer au Canada le 5 décembre 2021.
[2] La Direction des recours de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a déterminé que M. Ali avait établi qu’il était le propriétaire légitime de 64 000 $ US des fonds qui lui avaient été saisis. Toutefois, l’ASFC a conclu que le reste des 100 450 $ US devrait être conservé à titre de produits présumés de la criminalité. M. Ali demande à la Cour d’ordonner la restitution d’un montant de 36 450 $.
[3] La décision de la déléguée du ministre était logique et cohérente et, en fait, généreuse envers M. Ali. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
II. Contexte
[4] Le 5 décembre 2021, à environ 2 h 45, M. Ali s’est présenté au poste frontalier du tunnel de Windsor et a demandé l’entrée au Canada. Il a dit qu’il avait passé la journée à Chicago pour rendre visite à un ami. Il a affirmé qu’il n’avait rien à déclarer, notamment qu’il n’avait pas d’espèces ou d’effets d’une valeur égale ou supérieure à 10 000 $ CA, la valeur minimale pour la déclaration de l’importation de fonds selon l’article 2 du Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002-412 [le Règlement].
[5] Selon les agents de l’ASFC, le comportement de M. Ali était suspect. Il était excessivement amical et riait nerveusement. Il habite à Ajax, en Ontario, et les agents ont trouvé étrange qu’il se rende jusqu’à Chicago en voiture pour y passer une journée. Ils ont renvoyé M. Ali à un contrôle secondaire.
[6] Au cours du contrôle, les agents ont découvert que M. Ali avait 100 450 $ US en sa possession, dont 100 000 $ US se trouvaient dans 10 enveloppes de banque Chase cachées dans la doublure d’un manteau de laine replié sur le siège arrière de sa voiture. L’agent de l’ASFC a également découvert 450 $ US dans le portefeuille de M. Ali.
[7] M. Ali a donné des explications incohérentes pour expliquer pourquoi l’argent se trouvait dans des enveloppes d’une institution financière américaine. Il a dit qu’il avait échangé de l’argent à une banque près de Toronto et qu’il avait reçu l’argent dans les enveloppes. Il a ensuite dit qu’il avait les enveloppes chez lui à Ajax, même s’il n’avait pas visité les États-Unis depuis plus de deux ans.
[8] M. Ali a affirmé qu’il n’était pas au courant des exigences applicables à la déclaration de fonds aux postes frontaliers terrestres, même s’il travaillait dans une banque depuis plus de cinq ans. Il a reconnu qu’il connaissait les exigences applicables à la déclaration pour les voyages en avion.
[9] M. Ali a également donné des explications incohérentes pour expliquer pourquoi il avait une somme d’argent aussi importante en sa possession. Il a dit que l’argent provenait du refinancement de sa maison, et il a dit qu’il avait reçu l’argent d’un ami à Chicago. Il le transportait dans des enveloppes dissimulées pour [traduction] « le garder en sécurité »
et « à l’extérieur de la banque »
. Il a dit qu’il avait l’intention d’utiliser les fonds pour des placements, y compris une montre Rolex qu’il achèterait aux États-Unis et vendrait à un prix plus élevé en Arabie saoudite. Il a ensuite dit qu’il avait retiré les fonds de son compte à la banque où il travaillait.
[10] L’ASFC a conclu que le montant total de 100 450 $ US devrait être saisi à titre de produits présumés de la criminalité. M. Ali a demandé au ministre une révision de la saisie comme prévu à l’article 25 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17 [la Loi].
[11] L’ASFC a informé M. Ali par écrit qu’il devrait démontrer que les fonds saisis provenaient d’une source légitime. Dans sa réponse, M. Ali a déclaré que l’argent provenait d’un vieil ami de Chicago. Il a reçu l’argent en espèces afin d’éviter [traduction] « toute perte due aux taux de change »
et d’avoir à « magasiner pour un meilleur taux de change »
.
[12] M. Ali a expliqué que son ami à Chicago était propriétaire d’une entreprise enregistrée et que l’argent avait été obtenu au moyen d’un prêt de l’entreprise. Il a présenté un billet à ordre non garanti du prêteur, signé à la fois par le prêteur et par M. Ali; les statuts constitutifs de l’entreprise; le numéro d’identification de l’employeur de l’entreprise de l’Internal Revenue Service des États-Unis; les relevés bancaires pour l’entreprise du prêteur; les documents bancaires montrant que le prêteur est le seul propriétaire de l’entreprise; les documents confirmant le prêt de l’entreprise; des saisies d’écran et des photocopies des états financiers de M. Ali montrant d’importantes dettes de carte de crédit et de marge de crédit auprès d’institutions financières canadiennes.
[13] Selon M. Ali, son comportement à la frontière est attribuable à son épuisement en raison de l’allée retour à Chicago, au stress de ses dettes et à sa crainte d’être interrogé par les agents de l’ASFC.
[14] L’ASFC a écrit à M. Ali le 3 mai 2022 pour confirmer la réception de ses documents et de ses explications et lui fournir des directives supplémentaires. L’ASFC a informé M. Ali que les documents ne démontraient pas suffisamment la source des fonds. Les relevés bancaires n’indiquaient pas un seul retrait forfaitaire de 100 000 $ US du compte de l’entreprise, et rien n’indiquait les sources ou les destinataires de bon nombre des virements électroniques, des retraits, des achats et des notes de crédit consignés dans les états financiers.
[15] Dans une correspondance subséquente datée du 14 juillet 2022, l’ASFC a demandé à M. Ali d’expliquer pourquoi des retraits de différents montants du compte de l’entreprise, allant de 500 $ à 25 000 $ US, ont été effectués à de différents moments au cours d’un mois pour atteindre le total de 100 000 $ US. M. Ali a répondu qu’il ne pouvait pas expliquer la raison des multiples retraits et qu’il n’avait aucune information concernant les dépenses mensuelles de l’entreprise.
[16] Le 2 août 2022, la déléguée du ministre a déterminé que seulement un montant de 64 000 $ US des 100 450 $ US saisis à M. Ali devrait lui être restitué.
III. Décision faisant l’objet du contrôle
[17] Le paragraphe 12(1) de la Loi exige la déclaration d’espèces ou d’effets d’une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire de 10 000 $ CA. Le paragraphe 18(1) de la Loi autorise un agent de l’ASFC à saisir des espèces ou des effets s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1).
[18] Le paragraphe 18(2) de la Loi exige que, sur réception du paiement de la pénalité réglementaire, l’ASFC restitue les espèces ou effets saisis sauf si elle soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’il s’agit de produits de la criminalité au sens du paragraphe 462.3(1) du Code criminel, LRC, 1985, c C-46 ou de fonds destinés au financement des activités terroristes.
[19] La déléguée du ministre a accepté la déclaration de M. Ali selon laquelle il n’avait pas l’intention de contrevenir à la loi, et il ne savait pas que les exigences applicables à la déclaration de fonds s’appliquaient aux frontières terrestres. Toutefois, elle a souligné que la bonne foi ne rend pas légitime une conduite illégitime (Khattab c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 453 au para 8, citant Zeid c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 539 aux para 53-55).
[20] La déléguée du ministre a fait remarquer que la norme de preuve pour la saisie des fonds n’est pas élevée : il faut que l’agent « soupçonne, pour des motifs raisonnables »
, qu’il s’agit de produits de la criminalité. Étant donné les explications insatisfaisantes de M. Ali au poste frontalier, elle a conclu que la saisie des fonds par les agents de l’ASFC était justifiée.
[21] Après avoir examiné les documents et les explications fournis par M. Ali, la déléguée du ministre n’était pas convaincue que les fonds provenaient d’une source légitime. Plus particulièrement, elle n’était pas convaincue que les multiples retraits du compte de l’entreprise en novembre 2021 étaient clairement liés au prêt de l’entreprise à l’égard duquel M. Ali aurait pris des dispositions avec son ami de Chicago. Les retraits cités par M. Ali étaient les suivants :
Date
|
Retraits en USD
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|
|
1er novembre 2021
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5 300 $
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3 nov. 2021
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500 $
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16 nov. 2021
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10 000 $
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26 nov. 2021
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10 000 $
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29 nov. 2021
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10 000 $
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Total partiel :
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35 800 $
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1er décembre 2021
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10 000 $
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3 déc. 2021
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9 000 $
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3 déc. 2021
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25 000 $
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3 déc. 2021
|
20 000 $
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Total partiel :
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64 000 $
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TOTAL
|
99 800 $
|
[22] La déléguée du ministre a accepté que les retraits effectués plus près de la date du voyage de M. Ali à Chicago étaient liés au prêt de l’entreprise. Cependant, les retraits en novembre étaient trop éloignés et étaient plus susceptibles d’être liés aux [traduction] « activités quotidiennes de l’entreprise »
. La déléguée du ministre a également noté plusieurs retraits de dizaines de milliers de dollars effectués après le voyage de M. Ali à Chicago, ce qui a jeté un doute supplémentaire sur le lien entre les retraits et les fonds saisis. La déléguée du ministre a accordé à M. Ali le [traduction] « bénéfice du doute »
en concluant que les retraits effectués les 1er et 3 décembre correspondaient aux fonds que M. Ali avait en sa possession le 5 décembre 2021.
[23] La déléguée du ministre a fait remarquer que M. Ali n’avait pas expliqué la source des 450 $ US dans son portefeuille. Ce montant ne lui a pas été restitué.
[24] Par conséquent, un montant de 64 000 $ US a été versé à M. Ali, tandis qu’un montant de 36 450 $ a été retenu.
IV. Questions en litige
[25] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les deux questions suivantes :
A.La décision de la déléguée du ministre était-elle raisonnable sur le plan procédural?
B.La décision de la déléguée du ministre était-elle raisonnable?
V. Analyse
[26] Une question d’équité procédurale est assujettie à un exercice de révision qui est particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54). La question fondamentale est de savoir si M. Ali connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre (Siffort c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 351 au para 18). Dans certaines circonstances, un délai excessif peut aussi constituer un manquement à l’équité procédurale.
[27] La norme de contrôle qui est présumée s’appliquer aux décisions administratives est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23, 25). Rien ne réfute cette présomption en l’espèce. En conséquence, la Cour n’interviendra que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au para 100).
[28] Les critères « de justification, d’intelligibilité et de transparence »
sont respectés si les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement qui a mené à la décision et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85-86, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).
A. La décision de la déléguée du ministre était-elle raisonnable sur le plan procédural?
[29] M. Ali se plaint que le temps consacré au recours administratif lui a causé de l’anxiété et qu’il a reçu moins que la valeur des fonds qui lui ont été saisis en raison de la fluctuation des taux de change.
[30] Il peut y avoir abus de procédure si un préjudice important a été causé en raison d’un délai excessif (Law Society of Saskatchewan c Abrametz, 2022 CSC 29 au para 42, citant Blencoe c British Columbia (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 aux para 122 et 132). Toutefois, je ne suis pas convaincue que le délai dans le traitement de la demande de restitution des fonds saisis de M. Ali était excessif ou préjudiciable.
[31] Le recours administratif a duré environ huit mois et a nécessité un certain nombre de communications entre l’ASFC et M. Ali, ainsi qu’un effort louable de la part de l’ASFC pour aider M. Ali à présenter son dossier sous le meilleur jour possible. La déléguée du ministre a rendu sa décision un mois seulement après avoir reçu la dernière observation de M. Ali.
[32] Il ne fait aucun doute que M. Ali a eu une possibilité raisonnable d’être entendu. Il a été informé au début du processus de la preuve à réfuter, et il a eu deux occasions subséquentes de présenter des documents et de fournir des explications. L’ASFC a fourni des directives précises à M. Ali sur les documents requis, mais M. Ali a finalement dit qu’il n’avait pas d’autres renseignements à fournir.
B. La décision de la déléguée du ministre était-elle raisonnable?
[33] M. Ali affirme que la déléguée du ministre n’a pas expliqué pourquoi elle a accepté que la source des fonds était les retraits du compte de l’entreprise effectués en décembre 2021, mais qu’elle a rejeté les retraits effectués en novembre 2021. Il soutient donc que la décision était arbitraire.
[34] Il incombait à M. Ali de prouver que les fonds n’étaient pas des produits de la criminalité (Sellathurai c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255 au para 50). Le fardeau sur les épaules d’un demandeur était d’« établir la provenance légitime des sommes saisies, au moyen d’éléments de preuve probants »
(Sandwidi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 995 [Sandwidi] au para 63, citant Sebastiao c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 527 au para 54).
[35] Selon la déléguée du ministre, [traduction] « il est raisonnable de supposer que [l’ami de Chicago] attendait l’arrivée de [M. Ali] le 4 décembre 2021 et qu’il aurait retiré le moins d’argent possible pour maximiser les intérêts sur ses fonds »
. Malgré la possibilité que tous les retraits indiqués sur le relevé bancaire [traduction] « soient liés aux activités quotidiennes de [l’entreprise] et non au prêt [de M. Ali] »
, elle a accordé à M. Ali le bénéfice du doute.
[36] Il s’agissait d’une évaluation généreuse de la preuve. La Cour a déjà conclu que les fonds tirés d’un compte bancaire ne prouvent pas l’origine de l’argent (Sandwidi, au para 62, citant Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 600 au para 25).
[37] La conclusion de la déléguée du ministre selon laquelle M. Ali n’avait pas démontré que les retraits du compte de l’entreprise en novembre 2021 étaient liés aux fonds qu’il avait en sa possession le 5 décembre 2021 était raisonnable. La déléguée du ministre a fait remarquer les retraits continus de nature semblable à la suite de la réception des fonds par M. Ali et l’incapacité de M. Ali de fournir des renseignements sur les dépenses mensuelles habituelles de l’entreprise.
[38] La discrétion qu’exerce la déléguée du ministre aux termes de l’article 29 est limitée : « la seule question qui se pose en vertu de cette disposition est celle de savoir si la preuve soumise à l’égard des espèces confisquées établit à sa satisfaction qu’il ne s’agit pas de produits de la criminalité »
(Bouloud c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 41 au para 3). Il ne s’agit pas d’une norme de preuve impossible à atteindre (Singh Kang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 798 au para 40).
[39] Il n’aurait pas dû être difficile pour M. Ali de démontrer de façon concluante la légitimité de la source des fonds qu’il avait en sa possession le 5 décembre 2021. L’ami qui lui a prêté l’argent était prêt à donner à M. Ali accès à ses relevés bancaires, et il est difficile de comprendre pourquoi les relevés n’étaient pas accompagnés d’un affidavit ou d’une lettre d’explication du prêteur. Même s’il a eu de nombreuses occasions de fournir les renseignements nécessaires concernant la source des fonds saisis, M. Ali ne l’a pas fait.
[40] M. Ali a fourni peu d’éléments de preuve pour établir un lien entre les retraits du compte de l’entreprise de son ami et l’argent saisi. Le billet à ordre non garanti ne précisait pas le compte duquel les fonds devaient être retirés. M. Ali n’a pas expliqué les retraits continus de nature semblable effectués à la suite de la réception des fonds. Il n’a démontré aucun lien entre les retraits de novembre et ceux du début de décembre. La décision de la déléguée du ministre de n’accepter que les retraits effectués en décembre comme la source légitime des fonds saisis et de rejeter les retraits faits en novembre était logique et cohérente.
[41] La plainte de M. Ali selon laquelle la fluctuation du taux de change entre les devises américaine et canadienne lui a fait perdre de l’argent ne rend pas la décision de la déléguée du ministre déraisonnable. Conformément à l’alinéa 29(1)a) de la Loi, le ministre peut restituer une somme d’argent égale à la valeur des fonds saisis « à la date où le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux est informé de la décision »
[Non souligné dans l’original].
[42] Dans ses observations écrites, M. Ali invoque la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 [la Charte]. Dans sa plaidoirie, il a maintenu son droit d’être présumé innocent jusqu’à preuve du contraire. Toutefois, « les procédures de nature administrative – privées, internes ou disciplinaires – engagées pour protéger le public conformément à la politique générale d’une loi ne sont pas de nature pénale »
(Martineau c M.R.N., 2004 CSC 81 au para 22).
[43] Comme la juge Angela Furlanetto l’a fait remarquer dans la décision Evans c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 1516, le mécanisme de confiscation n’est pas de nature pénale; il s’agit plutôt d’un mécanisme de recouvrement civil : « Il n’est pas nécessaire que le demandeur soit accusé ou reconnu coupable d’une infraction criminelle, et l’ASFC ou le ministre n’est pas tenu d’établir hors de tout doute raisonnable que les espèces proviennent d’une source illégitime »
(au para 31).
[44] Dans son avis de demande, M. Ali a fait référence au paragraphe 6(1) de la Charte, qui garantit la liberté de circulation. Toutefois, il n’a pas approfondi cet argument dans des observations écrites ou orales. Je me contenterai de dire que « le par. 6(1) vise à protéger contre l’exil et le bannissement qui ont pour objet l’exclusion de la participation à la communauté nationale »
(États-Unis c Cotroni; États-Unis c El Zein, [1989] 1 RCS 1469, p 1482). Le paragraphe 6(1) de la Charte prévoit le « droit d’entrée au Canada, un point c’est tout »
(Canada c Boloh 1(a), 2023 CAF 120 au para 40). L’allégation non étayée de M. Ali selon laquelle il pourrait faire l’objet d’un examen plus rigoureux lorsqu’il voudra entrer au Canada à l’avenir ne constitue pas une atteinte à sa liberté de circulation.
VI. Conclusion
[45] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
[46] Le ministre sollicite des dépens. M. Ali n’était pas représenté par un avocat dans la présente instance, et l’épreuve lui a causé beaucoup de stress et d’embarras. La déléguée du ministre a reconnu que M. Ali n’avait pas l’intention d’enfreindre la loi. Eu égard à l’ensemble des circonstances, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de dépens contre M. Ali.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.
« Simon Fothergill »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-2623-22 |
INTITULÉ :
|
HABEEB ALI c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 30 novembre 2023
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE FOTHERGILL
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 4 janvier 2024
|
COMPARUTIONS :
Habeeb Ali (pour son propre compte) |
POUR LE DEMANDEUR |
Tengteng Gai |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |