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Date : 20231222

Dossier : IMM‑162‑23

Référence : 2023 CF 1753

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2023

En présence du juge en chef Crampton

ENTRE :

YUEKANG LI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Comme des acteurs étatiques hostiles recourent de plus en plus souvent à des méthodes non conventionnelles pour obtenir des renseignements de nature délicate au Canada ou à l’étranger, de façon contraire aux intérêts du Canada, la compréhension par la Cour de ce qui constitue de l’« espionnage » doit évoluer.

 


[2] Dans la présente instance, le demandeur, M. Li, demande à la Cour d’infirmer la décision (la « décision ») par laquelle un agent des visas (l’« agent ») a rejeté sa demande de permis d’études.

[3] L’agent a rejeté la demande de M. Li après avoir conclu que ce dernier est interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité. L’agent a tiré cette conclusion après avoir conclu qu’il y a des motifs raisonnables de croire que M. Li pourrait être l’auteur d’un acte d’espionnage dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada au sens de l’alinéa 34(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[4] M. Li soutient que la décision était déraisonnable à deux égards principalement. En premier lieu, il soutient que l’agent a appliqué une définition trop large du terme « espionnage ». En second lieu, il affirme que l’agent a mal compris des éléments de preuve importants et qu’il a fait abstraction d’autres éléments de preuve qu’il aurait dû prendre en considération.

[5] Je ne suis pas d’accord. Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

II. Contexte

[6] M. Li est résident de la République populaire de Chine (la « RPC »). En avril 2022, l’Université de Waterloo l’a admis à son programme de doctorat en génie mécanique et mécatronique. Plus tard au cours du même mois, il a présenté une demande de permis d’études (la « demande »), relativement à la période de quatre ans du programme de doctorat, qui, initialement, devait commencer en septembre 2022.

[7] En raison de retards liés aux vérifications de ses antécédents, M. Li a obtenu de l’Université de Waterloo de multiples reports de la date de début de son programme. L’éventuelle directrice de thèse de M. Li lui a accordé le plus récent report en avril dernier, lui disant que ce serait [TRADUCTION] « la dernière prorogation parce que le projet a déjà commencé et je ne peux plus attendre ».

[8] Dans l’intervalle, en janvier dernier, M. Li a présenté une demande de contrôle judiciaire visant [traduction] « le défaut constant, le refus ou le retard déraisonnable d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada » relativement au traitement de sa demande.

[9] En septembre, le défendeur a déposé une demande au titre de l’article 87 de la LIPR visant l’interdiction de divulgation de certains renseignements contenus dans le dossier certifié du tribunal (le « DCT »).

[10] Le 10 novembre 2023, M. Li a appris à la lecture du DCT caviardé que, selon une recommandation du Programme de filtrage pour la sécurité nationale aux fins d’immigration, il y a des motifs raisonnables de croire qu’il est interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)a) de la LIPR.

[11] Le 15 novembre 2023, j’ai rendu une ordonnance par laquelle j’accueillais la demande mentionnée ci‑dessus que le défendeur a présentée en vertu de l’article 87 de la LIPR. Je l’ai fait après avoir conclu que la divulgation des renseignements en question « porterait atteinte […] à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui », comme le prévoit l’alinéa 83(1)d) de la LIPR. Dans l’un des attendus de mon ordonnance, j’ai souligné que le défendeur avait dit qu’il n’avait pas l’intention de se fonder sur les renseignements caviardés pour répondre à la demande de contrôle judiciaire de M. Li. Durant l’audience relative à la demande, le défendeur a confirmé que l’agent ne s’était fondée sur aucun renseignement caviardé pour rendre la décision.

[12] À la suite d’une audience de gestion de l’instance tenue le 16 novembre 2023 et d’échanges que j’ai eus par la suite avec les parties, j’ai ordonné au défendeur de prendre sa décision concernant la demande de permis d’études de M. Li avant la fermeture des bureaux le 8 décembre 2023.

[13] Le 4 décembre 2023, M. Li a assisté à une [traduction] « entrevue relative à l’équité procédurale » visant à dissiper les doutes de l’agent à l’égard du fait qu’il puisse être interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)a) de la LIPR.

III. La décision

[14] Au début de la décision, l’agent a expliqué que ses doutes étaient fondés sur la scolarité de M. Li, son domaine d’études et de recherche au Canada et des renseignements provenant de sources ouvertes concernant le recours de la RPC à des agents de collecte de renseignements non conventionnels, notamment des étudiants en sciences et technologie, pour servir les intérêts militaires, entre autres, de la Chine.

[15] En ce qui concerne les études de M. Li, l’agent a souligné que ce dernier a obtenu un baccalauréat en génie mécanique de l’Université Beihang, puis une maîtrise en génie mécanique de l’Université du Colorado à Boulder, qu’il a fréquentée à distance en raison de la pandémie de COVID‑19. L’agent a également souligné que M. Li s’intéresse beaucoup à la microfluidique, qui est une branche des sciences et de la technologie à l’échelle micrométrique et nanométrique, et que ce dernier a mentionné dans ses plans d’études qu’il voulait consacrer sa carrière à l’amélioration de l’application, sous‑développée en Chine, des avancées de la technologie au point de service dans le domaine de la santé publique.

[16] L’agent a ensuite renvoyé à des sources ouvertes selon lesquelles l’Université Beihang entretient une relation étroite avec l’industrie de l’armement en Chine. L’agent a également parlé de l’intérêt stratégique de la RPC à l’égard de certaines industries de haute technologie, y compris [TRADUCTION] « la biopharmaceutique et les produits médicaux de pointe ».

[17] Après avoir fourni des précisions sur ce qui précède au cours d’une longue analyse, l’agent a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Li pourrait être pris pour cible et forcé de fournir des renseignements qui seraient préjudiciables au Canada ou contraires à ses intérêts au sens de l’alinéa 34(1)a) de la LIPR.

IV. Question préliminaire

[18] Dans ses observations écrites, le défendeur a soulevé le fait que M. Li n’avait pas présenté de demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision. La seule demande déposée par M. Li concernait plutôt le temps pris par le défendeur pour rendre sa décision concernant la demande de permis d’études de M. Li. Comme le défendeur a rendu cette décision le 8 décembre 2023, il a soutenu que M. Li aurait dû déposer une demande de contrôle judiciaire distincte relativement à cette dernière.

[19] Je ne suis pas d’accord. Dans la version modifiée de mes directives datées du 20 novembre 2023, j’ai précisé, entre autres, que la décision devait être rendue au plus tard le 8 décembre 2023, que toute observation écrite que les parties souhaitaient présenter à l’égard de la décision devait l’être au plus tard le 15 décembre 2023 et que l’audience aurait lieu le 18 décembre 2023. Cet échéancier a été établi d’un commun accord avec les avocats des parties durant la conférence de gestion de l’instance du 16 novembre 2023.

[20] Durant cette conférence de gestion de l’instance, il n’a pas été question des articles 3, 55 et 75(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, mais il était très clair pour le défendeur que j’exerçais implicitement le pouvoir que me confèrent ces dernières d’autoriser M. Li à modifier sa demande de contrôle judiciaire. Comme je l’ai expliqué durant la conférence de gestion de l’instance, je le faisais dans l’intérêt de la justice, compte tenu du temps très long qui s’était écoulé avant que le défendeur ne rende la décision et du fait que le [traduction] « tout dernier » report de l’inscription de M. Li au programme de doctorat à l’Université de Waterloo devait expirer au cours des prochaines semaines.

V. Dispositions législatives pertinentes

[21] Selon l’article 33 de la LIPR, les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

[22] L’alinéa 34(1)a) de la LIPR prévoit qu’emporte interdiction de territoire pour raison de sécurité le fait d’être l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada.

[23] Le texte de l’article 33 et celui de l’alinéa 34(1)a) de la LIPR sont annexés aux présents motifs.

VI. Questions en litige

[24] Il y a deux grandes questions en litige dans la présente instance :

  1. L’agent a‑t‑il appliqué une définition trop large du terme « espionnage » pour en arriver à la décision?

  2. L’agent a‑t‑il mal compris des éléments de preuve importants ou fait abstraction de tels éléments de preuve?

VII. Norme de contrôle

[25] Les parties s’entendent sur le fait que la norme de contrôle applicable aux questions énoncées ci‑dessus est de savoir si la décision était déraisonnable. Je suis d’accord : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16‑17.

[26] Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit l’examiner avec « une attention respectueuse » et envisager la décision « dans son ensemble » : Vavilov, aux para 84‑85. L’objectif global de la Cour sera de savoir si la décision est justifiée, transparente et intelligible. Autrement dit, la Cour se demandera si elle est en mesure de comprendre le fondement sur lequel la décision a été rendue et si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Vavilov, aux para 86 et 97.

[27] Une décision justifiée, transparente et intelligible en est une qui est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et qui « est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, au para 85. Elle devrait également refléter le fait que le décideur « s’[est] attaqu[é] de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties » : Vavilov, au para 128.

[28] Le rôle de la Cour ne consiste pas à tirer ses propres conclusions de fait, substituer son appréciation de la preuve ou l’issue appropriée ou à soupeser de nouveau les éléments de preuve. La fonction de la Cour est uniquement d’évaluer si les conclusions et le raisonnement du tribunal sont raisonnables : Vavilov, aux para 125‑126; Pascal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 751 au para 7.

VIII. Analyse

A. L’agent a‑t‑il appliqué une définition trop large du terme « espionnage » pour en arriver à la décision?

1) Le sens du terme « espionnage »

[29] M. Li soutient que l’agent a commis une erreur en appliquant une définition trop large du terme « espionnage », utilisé à l’alinéa 34(1)a) de la LIPR. Plus précisément, il affirme que l’agent a inclus dans cette définition toutes les méthodes non conventionnelles de collecte de renseignements. M. Li affirme que c’était déraisonnable, puisque certaines formes non conventionnelles de collecte de renseignements ne constituent pas de l’« espionnage ».

[30] Il n’y a pas de définition du terme « espionnage » dans la LIPR ni, semble‑t‑il, dans aucune autre loi fédérale.

[31] Cependant, M. Li soutient que le terme « espionnage » possède les cinq caractéristiques suivantes :

1) Il y a un aspect secret, clandestin, subreptice ou caché dans la façon dont les renseignements en question sont recueillis.

2) Les renseignements sont recueillis à l’insu des autres parties et sans leur consentement.

3) Lorsqu’il recueille activement des renseignements, l’agent le fait sous le contrôle et la direction d’une entité étrangère.

4) Les renseignements sont considérés comme étant secrets, et non simplement confidentiels.

5) L’acte est dirigé contre le Canada ou contraire à ses intérêts.

[32] Je ne suis pas d’accord. À mon avis, la jurisprudence appuie une définition plus large d’« espionnage ». À la base, la notion d’« espionnage » a pour objet la collecte ou la communication secrète, clandestine, subreptice ou cachée de renseignements à un État étranger ou à une autre entité ou personne étrangère. Lorsqu’une telle activité est dirigée contre le Canada ou est contraire aux intérêts du Canada, elle est visée à l’alinéa 34(1)a) de la LIPR.

[33] Je prends un instant pour souligner que la cinquième « caractéristique » mentionnée plus haut est un élément distinct de l’alinéa 34(1)a) de la LIPR. Par conséquent, elle doit être considérée comme étant distincte de ce que le législateur a voulu inclure dans la définition d’« espionnage ». Autrement dit, les mots « dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada » précisent le type d’espionnage visé à cet alinéa. D’autres types d’espionnage ne sont pas visés par cette disposition. Pour les besoins de la présente affaire, il n’est pas nécessaire d’en dire davantage au sujet de cette précision.

[34] M. Li s’appuie sur la décision Crenna c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 491 [Crenna] aux para 71‑78 de notre Cour pour étayer sa position selon laquelle le terme « espionnage » s’applique seulement à des activités ayant les cinq caractéristiques mentionnées au paragraphe 31 des présents motifs. Cependant, la Cour n’a pas défini « espionnage » de cette façon dans la décision Crenna. La définition d’« espionnage » donnée par la Cour ne contenait pas les troisième et quatrième « caractéristiques » cernées par M. Li.

[35] Dans l’évaluation qu’elle a effectuée dans la décision Crenna, la Cour a renvoyé à plusieurs affaires et définitions de dictionnaire, ainsi qu’au témoignage d’un expert (le professeur Wesley Wark), qui avait comparu devant le tribunal dont la décision faisait l’objet du contrôle. La Cour a ensuite conclu ce qui suit : « Selon l’élément commun de toutes ces décisions, l’espionnage comporte la collecte d’information secrète, clandestine, subreptice ou cachée » : Crenna, au para 78 (non souligné dans l’original).

[36] Aucune des définitions de la jurisprudence ou de dictionnaire examinées par la Cour dans la décision Crenna ne contient les troisième et quatrième [traduction] « caractéristiques de l’espionnage » cernées par M. Li. Autrement dit, elles ne précisent pas que l’activité en cause doit être menée sous « le contrôle et la direction » d’une entité étrangère ni que les renseignements en question doivent être considérés comme étant « secrets ».

[37] De plus, le témoignage du professeur Wark cité par la Cour portait explicitement sur l’« HUMINT » (la collecte de renseignements au moyen de sources humaines), et non sur le terme générique d’« espionnage » utilisé à l’alinéa 34(1)a) de la LIPR. Le professeur Wark a déclaré ce qui suit :

When I address issues of HUMINT, I generally describe this particular discipline of intelligence gathering as ‘a form of espionage in which a state actor uses an agent under its control and direction to acquire information deemed useful to it using clandestine means.’ The key characteristics here are three‑fold: control and direction of an agent and clandestine means.

Crenna, au para 74 (soulignement ajouté par la Cour)

[38] Pour les besoins de la présente affaire, il suffira de répéter que, dans la décision Crenna, la Cour n’a pas inclus les notions de « contrôle et direction » pour finir par en arriver à sa définition d’« espionnage », citée à la fin du paragraphe 35. Il est également pertinent de souligner que, dans la décision Crenna, la Cour a fini par conclure que les actes en cause ne donnaient pas lieu à des motifs raisonnables de croire que le demandeur s’était livré à de l’espionnage, puisqu’il s’agissait d’actes autorisés. Autrement dit, la communication des renseignements en question à un agent étranger était autorisée : Crenna, aux para 79‑89.

[39] M. Li n’a invoqué aucune autre jurisprudence pour étayer sa position selon laquelle les caractéristiques clés de l’« espionnage » comprennent i) le fait de mener l’activité en cause sous « le contrôle et la direction » d’une entité étrangère ou ii) l’exigence que les renseignements en question soient considérés comme étant « secrets ».

[40] Même si, dans la décision Crenna, la Cour a limité sa définition d’espionnage à la collecte d’information secrète, clandestine, subreptice ou cachée, j’estime que le terme « espionnage » vise également la communication de renseignements ou la présentation de rapports secrète, clandestine, subreptice, cachée ou non autorisée à un État étranger ou à une autre entité ou personne non autorisée. À mon avis, cette interprétation est étayée par une partie de la jurisprudence à laquelle il est fait référence dans la décision Crenna.

[41] Plus précisément, dans la décision Qu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 71 [Qu devant la CF], la Cour fait observer ce qui suit :

[45] L’agent des visas a conclu que le demandeur avait eu l’habitude de faire rapport à l’ambassade de la Chine à Ottawa et qu’il fournissait des renseignements sur les activités d’individus qui faisaient partie d’une organisation canadienne d’étudiants; il avait également tenté d’infiltrer cette organisation de façon à permettre la réalisation des buts et objectifs d’un gouvernement étranger. Les éléments subversifs auxquels songeait l’agent des visas se rapportaient à la modification de la mission de la CSSA et visaient à faire passer cette dernière d’une association activiste prodémocratique critiquant les autorités chinoises à une association ne s’élevant plus du tout contre le gouvernement chinois. Comme il en a été fait mention, le demandeur n’a pas réussi à contester avec succès ces conclusions de fait ou les inférences en découlant.

[46] Je n’hésite pas à conclure que les activités du demandeur, selon les conclusions de l’agent des visas, constituent de l’espionnage et de la subversion aux termes du sous‑alinéa 19(1)f)(i) de la Loi, au sens où ces mots s’entendent habituellement, et compte tenu des dispositions de lois fédérales similaires qui ont été examinées.

[Non souligné dans l’original.]

[42] Il ressort clairement des mots soulignés dans les passages cités ci‑dessus que, dans la décision Qu devant la CF, la Cour a considéré que le fait de « faire rapport » et de « fournir » des renseignements relativement aux activités manifestement publiques de l’Association des étudiants et des chercheurs de l’Université Concordia constituait de l’espionnage. C’est le cas malgré le fait que la Cour a défini l’« espionnage » comme étant « simplement une méthode permettant de recueillir des renseignements—en espionnant, en agissant d’une façon cachée » : Qu devant la CF, au para 48. Rien n’indique que les renseignements en question ont été recueillis secrètement ou qu’il y avait quoi que ce soit de particulièrement secret dans la nature des renseignements qui ont été communiqués à l’ambassade de la Chine.

[43] La conclusion de la Cour selon laquelle les activités du défendeur constituaient de l’espionnage au sens de la disposition ayant été remplacée par ce qui est maintenant l’alinéa 34(1)a) de la LIPR n’a pas été modifiée en appel : Qu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 399 [Qu devant la CAF]. Cette disposition était le sous‑alinéa 19(1)f)(i) de la Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I‑2 :

[44] Pour plus de certitude, la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a renvoyé l’affaire à l’agent des visas pour nouvel examen conformément à ses motifs, qui portaient uniquement sur l’élément « subversion contre des institutions démocratiques » du sous‑alinéa 19(1)f)(i) : Qu devant la CAF. Il convient de souligner que la CAF n’a pas modifié la conclusion de notre Cour selon laquelle les rapports sur des renseignements qui avaient manifestement été recueillis publiquement constituaient de l’« espionnage ».

[45] Il est également pertinent de souligner que la CAF a statué que le législateur « voulait que les mots apparaissant dans [le sous‑alinéa 19(1)f)(i)] soient interprétés d’une manière libérale » : Qu devant la CAF, au para 33. Il faut présumer que cela comprend tous ces mots, dont le mot « espionnage ». Malgré les modifications subséquentes qui ont donné lieu à la séparation de certains des éléments du sous‑alinéa 19(1)f)(i) de la Loi sur l’immigration en dispositions distinctes du paragraphe 34(1) de la LIPR, la jurisprudence antérieure à la LIPR en ce qui a trait à la signification du terme « espionnage » demeure valide : Sumaida c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 256 au para 21.

[46] Une autre affaire mentionnée dans la décision Crenna est Peer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 752, confirmée dans 2011 CAF 91 [Peer]. Encore une fois, l’activité en cause dans cette affaire comprenait la collecte de renseignements accessibles au public. Les renseignements concernaient des détails sur les activités de Canadiens et d’autres ressortissants étrangers pendant qu’ils se trouvaient au Pakistan pour participer ou assister à des festivals d’arts et de musique. Le demandeur était responsable de « surveiller ces étrangers » : Peer, au para 25. Rien n’indique que les activités de ces étrangers étaient en quoi que ce soit secrètes ou clandestines. C’est plutôt le fait de faire rapport sur leurs activités aux autorités pakistanaises qui constituait de l’« espionnage ».

[47] En résumé, et compte tenu de ce qui précède, je conclus que le terme « espionnage » désigne i) la collecte secrète, clandestine, subreptice ou cachée de renseignements pour le compte d’un gouvernement étranger ou d’une autre entité ou personne étrangère, ou ii) la présentation de rapports ou la communication de renseignements, que ceux‑ci aient été recueillis subrepticement ou publiquement, à un tel destinataire. J’estime en outre qu’il est raisonnable d’inclure dans la définition d’« espionnage » la présentation de rapports ou la communication non autorisée de tels renseignements à un tiers agissant à titre d’intermédiaire pour la transmission des renseignements à ce destinataire. Lorsqu’une telle activité est dirigée contre le Canada ou est contraire aux intérêts du Canada, elle est visée à l’alinéa 34(1)a) de la LIPR. C’est le cas même si les renseignements en question ont été recueillis publiquement.

[48] Contrairement à ce que M. Li soutient dans ses observations, il n’est pas nécessaire de démontrer que l’activité en cause est sous le contrôle et la direction d’une entité étrangère ou que les renseignements sont de nature secrète. Il n’est pas non plus nécessaire d’établir que les renseignements en question ont été recueillis à l’insu des personnes dont les renseignements ont été recueillis et communiqués et sans leur consentement. Il suffira que ces renseignements, même s’ils sont accessibles au public, aient été communiqués à un État étranger ou à une autre entité ou personne étrangère ou aient fait l’objet d’un rapport leur étant adressé, sans aucune autorisation. Cette interprétation concorde avec ce que nous enseigne la CAF, c’est‑à‑dire que le libellé de ce qui est maintenant le paragraphe 34(1) de la LIPR doit être interprété d’une manière libérale : Qu devant la CAF, au para 34.

[49] M. Li ajoute qu’un acte d’espionnage ne peut être commis sans intention ni connaissance. Il n’a pu fournir aucune jurisprudence à l’appui de cette observation, mais je suis enclin à souscrire à l’idée fondamentale qu’il met de l’avant. À mon avis, il faut un certain élément de complicité ou de participation consciente à l’un des deux types d’activités décrits au paragraphe 47. Autrement dit, il doit être démontré que la personne en question savait qu’elle était ou pouvait être en train i) de recueillir, de façon secrète, clandestine, subreptice ou cachée, des renseignements pour le compte d’un gouvernement étranger ou d’une autre entité ou personne étrangère, ou ii) de faire rapport sur des renseignements ou de communiquer des renseignements recueillis subrepticement ou publiquement, à un tel destinataire.

[50] Par souci d’exhaustivité, il est pertinent d’ajouter que le terme « espionnage » comprend les activités menées pour le compte d’un gouvernement étranger ou d’une autre entité ou personne conformément aux lois du pays étranger en question : Afanasyev c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1270 [Afanasyev] au para 19. De plus, le terme « espionnage » ne requiert aucun élément d’intention hostile ni le fait que la personne se livrant à l’activité en cause ait une connaissance précise de la façon dont les renseignements pourront être utilisés plus tard par les destinataires : Afanasyev, au para 19. Il n’exige pas non plus qu’une telle activité vise l’atteinte d’un but illicite : Peer, au para 34.

2) Application à la décision

[51] Compte tenu de ce qui précède, je ne souscris pas à l’observation de M. Li voulant que l’agent ait commis une erreur en appliquant une définition trop large du terme « espionnage » au moment de rendre la décision. Je ne souscris pas non plus à l’affirmation de M. Li voulant que l’agent ait commis une erreur en concluant que la collecte non conventionnelle de renseignements non secrets concernant son domaine d’études, la microfluidique, pouvait constituer de l’« espionnage » dans le contexte décrit dans la décision.

[52] L’agent a renvoyé à des rapports crédibles de sources ouvertes selon lesquels la RPC recourt à des agents de collecte de renseignements non conventionnels afin de prendre pour cibles des organisations non gouvernementales au Canada, y compris des établissements d’enseignement et des entreprises. Il a été constaté qu’il y a parmi ces agents de collecte de renseignements non conventionnels des personnes qui n’ont pas de formation officielle dans le domaine du renseignement, mais qui ont une expertise pertinente, y compris des chercheurs et des gens d’affaires. L’agent a souligné que, selon un rapport de la U.S.‑China Economic and Security Review Commission intitulé Overseas Chinese Students and Scholars in China’s Drive for Innovation [le Rapport des États‑Unis], [TRADUCTION] « la RPC compte grandement sur ses étudiants en sciences et en technologie pour atteindre les objectifs du Parti communiste chinois ». Cette publication décrit entre autres le fait que la RPC recourt à des étudiants et à des chercheurs chinois à l’étranger pour atteindre ses objectifs nationaux en matière de développement. Il décrit également [traduction] « l’écosystème tentaculaire de programmes et d’incitatifs [de la RPC] conçus pour veiller à ce que le savoir‑faire et les techniques scientifiques que les étudiants et les chercheurs acquièrent à l’étranger soient absorbés afin de faire progresser l’application de sa stratégie de fusion militaro‑civile, au profit des secteurs commercial et de l’armement de la Chine » : Rapport des États‑Unis, à la p. 5.

[53] L’agent a également souligné que, par l’intermédiaire des agents de collecte de renseignements non conventionnels désignés dans la décision, [TRADUCTION] « [l]a RPC serait alors en mesure de tirer parti de la nature collaborative, transparente et ouverte du gouvernement, de l’économie et de la société du Canada » en obtenant [TRADUCTION] « des renseignements de nature délicate et exclusive ou des techniques de pointe ». L’agent a ajouté que la perte ou la communication non autorisée de tels renseignements pourrait nuire aux intérêts du Canada.

[54] L’agent a ensuite établi un lien entre le domaine d’études de M. Li, la microfluidique, et les intérêts stratégiques de la Chine. À cet égard, l’agent a invoqué des articles de sources ouvertes portant sur l’importance de l’industrie de la microfluidique relativement aux ambitions stratégiques de la Chine. Selon l’un de ces articles, intitulé Why is China Becoming a Microfluidics Manufacturing Superpower?, la mise au point de dispositifs microfluidiques a créé de nouvelles possibilités importantes pour la recherche médicale. Ces possibilités trouvent naturellement une place dans le plan Made in China 2025 de la Chine, qui cible dix industries de haute technologie, y compris [TRADUCTION] « la biopharmaceutique et les produits médicaux de pointe ». Un second article, intitulé Chinese microfluidics industry: a fast‑moving eco‑system, souligne que le gouvernement chinois rappelle des dirigeants, des chercheurs et des ingénieurs chinois qui ont travaillé à l’étranger pour qu’ils viennent diriger des entreprises chinoises novatrices et accroître leur succès dans l’industrie de la microfluidique.

[55] En ce qui concerne l’intérêt de M. Li pour la microfluidique, l’agent a souligné que M. Li avait déclaré qu’il voulait consacrer sa carrière à l’amélioration de l’application, sous‑développée en Chine, des avancées de la technologie au point de service dans le domaine de la santé publique. L’agent a également souligné que M. Li avait déclaré qu’il préférerait étudier au Canada parce que cela lui offrirait de meilleures occasions de collaborer avec l’industrie et de travailler sur des problèmes concrets. Compte tenu de ce qui précède, l’agent a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Le fait d’avoir une spécialisation dans une industrie que la RPC a désignée comme étant l’une de ses dix principales industries de haute technologie ciblées (la biopharmaceutique et les produits médicaux de pointe) soulève des préoccupations quant au fait que la RPC pourrait faire appel au demandeur dans le contexte de l’application de ses méthodes d’espionnage non conventionnelles, ce qui pourrait mener à la communication de renseignements à la RPC, de façon contraire aux intérêts du Canada.

[56] Compte tenu de tout ce qui précède, l’agent n’a pas commis d’erreur en concluant que la collecte par M. Li de renseignements concernant la recherche en microfluidique et les avancées dans le domaine de la microfluidique au Canada au nom de la RPC constituerait de l’« espionnage » au sens de l’alinéa 34(1)a) de la LIPR. Il en serait de même en ce qui a trait à la présentation de rapports sur de tels renseignements et à la communication de tels renseignements à la RPC. Il n’était pas déraisonnable pour l’agent de le conclure.

[57] M. Li soutient que l’agent s’est fondé sur des hypothèses pour conclure qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il pourrait se livrer à des activités constituant de l’« espionnage ». Je ne suis pas d’accord.

[58] La norme des « motifs raisonnables de croire » exige davantage qu’un simple soupçon, mais moins que la prépondérance des probabilités. « La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » : Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 au para 114.

[59] La conclusion de l’agent selon laquelle il y a des « motifs raisonnables de croire » que M. Li se livrerait à des actes d’espionnage s’il obtenait un permis d’études à l’Université de Waterloo était fondée [TRADUCTION] « sur sa scolarité et son domaine d’études ainsi que sur l’utilisation par la RPC de techniques d’espionnage non conventionnelles ».

[60] En ce qui concerne sa scolarité, l’agent a souligné que l’Australian Strategic Policy Institute a désigné l’Université Beihang comme étant un établissement à très haut risque sur le plan de la sécurité en raison de divers facteurs, y compris sa relation étroite avec l’industrie de l’armement en Chine.

[61] En ce qui concerne le domaine d’études de M. Li, voir l’analyse des conclusions de l’agent aux paragraphes 54 et 55. De plus, l’agent a souligné que, si M. Li se voyait accorder un visa pour entreprendre son programme de doctorat proposé à l’Université de Waterloo, il [TRADUCTION] « serait dans une position unique pour fournir à la RPC des renseignements qui pourraient dans l’avenir être préjudiciables au Canada ou contraires aux intérêts du Canada ».

[62] En ce qui concerne l’utilisation par la RPC de techniques d’espionnage non conventionnelles, l’agent s’est appuyé sur des rapports crédibles de sources ouvertes selon lesquels la RPC fait appel à des chercheurs, à des étudiants et à d’autres agents non conventionnels à l’étranger pour recueillir des renseignements de nature délicate sur le plan commercial et militaire afin de promouvoir ses intérêts stratégiques, au détriment du Canada. Ces sources comprenaient des rapports publics du Service canadien du renseignement de sécurité (le « SCRS »), un article d’actualités de la CBC citant des déclarations du directeur du SCRS, le Rapport des États‑Unis mentionné précédemment, la Proclamation 10043 du Président et les articles mentionnés au paragraphe 54.

[63] À mon avis, les facteurs qui précèdent fournissaient des motifs raisonnables de croire que M. Li pourrait être recruté par la RPC ou forcé par elle à se livrer aux activités d’espionnage décrites plus haut et plus en détail dans la décision. Il n’était pas déraisonnable pour l’agent de le conclure. Les sources ouvertes sur lesquelles s’est appuyé l’agent étaient objectives, crédibles et convaincantes. Les motifs de l’agent étaient adéquatement justifiés, transparents et intelligibles.

[64] Il convient de souligner que l’article 33 de la LIPR prévoit que les faits mentionnés aux articles 34 à 37 sont entre autres appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils peuvent survenir.

[65] M. Li soutient que l’agent a commis une erreur en fondant la décision sur la conclusion selon laquelle il pourrait fournir des renseignements à la RPC [TRADUCTION] « sciemment ou sans le savoir ». Comme je l’ai mentionné au paragraphe 49, je conviens qu’il ne peut être conclu qu’une personne commet un acte d’espionnage si elle ne sait pas qu’elle est ou peut être en train de se livrer à des activités qui correspondent à la définition de ce terme. Néanmoins, la conclusion de l’agent selon laquelle M. Li pourrait fournir à la RPC des renseignements [TRADUCTION] « sans le savoir » ne rend pas la décision déraisonnable. En effet, l’agent a également conclu de façon raisonnable que, si M. Li obtenait son visa pour étudier à l’Université de Waterloo, il y a des motifs raisonnables de croire qu’il pourrait être convaincu ou forcé de fournir des renseignements de nature délicate à la RPC.

[66] M. Li a également soutenu que l’agent avait commis une erreur en concluant qu’il pourrait commettre des actes d’espionnage en fournissant des renseignements à la RPC après ses études et son retour en Chine. Je ne suis pas d’accord. Il n’est pas nécessaire que des activités qui constitueraient autrement de l’« espionnage » soient menées pendant que la personne en question se trouve au Canada : Afanasyev, au para 18; Peer, aux para 36 et 40‑41. La collecte de renseignements au Canada et sa communication subséquente, à l’extérieur du Canada, à un gouvernement étranger ou à une autre entité ou personne étrangère sont désignées par le terme « espionnage » au sens de l’alinéa 34(1)a) de la LIPR.

[67] M. Li affirme également que l’agent a commis une erreur en utilisant l’expression [TRADUCTION] « préjudiciable au Canada ou aux intérêts du Canada ». Cependant, il ressort clairement de la lecture de l’ensemble de la décision que l’agent a compris et appliqué le critère approprié, à savoir que toutes éventuelles activités d’espionnage de M. Li seraient « dirigées contre le Canada » ou « contraires aux intérêts du Canada », comme le prévoit l’alinéa 34(1)a) de la LIPR. Ces expressions sont utilisées à de nombreux endroits dans la décision, y compris dans l’introduction et la conclusion.

[68] À mon avis, il n’était pas déraisonnable pour l’agent d’adopter les définitions des termes du manuel no 2 de la mise en application de la loi de Citoyenneté et Immigration Canada qu’il a cités. L’agent a soutenu que, selon ce document, l’expression « contre le Canada » visait notamment « les actes d’espionnage menés par une organisation ou un État étranger au Canada ». En outre, toujours selon ce document, l’expression « contraire aux intérêts du Canada » visait notamment « les actes d’espionnage commis à l’intérieur ou à l’extérieur du Canada qui auraient une incidence négative sur la sûreté, la sécurité ou la prospérité du Canada ».

[69] Il n’était pas non plus déraisonnable pour l’agent de conclure que toutes éventuelles activités de M. Li seraient visées par ces définitions de « contre le Canada » ou de « contraire aux intérêts du Canada ». Par ailleurs, le fait que l’agent a souligné que la demande de visa d’étudiant de M. Li pour faire sa maîtrise en personne aux États‑Unis a été refusée sur le fondement de la Proclamation 10043 du Président constitue un autre élément contextuel pertinent relativement à cette conclusion. Selon l’agent, cet instrument précise que la RPC [TRADUCTION] « fait appel à des étudiants chinois, principalement des étudiants de troisième cycle et des chercheurs postdoctoraux, pour jouer le rôle d’agents de collecte de propriété intellectuelle non conventionnels et que l’entrée d’immigrants qui cherchent à être admis aux États‑Unis au moyen d’un visa F ou J pour étudier ou faire de la recherche aux États‑Unis seraient préjudiciables aux intérêts des États‑Unis ».

[70] En résumé, pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis que l’agent n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Li est interdit de territoire pour raison de sécurité parce qu’il pourrait être l’auteur d’actes d’espionnage dirigés contre le Canada ou contraires aux intérêts du Canada. Cette conclusion était fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et était bien « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles [l’agent] est assujetti » : Vavilov, au para 85.

B. L’agent a‑t‑il mal compris des éléments de preuve importants ou fait abstraction de tels éléments de preuve?

[71] M. Li soutient que l’agent a commis une erreur en concluant qu’il a encore des liens avec l’Université Beihang.

[72] Je ne suis pas d’accord. L’agent n’a fait aucune déclaration explicite à cet égard. L’agent a simplement invoqué la « scolarité » de M. Li, y compris à l’Université Beihang, en tant que facteur dans sa décision. La seule mention par l’agent de l’existence possible de liens qui continueraient d’exister entre M. Li et cette établissement a été faite en réponse à la déclaration de M. Li selon laquelle il n’avait gardé aucun lien de ce genre. À cet égard, l’agent a souligné que M. Li avait déclaré durant son entrevue que c’était son conseiller universitaire de l’Université Beihang, le Dr Peng, qui l’avait incité à étudier à l’Université de Waterloo.

[73] M. Li soutient que l’agent a mal compris ou a écarté le témoignage selon lequel le Dr Peng a quitté l’Université Beihang il y a deux ans. Cependant, à mon avis, cette omission re rend pas l’ensemble de la décision déraisonnable. Entre autres choses, le fait que le Dr Peng ait quitté l’Université Beihang il y a deux ans ne montre pas qu’il n’a plus de liens avec cet établissement.

[74] Qui plus est, l’agent a explicitement déclaré que, en soi, la fréquentation par M. Li de l’Université Beihang ne le rendait pas interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)a) de la LIPR. L’agent a donné l’explication suivante : [TRADUCTION] « Ce sont non seulement les études du demandeur à l’Université Beihang, mais aussi sa scolarité, son domaine d’études et le recours par la RPC à des méthodes d’espionnage non conventionnelles qui m’amènent à conclure à l’interdiction de territoire du demandeur. » À mon avis, cette conclusion était justifiée, transparente et intelligible. Elle était également fondée sur les rapports provenant de sources ouvertes sur lesquels s’est appuyé l’agent.

[75] M. Li soutient également que l’agent a agi de façon déraisonnable en faisant abstraction d’un élément de preuve important provenant de sa directrice de thèse proposée à l’Université de Waterloo, Mme Carolyn Ren. L’élément de preuve en question est une lettre de Mme Ren, datée du 14 novembre 2023. Dans cette lettre, Mme Ren rejette la préoccupation selon laquelle il pourrait y avoir des applications militaires dans le domaine de la microfluidique. Entre autres choses, elle affirme que les applications militaires n’ont jamais été intéressantes pour les gens du milieu de la microfluidique et que celle‑ci comporte des limites inhérentes qui l’empêchent d’être utilisée pour de telles applications. Elle ajoute que son laboratoire à l’Université de Waterloo [TRADUCTION] « n’a jamais fait et ne fera PAS de recherche liée à des applications militaires […] » Ce laboratoire sert plutôt exclusivement au développement de diverses applications dans le domaine médical.

[76] À mon avis, l’agent n’a pas agi de façon déraisonnable en omettant de mentionner la lettre de Mme Ren mentionnée précédemment. En effet, les doutes de l’agent portaient principalement sur l’utilisation par la RPC des renseignements qu’il pourrait fournir, pour leur utilisation [traduction] « en biopharmaceutique et dans des produits médicaux de pointe », que l’agent a également décrits en parlant de [traduction] « des nouvelles sciences, des technologies de pointe, du génie biomédical et plus encore ». Cela ressort clairement des deux passages suivants, vers la fin de la décision :

[traduction]

Après avoir lu les articles, le demandeur a déclaré qu’il n’avait jamais entendu parler de Made in China 2025 et qu’il n’avait pas eu jusqu’ici une vue d’ensemble de l’industrie de la microfluidique. Cependant, dans son plan d’études, il veut consacrer sa carrière à l’amélioration de l’application, sous‑développée en Chine, des avancées de la technologie au point de service dans le domaine de la santé publique. Le fait d’avoir une spécialisation dans une industrie que la RPC a désignée comme étant l’une de ses dix principales industries de haute technologie ciblées (la biopharmaceutique et les produits médicaux de pointe) soulève des préoccupations quant au fait que la RPC pourrait faire appel au demandeur dans le contexte de l’application de ses méthodes d’espionnage non conventionnelles, ce qui pourrait mener à la communication de renseignements à la RPC, de façon contraire aux intérêts du Canada.

[…]

Le demandeur lui‑même a déclaré qu’il préfère étudier à l’Université de Waterloo qu’à son université actuelle à Hong Kong, puisqu’il bénéficierait d’une meilleure collaboration avec l’industrie et d’un meilleur accès aux laboratoires, à des problèmes concrets et à d’autres possibilités et expériences. Les connaissances et les renseignements qu’il pourrait acquérir pendant ses études au Canada, y compris l’accès à de vrais laboratoires, le fait de rencontrer d’autres personnes dans son domaine de recherche, etc., pourraient donner lieu à l’exploitation du Canada et de l’esprit de collaboration et de transparence qui le caractérise et permettre la promotion des intérêts de la RPC dans les domaines des nouvelles sciences, des technologies de pointe, du génie biomédical et plus encore.

[77] À la lumière de ces renseignements, il y a des motifs raisonnables de croire que le demandeur est interdit de territoire pour raison de sécurité, puisqu’il pourrait être l’auteur d’un acte d’espionnage dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada.

[78] Ce qui précède répond également à l’affirmation de M. Li voulant que la décision soit déraisonnable parce qu’elle n’aborde pas sa proposition d’inclure une condition dans son permis d’études pour répondre aux préoccupations de l’agent concernant la possibilité qu’il mène des recherches susceptibles d’avoir des applications militaires.

[79] En résumé, pour les motifs qui précèdent, j’estime que la décision n’était pas déraisonnable parce que l’agent avait mal compris des éléments de preuve importants ou fait abstraction de tels éléments de preuve. La décision de l’agent était manifestement l’une des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Vavilov, au para 86.

IX. Conclusion

[80] Compte tenu des conclusions tirées aux parties VIII. A et VIII.B, la demande de M. Li sera rejetée.

[81] À la fin de l’audience relative à la demande, les parties ont déclaré que les faits et les questions juridiques soulevées ne soulèvent aucune question grave de portée générale à certifier, comme le prévoit l’alinéa 74d) de la LIPR. Compte tenu de la position des parties sur cette question et du fait que la [traduction] « toute dernière possibilité » offerte à M. Li de s’inscrire à l’Université de Waterloo prendra fin dans quelques semaines, je me suis abstenu d’explorer davantage cette question avec les parties.

JUGEMENT dans le dossier IMM‑162‑23

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef


 

ANNEXE — Dispositions législatives pertinentes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑162‑23

INTITULÉ :

YUEKANG LI C LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 DÉCEMBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

DATE DES MOTIFS :

LE 22 DÉCEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Raymond Lo

 

POUR LE DEMANDEUR

Ian Hicks

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lo & Associates

Richmond Hill (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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