Dossier : IMM-8958-22
Référence : 2023 CF 1611
[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]
Montréal (Québec), le 30 novembre 2023
En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond
ENTRE :
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MALAK SINGH
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] M. Singh sollicite le contrôle judiciaire du rejet de sa demande d’asile. Sa demande était fondée sur la persécution que lui a fait subir la police en Inde, en particulier son arrestation et sa détention arbitraire en octobre 2017. La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a conclu que son témoignage n’était pas crédible. De plus, la SAR n’a accordé aucun poids aux documents corroborants.
[2] La SAR a conclu que M. Singh manquait de crédibilité pour trois motifs : (1) dans sa demande de visa, il a omis de déclarer son arrestation; (2) les différents formulaires comportaient des informations contradictoires quant à la date précise de sa détention; et (3) il a omis de mentionner qu’il craignait des dirigeants politiques dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA]. Je suis d’avis que la SAR a commis une erreur quant à chacun de ces trois points et que l’accumulation de ces erreurs rend la décision déraisonnable.
[3] Le premier motif avancé par la SAR pour juger de la crédibilité de M. Singh est le fait qu’il a omis de déclarer sa détention dans sa demande de visa pour le Canada. Cependant, cette déclaration a été faite en vue de se rendre au Canada pour y demander l’asile et ne devrait pas être retenue contre M. Singh : Fajardo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 915 (CAF).
[4] Le deuxième motif est la divergence entre les dates de détention inscrites dans le formulaire FDA et l’exposé circonstancié qui y est joint, d’une part, et les formulaires Annexe A et Annexe 12, d’autre part. La SAR a rejeté l’explication de M. Singh selon laquelle la divergence découle vraisemblablement d’une erreur de l’interprète, notamment parce que la détention aurait duré un jour ou trois jours, selon le formulaire pris en compte.
[5] Dans l’exposé circonstancié joint au formulaire FDA, M. Singh déclare avoir été arrêté le 10 octobre 2017 et relâché le 13 octobre 2017. Dans le formulaire Annexe A, sous la déclaration affirmant que M. Singh a été détenu illégalement et accusé à tort, se trouve l’annotation manuscrite « 13-10-2017 14-10-2017 »
Il y a également une note dactylographiée qui renvoie à son exposé circonstancié. Dans le formulaire Annexe 12, à la question « période de détention »
, se trouvent des annotations manuscrites, « 2017-10-14 »
dans la case « du »
, et « 2017-10-13 »
dans la case « au »
. À la question « pour quel motif »
, il est indiqué [TRADUCTION] « voir l’exposé circonstancié ci-joint »
. Tous les formulaires ont été signés à la même date, le 16 juillet 2018. Avant l’audience devant la SPR, l’avocat de M. Singh a envoyé une lettre demandant la rectification des formulaires pour que la période de détention indiquée aille du 10 octobre 2017 au 13 octobre 2017.
[6] Je suis d’avis qu’il était déraisonnable de conclure à un manque de crédibilité sur le fondement de ce qui se révèle une simple erreur de transcription. Il est évident que les formulaires constituaient un tout dont l’exposé circonstancié était le document clé. La personne qui a rempli les formulaires au nom de M. Singh a fait une erreur en remplissant les différents champs. On ne peut attendre de M. Singh qu’il soit capable d’expliquer pourquoi cette personne a fait une erreur de transcription. Le plus souvent, les erreurs de transcription n’ont pas d’explication rationnelle. On ne peut non plus attendre de M. Singh qu’il s’aperçoive de cette erreur, puisqu’il dépendait d’un interprète pour comprendre les formulaires. En somme, il arrive que des erreurs de transcription se produisent; elles ne peuvent être le seul fondement du rejet d’une demande d’asile.
[7] De surcroît, il semble que la SAR a négligé le fait que M. Singh avait corrigé les formulaires avant l’audience devant la SPR. Au paragraphe 20 de sa décision, la SAR affirme que l’audience devant la SPR a eu lieu quatre ans après la signature des formulaires, que M. Singh était représenté par un avocat et qu’il « a donc eu amplement le temps d’examiner ses documents et d’y apporter des corrections »
. Or c’est précisément ce qu’a fait M. Singh.
[8] Troisièmement, la SAR a reproché à M. Singh d’avoir déclaré, lors de son témoignage, craindre certains dirigeants politiques qui s’opposent aux sikhs, alors que l’exposé circonstancié dans son formulaire FDA n’en faisait pas mention explicite. Cette conclusion est déraisonnable, car elle se fonde sur une lecture purement littérale de l’exposé circonstancié. M. Singh avance qu’il était persécuté à cause de son lien avec des personnes impliquées dans le parti SAD‑A et qui étaient recherchées par la police pour cette raison. Nul besoin d’une grande perspicacité pour comprendre que le conflit entre les militants sikhs et le gouvernement national et les forces de police constitue la toile de fond de l’exposé circonstancié de M. Singh. Par conséquent, en exprimant sa crainte des dirigeants politiques, M. Singh faisait tout simplement référence à ce conflit bien connu. Il n’avançait pas un nouveau motif de persécution non mentionné dans son formulaire FDA.
[9] En somme, la SAR a rendu une décision déraisonnable en se concentrant sur des éléments de peu d’importance pour mettre en doute la crédibilité de M. Singh.
[10] Compte tenu de la conclusion ci-dessus, je n’ai pas besoin de me pencher sur la façon dont la SAR a examiné la preuve documentaire de M. Singh.
[11] Pour les motifs qui précèdent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire de M. Singh.
JUGEMENT dans le dossier IMM-8958-22
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. La décision de la Section d’appel des réfugiés concernant le demandeur est annulée.
3. L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés pour nouvel examen.
4. Il n’y a aucune question à certifier.
« Sébastien Grammond »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DoSSIER :
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IMM-8958-22
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INTITULÉ :
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MALAK SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (QuÉbec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 30 NovembRE 2023
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JUGEMENTS ET MOTIFS :
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LE JUGE GRAMMOND
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DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :
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LE 30 NovembRE 2023
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COMPARUTIONS :
Nilufar Sadeghi
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POUR LE DEMANDEUR
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Boris Haganji
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Allen & Associés
Avocats
Montréal (Québec)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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