Date : 20231222
Dossier : IMM-11221-22
Référence : 2023 CF 1751
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2023
En présence de madame la juge Sadrehashemi
ENTRE : |
KARIMEH MATOURI AHMAD BACHARI KIANA BACHARI |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Mme Karimeh Matouri, la demanderesse principale, a présenté une demande de permis d’études au Canada pour faire des études en administration des affaires à l’Université de Victoria. Son époux, Ahmad Bachari, a présenté une demande de permis de travail, et sa fille, Kiana Bachari, une demande de visa de résident temporaire afin d’accompagner la demanderesse principale au Canada pour la durée de ses études. La demande de la demanderesse principale et celles des membres de sa famille (collectivement « les demandeurs »
) ont été rejetées.
[2] La demande de permis d’études de la demanderesse principale a été rejetée au motif que cette dernière n’avait pas de liens familiaux significatifs à l’extérieur du Canada et que la raison de sa visite au pays était incompatible avec un séjour temporaire. En raison des conclusions de l’agent concernant la demande de Mme Matouri, les demandes de l’époux et de la fille de cette dernière ont été rejetées au motif que la raison de leur visite était incompatible avec un séjour temporaire.
[3] La question déterminante est celle de savoir si l’agent a fait fi de la preuve ou l’a interprétée de façon erronée lorsqu’il a déterminé que Mme Matouri n’avait pas de liens familiaux significatifs à l’extérieur du Canada et que la raison de sa visite était incompatible avec un séjour temporaire. J’ai examiné ces questions selon la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au para 23). J’accueillerai la demande en raison de lacunes importantes à l’égard de questions fondamentales dans l’appréciation de la preuve faite par l’agent.
II. Arguments dénués de fondement concernant l’équité procédurale
[4] Mme Matouri affirme également, dans les observations écrites accompagnant sa demande de contrôle judiciaire, que l’agent a manqué à l’équité procédurale lorsqu’il a évalué sa demande de permis d’études. Cet argument est dénué de fondement. Tout d’abord, Mme Matouri formule l’hypothèse selon laquelle l’agent a pris en compte des [traduction] « éléments de preuve extrinsèques »
lorsqu’il a évalué sa demande. Toutefois, Mme Matouri ne fournit aucune preuve à l’appui de cette hypothèse. Ensuite, elle fait valoir que l’agent aurait dû s’adresser directement à elle pour lui permettre de donner suite aux préoccupations qu’il avait à l’égard de son intention d’étudier au Canada. Aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité n’a été tirée. Le juge Régimbald de la Cour fédérale a récemment expliqué, au paragraphe 21 de la décision Aghvamiamoli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1613, que, dans ces circonstances, l’agent n’est pas tenu d’offrir au demandeur la possibilité de donner suite aux préoccupations et de remédier aux lacunes concernant la preuve. Enfin, Mme Matouri affirme qu’elle s’était légitimement attendue à ce que l’agent tienne compte des documents qu’elle avait soumis et que, en omettant de le faire, l’agent a manqué à l’équité procédurale. La demanderesse principale, s’appuyant sur la nature des motifs de l’agent, formule l’hypothèse selon laquelle ce dernier n’a pas tenu compte des documents qu’elle avait soumis. Peu de détails ont été fournis à l’appui des allégations relatives à l’attente légitime. Comme il a déjà été soutenu, cet argument est mieux présenté non pas en tant que problème en matière d’équité procédurale, mais plutôt en tant que problème de fond concernant le caractère raisonnable de l’appréciation de la preuve au dossier faite par l’agent.
III. Appréciation déraisonnable de la preuve
[5] L’exigence selon laquelle l’agent doit être convaincu que la personne qui présente une demande en vue d’étudier au Canada n’y restera pas au-delà de la période de séjour autorisée est énoncée aux paragraphes 11(1) et 20(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et à l’alinéa 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. La conclusion de l’agent selon laquelle Mme Matouri ne quittera vraisemblablement pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée s’appuie sur deux facteurs : l’absence de liens familiaux significatifs dans son pays de citoyenneté, et son plan d’études.
[6] Lorsqu’elle examine le caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit tenir compte du cadre institutionnel dans lequel la décision a été rendue (Vavilov, aux para 91 et 103). Les agents des visas examinent un nombre considérable de demandes de permis d’études. Bien que l’agent ne soit pas tenu de fournir des motifs exhaustifs, sa décision doit être transparente, justifiée et intelligible (Vavilov, au para 15). Les motifs doivent démontrer que la décision est fondée sur une « analyse rationnelle »
, de sorte que la personne concernée par la décision puisse en comprendre le raisonnement (Vavilov, au para 103; voir également Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 77, au para 17; Samra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 157, au para 23; Rodriguez Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 293, aux para 13‐14).
[7] En ce qui concerne l’absence de liens familiaux significatifs à l’extérieur du Canada, l’agent ne fait aucunement mention de la déclaration de Mme Matouri concernant le lien qu’elle entretient avec sa mère, dans laquelle elle souligne son désir de retourner en Iran en raison de l’âge avancé et du statut de veuve de sa mère. Ces observations sont tout à fait pertinentes et contredisent la conclusion de l’agent selon laquelle Mme Matouri n’a pas de liens familiaux significatifs à l’extérieur du Canada.
[8] La conclusion de l’agent concernant le plan d’études de Mme Matouri est également incompatible avec la preuve au dossier. L’agent a conclu que les études et emplois antérieurs de Mme Matouri indiquent une progression de carrière irrégulière, et qu’elle a déjà fait des études à un niveau plus avancé que le niveau des études qu’elle compte faire au Canada. Les explications de Mme Matouri selon lesquelles le programme lui serait utile ou que sa motivation à suivre le programme était raisonnable n’ont également pas convaincu l’agent.
[9] L’agent n’explique pas en quoi la progression de carrière de Mme Matouri est irrégulière ni en quoi ses études faites antérieurement dans un domaine non connexe correspondent à un niveau d’études plus avancé. Mme Matouri a obtenu un grade d’associé en enseignement de l’anglais d’une université iranienne en 2004. La même année, elle a commencé à travailler en tant qu’experte en vente. Elle a travaillé pour cette compagnie pendant cinq ans puis s’est jointe au service des ventes d’une compagnie reconnue internationalement avant de travailler en tant qu’experte en affaires internationales pour son employeur actuel. Dans ses motifs, l’agent n’indique pas clairement en quoi cette progression de carrière lui paraissait irrégulière. Comme il s’agit de l’un des éléments essentiels sur lesquels il a fondé sa décision de rejeter la demande, l’agent se devait d’expliquer son raisonnement à la lumière de la preuve au dossier.
[10] Mme Matouri a reçu de son employeur actuel une offre d’emploi assortie d’une promotion au poste de directrice des relations internationales. Pour bénéficier de la promotion, il est nécessaire de détenir un baccalauréat en administration des affaires. L’agent ne fait pas référence à cette lettre de l’employeur, bien qu’elle soit pertinente et contredise la conclusion de l’agent selon laquelle Mme Matouri n’avait pas expliqué sa motivation à poursuivre des études au Canada.
[11] Le défendeur a formulé des arguments concernant la nature de la lettre de l’employeur, alléguant y avoir relevé certaines lacunes. L’agent n’a fait mention d’aucune de ces lacunes; d’ailleurs, l’agent n’a pas du tout fait référence à la lettre. Comme le mentionne le juge Little au paragraphe 48 de la décision Zibadel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 285 : [traduction] « Je ne peux pas imposer ma propre opinion quant aux circonstances ni étayer les motifs en ajoutant les miens ou encore deviner ce à quoi l’agent pensait. »
[12] Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincue que l’agent s’est attaqué de façon significative aux questions clés soulevées dans les observations de la demanderesse principale et la preuve au dossier (Vavilov, aux para 125-128). Par conséquent, la décision est déraisonnable et la demande doit faire l’objet d’un nouvel examen.
[13] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-11221-22
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie;
Les décisions rendues par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada le 3 novembre 2022 sont annulées et les demandes sont renvoyées à un autre décideur pour nouvel examen;
Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
« Lobat Sadrehashemi »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-11221-22 |
INTITULÉ :
|
KARIMEH MATOURI, AHMAD BACHARI, KIANA BACHARI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Winnipeg (Manitoba)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 13 DÉCEMBRE 2023
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE SADREHASHEMI
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 22 DÉCEMBRE 2023
|
COMPARUTIONS :
Oluwadamilola Asuni |
POUR LES DEMANDEURS |
Justin Zelowsky |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Oluwadamilola Asuni Avocat Saskatoon (Saskatchewan) |
POUR LES DEMANDEURs |
Procureur général du Canada Saskatoon (Saskatchewan) |
POUR LE DÉFENDEUR |