Date : 20231201
Dossier : IMM-5602-21
Référence : 2023 CF 1615
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2023
En présence de madame la juge Elliott
ENTRE :
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CHEHELEENA VERMA
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I. Questions préliminaires
[1] Conformément aux Règles des Cours fédérales, l’intitulé de la cause est modifié de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration y soit désigné comme il se doit à titre de défendeur.
[2] Au début de l’audience, l’avocat de la demanderesse a présenté une requête en vue d’être retiré du dossier, car il n’était pas en mesure de contacter sa cliente pour recevoir ses instructions.
[3] Après avoir entendu les arguments de l’avocat, j’ai accueilli la requête. Par conséquent, l’avocat sera retiré du dossier et ne sera pas mentionné comme ayant comparu au nom de la demanderesse ou l’ayant représentée.
II. Aperçu
[4] La demanderesse, Cheheleena Verma, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 30 décembre 2020 par laquelle un agent principal (l’agent) a établi, à l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR), que la demanderesse ne serait pas exposée à des risques à son retour en Inde.
[5] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
III. Contexte
[6] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision relative à l’ERAR, présentée par la demanderesse. Cependant, la décision sous-jacente relative à l’ERAR avait pris en compte le risque prospectif auquel seraient exposés la demanderesse et les membres de sa famille, à savoir, sa mère, Mamta Verma, son beau‑père, Sanjay Kumar Verma, et son frère. La demanderesse et son frère sont tous deux nés de la relation entre Mme Verma et son premier mari, Subhas Gogna. Ils sont tous des citoyens de l’Inde.
[7] La demanderesse, accompagnée de sa famille, est arrivée au Canada le 28 juin 2014 munie d’un visa de visiteur.
[8] La demanderesse et sa famille ont déposé une demande d’asile auprès de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), laquelle a été rejetée le 2 février 2015. Elles ont ensuite déposé une demande d’appel à la Section d’appel des réfugiés (la SAR), qui a été rejetée le 3 juin 2015. La demande était fondée sur la séparation difficile de Mme Verma et de M. Gogna, en raison du refus de ce dernier d’accepter le divorce, des menaces qu’il a proférées contre la famille, de ses demandes d’argent et de ses entrées par effraction, à plusieurs reprises, dans la maison en Inde de la famille. La famille a indiqué que M. Gogna a poursuivi ses efforts visant à les localiser et qu’il tentait de forcer la demanderesse à se marier avec quelqu’un de son choix sans quoi il la tuerait. La famille a déclaré qu’elle ne serait pas en mesure de déménager dans une autre région de l’Inde en raison de différences religieuses et culturelles, et parce que ses membres ne parlent que l’hindi et l’anglais et non pas les langues régionales. La famille a également indiqué que le seul endroit où elle pourrait se réinstaller serait Delhi, où M. Gogna pourrait facilement la trouver.
[9] Le 30 décembre 2020, après avoir examiné les motifs des décisions de la SPR et de la SAR, l’agent a rejeté la demande d’ERAR de la demanderesse puisqu’il avait été établi que si cette dernière était renvoyée en Inde, elle ne serait pas exposée à un risque de persécution ou de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités.
IV. La décision faisant l’objet du contrôle
[10] L’agent a rejeté la demande pour les motifs suivants :
a)Il existe une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans les villes de Mumbai, de Kolkata et de Bangalore.
b)La lettre de la médecin de famille, soit la Dre Miriam Wiebe, ne contenait aucun élément de preuve supplémentaire convaincant justifiant que l’agent ne s’écarte de la conclusion tirée par la SAR selon laquelle il existait une PRI. Aussi, la lettre datait de deux ans avant le dépôt de la demande d’ERAR et aucun élément de preuve suffisant ne permettait de conclure que Mamta Verma souffrait encore des conditions y étant mentionnées. De plus, aucun élément de preuve suffisant ne démontrait que celle‑ci ne pourrait pas bénéficier d’un traitement psychologique dans les endroits proposés comme PRI.
c)En ce qui concerne les courriels d’amis et de connaissances, l’identité des auteurs et la relation de ces derniers avec la demanderesse et sa famille n’étaient pas manifestes, car aucune pièce d’identité n’accompagnait les lettres. En outre, l’agent a conclu que les menaces décrites dans les lettres étaient très vagues et que, selon les courriels, l’auteur présumé des actes de violence ne connaissait pas l’endroit où se trouvaient actuellement les demandeurs et supposait que ceux-ci se trouvaient quelque part en Inde, bien qu’ils aient quitté le pays il y a plus de six ans. L’agent a également précisé qu’il n’existait aucun élément de preuve que M. Gogna dispose de moyens perfectionnés permettant de déterminer l’endroit où se trouvaient les demandeurs ni qu’il les ait déjà cherchés dans les endroits proposés comme PRI.
d)En ce qui concerne la preuve relative aux conditions dans le pays, l’article intitulé [traduction]
« Tuée par la belle-famille »
n’était pas pertinent en l’espèce puisqu’aucune information concernant la caste de la demanderesse n’a été fournie. Selon l’agent, la conclusion du tribunal concernant la PRI s’appliquait tout autant à la question du mariage forcé et des crimes d’honneur. Bien que l’agent ait été sensible à la question de l’adaptation de la demanderesse à l’Inde, il a conclu que les conditions dans le pays ne démontraient pas l’existence d’un risque prospectif personnalisé en Inde.
V. Questions en litige et norme de contrôle
[11] La demanderesse soutient que le défendeur n’a pas examiné le risque auquel elle était exposée séparément du risque que sa famille courrait.
[12] La Cour suprême du Canada a établi que, lorsqu’une cour effectue le contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond, soit d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale, la norme de contrôle présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23. Bien que cette présomption soit réfutable, aucune exception à celle‑ci n’existe en l’espèce.
[13] Une décision raisonnable est justifiée, transparente et intelligible; la cour doit centrer son attention sur la décision même, notamment sur sa justification : Vavilov, au para 15. De façon générale, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85.
VI. Analyse
[14] Les mémoires présentés par chaque partie font état de formules exagérées et accusatrices qui tentent d’influencer la Cour au moyen d’informations inutiles au contrôle judiciaire. J’ai limité mon examen au seul argument que j’ai pu dégager des observations des parties : le défaut de tenir compte du risque couru par la demanderesse séparément de celui couru par sa famille.
[15] Je conviens avec la demanderesse que la décision relative à l’ERAR a pris en compte les risques prospectifs auxquels la famille était exposée en raison de la séparation difficile de la mère et de son mari violent et des efforts de ce dernier visant à localiser la famille. Une autre allégation centrale concernait les menaces de mariage forcé et de crime d’honneur proférées à l’encontre de la demanderesse et un incident au cours duquel l’ex‑mari a fait une tentative d’enlèvement de la demanderesse à son école. C’est sur la base de ces éléments que la famille a déposé sa demande d’asile à la SPR et à la SAR, demande rejetée au motif que la famille disposait d’une PRI. La famille a présenté sa demande pour le groupe et la décision visait tout le groupe.
[16] En ce qui concerne l’avis d’ERAR, là encore, la famille a déposé sa demande pour le groupe et la décision a été rendue à l’égard de celui‑ci. Dans sa demande d’ERAR, la famille a déposé un exposé des faits rédigé par Sanjay Kumar Verma le 7 août 2019 et un exposé des faits complémentaire rédigé par Mamta Verma le 10 octobre 2019. Aucun exposé des faits sous forme de lettre ou d’affidavit ne faisait état de la perspective de la demanderesse. Les expériences vécues par celle‑ci, soit la violence subie par son père et les agressions sexuelles subies par les chauffeurs de ce dernier, ainsi que ses craintes concernant son renvoi en Inde figurent pour la première fois dans son affidavit déposé avec sa demande de contrôle judiciaire.
[17] Bien que je reconnaisse la difficulté de parler de ces expériences traumatisantes, je ne peux reprocher au décideur d’avoir omis de prendre en considération des éléments de preuve dont il n’était pas saisi. Ces informations, très utiles à l’analyse du risque prospectif que la demanderesse courrait, auraient dû être présentées aux décideurs, soit la SPR, la SAR ou l’agent. Je partage également le point de vue du défendeur sur le fait que les allégations contre l’ancien avocat n’ont pas été établies conformément à la politique de la Cour fédérale relative à l’incompétence d’un avocat et que, par conséquent, elles n’ont pas été dûment soumises à la Cour aux fins d’examen.
[18] L’argument de la demanderesse portant que l’agent a omis de prendre en compte les éléments de preuve concernant sa situation particulière, éléments dont l’agent n’était pas saisi dans le cadre de l’examen, ne constitue pas un motif valable pour ordonner un nouvel examen. Je conclus également que la suggestion de la demanderesse selon laquelle l’agent aurait dû lui donner une occasion supplémentaire de présenter sa situation séparément de celle de sa famille est sans fondement. Sur la base du dossier présenté à l’agent, je conclus que ce dernier a pris en compte toutes les considérations antérieures concernant les allégations de risque que la famille courrait en Inde ainsi que les nouveaux éléments de preuve soumis, et qu’il a conclu de façon raisonnable qu’il existait toujours une PRI viable pour l’ensemble de la famille.
VII. Conclusion
[19] Compte tenu de tout ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, et il n’y a aucune question à certifier.
[20] Conformément à sa demande, l’avocat inscrit au dossier pour la demanderesse est retiré du dossier.
JUGEMENT dans le dossier IMM-5602-21
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Les faits de l’espèce ne soulèvent aucune question à certifier.
L’intitulé de la cause est modifié de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme il se doit à titre de défendeur.
Conformément à sa demande, l’avocat de la demanderesse est retiré du dossier.
« E. Susan Elliott »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-5602-21
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INTITULÉ :
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CHEHELEENA VERMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE pAr VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 8 AOÛT 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE ELLIOTT
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 1er DÉCEMBRE 2023
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COMPARUTIONS :
Personne n’a comparu
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POUR LA DEMANDERESSE
|
Stephen Jarvis
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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