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Date : 20231130


Dossier : IMM-3106-21

Référence : 2023 CF 1604

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2023

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

AMIR ALI HEIDARI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Amir Ali Heidari, est un réfugié afghan de 11 ans qui vit en Iran avec son grand-père âgé. La soi-disant mère du demandeur, Roghayeh Heidari, le parraine afin qu’il obtienne la résidence permanente au Canada [la répondante]. Le 11 février 2021, une agente d’immigration à Ankara, en Turquie [l’agente], a rejeté la demande de visa de résident permanent du demandeur au titre de la catégorie du regroupement familial pour trois motifs : (i) l’insuffisance de la preuve documentaire pour établir la relation familiale; (ii) à titre subsidiaire, le défaut de fournir une analyse génétique et (iii) le défaut de la répondante de déclarer l’enfant au moment lorsqu’elle a obtenu le droit d’établissement au Canada [la décision]. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire du rejet de sa demande de visa.

[2] La répondante a épousé son époux, Aref Heidari, en 2011, à l’âge de 15 ans. À ce moment-là, son père était en Indonésie. Peu après son mariage, elle a eu un fils. Cependant, son époux est devenu toxicomane et violent. Le père de la répondante est ensuite revenu au pays, mais il n’était pas au courant du mariage ni de la naissance de l’enfant.

[3] La répondante est arrivée au Canada en 2016 à titre « d’enfant à charge » dans la demande de son père et elle est devenue résidente permanente. Elle n’a déclaré ni son époux ni le demandeur, ce qui fait que ce dernier ne pouvait être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial conformément à l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR].

[4] En 2017, la répondante a présenté une demande en vue de faire venir son époux et le demandeur au Canada. Cependant, après que son frère lui a dit que son époux n’avait pas réglé ses problèmes, elle a mis fin à sa relation avec lui. Elle n’a pas pu obtenir d'acte de divorce parce que, selon le gouvernement islamique, seul un homme peut divorcer d’une femme. Néanmoins, elle est séparée de son époux et considère l’acte de mariage comme sans effet. En 2019, elle a présenté une autre demande de parrainage du demandeur, demande qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[5] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire du demandeur et j’annulerai la décision contestée, car le demandeur a établi que la conclusion centrale quant à l’admissibilité au processus de parrainage n’est pas intrinsèquement cohérente, ce qui la rend inintelligible et, par le fait même, déraisonnable. Le demandeur a également démontré que la décision est inéquitable sur le plan procédural.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[6] Le contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Question préliminaire : la déclaration solennelle de la répondante est-elle admissible en preuve?
  2. Question préliminaire : l’applicabilité de l’alinéa 117(9)d) du RIPR est-elle toujours en cause?
  3. L’agente a-t-elle commis une erreur en n’appliquant pas le programme pilote de dispense?
  4. L’agente a-t-elle manqué à l’équité procédurale en ne prenant pas de mesures d’adaptation à l’égard du demandeur pour ce qui est du test d’ADN?
  5. L’agente a-t-elle raisonnablement conclu que le demandeur et la répondante n’avaient pas établi l’existence d’une relation familiale?
  6. L’agente a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’intérêt supérieur de l’enfant?

[7] Une décision raisonnable est une décision qui présente les caractéristiques de justification, de transparence et d’intelligibilité et qui est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 99. Il incombe au demandeur d’établir que la décision est déraisonnable : Vavilov, précité, au para 100.

[8] Les questions d’équité procédurale commandent une norme de contrôle qui s’apparente à la norme de la décision correcte : Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Vavilov, précité, au para 77. L’objectif de la cour de révision est d’établir si le processus était juste et équitable compte tenu des circonstances : Chaudhry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 520 au para 24; Benchery c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 217 au para 9.

III. Analyse

A. Question préliminaire : la déclaration solennelle de la répondante est-elle admissible en preuve?

[9] Bien que je ne souscrive pas à l’argument du défendeur concernant la forme et le fond, je suis d’accord pour dire que les paragraphes suivants de la déclaration solennelle de la répondante ne sont pas admissibles, parce qu’ils contiennent des renseignements dont l’agente ne disposait pas et qui ne sont pas nécessaires pour trancher la demande de contrôle judiciaire : 5-14, 16-18, 20, 22, 29-30, 35, 39-40 et 44-48.

[10] Le défendeur souligne que le demandeur a déposé une déclaration solennelle rédigée par la répondante alors qu’il aurait dû souscrire un affidavit lui-même, comme l’exigent les Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22.

[11] Cependant, la Cour a déjà conclu que les irrégularités dans un affidavit, ou même le fait de ne pas déposer d’affidavit, n’entraînent pas nécessairement un rejet sommaire, surtout lorsqu’une demande d’autorisation a déjà été accordée malgré l’absence d’affidavit et que l’on peut consulter le dossier certifié du tribunal [le DCT] pour trancher l’affaire : Singh c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 455 au para 18.

[12] En outre, le défendeur soutient – et je suis d’accord – que, de façon générale, la Cour ne peut pas prendre en considération des renseignements supplémentaires ou nouveaux dans une déclaration solennelle si l’agent n’en disposait pas, à moins que les renseignements ne fassent l’objet d’une exception reconnue, par exemple s’il s’agit d’informations générales : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20.

[13] Cela dit, je suis d’avis qu’en l’espèce, le DCT contient les renseignements dont la Cour a besoin pour trancher la demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que les paragraphes de la déclaration solennelle de la répondante auxquels le défendeur s’est opposé devraient être admis en tant qu’informations générales nécessaires.

[14] De plus, je remarque que le demandeur ne conteste pas les deux affidavits postérieurs à la décision présentés par le défendeur ni le DCT supplémentaire.

B. Question préliminaire : l’applicabilité de l’alinéa 117(9)d) du RIPR est-elle toujours en cause?

[15] Selon moi, l’alinéa 117(9)d) du RIPR ne s’applique pas à la décision de la Cour dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[16] L’alinéa 117(1)b) du RIPR prévoit qu’un étranger qui est l’enfant à charge d’un répondant appartient à la catégorie du regroupement familial au titre du paragraphe 12(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], lequel prévoit que l’étranger qui est l’enfant d’un citoyen canadien ou d’un résident permanent peut être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de cette relation.

[17] Cependant, selon le paragraphe 117(9) du RIPR, un étranger ne peut être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial si le répondant a déjà demandé et obtenu la résidence permanente, mais que l’étranger ne l’a pas accompagné et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

[18] Le 23 février 2022, soit quelque neuf mois après le dépôt de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur, la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a confirmé que le demandeur était exclu de la catégorie du regroupement familial au titre de l’alinéa 117(9)d) parce que la répondante ne l’avait pas déclaré à son arrivée au Canada.

[19] Je conviens avec le défendeur que la décision de la SAI n’est pas en cause dans le cadre du présent contrôle judiciaire et je souligne en outre qu’il n’y a pas eu de contrôle judiciaire de cette décision. Par conséquent, je suis également d’accord pour dire que l’alinéa 117(9)d) du RIPR n’est pas en cause dans la présente affaire. Le demandeur ne conteste pas cette affirmation. J’ajoute que, dans sa décision, la SAI mentionne qu’elle n’a pas compétence pour examiner les considérations d’ordre humanitaire ou les enjeux liés à l’intérêt public, des facteurs qui s’appliquent tous deux au contrôle judiciaire dont la Cour est actuellement saisie.

C. L’agente a-t-elle commis une erreur en n’appliquant pas le programme pilote de dispense?

[20] Contrairement à ce que pense le défendeur à ce sujet, j’estime que les motifs de l’agente sont inintelligibles, ce qui rend la décision déraisonnable.

[21] Je fais tout d’abord remarquer qu’aucune copie du programme pilote de dispense n’a été versée en preuve. Par conséquent, il est difficile pour la Cour de vérifier le caractère raisonnable de la décision. Cependant, le programme pilote de dispense est décrit dans les notes versées au Système mondial de gestion des cas [le SMGC].

[22] Le défendeur reconnaît qu’il existe un programme pilote d’intérêt public qui dispense les membres de la catégorie du regroupement familial qui n’ont pas été déclarés lorsque leur répondant est entré au Canada. Selon les notes versées dans le SMGC, les conditions suivantes doivent être respectées : l’étranger doit avoir présenté une demande pour un époux, un conjoint de fait ou un enfant à charge dans la catégorie du regroupement familial; le répondant doit avoir reçu le statut de résidence permanente au Canada à titre de réfugié réinstallé ou de personne à charge d’un réfugié réinstallé; et s’il avait été déclaré et avait fait l’objet d’un contrôle au moment où son répondant a immigré au Canada, l’étranger n’aurait pas rendu son répondant inadmissible au sein de la catégorie dans laquelle le répondant a présenté une demande.

[23] Le défendeur soutient que, si la répondante avait déclaré son époux et son enfant, elle n’aurait pas été une « enfant à charge » de son père et, par conséquent, elle n’aurait pas été admissible au titre de la catégorie dans laquelle elle a présenté sa demande. Ce fait concorde avec le raisonnement de l’agente énoncé dans les notes contenues dans le SMGC et datées du 4 août 2020. Le défendeur soutient que l’exception ne s’applique donc pas et que la décision était raisonnable.

[24] Cependant, l’agente a écrit que [traduction] « l’existence d’un enfant n’aurait pas empêché [la répondante] d’immigrer au Canada en tant que personne à charge, et il est donc difficile de comprendre pourquoi [elle] n’a pas mentionné l’existence de l’enfant ». De plus, toujours selon les notes versées dans le SMGC le 27 novembre 2020 : [traduction] « La question demeure de savoir pourquoi la répondante n’a pas déclaré son enfant au moment de son immigration. Le fait de déclarer l’enfant ne l’aurait pas rendue inadmissible. »

[25] J’estime qu’il est inintelligible et intrinsèquement incohérent pour l’agente de faire fi du programme pilote de dispenses au motif que le fait de déclarer le demandeur aurait rendu la répondante inadmissible, tout en concluant que le demandeur n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial, en partie parce que la déclaration du demandeur n’aurait pas rendu la répondante inadmissible.

D. L’agente a-t-elle manqué à l’équité procédurale en ne prenant pas de mesures d’adaptation à l’égard du demandeur pour ce qui est du test d’ADN?

[26] Selon la décision, d’autres réfugiés afghans ont pu se déplacer pour se soumettre à des tests d’ADN, ce qui mine la crédibilité du demandeur, qui affirme avoir tenté de se soumettre à de tels tests. À première vue, cette conclusion est déraisonnable sans contexte, c’est-à-dire sans savoir si les réfugiés afghans en question étaient des adultes ou des enfants. De plus, il n’est pas possible de savoir si l’agente a prélevé ces renseignements dans des éléments de preuve extrinsèques ou si elle s’est fondée sur sa propre expérience, ce qui soulève la possibilité qu’elle se soit appuyée sur des éléments de preuve extrinsèques non communiqués, un fait qui, dans les circonstances, constituerait une injustice sur le plan procédural.

[27] La jurisprudence applicable prévoit que le recours à des éléments de preuve extrinsèques « ne crée pas automatiquement une obligation d’offrir au demandeur la possibilité d’y répondre ou n’entraîne pas automatiquement un manquement à l’équité procédurale » : Bhujel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 828 [Bhujel] au para 18. La Cour prend plutôt en considération de nombreux facteurs contextuels, y compris la crédibilité de la source, la nature publique des documents et la mesure dans laquelle on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur en ait connaissance, ainsi que le caractère inédit et l’importance des renseignements : Bhujel, précité, au para 18; Babafunmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 948 au para 22.

[28] En l’espèce, vu le poids accordé au défaut d’obtenir un test d’ADN (pour établir la relation familiale entre le demandeur et sa répondante) et les nombreuses tentatives que le demandeur dit avoir faites pour quitter l’Iran et subir un test, j’estime que les éléments de preuve extrinsèques étaient essentiels et importants pour la décision. Les instructions relatives aux tests d’ADN d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] contiennent une liste des bureaux où il est possible d’effectuer des tests (il n’y a aucun bureau en Iran), mais il est difficile de savoir sur quels éléments de preuve extrinsèques l’agente s’est appuyée pour tirer la conclusion importante selon laquelle des réfugiés afghans se trouvant dans une situation semblable avaient pu voyager à l’extérieur de l’Iran.

[29] Par conséquent, je conclus que le demandeur aurait dû avoir l’occasion de présenter des éléments de preuve concernant son incapacité de voyager à l’extérieur de l’Iran et que la décision était donc inéquitable sur le plan procédural.

E. L’agente a-t-elle raisonnablement conclu que le demandeur et la répondante n’avaient pas établi l’existence d’une relation familiale?

[30] J’estime en outre que la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur et sa répondante n’ont pas établi l’existence d’une relation familiale était déraisonnable.

[31] Il convient de souligner que la décision est rédigée comme si le demandeur était un adulte. Il n’y a aucune mention du fait que le demandeur est mineur (il avait moins de dix ans au moment du dépôt de la demande). Rien n’indique que l’agente a tenu compte des difficultés inhérentes auxquelles se heurterait un mineur pour se déplacer à l’extérieur de l’Iran afin de se soumettre à des tests d’ADN, surtout à la lumière de l’affidavit de l’agente [l’affidavit de l’agente Berki], qui confirme qu’il est impossible de subir un test d’ADN en Iran.

[32] En outre, l’agente s’est écartée des instructions d’IRCC à au moins deux égards. Le défendeur a présenté en preuve le document « Évaluation d’une demande de résidence permanente » [le guide sur l’évaluation d’une demande de RP] d’IRCC en tant que pièce accompagnant l’affidavit de l’agente Berki. Selon l’affidavit de l’agente Berki, ce document décrit les étapes à suivre au moment d’évaluer une demande de résidence permanente.

[33] Le guide sur l’évaluation d’une demande de RP exhorte les agents à demander à un demandeur de signer une déclaration solennelle afin d’expliquer pourquoi l’enfant à charge qui ne l’accompagnait pas n’a pas fait l’objet d’un contrôle et de reconnaître qu’il comprend qu’il ne pourra plus parrainer l’enfant à charge au titre de la catégorie du regroupement familial à l’avenir. En l’espèce, il n’y a pas de déclaration solennelle de ce genre parce que la répondante n’a pas déclaré son époux et le demandeur au moment d’obtenir le droit d’établissement en 2016. Par conséquent, cette exigence ne semble pas s’appliquer au demandeur.

[34] L’agente a néanmoins évalué les documents présentés par le demandeur pour établir son identité et sa relation. Même si la décision ne mentionne pas « l’identité » en tant que telle, je suis prête à admettre que le guide sur l’évaluation d’une demande de RP offre un contexte pour les passages où le défendeur parle de [traduction] « l’identité et de la relation » dans ses observations.

[35] Cela dit, le DCT contient les passeports du demandeur et de sa répondante. Selon moi, seule la question de la relation est donc en cause, et la décision ne donne pas à penser le contraire. Si l’agente doutait de l’identité de l’une ou l’autre des parties, cette information ne figurait pas dans la lettre de refus. Je ne suis pas disposée à inférer un tel doute. Si l’agente avait soulevé des problèmes de crédibilité relativement aux pièces d’identité et non simplement en lien avec la relation, elle aurait dû le dire en termes clairs et explicites.

[36] Le guide sur l’évaluation d’une demande de RP mentionne que les certificats de naissance ou les baptistaires sont des documents acceptables pour établir une relation, mais il fournit une liste non exhaustive d’autres types de documents et de dossiers officiels qui peuvent être acceptables, y compris les dossiers d’hospitalisation.

[37] Le demandeur a présenté une carte de nouveau-né, une carte d’hôpital et une carte de vaccination (ainsi que des traductions et des traductions modifiées), qui ont toutes les trois l’apparence de dossiers médicaux (les trois mentionnent [traduction] « les sciences médicales et les services de santé » de différentes universités dans leur titre).

[38] Selon la lettre de refus, en réponse à de multiples demandes d’éléments de preuve concernant la relation, [traduction] « vous avez seulement fourni un rapport de naissance d’un hôpital sur lequel figuraient votre nom et le nom de votre répondante ainsi qu’une carte de résidence temporaire sur laquelle figure seulement le nom de votre père ». À l’audience, questionné au sujet de l’utilisation par l’agente du mot [traduction] « seulement » en lien avec les autres dossiers médicaux présentés, le conseil du défendeur a répondu que seule la carte de vaccination portait les deux noms.

[39] Au paragraphe 8 de l’affidavit de l’agente Berki, il est mentionné qu’au lieu du [traduction] « rapport de naissance d’un hôpital », elle voulait dire « carte de nouveau-né » sur laquelle figuraient le nom de la répondante et celui du demandeur. Cependant, les deux noms ne figurent pas sur la carte de nouveau-né, mais seulement sur la carte de vaccination. Je ne suis pas disposée à admettre la position du défendeur selon laquelle l’affidavit de l’agente Berki contient présumément lui aussi une erreur, car il mentionne la carte de nouveau-né plutôt que la carte de vaccination. Dans l’ensemble, cette situation témoigne du caractère déraisonnable de la décision en raison, en partie, d’un manque d’attention et de la confusion qui en a découlé au moment d’évaluer les documents à l’appui.

[40] Plus précisément, à mon avis, la décision, l’affidavit de l’agente Berki et les observations du défendeur ne tiennent pas compte des principales directives suivantes du guide sur l’évaluation d’une demande de RP : « Si un document ne permet pas d’établir avec certitude l’identité ou le lien, il faut examiner tous les documents et les comparer pour en vérifier la conformité, la fiabilité et la pertinence. » Cela n’a pas été fait.

[41] De plus, même si le défendeur décrit des divergences et des lacunes dans les documents du demandeur, divergences et lacunes qui, selon lui, justifient la décision, il n’est question de ces problèmes nulle part dans la décision. Autrement dit, j’estime que les observations visent à appuyer la décision de façon inacceptable.

[42] De même, le défendeur laisse entendre que la répondante a passé cinq ans au Canada et que, si le demandeur était vraiment son fils, elle aurait dû se rendre en Iran pour participer au processus durant cette période. Encore une fois, une telle affirmation vise à appuyer la décision de façon pour le moins inexplicable et injustifiée. Cette préoccupation n’est pas mentionnée dans la décision, et, de plus, selon le témoignage de la répondante, elle travaille au Village des valeurs et elle a dû épargner ne serait-ce que pour aller rendre visite au demandeur; il n’était donc pas question de se rendre dans des pays voisins pour obtenir des tests d’ADN. Si le défendeur doutait de la crédibilité du demandeur ou de la répondante, il aurait dû le dire clairement et sans équivoque dans la décision. Il est inapproprié pour lui de soulever la question dans ses observations écrites et de vive voix, et il s’agit d’une reformulation et d’un renforcement inexcusable : Maarouf v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 787 au para 56.

[43] Pour les motifs qui précèdent, je juge que la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur et la répondante n’ont pas établi l’existence d’une relation familiale est déraisonnable.

F. L’agente a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’intérêt supérieur de l’enfant?

[44] J’estime que l’agente n’a pas commis d’erreur en omettant d’effectuer une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[45] De façon générale, un agent doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant au moment d’évaluer une demande de résidence permanente, y compris lorsque le répondant invoque une relation familiale de fait : Addae c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 375. En l’espèce, cependant, la demande de parrainage était fondée sur des considérations d’ordre humanitaire dans le contexte d’une relation mère-fils. Si une telle relation n’est pas établie, l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas en cause.

IV. Conclusion

[46] Même s’il est louable, l’engagement d’IRCC à prévenir la traite de personnes et le passage de clandestins mineurs doit être soupesé au regard de l’objectif de réunification des familles de la LIPR, énoncé à l’alinéa 3(1)d) de la LIPR.

[47] Pour les motifs qui précèdent, le demandeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que la décision était déraisonnable et inéquitable sur le plan procédural. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie. La décision sera annulée, et l’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour un nouvel examen.

[48] Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier, et j’estime qu’aucune ne se pose dans les circonstances.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3106-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie.

  2. La décision rendue le 11 février 2021 dans laquelle l’agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur est annulée.

  3. L’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour un nouvel examen.

  4. Il n’y a aucune question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge


Annexe A : Dispositions pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Objet en matière d’immigration

Objectives - immigration

3 (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

3 (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

[...]

[...]

d) de veiller à la réunification des familles au Canada;

(d) to see that families are reunited in Canada;

Regroupement familial

Family reunification

12 (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

12 (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

Regroupement familial

Member

117 (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

117 (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

[...]

b) ses enfants à charge;

(b) a dependent child of the sponsor;

Restrictions

Excluded relationships

117 (9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

117 (9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

[...]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22

Federal Courts Citizenship, Immigration, and Refugee Protection Rules, SOR/93-22

Mise en état de la demande d’autorisation

Perfecting Application for Leave

10 (2) Le demandeur :

10 (2) The applicant shall

a) signifie à chacun des défendeurs qui a déposé et signifié un avis de comparution un dossier composé des pièces ci-après, disposées dans l’ordre suivant sur des pages numérotées consécutivement :

(a) serve on every respondent who has filed and served a notice of appearance, a record containing the following, on consecutively numbered pages, and in the following order:

[...]

[...]

(v) un ou plusieurs affidavits établissant les faits invoqués à l’appui de sa demande ou de sa demande pour une ordonnance d’anonymat prévue à la règle 8.1, le cas échéant,

(v) one or more supporting affidavits that verify the facts relied on by the applicant in support of the application or a request for an anonymity order under rule 8.1, if any,


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3106-21

 

INTITULÉ :

AMIR ALI HEIDARI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 18 SEPTEMBRE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

La JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

le 30 novembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Alastair Clarke

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Cynthia Lau

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alastair Clarke

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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