Dossier : IMM-6251-22
Référence : 2023 CF 1576
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2023
En présence de monsieur le juge Ahmed
ENTRE : |
OSWALDO DE JESUS AGUILAR RUIZ |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, Oswaldo de Jesus Aguilar Ruiz, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 15 juin 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la « SAR »
) a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (la « SPR »
) portant qu’il n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »
).
[2] La SAR a confirmé la décision de la SPR après avoir conclu que la preuve était insuffisante pour établir que les agents du préjudice étaient membres d’un cartel et que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur (« PRI »
) viable à Cabo San Lucas.
[3] Le demandeur soutient que la SAR a manqué à l’équité procédurale en soulevant une nouvelle question, soit celle de l’affiliation des agents du préjudice à un cartel, et qu’elle a tiré des conclusions déraisonnables concernant les agents du préjudice et la viabilité d’une PRI à Cabo San Lucas.
[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable et équitable sur le plan procédural. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II. Les faits
A. Le demandeur
[5] Le demandeur, citoyen du Mexique, est âgé de 28 ans.
[6] Le 18 septembre 2017, le frère aîné du demandeur, Jose, est décédé d’une crise cardiaque liée à la consommation de drogue. Le demandeur affirme que Jose était dépendant à la méthamphétamine en cristaux.
[7] Alors qu’il travaillait comme chauffeur de camion, Jose transportait de la drogue pour le compte de trois personnes : « Jorge »,
« Raphael »,
et « Mayra ».
Le demandeur croit que ces personnes sont membres de Los Zetas, un violent cartel de la drogue.
[8] Le demandeur affirme que ces trois personnes ont essayé de lui parler lors des funérailles de Jose. Il les a ignorées.
[9] Le 19 septembre 2017, lors de l’enterrement de Jose, Mayra et Raphael ont menacé le demandeur en pointant une arme sur lui et en lui disant qu’il devait vendre de la drogue pour eux.
[10] Le demandeur a déclaré qu’après cette menace, il s’était caché chez lui de septembre à décembre 2017, ne sortant que pour étudier. En décembre 2017, il s’est rendu dans l’État de Querétaro pour terminer un stage en vue de l’obtention de son diplôme universitaire, ce qui a nécessité environ huit mois. Pendant cette période, il n’a pas eu de problèmes avec les personnes qui l’avaient menacé.
[11] En juillet 2018, le demandeur est retourné à Cuitlahuac pour obtenir son diplôme universitaire. Il a raconté que pour une période d’un peu plus d’un an, il avait habité chez une tante [traduction] « pas très loin »
de l’endroit où il vivait, après lui avoir expliqué sa situation.
[12] Le demandeur affirme que le 1er septembre 2019, alors qu’il quittait son travail, Mayra et Raphael l’attendaient à l’extérieur. Mayra était de nouveau armée. Le demandeur affirme qu’il est retourné dans le magasin et qu’au bout de vingt minutes, ils sont partis.
[13] Le 10 septembre 2019, le demandeur est entré au Canada en présentant une autorisation de voyage électronique. Il a déclaré avoir été informé par ses collègues qu’en mars 2020, Mayra et Raphael l’avaient cherché à son ancien lieu de travail. Il affirme que son père a également été suivi au travail à deux reprises en juillet 2020. Le demandeur a déclaré que : [traduction] « les membres de ma famille ne quittent pas la maison parce qu’ils craignent pour leur vie. Ils ne quittent la maison que lorsqu’ils sont obligés de le faire »
.
B. La décision de la SPR
[14] Dans une décision du 20 janvier 2022, la SPR a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR, au motif qu’il disposait d’une PRI viable à Cabo San Lucas.
[15] La SPR a conclu que le demandeur n’était pas persécuté, mais qu’il était plutôt victime d’une activité criminelle. Elle a néanmoins jugé que Los Zetas avait tenté de le recruter de force et qu’il serait en danger s’il était renvoyé à Cuitlahuac.
[16] La SPR a toutefois conclu que le demandeur disposait d’une PRI viable à Cabo San Lucas. Le critère servant à déterminer s’il existe une PRI viable exige : 1) qu’il n’y ait pas de possibilité sérieuse de persécution ou de risque de préjudice dans le lieu proposé comme PRI, et 2) qu’il soit raisonnable, dans la situation du demandeur, de se réinstaller à l’endroit désigné comme PRI (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.), [1992] 1 CF 706). Le deuxième volet du critère oblige le demandeur à s’acquitter du lourd fardeau de démontrer que la réinstallation dans le lieu désigné comme PRI serait déraisonnable (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1367) (« Ranganathan »
).
[17] En ce qui concerne le premier volet du critère, la SPR a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que Los Zetas aurait la motivation et la capacité de poursuivre le demandeur jusqu’à Cabo San Lucas. La SPR a d’abord conclu, sur le fondement du cartable national de documentation, que Los Zetas n’était plus un cartel national. Elle a ensuite reconnu que rien ne prouvait qu’au cours des huit mois de stage du demandeur à Querétaro, Los Zetas avait cherché à le retrouver. Ce constat a affaibli l’allégation du demandeur selon laquelle Los Zetas serait en mesure de le trouver où qu’il aille au Mexique.
[18] La SPR a également conclu que le profil d’ancien étudiant et de chauffeur du demandeur avait peu de valeur stratégique pour Los Zetas, ajoutant qu’il était peu probable que l’organisation le retrouve à Cabo San Lucas pour se venger, car elle n’y mène aucune activité. La SPR a également conclu que les affirmations du demandeur au sujet de sa vulnérabilité à l’extérieur du Veracruz étaient spéculatives.
[19] Quant au deuxième volet, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas présenté une preuve suffisante pour démontrer qu’il serait déraisonnable de se réinstaller à Cabo San Lucas et qu’il ne pourrait pas y trouver d’emploi ou y créer une nouvelle communauté. La SPR a tenu compte des éléments de preuve relatifs à ses capacités linguistiques, à sa formation universitaire et à ses antécédents professionnels pour justifier cette conclusion.
[20] Pour ces motifs, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur.
C. La décision faisant l’objet du contrôle
[21] Dans une décision du 15 juin 2022, la SAR a rejeté l’appel du demandeur et confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.
[22] La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que les agents du préjudice faisaient partie de Los Zetas ou encore qu’ils travaillaient pour ce cartel ou pour un autre cartel. Bien que la crédibilité du demandeur n’ait pas été remise en cause, la SAR a considéré que ses croyances n’étaient pas suffisamment fondées sur des faits. En outre, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve documentaire pour étayer les allégations du demandeur selon lesquelles les agents étaient membres d’un cartel de la région.
[23] En ce qui concerne le premier volet du critère relatif à la PRI, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas prouvé qu’il serait exposé à une menace à sa vie ou à sa sécurité s’il déménageait à Cabo San Lucas. La SAR a de nouveau souligné que la preuve ne permettait pas de conclure que les agents du préjudice faisaient partie d’un cartel. Elle a également conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer que la motivation des agents du préjudice s’étendait au‑delà du Veracruz ou d’un autre État. La SAR a examiné les liens que le demandeur avait avec l’université et les entreprises de transport et a conclu que ces liens ne faisaient pas de lui une cible importante pour les agents du préjudice. Elle a en outre conclu que le temps que le demandeur avait passé à l’université dans un autre État sans avoir de problèmes faisait douter de sa crainte d’être retrouvé par les agents. La SAR a également conclu que son père n’était pas poursuivi par les agents du préjudice et que ces derniers n’auraient probablement pas accès à des technologies permettant de suivre le demandeur ou à des policiers ou des fonctionnaires corrompus.
[24] S’agissant du deuxième volet, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle il serait objectivement raisonnable pour le demandeur de déménager à Cabo San Lucas. La SAR a conclu que, à la lumière de la preuve objective, la crainte subjective du demandeur n’équivalait pas à une menace à sa vie ou à sa sécurité. Elle a également conclu que de nombreux facteurs faciliteraient probablement la réinstallation du demandeur à Cabo San Lucas, notamment sa jeunesse, son éducation et son expérience professionnelle antérieure.
[25] Pour ces motifs, la SAR a finalement confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.
III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable
[26] Les questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire consistent à savoir si la décision de la SAR est raisonnable et si elle est équitable sur le plan procédural.
[27] La norme de contrôle applicable au fond de la décision de la SAR n’est pas contestée. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16‑17, 23‑25 (« Vavilov »
). Je suis d’accord.
[28] Je conclus que la question de l’équité procédurale doit être contrôlée selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 (« Chemin de fer Canadien Pacifique »
) aux para 37‑56; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35. Je considère que cette conclusion est conforme à l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada (aux para 16‑17).
[29] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12‑13, 75, 85). La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris le raisonnement qui la sous‑tend et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision qui est raisonnable dans son ensemble doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes concernées (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).
[30] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision, ou les préoccupations qu’elle soulève, ne justifient pas toutes une intervention. Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne doit pas modifier les conclusions de fait tirées par celui‑ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure »
: Vavilov, au para 100. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable repose principalement sur les motifs du décideur, qui doivent être interprétés « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés »
et non « être jugés au regard d’une norme de perfection »
(Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 61, citant Vavilov, aux para 91, 103). Bien qu’un décideur ne soit pas tenu de répondre à tous les arguments ou de mentionner chaque élément de preuve, le caractère raisonnable d’une décision peut être remis en question lorsque le décideur n’a « pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux »
(Vavilov, au para 128).
[31] En revanche, la norme de la décision correcte est une norme qui ne commande aucune déférence. La cour appelée à statuer sur une question d’équité procédurale doit essentiellement se demander si la procédure était équitable compte tenu de toutes les circonstances, y compris les facteurs énumérés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 21‑28 (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, au para 54).
IV. Analyse
[32] Le demandeur soutient que la SAR a manqué à l’équité procédurale en modifiant ou en ajoutant une question et qu’elle a commis, de manière déraisonnable, une erreur dans son évaluation des agents du préjudice et de la PRI. Ce n’est pas mon avis. Selon moi, la décision de la SAR est raisonnable et équitable sur le plan procédural.
A. L’équité procédurale
[33] Le demandeur soutient que la décision est inéquitable sur le plan procédural parce que la question relative à l’appartenance des agents du préjudice à Los Zetas a été modifiée ou ajoutée par la SAR sans que le demandeur n’en soit informé.
[34] Le défendeur fait valoir que la décision est équitable sur le plan procédural, puisque la SAR n’a pas soulevé de nouvelle question; au contraire, la SAR a procédé à un examen indépendant des éléments de preuve, comme l’exige la loi.
[35] Je partage l’avis du défendeur. Comme l’a statué ma collègue la juge Strickland, il n’est généralement pas loisible à la SAR de soulever une question et de rendre une décision sur des questions qui n’ont pas été présentées à la SPR et que les parties n’ont pas soulevées (Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 876 au para 40). Cependant, aucune nouvelle question n’a été soulevée et le fait que la SAR soit parvenue à une conclusion différente de celle de la SPR sur la question des agents du préjudice ne pose aucun problème d’équité procédurale.
B. Caractère raisonnable
(1) Agents du préjudice
[36] Le demandeur soutient que la SAR a commis plusieurs erreurs susceptibles de contrôle concernant les agents du préjudice. Il fait valoir que la SAR a émis des suppositions relativement aux éléments de preuve selon lesquels les agents étaient des [traduction] « criminels solitaires »
sur le territoire de Los Zetas et qu’elle n’a pas envisagé la possibilité qu’ils appartiennent à Los Zetas compte tenu des témoignages et des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays. Le demandeur prétend aussi que Jose, qui lui a dit que Mayra travaillait pour Los Zetas, avait une connaissance crédible et directe de Los Zetas.
[37] Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer l’existence d’un lien entre les agents du préjudice et Los Zetas ou tout autre cartel.
[38] Je partage l’avis du défendeur. La SAR pouvait mettre en doute la croyance du demandeur quant à l’affiliation des agents du préjudice à Los Zetas ou à d’autres cartels. La SAR renvoie à la décision Maldonado c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302, à l’appui de la proposition voulant que les allégations d’un demandeur soient présumées véridiques à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter. La SAR renvoie également à la jurisprudence de la Cour pour affirmer qu’elle n’est pas tenue d’admettre la véracité des déductions tirées de ces croyances (Hernandez c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 657 au para 6; Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 138; Durbas c Canada (Solliciteur général), [1993] ACF no 829 au para 3).
[39] En l’espèce, la SAR a conclu que le demandeur avait fait la déduction que les agents du préjudice appartenaient à Los Zetas. Le demandeur a donné un témoignage équivoque sur ce que Jose lui avait dit en ce qu’il a notamment reconnu que les agents du préjudice pourraient être des acteurs solitaires, et qu’il a tiré l’inférence que les trafiquants de drogue de la région appartenaient nécessairement au cartel. À mon avis, la SAR a évalué ce témoignage de manière raisonnable avant de conclure que le demandeur ne savait pas que les agents du préjudice, et en particulier Mayra, faisaient partie de Los Zetas ou d’un autre cartel, et cette conclusion est donc justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci (Vavilov, aux para 99‑101).
[40] En outre, la SAR a soigneusement examiné et soupesé les éléments de preuve documentaire pour parvenir à la conclusion concernant les agents du préjudice. La Cour a statué que « ce n’est que lorsque les éléments de preuve non pris en compte sont essentiels et contredisent directement la conclusion du tribunal que la cour de révision peut en conclure que le tribunal n’a pas tenu compte des éléments dont il disposait »
(Basanti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1068 au para 24, citant Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 aux para 16‑17). À mon avis, il n’y a pas d’élément de preuve essentiel non pris en compte qui contredit directement la conclusion de la SAR. Il serait inapproprié pour la Cour d’apprécier à nouveau les conclusions de fait tirées par la SAR (Vavilov, au para 125). La conclusion de la SAR concernant l’insuffisance de la preuve documentaire présentée par le demandeur à l’appui de sa demande est par conséquent raisonnable.
(2) PRI
[41] Le demandeur soutient que, s’agissant du premier volet du critère relatif à la PRI, la SAR a utilisé un argument spéculatif sur l’identité des agents du préjudice pour rejeter celui avancé par le demandeur à l’égard de la PRI, et qu’elle a commis une erreur de raisonnement en ce qui concerne l’intérêt, les moyens et la motivation de ces agents de préjudice. Le demandeur fait également valoir que la SAR a commis une erreur dans l’application du deuxième volet et, en fait, dans l’ensemble de l’analyse de la PRI, en ce qu’elle a omis d’analyser la question de la protection offerte par l’État. Le demandeur soutient que, s’agissant de la question de la protection de l’État, la SPR et la SAR ont reconnu que, vu l’absence de protection de l’État dans l’ensemble du Mexique, l’endroit proposé comme PRI, Cabo San Lucas, ne pouvait pas être sûr.
[42] Le défendeur soutient que la SAR n’a pas commis d’erreur dans l’analyse de la PRI. En ce qui concerne le premier volet, le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer que les agents du préjudice étaient motivés à trouver le demandeur à l’extérieur de Cuitlahuac et qu’ils disposaient de la technologie nécessaire pour le faire. Quant au deuxième volet, le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que le demandeur croyait subjectivement qu’il subirait un préjudice, mais qu’il n’avait présenté aucune preuve objective permettant d’atteindre le seuil élevé requis par ce volet.
[43] Je partage l’avis du défendeur. S’agissant des deux volets du critère relatif à la PRI, l’évaluation par la SAR de la viabilité de la PRI proposée est justifiée, transparente et intelligible (Vavilov, au para 15). La conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur n’a pas prouvé qu’il serait exposé à un risque pour sa sécurité ou sa vie s’il se réinstallait à Cabo San Lucas est fondée sur un examen approfondi et convaincant du témoignage du demandeur et de la preuve documentaire.
[44] En ce qui concerne le premier volet, la SAR a raisonnablement conclu que divers aspects essentiels des allégations du demandeur étaient fondés sur des hypothèses. La Cour a statué que des affirmations conjecturales sur la motivation ou l’intérêt d’un agent du préjudice à poursuivre un demandeur ne suffisaient pas à établir que ce dernier serait exposé à un risque de persécution ou de préjudice à l’endroit proposé comme PRI (Melaj v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 92 au para 46, citant Franco Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1006 aux para 32‑33). La SAR a conclu que les agents du préjudice pouvaient se rendre à Cabo San Lucas grâce à leurs liens avec des sociétés de transport, mais que ce fait n’était pas suffisant pour établir qu’ils étaient susceptibles de le faire. Je suis d’accord avec la SAR pour dire que les observations du demandeur sur ce point sont hypothétiques et que le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve qui contredisent la conclusion de la SAR.
[45] Par ailleurs, la SAR était justifiée de conclure que la preuve ne permettait pas d’établir que les agents du préjudice auraient vraisemblablement retrouvé le demandeur à l’extérieur du Veracruz ou qu’ils voulaient le retrouver. La SAR a reconnu que les agents du préjudice n’avaient pas retrouvé le demandeur lorsqu’il était étudiant à Querétaro et qu’ils lui avaient seulement rendu visite, et non pas menacé, sur son lieu de travail. Encore une fois, les observations du demandeur sur les moyens et la motivation de ces agents du préjudice sont fondées sur des hypothèses. Le fait que les agents du préjudice aient réussi à trouver le demandeur dans une ville voisine du Veracruz ne permet pas nécessairement de conclure, au vu de la preuve au dossier, qu’ils étaient prêts à le retrouver dans une ville d’un autre État. De plus, rien ne vient étayer les arguments du demandeur selon lesquels les agents du préjudice auraient accès à des technologies ou à des fonctionnaires corrompus pour les aider à retrouver le demandeur. À mon avis, la conclusion de la SAR est justifiée au regard de ces contraintes factuelles (Vavilov, aux para 99‑101).
[46] Quant au deuxième volet, la SAR a raisonnablement conclu qu’il serait objectivement raisonnable pour le demandeur de déménager à Cabo San Lucas. Le critère visant à établir qu’une réinstallation est objectivement déraisonnable est « très strict »
(Oluwafemi v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 564 au para 40). Il exige de la personne qu’elle démontre, au moyen d’une preuve concrète, que sa réinstallation dans un endroit proposé comme PRI mettrait sa vie ou sa sécurité en péril (Ranganathan, au para 15). Le demandeur n’a présenté aucune observation et n’a pas fourni d’éléments de preuve tendant à démontrer que sa vie ou sa sécurité seraient menacées s’il devait se réinstaller à Cabo San Lucas.
[47] Qui plus est, son argument concernant le lien entre la PRI et l’analyse de la protection de l’État n’est pas fondé. Comme l’a affirmé ma collègue la juge Fuhrer, si l’existence d’une PRI viable est reconnue, alors il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’absence de protection de l’État (Ajekigbe v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 1017 au para 10). Ces deux analyses distinctes supposent que l’on examine la viabilité d’une PRI par rapport à la question de la protection de l’État dans le cas où un État restreint la mobilité interne sur son territoire (Zhuravlvev c Canada (Citoyenneté et Immigration) (1re inst.), [2000] 4 CF 3 au para 32). Le demandeur n’a présenté aucune preuve qu’une telle situation existe en l’espèce.
V. Conclusion
[48] La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de la SAR est justifiée, intelligible et transparente au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles elle est assujettie. Aucune question n’a été soulevée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑6251‑22
LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :
- La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
- Aucune question n’est certifiée.
« Shirzad A. »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM‑6251‑22 |
INTITULÉ :
|
OSWALDO DE JESUS AGUILAR RUIZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 29 août 2023
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE AHMED
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 27 novembre 2023
|
COMPARUTIONS :
Mary Jane Campigotto |
Pour le demandeur |
Ferishtah Abdul-Saboor |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Campigotto Law Firm
Avocats
Windsor (Ontario)
|
Pour le demandeur |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
Pour le défendeur |