Dossier : IMM-3973-22
Référence : 2023 CF 1569
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[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2023
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En présence de madame la juge Heneghan
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ENTRE :
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SHARMINA RASHID
MAHIYA MUSHFIQ WARDA
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demanderesses |
et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS ET JUGEMENT MODIFIÉS
[1] Mme Sharmina Rashid (la demanderesse principale) et sa fille Mahiya Mushfiq Warda (collectivement les demanderesses) sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) a rejeté l’appel qu’elles avaient interjeté d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la CISR. La SPR avait rejeté leur demande d’asile, et la SAR a confirmé cette décision.
[2] Les demanderesses sont des citoyennes du Bangladesh. Leur demande d’asile était fondée sur une crainte de violence de la part de la Ligue Awami en raison de l’appartenance de l’époux de la demanderesse principale au Parti national du Bangladesh. La demande d’asile a été rejetée au motif qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve crédibles établissant les principaux événements décrits dans la demande d’asile.
[3] Il a été sursis à l’étude de la demande d’asile de l’époux de la demanderesse principale en application du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). L’audience relative à la demande d’asile des demanderesses a eu lieu devant la SPR sans que la demande d’asile de l’époux de la demanderesse principale soit tranchée.
[4] Dans le cadre de leur appel devant la SAR, les demanderesses ont cherché à présenter de nouveaux éléments de preuve. Elles ont présenté deux demandes en vertu de l’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257. L’article 29 permet aux parties à un appel de demander l’autorisation de présenter un document qui n’avait pas été transmis au préalable.
[5] Dans leur première demande présentée en vertu de l’article 29, les demanderesses ont demandé l’autorisation de présenter des rapports de psychothérapie pour l’époux de la demanderesse principale et pour elles-mêmes. La SAR a seulement autorisé la présentation du rapport de psychothérapie concernant la demanderesse principale.
[6] Dans la seconde demande présentée en vertu de l’article 29, les demanderesses ont demandé l’autorisation de présenter des documents après la mise en état de leur appel. Il s’agissait de nouvelles lettres d’un médecin qui avait traité l’époux et d’un vendeur de thé. Chacune de ces personnes avait présenté des éléments de preuve devant la SPR.
[7] La SAR a rejeté la seconde demande en vertu de l’article 29 au motif que les demanderesses auraient normalement pu présenter les documents en question avant la mise en état de leur appel.
[8] De plus, les demanderesses ont inclus 15 documents dans leur dossier d’appel, qu’elles ont cherché à présenter à titre de « nouveaux éléments de preuve »
, y compris un affidavit de la demanderesse principale daté du 30 décembre 2021, un mandat d’arrestation visant l’époux de la demanderesse principale et la mère de ce dernier délivré le 19 août 2021 et un article du Daily Janakantha selon lequel la mère de l’époux de la demanderesse principale a été attaquée par des membres de la Ligue Awami le 28 août 2021.
[9] La SAR a évalué les documents mentionnés ci-dessus en fonction des critères énoncés au paragraphe 110(4) de la LIPR.
[10] La SAR a refusé d’admettre une autre copie de l’affidavit de la demanderesse principale au motif que le document contenait des arguments liés aux nouveaux éléments de preuve et au fond de l’appel. Elle a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’admettre l’affidavit en tant que « nouvel élément de preuve »
.
[11] La SAR a rejeté d’autres documents parce qu’ils manquaient de crédibilité. Elle en a aussi rejeté certains au motif qu’ils étaient antérieurs au rejet de la demande d’asile des demanderesses devant la SPR.
[12] La SAR a admis à titre de « nouveaux éléments de preuve »
des documents concernant des allégations d’incompétence de la part de l’ancien conseil.
[13] La SAR a admis certains documents à titre de « nouveaux éléments de preuve »
tombant sous le coup du paragraphe 110(4) de la LIPR, mais elle a refusé de tenir une audience parce qu’elle a conclu que les nouveaux éléments de preuve [traduction] « ne justifient pas que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas »
.
[14] La SAR a procédé à l’évaluation des documents présentés à l’appui de l’allégation d’incompétence du conseil et a conclu que plusieurs des allégations des demanderesses concernant leur ancien conseil manquaient de crédibilité.
[15] Les demanderesses soutiennent maintenant que l’absence d’audience devant la SAR constituait une violation de leur droit à l’équité procédurale. Elles font valoir qu’en rejetant certains documents à titre de « nouveaux éléments de preuve »
, la SAR a tiré des conclusions quant à la crédibilité sans leur donner la possibilité d’y répondre. Elles affirment que les « nouvelles »
conclusions de la SAR quant à la crédibilité leur donnaient droit à une audience.
[16] Les demanderesses soutiennent qu‘une violation du droit à l’équité procédurale peut faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, s’appuyant à cet égard sur l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), [2019] 1 RCF 121 (CAF).
[17] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) soutient que la SAR a raisonnablement examiné les documents présentés à la lumière du critère juridique applicable et qu’elle a raisonnablement conclu qu’aucune audience n’était requise.
[18] Dans leurs observations écrites, les demanderesses contestent le bien-fondé des conclusions de la SAR quant à la crédibilité. Elles soutiennent également que la SAR a commis une erreur en n’évaluant pas leur demande d’asile séparément selon les articles 96 et 97 de la LIPR.
[19] Les questions d’équité procédurale doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339 (CSC).
[20] Le fond de la décision est susceptible d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément aux instructions données dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, [2019] 4 RCS 653 (CSC).
[21] Lorsqu’elle doit évaluer le caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit se demander si la décision faisant l’objet du contrôle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »
; voir Vavilov, précité, au para 99.
[22] Les demanderesses mettent l’accent sur l’absence d’audience et soutiennent que les conclusions de la SAR au sujet du manque de crédibilité des documents qui ont été admis à titre de « nouveaux éléments de preuve »
et qui concernaient la compétence du conseil font en sorte qu’elles auraient dû se voir offrir la possibilité de dissiper les préoccupations réserves quant à la crédibilité dans le cadre d’une audience.
[23] Je ne souscris pas aux propositions des demanderesses.
[24] Les paragraphes 110(3), 110(4) et 110(6) de la LIPR sont pertinents relativement aux questions des « nouveaux éléments de preuve »
et de la tenue d’une audience devant la SAR. Ces paragraphes sont ainsi libellés :
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[25] La SAR a effectivement tiré des conclusions quant à la crédibilité des documents que les demanderesses ont pu présenter relativement à l’incompétence prétendue de leur conseil. Elle a conclu que les documents n’étaient pas crédibles.
[26] La conclusion mentionnée ci-dessus ne signifiait pas que la SAR était obligée d’accorder une audience aux demanderesses. Le mot clé au paragraphe 110(6) de la LIPR est « peut »
, un verbe qui indique que la SAR a un pouvoir discrétionnaire à l’égard de la tenue d’une audience. « Pouvoir »
n’est pas la même chose que « devoir »
, un verbe qui introduit une obligation positive.
[27] L’absence d’audience ne constitue pas en soi un manquement à l’équité procédurale. La SAR a tiré une conclusion quant à la crédibilité des documents, et non des demanderesses. Elle a jugé qu’une audience n’était pas requise.
[28] À mon avis, la SAR a tiré la conclusion mentionnée ci-dessus en exerçant son pouvoir discrétionnaire. Il ne s’agissait pas d’une question faisant intervenir l’équité procédurale. La conclusion est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable; voir Madu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 758 au para 23.
[29] Compte tenu des éléments de preuve dont disposait la SAR et des observations des parties relativement à la présente demande de contrôle judiciaire, je ne suis pas convaincue que l’évaluation de la crédibilité effectuée par la SAR était déraisonnable.
[30] La SAR a fourni des motifs clairs et intelligibles pour étayer son évaluation.
[31] De même, je ne suis pas convaincue que la SAR a évalué de façon déraisonnable la demande d’asile des demanderesses au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.
[32] Les demanderesses ont proposé quatre questions à certifier :
1. Dans le cas d’un appel devant la SAR où de nouveaux éléments de preuve ne sont pas admis, la SAR a-t-elle compétence pour tenir une audience au titre du paragraphe 110(6) de la LIPR et est-elle tenue de le faire lorsque le tribunal a l’intention de soulever de nouvelles questions en matière de crédibilité, lesquelles n’ont pas été soulevées par la SPR durant l’audience relative à la demande d’asile, et lorsque les nouvelles réserves de la SAR sont liées à des éléments de preuve tirés du dossier de la procédure qui sont essentiels à l’appel?
2. La SAR est-elle tenue de se conformer aux règles de justice naturelle, c’est-à-dire aux principes d’équité procédurale, et doit-elle tenir un voir-dire si le tribunal souhaite s’appuyer sur les arrêts Singh et Raza pour soulever et évaluer des questions concernant la crédibilité des nouveaux éléments de preuve présentés dans le cadre d’un appel au moment d’évaluer l’admissibilité de la preuve?
3. Quelle est l’équité procédurale minimale à laquelle un appelant est en droit de s’attendre devant la SAR lorsque le tribunal décide de soulever de nouvelles questions liées à la crédibilité au moment d’établir l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un appel?
4. En tant que tribunal administratif, la SAR a-t-elle compétence pour évaluer la conduite ou la compétence d’un avocat et statuer sur cette question en vertu de la Loi sur les procureurs, comme pourrait le faire un tribunal de common law comme la Cour fédérale, ou la compétence du tribunal se limite-t-elle à tirer des conclusions de fait pour établir si la personne devant le tribunal administratif a subi un préjudice en raison des erreurs, d’une omission ou de la négligence d’un avocat?
[33] Le défendeur s’est opposé à la certification de toute question.
[34] L’alinéa 74d) énonce le critère à appliquer pour qu’une question soit certifiée; il doit s’agir d’une question grave de portée générale qui permettrait de régler un appel, comme il a été mentionné dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89.
[35] Je souscris aux observations du défendeur.
[36] Par conséquent, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée, et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question ne sera certifiée.
JUGEMENT dans le dossier IMM-3973-22
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.
« E. Heneghan »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3973-22 |
INTITULÉ :
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SHARMINA RASHID ET AUTRE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
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TORONTO (ONTARIO) |
DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 20 NOVEMBRE 2023 |
MOTIFS ET JUGEMENT MODIFIÉS : |
LA JUGE HENEGHAN |
DATE DES MOTIFS :
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LE 30 NOVEMBRE 2023 |
COMPARUTIONS :
Washim Ahmed |
POUR LES DEMANDERESSES |
Alethea Song |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
OWS Law
North York (Ontario)
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POUR LES DEMANDERESSES |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |