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Date : 20231127


Dossier : IMM-10782-22

Référence : 2023 CF 1565

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 27 novembre 2023

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

MUHAMMAD MAUKTASID REHMAN CHEEMA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Résumé

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 14 octobre 2022 [la décision], par laquelle un agent [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a rejeté la demande de résidence permanente qu’avait présentée le demandeur à titre d’époux de sa répondante. L’agent n’était pas convaincu que le mariage entre le demandeur et sa répondante était authentique ou qu’il ne visait pas principalement l’acquisition du statut de résident permanent au Canada.

[2] Comme je l’explique en détail plus loin, la présente demande sera rejetée, car les arguments du demandeur n’entachent pas le caractère raisonnable de la décision.

II. Faits

[3] Le demandeur est un citoyen du Pakistan. Avant d’habiter au Canada, il a habité de 2004 à 2019 en Afrique du Sud, où il a marié sa première épouse, avec qui il a eu un fils. Le fils du demandeur habite toujours en Afrique du Sud. Le demandeur a divorcé de sa première épouse en octobre 2019. Il a déménagé aux États-Unis en janvier 2019, puis est entré au Canada en juin 2019.

[4] Le demandeur habite à présent avec sa seconde épouse, qui est citoyenne canadienne de naissance. Il déclare l’avoir rencontrée à un arrêt d’autobus, alors qu’il se rendait à une fête donnée à Scarborough, en juillet 2019. Ils ont commencé à faire vie commune en mars 2021 et se sont mariés en avril 2022. Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente, au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, pour laquelle son épouse se portait répondante [la répondante].

[5] Dans le cadre du processus de demande, le couple s’est présenté à une entrevue, tenue à un bureau d’IRCC, dont l’objectif visait à apprécier l’authenticité de son mariage et à vérifier s’il satisfaisait aux exigences énoncées au paragraphe 12(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, ainsi qu’à l’alinéa 124a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement]. Le demandeur et sa répondante ont été interrogés séparément, et IRCC leur a posé des questions supplémentaires par téléphone. Ultérieurement, dans la décision, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur et la demande de parrainage de la répondante.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[6] La lettre de refus envoyée au demandeur était ainsi rédigée :

[traduction]
L’appréciation de vos renseignements, y compris votre demande, les documents à l’appui et les renseignements que vous avez fournis lors des entrevues, a soulevé des doutes dont je vous ai fait part, à vous le demandeur principal et à votre répondante. Vous n’avez pas dissipé mes principaux doutes, et, compte tenu de leur nature, je ne suis pas convaincu que votre mariage avec votre répondante est authentique ou qu’il ne visait pas principalement l’acquisition du statut de résident permanent au Canada. Par conséquent, vous n’êtes pas considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial au sens du Règlement.

[7] Dans les notes qu’il a consignées dans le Système mondial de gestion des cas, lesquelles constituent les motifs de la décision, l’agent a soulevé les incohérences et les doutes suivants :

  1. La répondante ne pouvait fournir un bail d’habitation sur lequel figurait le nom du demandeur (l’agent a toutefois accepté l’explication de la répondante selon laquelle, dans le but d’éviter une augmentation de loyer en fonction du salaire du demandeur, elle n’avait pas informé son organisme de logement qu’il avait emménagé avec elle);

  2. Il y avait des incohérences dans les réponses du couple au sujet de leurs ententes de paiement de téléphonie cellulaire;

  3. Il y avait des incohérences dans les réponses du demandeur quant au temps nécessaire pour se rendre à pied de leur domicile à un magasin du coin;

  4. Le demandeur a indiqué qu’il avait cessé de fumer au début de 2021, alors que sa répondante ne savait pas qu’il avait fumé par le passé;

  5. Il y avait des incohérences dans leurs réponses au sujet des services de diffusion en continu qu’ils utilisaient à la maison pour regarder des émissions et des films;

  6. L’agent avait des doutes sur l’authenticité de leur page Facebook et des comptes des amis qui y étaient associés, et leurs explications quant à savoir pourquoi le compte Facebook avait été créé étaient incohérentes.

[8] En raison de ces incohérences et de ces doutes, l’agent n’était pas convaincu que le mariage entre le demandeur et la répondante était authentique et qu’il n’avait pas été contracté à des fins d’immigration.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[9] Après avoir examiné les observations des parties, je suis d’avis que la question de fond que doit trancher la Cour consiste à savoir si la décision est raisonnable. Comme l’indique la formulation de la question en litige, les parties conviennent (et je suis d’accord) que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

[10] Par ailleurs, le 9 novembre 2023, l’avocat du demandeur a présenté une requête écrite au titre du paragraphe 125(1) et de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, en vue de cesser d’occuper, au motif qu’il n’avait pas été en mesure de communiquer avec le demandeur depuis mars 2023. Le défendeur ne s’oppose pas à cette requête. Le jugement que je rendrai dans le cadre de la présente demande traitera aussi de la requête pour cesser d’occuper.

V. Analyse

Bien-fondé de la demande

[11] À l’audition de la demande de contrôle judiciaire, l’avocat du demandeur a envoyé des avocats mandataires pour comparaître à sa place, en raison de la requête pendante pour cesser d’occuper. Concernant le bien-fondé de la demande, les avocats mandataires se sont appuyés sur le mémoire du demandeur pour présenter leurs observations principales, le défendeur a formulé de brèves observations verbales, puis les avocats mandataires ont présenté de brèves observations en réponse.

[12] En ce qui concerne son domicile, le demandeur soutient que l’agent a déraisonnablement tiré une conclusion défavorable quant au caractère authentique du mariage, du fait que la répondante ne s’était pas conformée au règlement administratif de sa coopérative d’habitation en omettant de l’informer que le demandeur vivait avec elle. Il fait remarquer que l’agent avait accepté l’explication de la répondante selon laquelle elle n’avait pas avisé la coopérative, car elle ne voulait pas subir une augmentation de loyer. Selon le demandeur, il était déraisonnable de la part de l’agent d’accepter son explication, mais de néanmoins entretenir des doutes sur la question du domicile.

[13] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’argument du demandeur est fondé sur une compréhension erronée du raisonnement de l’agent. L’agent n’a pas tiré une conclusion défavorable de cet élément de preuve. Il a plutôt exprimé une dernière réserve selon laquelle, puisque le nom du demandeur n’avait pas été ajouté au bail de la répondante, la preuve ne suffisait pas à confirmer qu’il résidait avec elle.

[14] Le demandeur soutient également que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a relevé une incohérence concernant les plans de téléphonie cellulaire du demandeur et de la répondante, alors qu’il n’y en avait aucune. Il prétend que l’analyse menée par l’agent était irrationnelle, car les arrangements financiers dont ils ont convenus pour le paiement de leurs diverses factures de téléphonie cellulaire ne démontrent pas l’invalidité de leur relation.

[15] Là encore, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’argument du demandeur repose sur une compréhension erronée de l’analyse menée par l’agent. L’agent a relevé une incohérence entre les témoignages et la preuve documentaire qui lui avait été présentée. Selon leurs témoignages, le demandeur payait les factures de téléphonie cellulaire de la répondante, cliente de Chatr, alors que les relevés bancaires du demandeur ne comprenaient aucune opération de paiement à l’ordre de Chatr.

[16] En ce qui concerne la page Facebook du couple, le demandeur admet qu’il s’agit d’un faux compte et fait valoir qu’il a été franc quant au fait que ce compte avait été créé pour les besoins de sa demande de résidence permanente, car les conseils de son avocat l’avaient porté à croire que sa création était une exigence du programme de parrainage. Il prétend qu’il n’existe aucune incohérence dans la preuve associée au compte Facebook permettant de conclure que leur relation n’est pas authentique.

[17] Je n’ai aucune difficulté à conclure que cette partie de l’analyse menée par l’agent était raisonnable. Non seulement la création d’un faux compte Facebook pour le couple, pour les besoins de la demande d’immigration, soulève évidemment des doutes, mais, en plus, le témoignage du demandeur était incohérent quant aux raisons pour lesquelles le compte avait été créé. Il a d’abord tenté d’en défendre l’authenticité, et ce n’est qu’ultérieurement qu’il a expliqué que le compte avait été créé sur les conseils de son avocat.

[18] Le demandeur soutient en outre que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a tenu compte de l’écart entre la réponse du demandeur quant au temps de marche entre leur domicile et une pharmacie du coin et le temps estimé par l’outil Google Maps. Le demandeur a indiqué qu’il s’agissait d’une marche de 15 à 20 minutes, alors qu’elle ne prend que 7 minutes. Il prétend que le fait que son estimation était deux à trois fois celle donnée par Google Maps ne représente pas un écart important, étant donné qu’il n’est question que de quelques minutes. Il ajoute que cet écart n’est pas pertinent pour la question de l’authenticité de leur relation.

[19] J’accepte l’argument selon lequel cet écart ne revêt pas autant d’importance que d’autres facteurs dans la décision de l’agent. Il était toutefois loisible à l’agent de tenir compte de cet écart, particulièrement s’il est mis en parallèle avec d’autres incohérences relevées dans la décision. Il m’est également facile de comprendre le raisonnement ayant mené l’agent à douter du fait que le demandeur habite réellement avec la répondante, puisque le demandeur n’était pas en mesure de fournir une estimation juste du temps de déplacement entre le domicile et la pharmacie du coin.

[20] Selon le demandeur, l’agent a tiré des conclusions déraisonnables sur l’authenticité de leur relation à partir de la preuve liée à son passé de fumeur et du fait qu’il n’avait pas été en mesure de dire que Netflix était le service de diffusion en continu utilisé par le couple. Lors de son témoignage, le demandeur a affirmé qu’il fumait à l’époque où le couple a commencé à se fréquenter; la répondante a cependant indiqué qu’elle n’en savait rien. Il a ajouté qu’il lui avait caché sa consommation de tabac. L’agent n’a pas accepté son explication, car, selon lui, il n’aurait pas été possible pour le demandeur de dissimuler à la répondante l’odeur et les signes physiques associés à sa consommation de tabac. Le demandeur soutient que le fait qu’il existe des secrets au sein d’un couple ne signifie pas que la relation n’est pas authentique.

[21] Selon mon interprétation, l’analyse de l’agent n’était pas fondée sur l’existence de secrets. L’agent était plutôt préoccupé par les témoignages incohérents rendus par le couple, et il ne considérait pas comme étant raisonnable l’explication du demandeur selon laquelle il avait caché à sa femme sa consommation de tabac. Le demandeur prétend que l’agent n’a fondé son analyse à ce sujet sur aucune preuve. Si le demandeur sous-entend que l’agent devait disposer d’une quelconque preuve d’expert indiquant que la consommation de tabac laisse une odeur sur le corps et les vêtements des fumeurs, je suis d’avis que cet argument est dénué de fondement.

[22] En ce qui a trait aux services de diffusion en continu, le demandeur indique que les motifs de l’agent dénotent un manque de considération des attentes culturelles hétéronormatives rattachées à la conclusion relative à l’incapacité du demandeur à nommer le bon service de diffusion en continu. Il a peu développé cet argument, et je ne le trouve pas convaincant. L’agent trouvait qu’il était difficile de croire que le demandeur n’ait pas su reconnaître qu’ils utilisaient principalement Netflix, étant donné que le nom et le logo du service sont visibles partout sur le site Web et sur l’application. Le demandeur ne m’a pas convaincu que l’analyse reflétait une insensibilité culturelle.

[23] Enfin, le demandeur prétend que l’agent n’a fourni aucun motif suffisant pour justifier sa conclusion selon laquelle le mariage n’est pas authentique. Il fait valoir que l’agent était tenu d’examiner la totalité de la preuve, ce qui implique d’accorder du poids aux facteurs favorables qui témoignent de l’authenticité du mariage.

[24] Outre la jurisprudence citée à l’appui de la nature de la norme de la prépondérance des probabilités applicable en matière civile, le demandeur n’a invoqué aucun précédent pour étayer sa position. Il n’a pas non plus porté à l’attention de la Cour des éléments de preuve en particulier que, selon lui, l’agent n’avait pas pris en considération. À mon avis, l’agent explique de manière intelligible, dans la décision, les doutes qui l’ont mené à conclure que le mariage entre le demandeur et la répondante n’était pas authentique et qu’il avait été contracté à des fins d’immigration.

[25] Après avoir examiné les arguments du demandeur et conclu qu’ils n’entachaient pas le caractère raisonnable de la décision, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune n’est énoncée.

Requête pour cesser d’occuper

[26] À l’audition de la demande de contrôle judiciaire, j’ai informé les parties qu’alors que la demande sur le fond était mise en délibéré, j’étais prêt à faire droit à la requête de l’avocat pour cesser d’occuper et que je rendrais mon jugement en ce sens. Les documents joints à la requête de l’avocat du demandeur montrent une rupture de communication avec le demandeur et, par conséquent, une rupture de la relation avocat-client, de sorte que la requête est justifiée.

[27] Les avocats mandataires ont indiqué que l’adresse de leur cabinet, laquelle a été fournie à la Cour lors de l’audience, pouvait apparaître dans mon jugement aux fins de signification de la présente décision au demandeur. Mon jugement fera état de ces précisions.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-10782-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

  3. La requête de l’avocat du demandeur, datée du 9 novembre 2023, est accueillie, et l’avocat du demandeur cesse d’occuper dans le dossier.

  4. Aux fins de sa signification au demandeur, le présent jugement doit être envoyé au 150, rue Carleton, bureau 100, Toronto (Ontario), M5A 2K1.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-10782-22

INTITULÉ :

MUHAMMAD MAUKTASID REHMAN CHEEMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 NOVEMBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

 

LE 27 NOVEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Anna Krol

Chiu Chung

 

POUR LE DEMANDEUR

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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