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Date : 20231124


Dossier : IMM-9519-22

Référence : 2023 CF 1568

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2023

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

THI THUY TIEN DO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Thi Thuy Tien Do, est citoyenne du Vietnam. Elle a demandé l’asile au Canada en raison de ses croyances et de sa foi en tant que bouddhiste Hoa Hao pratiquante. La demanderesse affirme avoir quitté le Vietnam après que la police eut empêché la tenue d’un grand rassemblement de bouddhistes Hoa Hao devant un monument et qu’elle eut commencé à craindre d’être arrêtée un jour, comme d’autres adeptes.

[2] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de la demanderesse en raison de problèmes de crédibilité. Le 6 septembre 2022, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a conclu que les motifs de la SPR auraient pu être plus complets, mais elle est finalement parvenue à la même conclusion et a rejeté l’appel de la demanderesse [la décision contestée].

[3] La demanderesse demande l’annulation de la décision contestée. La principale question à trancher est celle du caractère raisonnable de la décision contestée. Je suis d’avis que rien n’écarte la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 17, 25.

[4] Une décision peut être déraisonnable, c’est-à-dire présenter des lacunes sur le plan de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, si le décideur s’est mépris sur la preuve qui lui a été soumise. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, précité, aux para 99-100, 125-126.

[5] La demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait. Comme je l’explique ci-dessous, je suis d’avis que la demanderesse, dans ses observations écrites et orales, exige que la décision contestée soit parfaite, ce qui n’est pas justifié, et demande essentiellement à la Cour de soupeser à nouveau la preuve présentée à la SAR, ce qui est contraire aux enseignements de l’arrêt Vavilov (aux para 91, 125). Je rejetterai donc la demande de contrôle judiciaire.

II. Analyse

[6] La demanderesse soulève trois sous-questions, que j’examine ci-dessous, à savoir le caractère raisonnable des conclusions de la SAR selon lesquelles : (i) la demanderesse n’est pas une véritable pratiquante du bouddhisme Hoa Hao; (ii) les raisons pour lesquelles elle a quitté le Vietnam ne sont pas crédibles, et (iii) les documents à l’appui sont insuffisants pour dissiper les doutes quant à la crédibilité de la demanderesse.

[7] Contrairement à ce que soutient la demanderesse, je conclus que la décision contestée est justifiée, intelligible et transparente, que l’analyse de l’agent est logique et que ses motifs sont intrinsèquement cohérents, ce qui permet à la Cour de « relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées » : Vavilov, précité, au para 97, citant Komolafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431 au para 11.

[8] L’avocat de la demanderesse a fait ressortir des extraits de la transcription de l’audience de la SPR qui montrent que l’interprète semble avoir éprouvé des difficultés. Bien que la Cour ne soit pas nécessairement en désaccord, la question aurait dû être soulevée beaucoup plus tôt, comme l’a admis l’avocat de la demanderesse. Ce n’est pas dans le cadre d’un contrôle judiciaire qu’il faut le faire pour la première fois. Malgré les possibles problèmes d’interprétation, je suis d’avis que la transcription révèle au premier abord que la demanderesse a eu plusieurs occasions de clarifier ses réponses et que l’interprète l’a aidée à cet égard.

A. La SAR a raisonnablement conclu que la demanderesse n’était pas une véritable bouddhiste Hoa Hao

[9] La Cour n’est pas convaincue que la SPR se soit concentrée sur les détails de la foi bouddhiste Hoa Hao ou qu’elle ait fait passer un questionnaire à la demanderesse. La question de savoir si la SPR l’a fait n’est toutefois pas celle que la Cour doit examiner dans le cadre du contrôle judiciaire. La Cour doit plutôt se demander si les motifs de la SAR permettent à la Cour de comprendre comment la SAR est parvenue au résultat, sans tenir compte des exagérations, embellissements ou conjectures pouvant figurer dans les observations des parties.

[10] De l’avis de la Cour, les motifs de la SAR sont cohérents et sont fondés sur la preuve examinée par la SPR et, en réexamen, par la SAR. Je remarque que la demanderesse n’a pas déposé de nouveaux éléments de preuve devant la SAR.

[11] Bien que les décideurs puissent poser des questions objectives sur la religion afin d’évaluer l’authenticité de la foi du demandeur d’asile, ils doivent s’abstenir « [d’]adopter une norme déraisonnablement élevée ou [de] s’engager dans une analyse microscopique » : Gao c Canada, 2021 CF 490 au para 20. Le critère auquel les demandeurs d’asile doivent satisfaire en ce qui a trait aux connaissances religieuses est peu élevé; les demandes d’asile sont fondées sur la sincérité des croyances, et non sur leur exactitude théologique : Zheng c Canada, 2019 CF 731 aux para 16-17.

[12] La SAR est mieux placée que la Cour pour tirer des conclusions de fait. Il convient de faire preuve de déférence envers la SAR, et la Cour devrait se garder d’intervenir, à moins de circonstances exceptionnelles, par exemple si la preuve n’a pas été prise en compte ou qu’il y a eu un malentendu sur les faits : Siline c Canada, 2022 CF 490 [Siline] au para 9, citant Hou c Canada, 2012 CF 993 [Hou]; Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 115 au para 21, citant Vavilov, précité, au para 125. En fin de compte, le demandeur d’asile doit être en mesure d’établir des connaissances de « base » relatives à sa religion : Siline, précitée, au para 9, citant Bouarif c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 49.

[13] En l’espèce, la SAR a jugé que la demanderesse n’était pas en mesure d’expliquer les principes fondamentaux (c’est-à-dire les quatre gratitudes) et les pratiques quotidiennes du bouddhisme Hoa Hao. Selon la transcription de l’audience de la SPR, lorsqu’on lui a demandé comment elle pratiquait sa foi, la demanderesse a déclaré : [TRADUCTION] « Je – je me contente de prier et de lire la Bible, parce que je – je viens tout juste de découvrir le bouddhisme Hoa Hao, alors je ne connais pas grand-chose à ce sujet, je n’ai pas de connaissances approfondies. »

[14] La SAR a toutefois souligné que la demanderesse avait affirmé qu’elle avait observé les rites de sa religion tous les jours pendant trois ans; selon la SAR, cette explication n’était pas crédible. La SAR a également tenu compte du niveau d’instruction de la demanderesse (c’est-à-dire diplôme d’études secondaires, plus une année d’études collégiales en administration des affaires). En outre, la transcription fait explicitement état des doutes de la SPR découlant du fait que la demanderesse donnait l’impression de lire quelque chose (c’est-à-dire des documents), car elle regardait vers le bas lorsqu’elle répondait aux questions de la SPR concernant le karma.

[15] Comme la Cour l’a indiqué au paragraphe 55 de la décision Hou, précitée, la cour de révision doit être consciente de « [l’]expertise [du décideur] en ce qui concerne les préceptes de diverses religions » et, par conséquent, faire preuve de prudence avant de « décider […] de revoir en fait les résultats de ce qui peut commencer à ressembler à une ronde de jeu-questionnaire biblique ». C’est précisément ce que la demanderesse prie la Cour de faire en l’espèce.

[16] Même si la Cour aurait pu parvenir à une conclusion différente sur la question de savoir si les croyances de la demanderesse sont sincères, cela ne signifie pas en soi que la décision contestée est déraisonnable : Solis Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 203 au para 43. Après avoir examiné la transcription de l’audience de la SPR, je ne peux conclure que la décision contestée est déraisonnable.

B. La SAR a raisonnablement conclu que les motifs invoqués par la demanderesse pour quitter le Vietnam n’étaient pas crédibles

[17] Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que la SAR s’est concentrée sur son omission de faire mention de ses projets antérieurs de venir au Canada dans son formulaire Fondement de la demande d’asile. À mon avis, la SAR a raisonnablement relevé une série de déclarations incohérentes et de témoignages changeants concernant le moment et la raison pour lesquels la demanderesse avait décidé de quitter le Vietnam, ainsi que l’emploi qu’elle avait commencé et la raison pour laquelle elle l’avait commencé.

C. La SAR a raisonnablement conclu que les pièces justificatives étaient insuffisantes

[18] Contrairement à ce que soutient la demanderesse, il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle le défendeur a omis de tenir compte de la preuve documentaire (qui est présumée avoir été prise en compte jusqu’à ce que le contraire soit établi). Au contraire, la SAR a identifié chaque élément de preuve à l’appui et a raisonnablement expliqué pourquoi elle lui accordait peu de poids. Comme il est mentionné ci-dessus, le fait que des conclusions différentes auraient pu être tirées à partir des éléments de preuve ne rend pas la décision contestée déraisonnable. Demander à la Cour de réexaminer la preuve détourne l’attention de la décision contestée et revient à lui demander de soupeser à nouveau la preuve, ce qui n’est pas le rôle de la cour de révision.

III. Conclusion

[19] Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que la demanderesse n’a soulevé aucune erreur susceptible de révision qui aurait été commise par la SAR. Sa demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

[20] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-9519-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 septembre 2022 par la Section d’appel des réfugiés est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9519-22

 

INTITULÉ :

THI THUY TIEN DO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 octobre 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :

LE 24 novembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Phillip J.L. Trotter

 

Pour la demanderesse

 

Kareena Wilding

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Phillip J.L. Trotter

Phil Trotter Lawyer Services

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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