Date : 20231124
Dossier : IMM-10149-22
Référence : 2023 CF 1563
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2023
En présence de madame la juge Fuhrer
ENTRE : |
ALI SEFIDGAR |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, Ali Sefidgar, est un citoyen iranien qui a présenté une demande de permis d’études parce qu’il avait été accepté au programme de maîtrise en administration des affaires de l’Université Canada West. Il avait auparavant obtenu un baccalauréat en administration des affaires en Iran. Sa demande de permis d’études a été rejetée. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision défavorable.
[2] La norme de contrôle présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable. Il n’y a rien en l’espèce qui justifierait de réfuter cette présomption, contrairement à ce qu’affirme le demandeur : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 17, 25.
[3] Une décision raisonnable est une décision qui possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité et qui est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes : Vavilov, précité, au para 99.
[4] Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que le demandeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver que la décision par laquelle sa demande de permis d’études a été rejetée est déraisonnable : Vavilov, précité, au para 100.
II. Analyse
[5] Les trois motifs de rejet de la demande de permis d’études du demandeur sont énoncés dans la lettre de décision du 11 août 2022 [la décision contestée]. L’agent des visas [l’agent] n’était pas convaincu : i) que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour; ii) que le demandeur avait des liens importants à l’extérieur du Canada; et iii) que le but de la visite du demandeur était compatible avec le séjour temporaire. Les dispositions législatives applicables sont énoncées à l’annexe A.
[6] Bien que les motifs de l’agent consignés dans les notes du Système mondial de gestion des cas [le SMGC] appuient les conclusions ci‑dessus, j’estime qu’ils sont déraisonnables pour plusieurs raisons.
[7] En ce qui concerne la deuxième conclusion, les éléments de preuve présentés par le demandeur ne montrent aucun lien à l’extérieur de son pays d’origine, et encore moins au Canada. Le demandeur vient de se marier et il est propriétaire avec sa femme d’une maison en Iran. La femme du demandeur demeure en Iran avec d’autres membres de la famille, y compris l’enfant mineur du couple et le père du demandeur. La femme et le père du demandeur ont parrainé le projet d’études du demandeur au Canada.
[8] L’agent a reconnu que le demandeur est marié et que sa femme ne l’accompagnerait pas. L’agent a aussi pris acte de la déclaration du demandeur concernant ses liens familiaux étroits dans son pays d’origine, mais il a conclu que le demandeur n’y était pas suffisamment établi. À mon avis, la preuve ne permettait tout simplement pas à l’agent de tirer pareille conclusion sans fournir une explication supplémentaire compte tenu des liens familiaux et des antécédents professionnels du demandeur.
[9] Je conclus en outre que le raisonnement de l’agent ne montre pas qu’il a mené un examen global ou soupesé tous les éléments de preuve. L’agent semble plutôt avoir simplement examiné les facteurs défavorables décrits dans les notes du SMGC.
[10] Voici un autre exemple. L’agent a pris note d’une déclaration générale figurant dans le plan d’études du demandeur selon laquelle celui-ci [traduction] « pourr[a], compte tenu de la grande réputation des universités nord‑américaines dans le monde et en Iran, coopérer très efficacement avec [son] entreprise pour ce qui est de la gestion du service des ventes et du développement du marché dans les pays voisins […], ainsi qu’améliorer la capacité de l’entreprise à prendre des décisions qui l’aideront dans les domaines de la vente et de la négociation ».
Dans ses motifs, l’agent a noté que le demandeur [traduction] « n’a[vait] fourni ni explication ni détail justificatif sur la manière dont les études qu’il se propose d’entreprendre l’aideraient à réaliser cet objectif »
. À mon avis, cette déclaration est contredite par les sections du plan d’études dans lesquelles le demandeur explique pourquoi il a choisi d’étudier à l’Université Canada West et en quoi les cours du programme de maîtrise en administration des affaires l’aideront dans son emploi.
[11] En ce qui concerne la référence fournie par l’employeur du demandeur, l’agent a affirmé que celle-ci mentionnait [traduction] « seulement un congé approuvé de deux ans et demi »
[non souligné dans l’original]. La lettre elle‑même contredit cette affirmation. Je conclus que l’agent a déraisonnablement tenu compte uniquement de ce que la lettre ne dit pas, selon lui ([traduction] « [l]’employeur n’a pas expliqué pourquoi un diplôme international [était] exigé et il n’y a aucune mention concernant les compétences nécessaires pour occuper le nouveau poste »
), plutôt que de ce que dit la lettre.
[12] La Cour a reconnu qu’il est bien établi que l’obtention d’une maîtrise après l’obtention d’un baccalauréat dans le même domaine et l’acquisition d’une expérience de travail connexe suit un cheminement de carrière logique : Ahadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 25 au para 15. C’est ce que le demandeur en l’espèce veut faire, et l’agent n’a pas expliqué de façon intelligible pourquoi la maîtrise en administration des affaires du demandeur ne ferait pas progresser sa carrière. De plus, la Cour a maintes fois souligné que les agents doivent se garder d’établir de façon arbitraire et subjective la valeur des études pour un demandeur parce qu’il existe de nombreuses raisons valables d’étudier au Canada malgré les coûts connexes : Najmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 132 au para 25.
[13] En outre, l’agent a déclaré que les liens du demandeur avec l’Iran n’étaient pas suffisamment importants pour le motiver à quitter le Canada. Dans le contexte du dossier, la Cour se demande ce que le demandeur aurait pu fournir de plus. L’agent n’a pas expliqué en quoi l’emploi, l’état matrimonial et la situation parentale du demandeur, ainsi que les aspects financiers et autres de ses liens de longue date avec l’Iran, étaient problématiques. À cet égard, la décision contestée n’est pas transparente et, par conséquent, elle est déraisonnable de l’avis de la Cour : Ogbuchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 764 au para 12; Shohratifar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 218 au para 14, citant Jafari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 183 aux para 18‑20.
[14] Bien que l’agent soit présumé avoir examiné tous les éléments de preuve, les motifs, comme je l’ai mentionné ci‑dessus, permettent difficilement de savoir si l’agent a apprécié les éléments de preuve du demandeur de manière globale, y compris les facteurs favorables : Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 [Aghaalikhani] au para 24. Il s’agit d’un élément particulièrement pertinent si les motifs mettent l’accent sur les facteurs défavorables.
[15] En d’autres termes, les motifs ne révèlent pas comment l’agent a apprécié les facteurs favorables par rapport aux facteurs défavorables, et la Cour s’interroge à ce sujet. La Cour estime donc que les motifs ne sont pas suffisamment transparents. Bien que l’agent affirme que tous les facteurs ont été appréciés, ses motifs ne tiennent pas compte d’autres facteurs importants décrits dans la preuve, comme ceux mentionnés ci‑dessus. Le fait que l’agent n’ait pas mentionné les facteurs favorables amène la Cour à conclure que certains éléments de preuve ont été écartés ou mal interprétés : Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 734 au para 33; Vavilov, précité, au para 126.
[16] Les lacunes dont il a été question ci‑dessus ne sont ni superficielles ni accessoires et elles ne constituent pas des erreurs mineures. Elles sont plutôt au cœur de la demande de permis d’études du demandeur : Vavilov, précité, au para 100. Malgré la déférence à laquelle l’agent a droit, la décision ne peut résister à un examen quelque peu approfondi : Aghaalikhani, précitée, au para 17; Vavilov, précité, au para 138.
III. Conclusion
[17] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de rejeter la demande de permis d’études du demandeur est déraisonnable. Par conséquent, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire. La décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour nouvel examen.
[18] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et je conclus que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-10149-22
LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :
La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie.
La décision du 11 août 2022 par laquelle l’agent des visas a rejeté la demande de permis d’études du demandeur est annulée.
L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvel examen.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Janet M. Fuhrer »
Juge
Annexe A : Dispositions pertinentes
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227
Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-10149-22 |
INTITULÉ :
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ALI SEFIDGAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 17 août 2023
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE FUHRER
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DATE DES MOTIFS :
|
Le 24 novEMBRE 2023
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COMPARUTIONS :
Ali Lotfi |
POUR LE DEMANDEUR |
Matthew Tarasoff |
POUR LE défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ali Lotfi
Ali Lotfi Law
Toronto (Ontario) |
POUR LE DEMANDEUR |
Procureur général du Canada Vancouver (Colombie‑Britannique) |
POUR LE défendeur |