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Date : 20231122


Dossier : IMM-12742-22

Référence : 2023 CF 1545

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2023

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

JULIUS CARLO LAYUG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Le demandeur, Julius Carlo Layug, est un citoyen des Philippines qui est arrivé au Canada avec son père en 2008. Il avait 17 ans à ce moment-là. À la suite de son arrivée au pays, il a commencé à consommer de la drogue et a accumulé un casier judiciaire. Par conséquent, il est interdit de territoire au Canada pour grande criminalité.

[2] Le dossier montre que le demandeur a eu une enfance difficile aux Philippines. Il a grandi sans mère, et son père a déménagé lorsqu’il était très jeune. Il a été ballotté d’un proche à un autre et a subi de la violence physique et sexuelle, ainsi que de l’isolement, alors qu’il était en bas âge. Depuis, il a reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique complexe chronique et un diagnostic de trouble lié à la consommation de substances psychoactives.

[3] Comme le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité, il n’était pas admissible à l’asile par application de l’alinéa 112(3)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Il pouvait solliciter un examen des risques avant renvoi [ERAR] au titre du sous-alinéa 113e)(i) de la LIPR, aux termes duquel l’agent était tenu d’évaluer s’il serait exposé au risque de persécution, au risque de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé aux Philippines.

[4] Le demandeur a présenté une demande d’ERAR le 7 février 2022. À ce moment‑là, il était incarcéré et ne bénéficiait pas des conseils d’un avocat. Il a eu de la difficulté à obtenir des documents afin d’étayer sa demande d’ERAR en raison d’un confinement. Sa demande d’ERAR a été rejetée le 11 mars 2022 et il a reçu une copie de la décision le 18 mars 2022.

[5] Par la suite, le demandeur a été en mesure de retenir les services d’un avocat. En juillet 2022, la requête de son avocat pour que la demande d’ERAR soit réexaminée ou rouverte a été accueillie, et des observations supplémentaires ont été déposées au nom du demandeur. Ces observations mettaient l’accent sur le risque auquel il serait exposé s’il retournait aux Philippines compte tenu de ses antécédents de toxicomanie, de son trouble lié à la consommation de substances psychoactives, ainsi que de l’état de sa santé mentale. Le demandeur a présenté une preuve documentaire relative à ses diagnostics médicaux et à son pronostic, de l’information sur le traitement de la toxicomanie, ainsi qu’une preuve documentaire substantielle concernant la [traduction] « guerre contre la drogue » menée aux Philippines.

[6] La demande d’ERAR du demandeur a été rejetée à la suite du nouvel examen, dans une décision qu’il a reçue le 7 décembre 2023. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision défavorable relative à l’ERAR. Dans un cas comme l’espèce, la décision initiale relative à l’ERAR et la décision rendue à la suite du nouvel examen sont pertinentes, puisque cette dernière était désignée comme un « addenda » à la première : voir Alvarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 573 aux para 11 et 18. En réalité, le point de mire des observations présentées par les parties en contrôle judiciaire – et des présents motifs – est la décision rendue à la suite du nouvel examen.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[7] La seule question en litige en l’espèce est celle de savoir si la décision relative à l’ERAR est raisonnable.

[8] Cette question est évaluée selon le cadre établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, lequel a récemment été confirmé dans l’arrêt Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21. En résumé, d’après le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov, une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). L’exercice de tout pouvoir public par un décideur administratif doit être « justifié, intelligible et transparent » (Vavilov, au para 95).

[9] Il incombe au demandeur de démontrer que la décision comporte des lacunes ou des déficiences « suffisamment capitales ou importantes pour rendre la décision déraisonnable » (Vavilov, au para 100). La décision doit être examinée en fonction de l’historique et du contexte de l’instance, y compris de la preuve et des observations présentées au décideur (Vavilov, au para 94). Cependant, « à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas [les] conclusions de fait [du décideur] » (Vavilov, au para 125).

[10] Il convient de mentionner une caractéristique supplémentaire du cadre énoncé dans l’arrêt Vavilov. Le degré de justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées qui s’impose dépend, en partie, de l’incidence de la décision sur la personne visée par celle-ci. La Cour suprême a affirmé ce qui suit au paragraphe 133 de l’arrêt Vavilov : « Lorsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs fournis à ce dernier doivent refléter ces enjeux [...] Cela vaut notamment pour les décisions dont les conséquences menacent la vie, la liberté, la dignité ou les moyens de subsistance d’un individu. » La Cour a fait remarquer ce qui suit au paragraphe 135 de ce même arrêt :

[135] Bon nombre de décideurs administratifs se voient confier des pouvoirs extraordinaires sur la vie de gens ordinaires, dont beaucoup sont parmi les plus vulnérables de notre société. Le corollaire de ce pouvoir est la responsabilité accrue qui échoit aux décideurs administratifs de s’assurer que leurs motifs démontrent qu’ils ont tenu compte des conséquences d’une décision et que ces conséquences sont justifiées au regard des faits et du droit.

[11] Ce passage est pertinent en l’espèce compte tenu de la nature des risques soulevés par le demandeur et du fait que ceux-ci n’avaient pas été évalués auparavant. Le demandeur n’était pas admissible à présenter une demande d’asile. Ainsi, l’agent chargé de l’ERAR devait évaluer pour la première fois les risques qu’il courrait au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

III. Analyse

[12] Le demandeur fait valoir que la décision est déraisonnable pour trois motifs, qui sont interreliés. Premièrement, il affirme que l’agent n’a pas tenu compte de son argument selon lequel ses problèmes de toxicomanie lui feraient courir un risque aux Philippines même s’il ne rechutait pas. Deuxièmement, il allègue que l’agent n’a pas examiné la preuve selon laquelle le stress qu’il subirait à son retour aux Philippines – l’endroit où il a été maltraité et traumatisé durant son enfance – renforcerait ses risques de rechute, ce qui l’exposerait à des risques accrus. Troisièmement, il soutient que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle les traitements en matière de toxicomanie et de santé mentale aux Philippines sont inadéquats, et qu’il serait incapable d’obtenir l’aide dont il a besoin.

[13] Je suis convaincu que la décision de l’agent est déraisonnable pour deux motifs. Premièrement, il a fait abstraction d’un élément central de la demande d’ERAR du demandeur, c’est-à-dire que le simple fait qu’il soit toxicomane et ait consommé des drogues par le passé lui fait courir un risque. Deuxièmement, dans la mesure où la décision repose sur la conclusion selon laquelle le demandeur ne rechuterait pas parce qu’il aurait accès à des traitements efficaces aux Philippines, l’agent n’a pas expliqué pourquoi il a rejeté la preuve relative à l’inefficacité de ces traitements et aux risques associés au fait de s’en prévaloir.

A. Les risques encourus par le demandeur même s’il ne rechute pas

[14] Le demandeur soutient que les motifs de l’agent portent essentiellement sur deux questions : le risque qu’il recommence à consommer et l’accès à des traitements aux Philippines pour soigner son trouble de toxicomanie et son trouble de stress post-traumatique. L’agent a accepté le diagnostic fourni dans le rapport du Dr Agarwal, et a mentionné la preuve selon laquelle le risque de rechute du demandeur est élevé. Cependant, il a aussi pris en compte les déclarations du demandeur quant à sa volonté de s’en sortir ainsi qu’aux bénéfices qu’il a tirés de son traitement, qu’il a l’intention de poursuivre. L’agent a cité une déclaration d’expert selon laquelle il existe des cas où des personnes ont réussi à s’affranchir de leur dépendance. Il a aussi examiné la preuve relative aux centres de soins et aux programmes accessibles aux personnes souffrant de problèmes de toxicomanie et de santé mentale. Compte tenu des effets combinés de la possibilité de guérison, de l’engagement personnel du demandeur pour devenir sobre, ainsi que de l’accessibilité d’un traitement aux Philippines, l’agent a conclu que la preuve selon laquelle le demandeur serait exposé à un risque parce qu’il recommencerait à consommer était insuffisante.

[15] Le demandeur fait valoir que cette conclusion est déraisonnable au motif que l’agent a fait abstraction de la preuve substantielle qu’il a déposée à l’appui de son argument selon lequel le simple fait qu’il ait consommé de la drogue par le passé l’expose à un risque. Il affirme que l’agent n’a pas véritablement examiné la preuve au dossier concernant l’assassinat ciblé de personnes ayant mené leur traitement à terme, et a cité des reportages ainsi qu’un rapport d’Amnistie internationale faisant état de tels cas. Selon le rapport d’Amnistie internationale, une fois inscrits sur une liste de surveillance des drogues, les anciens toxicomanes [traduction] « sont effectivement étiquetés et ne disposent d’aucun recours afin de blanchir leur nom » (Amnistie internationale, They Just Kill: Ongoing Extrajudicial Executions and Other Violations in the Philippines’ ‘War on Drugs’ (2019)).

[16] Dans le contexte de la preuve relative à la guerre contre la drogue menée aux Philippines, le demandeur soutient que l’analyse de l’agent montre qu’il a fait abstraction d’un argument central consigné dans ses observations relatives à l’ERAR. La preuve citée par le demandeur comprend les éléments clés suivants : les collectivités locales sont tenues de dresser des listes de consommateurs de drogues présumés ou connus, ainsi que de surveiller et de déclarer les progrès réalisés dans le cadre de leurs traitements; la preuve émanant de diverses organisations tierces indépendantes fait état d’une tendance généralisée en ce qui concerne les exécutions extrajudiciaires visant les personnes soupçonnées de consommer de la drogue ou de participer au trafic de stupéfiants; ces meurtres sont perpétrés par la police et par d’autres agresseurs; il existe aussi une preuve substantielle selon laquelle la police a justifié ces meurtres en invoquant des récits semblables de légitime défense, et qu’elle aurait placé de la drogue et des armes à feu sur le lieu d’incidents afin d’étayer ses récits; très peu d’exécutions extrajudiciaires ont donné lieu à des poursuites pénales et un grand nombre d’enquêtes policières sur ces affaires sont au point mort.

[17] Le dossier montre que la guerre contre la drogue aux Philippines s’est avérée particulièrement brutale à l’endroit des consommateurs de méthamphétamines. Le demandeur a fait valoir qu’il est particulièrement visé étant donné qu’il a été dépendant à la méthamphétamine en cristaux au Canada. Il a déclaré que, compte tenu de ses antécédents de consommation de drogues, notamment de méthamphétamine en cristaux, il correspond au profil recherché par les autorités.

[18] Le demandeur soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle il ne rechuterait pas parce qu’il a la motivation nécessaire pour suivre un traitement démontre qu’il n’a pas tenu compte de ses observations et de la preuve accablante au dossier concernant les risques associés à la recherche d’un traitement aux Philippines. Le demandeur a affirmé ce qui suit dans ses observations au sujet de l’ERAR :

[traduction]

Compte tenu de la violence omniprésente visant les personnes associées à la drogue aux Philippines, il est impossible pour le demandeur de révéler qu’il est toxicomane sans se mettre en danger. Cette situation poserait problème. Renvoyer une personne souffrant d’une dépendance diagnostiquée et documentée dans un pays où il devrait dissimuler cette dépendance porterait atteinte aux valeurs canadiennes fondamentales que sont l’égalité devant la loi et la non-discrimination. Dans notre système, il n’est pas nécessaire de cacher une dépendance...

Ensuite, en pratique, personne ne devrait être renvoyé dans un pays où il serait incapable d’obtenir des soins médicaux adéquats afin de s’affranchir de sa dépendance. Il s’agit d’un facteur à prendre en compte en l’espèce. S’il existe des traitements de la toxicomanie aux Philippines, la politique par laquelle le gouvernement encourage l’assassinat des toxicomanes et surveille les progrès des personnes sollicitant un traitement rend cette solution risquée et donc inaccessible. Le rapport précité indique que, si le demandeur déclarait sa dépendance, il serait poursuivi par les autorités locales à l’échelle des Philippines, puisque celles-ci sont tenues de dresser une liste des toxicomanes présumés et de suivre leurs progrès en matière de désintoxication, tandis que les commissariats de police doivent tenir des listes de contrôle des toxicomanes présumés faisant l’objet d’une surveillance.

[19] Le demandeur soutient que, dans sa décision, l’agent a fait abstraction de cet aspect de sa demande, et que celle-ci est donc déraisonnable.

[20] Je suis d’accord.

[21] L’analyse de l’agent était axée sur la question de savoir si le demandeur avait démontré qu’il pourrait courir un risque aux Philippines s’il recommençait à consommer et attirait donc l’attention des autorités. Sur ce point, l’agent a énoncé sa conclusion de la façon suivante :

[traduction]

Si j’admets qu’il est possible que le demandeur rechute dans le futur, je conclus que ce risque est hypothétique. Je conclus que l’allégation de risque soulevée par le demandeur ne fait pas partie des risques décrits aux articles 96 ou 97 dans la mesure où il peut atténuer ou éliminer le risque perçu en ne consommant pas de drogue et en sollicitant un traitement adéquat. Je conclus que le demandeur pourrait bénéficier de programmes de traitement et de réadaptation à son retour aux Philippines.

[22] À mon avis, l’enchaînement logique de cette analyse est entaché d’une erreur fondamentale, puisqu’il fait abstraction d’un élément clé de la demande du demandeur.

[23] La conclusion de l’agent relative au risque de rechute du demandeur repose sur la conclusion selon laquelle celui-ci pourrait suivre un traitement afin d’empêcher que cela se produise. Ce raisonnement soulève deux problèmes principaux : premièrement, il ne tient pas compte de l’argument central du demandeur selon lequel le simple fait d’admettre qu’il a consommé de la drogue par le passé (ce qui fait partie intégrante de la poursuite d’un traitement) l’exposerait à un grave danger. Deuxièmement, le demandeur a présenté une preuve substantielle qui remet en cause le caractère adéquat et la pertinence d’un tel traitement. Il sera question de cette preuve dans la section suivante.

[24] Le défendeur soutient que la preuve sur laquelle se fonde le demandeur pour étayer son allégation selon laquelle il courrait un risque aux Philippines, peu importe s’il consomme de la drogue, ne renforce pas véritablement sa demande. Il fait valoir que les rapports cités par le demandeur concernent tous des personnes qui ont consommé de la drogue aux Philippines et qui ont attiré l’attention des autorités pour cette raison. Le demandeur ne fait pas partie de cette catégorie, puisqu’il n’a jamais consommé de drogue dans ce pays. Le défendeur se fonde sur cet argument pour faire valoir que la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur ne serait exposé à aucun risque est raisonnable.

[25] Cet argument ne saurait être retenu, puisque la décision de l’agent ne renferme aucune indication selon laquelle il a effectivement rendu cette conclusion. Il n’est pas loisible au défendeur ou à une cour de révision d’étayer les motifs en y ajoutant des conclusions de fait substantielles. La recherche des faits incombe à l’agent.

[26] La preuve selon laquelle les personnes soupçonnées de consommer ou d’avoir consommé de la drogue aux Philippines risquent d’être tuées par la police ou des assaillants inconnus est accablante. Elle montre aussi que les autorités locales sont tenues de dresser des listes des personnes soupçonnées de consommer de la drogue et de surveiller leurs progrès en matière de désintoxication. Le demandeur a fait valoir qu’il lui serait impossible de soigner son trouble lié à la consommation de substances psychoactives en toute sécurité aux Philippines, puisqu’il serait forcé de divulguer ses antécédents de consommation et de dépendance, ce qui le mettrait en danger.

[27] L’agent n’était pas tenu d’accepter les allégations du demandeur. Cependant, il devait les analyser et expliquer pourquoi il n’était pas convaincu par la preuve et les arguments du demandeur. À mon avis, le défaut de l’agent d’en tenir compte dans sa décision est déraisonnable.

B. Le caractère adéquat des traitements offerts

[28] Le deuxième aspect déraisonnable de la décision de l’agent est son omission d’examiner la preuve relative au caractère adéquat et à la pertinence des établissements et des programmes de traitement de la toxicomanie aux Philippines. Comme je l’ai déjà mentionné, l’agent a principalement conclu que le demandeur ne courrait aucun risque aux Philippines, puisqu’il ne recommencerait pas à consommer à son retour dans le pays. Un élément central de cette conclusion repose sur l’existence de traitements de la toxicomanie afin de venir en aide au demandeur.

[29] Dans cette partie de la décision, l’agent résume les menaces auxquelles les toxicomanes sont exposés aux Philippines, mais souligne également que l’approche adoptée par le gouvernement a évolué. L’agent cite un extrait d’un rapport américain sur la stratégie de contrôle des stupéfiants à l’échelle internationale, daté de mars 2022, qui indique que [traduction] « les méthodes d’éradication [de l’usage de drogues] employées par le gouvernement ont… évolué au cours des cinq dernières années. Elles sont passées d’une approche strictement axée sur la réduction de l’offre et les mesures punitives à une approche qui comprend des initiatives de réduction de la demande, y compris la prévention, le traitement et la réhabilitation fondés sur des données probantes... ».

[30] L’agent a ensuite fait référence aux divers centres de traitement et de réadaptation qui seraient accessibles, y compris [traduction] « les programmes communautaires de traitement de la toxicomanie, les centres de réadaptation ambulatoire, ainsi que les services avancés offerts par les centres résidentiels de traitement et de réadaptation en matière de toxicomanie ».

[31] Le demandeur soutient que cette analyse est erronée, puisque l’agent a effectué une évaluation sélective de la preuve en s’appuyant sur des sources officielles du gouvernement philippin tout en faisant abstraction de la preuve substantielle qui remet en question le caractère adéquat de ces efforts. À cet égard, le demandeur fait référence à divers rapports émanant de sources variées, y compris le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Amnistie internationale, des chercheurs universitaires, ainsi que des articles de presse. Ces documents dressent le portrait d’un système doté d’infrastructures inadéquates et de personnel insuffisant (p. ex. 56 centres de traitement et de réadaptation en matière de toxicomanie pour un pays de 110 millions d’habitants), où les traitements offerts sont chers et inadéquats (p. ex. certains programmes consistent en des cours de Zumba ou le visionnement de films sur la consommation de drogues).

[32] Les rapports indiquent que les fournisseurs de services s’attachent principalement à déclarer un nombre élevé de participants aux programmes plutôt qu’à obtenir des résultats favorables dans le cadre des traitements offerts. De plus, les rapports précisent que de nombreux centres de soins sont situés dans des installations militaires, ce qui remet en cause leur indépendance à l’égard du gouvernement. Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a déclaré [traduction] « craindre que la participation des organismes d’application de la loi aux programmes de traitement de la toxicomanie soit contraire à la prestation de traitements médicaux et de réadaptation fondés sur les données probantes ». Compte tenu de la preuve relative à la participation de la police dans l’exécution extrajudiciaire de consommateurs de drogue présumés, que j’ai résumée précédemment, cette situation soulève également des préoccupations évidentes en matière de sécurité.

[33] Le demandeur soutient que la décision de l’agent repose sur la conclusion selon laquelle il aurait facilement accès à des établissements de traitement de la toxicomanie afin de l’aider à éviter une rechute ou à se rétablir. Il fait valoir que cette décision est déraisonnable au motif que l’agent a fait abstraction de la preuve résumée précédemment, qui remet en cause l’accessibilité, le caractère adéquat ainsi que la légitimité de tels traitements, et soulève des doutes quant à la sécurité des personnes qui s’en réclament.

[34] Je suis d’accord.

[35] Encore une fois, le point clé est que l’agent n’était pas tenu de souscrire aux observations du demandeur concernant le caractère adéquat et l’accessibilité des programmes de traitement. Cependant, il ne pouvait pas faire abstraction de ses observations, d’autant plus qu’il s’est appuyé sur des rapports dressant un portrait plus favorable de la situation. L’agent était tenu d’examiner les observations et la preuve du demandeur à cet égard ainsi que de tirer des conclusions afin de justifier sa décision. Son défaut de le faire est déraisonnable.

IV. Conclusion

[36] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision est déraisonnable. Il convient de répéter que la décision est très lourde de conséquences pour le demandeur. Les risques associés à son retour aux Philippines n’avaient pas été évalués précédemment. Par conséquent, dans cette situation, l’agent n’était pas simplement tenu d’examiner les nouveaux éléments de preuve présentés depuis l’audition de la demande d’asile. Il devait plutôt examiner ces risques pour la première fois.

[37] Conformément au cadre énoncé dans l’arrêt Vavilov, dans ce type de circonstances, le fardeau de justification qui incombe à l’agent était des plus élevés. Ses motifs devaient « refléter ces enjeux ». À mon avis, les motifs en l’espèce ne satisfont pas à ce seuil et sont donc déraisonnables.

[38] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision sera annulée. L’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision. Avant qu’une nouvelle décision soit rendue, le demandeur aura l’occasion de présenter des observations supplémentaires, le cas échéant.

[39] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-12742-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision est annulée.

  3. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  4. Avant qu’une nouvelle décision soit rendue, le demandeur aura l’occasion de présenter des observations supplémentaires, le cas échéant.

  5. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-12742-22

 

INTITULÉ :

JULIUS CARLO LAYUG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 NOVEMBRE 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE PENTNEY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 NOVEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Nathaniel Ng-Cornish

 

POUR LE DEMANDEUR

JULIUS CARLO LAYUG

 

Lorne McClenaghan

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

JULIUS CARLO LAYUG

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

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