Date : 20220209
Dossier : DES‑5‑20
Référence : 2022 CF 142
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 9 février 2022
En présence de monsieur le juge Norris
ENTRE :
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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demandeur
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et
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CAMERON JAY ORTIS
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défendeur
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et
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LA DIRECTRICE DES POURSUITES PÉNALES
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défenderesse
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ORDONNANCE MODIFIÉE ET MOTIFS
I. APERÇU
[1] Monsieur Cameron Jay Ortis est accusé de plusieurs infractions prévues dans la Loi sur la protection de l’information, LRC 1985, c O‑5 (la LPI) et dans le Code criminel, LRC 1985, c C‑46. Son procès devant juge et jury à la Cour supérieure de justice de l’Ontario doit débuter en septembre 2022. Le Service des poursuites pénales du Canada (le SPPC), sous la direction de la directrice des poursuites pénales (la DPP), est chargé de cette poursuite pour le compte du ministère public.
[2] M. Ortis a été arrêté en septembre 2019. Les accusations portées contre lui ont trait à sa conduite présumée entre le 1er janvier 2014 et le 12 septembre 2019, alors qu’il était un employé civil de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC). Au cours de cette période importante, il était l’agent responsable de la recherche opérationnelle liée au mandat de la GRC en matière de sécurité nationale et, à compter d’avril 2016, le directeur général du Centre national de coordination du renseignement de la GRC.
[3] Il n’est pas contesté que, dans le cadre de son emploi à la GRC, M. Ortis avait légitimement accès à des renseignements classifiés provenant de diverses sources, y compris de partenaires internationaux. En effet, il avait accès à des renseignements classifiés de la plus haute sensibilité.
[4] De façon très générale, le ministère public soutient que M. Ortis a imprimé des copies de documents contenant des renseignements classifiés provenant du Réseau canadien très secret (le RCTS), une base de données très restreinte à laquelle il avait accès à son lieu de travail. M. Ortis a ensuite numérisé les documents et les a stockés sur ses propres appareils électroniques. Le ministère public soutient que M. Ortis a divulgué des renseignements opérationnels spéciaux (au sens de la LPI) à des personnes non autorisées ou qu’il a tenté de le faire (chefs d’accusation 1 à 4 dans l’acte d’accusation). Le ministère public soutient en outre, à l’égard d’autres renseignements classifiés, que M. Ortis était disposé à les communiquer illégalement à une entité étrangère (chefs d’accusation 5 à 8). M. Ortis est également accusé des infractions d’ utilisation non autorisée d’un ordinateur et d’abus de confiance prévues au Code criminel pour (chefs d’accusation 9 et 10). Ces accusations se rapportent généralement au même comportement allégué relativement aux chefs d’accusation 1 à 8.
[5] Les éléments de preuve que le ministère public a communiqués à M. Ortis ont été caviardés afin de protéger certains renseignements dont la divulgation porterait préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. Sur le fondement de l’article 38.04 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5 (la LPC), le procureur général du Canada (le PGC) a demandé à la Cour de rendre une ordonnance confirmant l’interdiction de divulguer les renseignements caviardés. Par souci de commodité, j’appellerai généralement cette demande « la demande fondée sur l’article 38 », et j’appellerai les articles 38.01 à 38.17 de la LPC « le régime de l’article 38 » .
[6] M. Ortis et la DPP/le SPPC sont les défendeurs à l’égard de la demande fondée sur l’article 38. De plus, compte tenu de la complexité des questions soulevées dans la présente demande et du volume de documents à examiner, à un stade très précoce, deux amici curiae (M. Howard Krongold et Mme Christine Mainville) ont été nommés pour aider la Cour.
[7] En plus des demandes concernant la communication de la preuve du ministère public, le PGC a également présenté des demandes fondées sur l’article 38 au sujet de certains renseignements contenus dans un résumé de la preuve que M. Ortis souhaite présenter à son procès pour se défendre des accusations. Comme il sera expliqué ci‑après, par l’intermédiaire de son avocat, M. Ortis a fourni ce résumé pour aider la Cour à appliquer le critère servant à déterminer si les demandes du PGC concernant les renseignements contenus dans la preuve communiquée par le ministère public devraient être confirmées. Le résumé a également été utilisé pour effectuer ce qui était en fait un examen préalable de la preuve que M. Ortis prévoit présenter au procès en ce qui a trait aux objections à la divulgation sous le régime de l’article 38.
[8] Je me prononcerai sur les demandes fondées sur l’article 38 qui ont été présentées par le PGC relativement à la communication de la preuve du ministère public et à la preuve prévue de M. Ortis. De plus, avec l’accord des parties, je traiterai des renseignements caviardés en trois étapes. Les présents motifs ne concernent que la première étape. Durant cette étape, je ne prends en considération que certains renseignements distincts relatifs aux chefs d’accusation 5 à 8. La deuxième étape portera sur l’information relative principalement aux chefs d’accusation 1 à 4. La troisième étape portera sur le reste de l’information relative aux chefs d’accusation 5 à 8. Étant donné que les chefs d’accusation 9 et 10 se recoupent avec les autres chefs, il n’est pas nécessaire de les examiner séparément.
[9] Le critère pour décider s’il y a lieu de confirmer l’interdiction de divulgation sous le régime de l’article 38 ou, plutôt, d’ordonner une forme de divulgation (p. ex. en supprimant le caviardage ou en résumant les passages caviardés) est énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ribic, 2003 CAF 246. En résumé, je dois décider si les renseignements en question sont pertinents quant à une question en litige dans le procès sous‑jacent (en l’espèce, le procès criminel de M. Ortis); dans l’affirmative, si leur divulgation serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale; et, dans l’affirmative, si les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation.
[10] Pour les motifs exposés ci‑dessous et dans une annexe classifiée, j’ai conclu qu’aucun des renseignements en cause dans la première étape de la présente demande ne peut être divulgué parce que des raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public justifiant leur divulgation. Par conséquent, M. Ortis ne disposera d’aucun de ces renseignements pour se défendre contre les chefs d’accusation 5 à 8 (ou les chefs d’accusation 9 et 10 dans la mesure où ils se rapportent à la même conduite reprochée que les chefs d’accusation 5 à 8). Comme je vais l’expliquer, j’en suis arrivé à cette conclusion malgré l’immense importance que j’accorde à ces renseignements pour permettre à M. Ortis de présenter une défense pleine et entière contre les chefs d’accusation 5 à 8 de l’acte d’accusation.
II. CONTEXTE
[11] À l’appui des allégations énoncées dans les chefs d’accusation 5 à 8, le ministère public a l’intention de présenter des éléments de preuve au procès selon lesquels un nombre important de documents hautement classifiés que M. Ortis avait imprimés à partir du RCTS ont été trouvés sur des appareils électroniques saisis de son domicile.
[12] Lorsqu’un document est imprimé à partir du CTSN, le nom de la personne qui imprime le document ainsi que la date et l’heure d’impression du document sont imprimés sur le document. Le document imprimé comporte également un « timbre »
avec une adresse URL qui relie le document de façon unique au terminal du RCTS à partir duquel il a été imprimé.
[13] Le ministère public a l’intention d’établir la preuve que M. Ortis a organisé et traité des copies électroniques de documents qu’il avait imprimés à partir du RCTS de certaines manières qui, selon le ministère public, laissent entendre que M. Ortis avait l’intention de les divulguer à des parties non autorisées. Entre autres choses, le ministère public a l’intention de présenter des éléments de preuve montrant que M. Ortis a pris des mesures pour retirer des renseignements ou des marques d’identification d’un certain nombre de documents classifiés sur ses appareils personnels. Le ministère public soutient que cette conduite, dans le contexte d’autres comportements, constitue la préparation à la perpétration d’une infraction prévue à l’article 16 de la LPI. Si elle est prouvée, cette conduite constitue une infraction aux termes des alinéas 22(1)b) et e) de la LPI. (Les éléments des infractions pertinentes sont examinés plus en détail ci‑dessous.) Selon la théorie du ministère public, la manipulation des documents par M. Ortis constitue l’actus reus de l’infraction et, avec ses autres comportements, constitue une preuve circonstancielle de son intention de communiquer les documents classifiés à une entité étrangère. Rien ne prouve directement qu’il avait une telle intention.
[14] Je ne crois pas que M. Ortis nie qu’il a obtenu et possédé les documents ou les renseignements en question qui se trouvaient sur ses appareils personnels. Une question centrale au procès – sinon la question centrale – sera ce qu’il entendait en faire.
[15] Dans l’état actuel des choses, le contenu des documents auxquels se rapportent les chefs d’accusation 5 à 8 a été entièrement caviardé en raison des demandes fondées sur l’article 38 présentées par le PGC. Tout ce qui est révélé dans les versions des documents dans la communication de la preuve du ministère public, ce sont les cotes de sécurité des documents et, dans quelques cas, l’identité de l’organisme qui a produit le document. Il s’agit de la forme sous laquelle le ministère public a l’intention de déposer les documents pertinents au procès. Le ministère public n’a pas l’intention de s’appuyer sur le contenu réel des documents pour prouver les chefs d’accusation 5 à 8 (ou, dans la mesure où ils se rapportent à la même conduite, les chefs d’accusation 9 et 10).
[16] Le lien entre les accusations et l’emploi antérieur de M. Ortis donne lieu à quatre caractéristiques inhabituelles de la présente demande.
[17] Premièrement, puisqu’il a déjà eu accès aux documents classifiés qui se trouvaient sur ses appareils personnels, M. Ortis en connaissait le contenu. Même s’il n’a pas eu accès aux documents originaux non caviardés depuis un certain temps, M. Ortis croit se souvenir du contenu classifié d’au moins certains d’entre eux, du moins dans une certaine mesure. Sans confirmer ou nier à ce stade l’exactitude des souvenirs de M. Ortis, il est néanmoins juste de dire qu’il est dans une position très différente à l’égard d’au moins une partie des renseignements qui ont été caviardés dans la preuve communiquée par le ministère public de celle dans laquelle se trouverait habituellement un accusé qui est un défendeur dans une instance fondée sur l’article 38.
[18] Deuxièmement, étant donné que les accusations ont trait à des renseignements classifiés dont M. Ortis a déjà eu connaissance, il a été reconnu qu’il devait être en mesure de discuter des renseignements classifiés avec son avocat de la défense, M. Ian Carter, afin de se préparer au procès. Par conséquent, des dispositions ont été prises pour que M. Ortis consulte M. Carter et lui donne des instructions en toute sécurité. M. Carter détient une cote de sécurité de niveau très secret et il est une personne astreinte au secret à perpétuité en vertu de la LPI.
[19] M. Carter agit pour le compte de M. Ortis non seulement en ce qui concerne les accusations criminelles, mais aussi dans la présente demande. À la suite des instructions qu’il a pu obtenir de M. Ortis, et compte tenu de la nature des renseignements que son client a pu lui communiquer, M. Carter a demandé et s’est vu accorder la possibilité de présenter des observations classifiées concernant l’application du critère de l’arrêt Ribic aux renseignements caviardés dans la preuve communiquée par le ministère public. Ces observations ont d’abord été présentées au PGC en l’absence des autres parties afin de protéger le droit de M. Ortis de garder le silence à l’égard du ministère public et, de nouveau, son droit général de ne pas divulguer sa défense avant le procès.
[20] Troisièmement, pour aider la Cour à appliquer le critère de l’arrêt Ribic, M. Carter a fourni un résumé de la preuve que M. Ortis lui a demandé de présenter à son procès pour sa propre défense. Ces renseignements figuraient à l’origine dans les observations écrites de M. Carter. Plus tard, un document distinct extrayant le synopsis de la preuve prévue de M. Ortis a été créé. J’appellerai ce dernier document le sommaire de la défense. Dans sa forme originale et extraite, le résumé de la preuve prévue de M. Ortis a d’abord été mis à la disposition du PGC, des amici curiae et de la Cour, mais il a été entièrement refusé au SPPC. Il a été fourni au PGC et aux amici curiae en vertu d’une ordonnance visant à protéger la confidentialité de son contenu pour qu’il ne soit pas divulgué au ministère public.
[21] Le sommaire de la défense n’est ni assermenté ni affirmé solennellement. Cependant, M. Carter a confirmé qu’il s’agit d’un synopsis de la preuve que M. Ortis souhaite présenter à son procès et que M. Ortis lui a donné des instructions sans équivoque selon lesquelles il souhaite témoigner pour sa propre défense. Aucune objection n’a été soulevée quant à la forme sous laquelle la défense a été présentée à la Cour. Je n’ai aucune hésitation à m’appuyer sur le sommaire de la défense pour appliquer le critère de l’arrêt Ribic aux renseignements en cause dans la présente instance.
[22] Quatrièmement, avec l’accord de M. Carter pour le compte de M. Ortis, et sous réserve des modalités de l’ordonnance en vertu de laquelle il a été fourni au PGC, le sommaire de la défense a été examiné par des représentants d’organismes intéressés afin de déterminer si son contenu soulevait des préoccupations au titre de l’article 38. Comme il a été mentionné, ce processus a servi de vérification préalable du témoignage de M. Ortis au procès. À la suite de cet examen, le PGC a présenté un certain nombre de demandes fondées sur l’article 38 relativement aux renseignements que M. Ortis souhaite présenter au procès en appliquant des caviardages au sommaire de la défense. De toute évidence, ces demandes ne visent pas à cacher de l’information à M. Ortis; bien sûr, il sait déjà exactement en quoi consistent les renseignements caviardés. Les demandes correspondent plutôt aux renseignements qui, selon les objections fondées sur l’article 38 du PGC, ne doivent pas être fournis par M. Ortis dans son témoignage au procès, qui sera une audience publique. Si l’une ou l’autre des demandes concernant la preuve prévue de M. Ortis est confirmée, M. Ortis sera légalement empêché de se fonder sur les renseignements sous‑jacents lorsqu’il se défendra contre les accusations criminelles. Il en va de même pour les renseignements qui n’ont pas été inclus dans la preuve communiquée par le ministère public.
[23] À la suite de l’examen du sommaire de la défense, le PGC a remis à M. Ortis une version caviardée du document qui indique les renseignements à l’égard desquels des objections ont été formulées en vertu de l’article 38. Toutefois, la justification des demandes n’a pas été communiquée à M. Ortis ou à M. Carter. Néanmoins, pour répéter l’évidence, M. Ortis sait quels renseignements le PGC s’oppose à faire divulguer lors de son procès. À cet égard également, M. Ortis se trouve dans une position très différente de celle dans laquelle se trouverait habituellement un accusé qui est un défendeur à l’égard d’une demande fondée sur l’article 38.
[24] À mesure que la présente demande progressait, M. Carter a finalement convenu, au nom de M. Ortis, de communiquer au SPPC les parties du sommaire de la défense qui se rapportent aux chefs d’accusation 5 à 8. D’après ce que je comprends, cela a été fait au moins en partie pour faciliter l’examen par le ministère public de la question de savoir si, conformément à l’arrêt R c Ahmad, 2011 CSC 6, au paragraphe 46, il devrait surseoir à ces accusations parce que M. Ortis ne pourrait pas avoir un procès équitable sans les renseignements qui sont protégés. Même si, à ce moment‑là, la Cour n’avait pas décidé si l’interdiction de divulgation devait être confirmée, le SPPC était disposé à examiner la question en supposant que ce serait le cas. Les avocats du SPPC ont finalement informé M. Ortis et la Cour qu’ils n’avaient pas été convaincus qu’un sursis était justifié et ont expliqué pourquoi il en était ainsi en ce qui concerne la troisième étape du critère de l’arrêt Ribic. Je tiens à préciser que la Cour n’a aucun rôle à jouer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministère public. Néanmoins, j’ai accueilli l’évaluation du SPPC de l’importance de la preuve en cause et je l’ai examinée attentivement lorsque j’ai appliqué le critère de l’arrêt Ribic.
[25] Il y a un autre élément d’information que je devrais mentionner avant d’expliquer comment les présents motifs ont été structurés.
[26] Le paragraphe 38.14(1) de la LPC prévoit que le juge du procès dans une instance criminelle
« peut rendre l’ordonnance qu’[il] estime indiquée en l’espèce en vue de protéger le droit de l’accusé à un procès équitable »
, pourvu que telle ordonnance soit conforme aux modalités de toute ordonnance rendue en vertu de l’article 38 confirmant l’interdiction de divulguer des renseignements. En bref, l’article 38.14 de la LPC autorise le juge du procès à remédier à toute injustice du procès résultant de la non‑divulgation de renseignements sous le régime de l’article 38. Ces ordonnances de redressement peuvent comprendre une ordonnance rejetant des chefs d’accusation dans un acte d’accusation, une ordonnance permettant au procès de se dérouler uniquement à l’égard d’une infraction moindre incluse, une ordonnance suspendant les procédures et une ordonnance « rendue à l’encontre de toute partie sur toute question liée aux renseignements dont la divulgation est interdite »
(paragraphe 38.14(2) de la LPC).
[27] M. Carter a informé la Cour et les autres parties qu’il avait reçu instruction de présenter une demande fondée sur l’article 38.14 de la LPC devant le juge de première instance, l’honorable juge Robert Maranger, afin de demander les redressements qui peuvent être nécessaires pour protéger le droit de M. Ortis à un procès équitable dans l’éventualité où l’une des demandes du PGC serait confirmée. M. Carter a également indiqué que, prévoyant qu’au moins certaines des demandes du PGC seraient confirmées, les parties ont fixé des dates pour la présente demande afin de faciliter son arbitrage en temps opportun, de sorte que le procès puisse se dérouler comme prévu en septembre. Compte tenu de la nature des renseignements dont il faudrait discuter dans le cadre de cette demande, peu importe ce que je pourrais décider à ce stade, des dispositions ont été prises pour que le centre des instances désignées de la Cour fédérale soit utilisé pour l’audition de la demande fondée sur l’article 38.14. Toutes les mesures de soutien nécessaires seront également fournies au juge Maranger pendant qu’il y travaille.
[28] Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans l’arrêt Ahmad, l’intérêt public ne sera servi que « si le juge du procès peut exercer son pouvoir discrétionnaire dans l’instance criminelle en ayant une compréhension suffisante de la nature des renseignements non divulgués. Autrement dit, le caractère radical des mesures mentionnées à l’art. 38.14 nous amène à conclure que le législateur s’attendait à ce que le juge du procès se voie fournir suffisamment de renseignements pertinents pour être en mesure d’exercer judiciairement le pouvoir conféré par cette disposition et pour éviter, lorsque cela est possible (et opportun), l’effondrement de la poursuite »
(Ahmad, au para 33). Une façon pour le juge du procès d’obtenir de tels renseignements est une ordonnance de divulgation en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC. Comme il est expliqué dans l’arrêt Ahmad, « le juge de la Cour fédérale peut autoriser la divulgation partielle, ou assortie de certaines conditions, des renseignements au juge du procès, lui en fournir un résumé ou l’aviser que certains faits que l’accusé veut établir peuvent être tenus pour avérés pour les besoins du procès »
(au para 44). Une telle mesure peut être requise lorsque le juge du procès n’aurait pas autrement accès à suffisamment de renseignements pour évaluer l’incidence de la non‑divulgation sur le droit de l’accusé à un procès équitable (Ader c Canada (Procureur général), 2018 CAF 105 au para 38). Je suis convaincu que c’est le cas en l’espèce, du moins en ce qui concerne l’information en cause à ce stade‑ci.
[29] Ma suggestion (qui a été acceptée par les parties et les amici curiae) que la demande fondée sur l’article 38 soit évaluée par étapes a été motivée, du moins en partie, par la conviction que cela aiderait à statuer rapidement sur toute demande qui pourrait être présentée en vertu de l’article 38.14 de la LPC, en particulier une demande relative aux chefs d’accusation 5 à 8 de l’acte d’accusation. Dans cette optique, j’ai rédigé la présente ordonnance et les motifs de manière à ce que le juge du procès dispose des renseignements dont il a besoin pour s’acquitter de ses responsabilités au titre de l’article 38.14, tout en veillant à ce que ces renseignements continuent d’être protégés contre une divulgation plus large.
[30] Enfin, il convient de souligner que la question de savoir s’il sera nécessaire de trancher la troisième étape de la présente instance (décrite au paragraphe 8 ci‑dessus) dépend des décisions que le juge du procès peut rendre en vertu de l’article 38.14 de la LPC relativement aux chefs d’accusation 5 à 8 à la lumière de la présente ordonnance et des présents motifs.
III. LA STRUCTURE DES PRÉSENTS MOTIFS
[31] Comme je l’ai déjà dit, la présente ordonnance et ses motifs ne concernent que la première phase de la demande fondée sur l’article 38. Les renseignements en cause sont hautement classifiés. Certains de ces renseignements sont inclus dans le sommaire de la défense; d’autres se trouvent dans la preuve communiquée par le ministère public. Ma conclusion selon laquelle les demandes du PGC au sujet de ces renseignements devraient être confirmées a une incidence sur la mesure dans laquelle les présents motifs peuvent être rendus publics ou même mis à la disposition de M. Ortis et de son avocat. D’un autre côté, je suis convaincu que les renseignements en cause ainsi que mon analyse de ceux‑ci dans le cadre de la troisième étape du critère de l’arrêt Ribic devraient être mis à la disposition du juge du procès pour l’aider relativement à toute demande qui pourrait être présentée en vertu de l’article 38.14 de la LPC.
[32] Par conséquent, les présents motifs et la présente ordonnance comportent trois parties.
[33] Premièrement, le corps principal des motifs fournit le contexte général de la présente demande (y compris les accusations portées contre M. Ortis), traite du critère énoncé dans l’arrêt Ribic et explique dans une certaine mesure l’application de ce critère aux renseignements en cause à cette étape. À elle seule, cette partie des motifs n’est pas classifiée, bien qu’elle soit assujettie aux conditions énoncées ci‑dessous qui limitent la publication et l’accès du public à celle‑ci.
[34] Deuxièmement, l’annexe A énonce des motifs plus détaillés concernant l’application du critère de l’arrêt Ribic aux renseignements en cause dans la première étape. L’annexe A est classifiée. Je ne m’attends pas à ce qu’il soit utile de tenter de caviarder de façon chirurgicale les renseignements potentiellement préjudiciables figurant à l’annexe A afin qu’ils puissent être inclus dans les motifs publics sous forme caviardée. L’annexe A doit être incluse dans la version des présents motifs qui est fournie au PGC et aux amici curiae. Elle ne sera pas incluse dans la version fournie à M. Carter ou au SPPC.
[35] Troisièmement, l’annexe B contient une analyse classifiée des renseignements à cette étape qui vise à aider le juge du procès à l’égard de toute demande qui pourrait être présentée en vertu de l’article 38.14 de la LPC à la suite de mon ordonnance confirmant les demandes du PGC à l’égard de ces renseignements. Cette analyse vise à aider le juge du procès à évaluer l’incidence de l’ordonnance de non‑divulgation sur le droit de M. Ortis à un procès équitable. Par conséquent, conformément au paragraphe 38.06(2) de la LPC, j’autorise le greffe des instances désignées à mettre l’annexe B à la disposition du juge de première instance pour son usage dans le cadre de toute demande qui pourrait être présentée en vertu de l’article 38.14 de la LPC, et je lui ordonne de le faire. L’annexe B doit également être incluse dans la version des présents motifs fournie au PGC et aux amici curiae. Elle ne sera pas incluse dans la version fournie à M. Carter ou au SPPC.
[36] Enfin, le PGC a déposé à la Cour une version du sommaire de la défense avec caviardage transparent indiquant les demandes fondées sur l’article 38 à l’égard de ce document, mais non la justification de l’une ou l’autre des demandes. Au nom de M. Ortis, M. Carter ne s’oppose pas à ce que le juge du procès voie ce document; au contraire, il soutient qu’il est nécessaire que le juge du procès voie les renseignements en cause afin d’évaluer l’incidence d’une ordonnance confirmant les demandes du PGC sur l’équité du procès de M. Ortis. Bien que seulement quelques‑uns des passages caviardés dans le sommaire de la défense soient directement en cause à cette étape, je conviens que le document dans son ensemble aidera le juge du procès dans toute audience fondée sur l’article 38.14 de la LPC. Par conséquent, toujours en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC, j’autorise le greffe des instances désignées à mettre une copie de ce document à la disposition du juge du procès, aux avocats du SPPC et à l’avocat de M. Ortis pour leur usage dans le cadre de toute demande déposée au titre de l’article 38.14 de la LPC, et je lui ordonne de le faire. Il est entendu qu’il s’agit de la version du sommaire de la défense qui a également été caviardée à la demande de M. Carter afin de retirer certains renseignements qu’il (au nom de M. Ortis) n’a pas encore communiqués au SPPC. Je crois comprendre qu’aucun de ces renseignements caviardés ne concerne les chefs d’accusation 5 à 8.
IV. LA PROCÉDURE SUIVIE DANS LA PRÉSENTE DEMANDE
[37] Comme je l’ai déjà expliqué, le PGC a demandé à la Cour une ordonnance confirmant l’interdiction de divulgation de certains renseignements qui ont été caviardés dans la preuve du ministère public qui a été communiquée à M. Ortis, ainsi que des renseignements contenus dans le sommaire de la défense. Entre autres, le régime de l’article 38 prévoit que l’audience de la présente demande peut se dérouler en public, à huis clos ou par ces deux modes à la fois (paragraphe 38.11(1) de la LPC). Toute audience à huis clos a lieu dans l’installation sécurisée de la Cour fédérale et seules les personnes autorisées peuvent y assister.
[38] Le régime de l’article 38 de la LPC dispose que les parties qui sont autorisées à présenter des observations au sujet de la demande peuvent le faire en l’absence d’autres parties; effectivement, à la demande du PGC, la Cour doit lui donner la possibilité de présenter ses observations en l’absence d’autres parties (paragraphe 38.11(2) de la LPC). Les observations présentées en l’absence d’autres parties (par le PGC ou une autre partie) doivent être faites à huis clos (paragraphe 38.11(3) de la LPC).
[39] Les demandes supplémentaires du PGC à l’égard du sommaire de la défense ont été intégrées à la demande initiale en vertu de l’article 38.04 de la LPC et sont traitées en même temps que les demandes à l’égard de la preuve communiquée par le ministère public. Bien que cela ait quelque peu compliqué le travail du PGC et de la Cour, le fait de procéder de cette façon a fini par améliorer l’efficacité et la cohérence des décisions rendues par la Cour en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC. À cette étape, les objections à la divulgation de certains renseignements que M. Ortis souhaite fournir au procès devraient aussi contribuer grandement à réduire au minimum toute perturbation du procès en raison des préoccupations liées à l’article 38.
[40] Le PGC a déposé la présente demande le 21 juillet 2020. Après le traitement d’un certain nombre de questions préliminaires, le fond de la demande s’est déroulé ainsi :
Premièrement, une audience publique a eu lieu les 20 et 21 septembre 2021. Au cours de cette audience, le SPPC a présenté des éléments de preuve et des observations sur l’application du critère de l’arrêt Ribic. Les observations portaient principalement sur les accusations portées contre M. Ortis et sur la preuve que le ministère public entend présenter au procès. Le SPPC a déposé un mémoire des faits et du droit ainsi qu’un recueil des éléments de preuve que le ministère public a l’intention d’invoquer au procès. Cette présentation de la thèse du ministère public a fourni un contexte très utile pour l’évaluation finale par la Cour de la pertinence et de l’importance des renseignements caviardés. L’avocat de M. Ortis était présent durant cette partie de l’audience, mais n’a pas présenté d’observations. L’avocat du PGC et les amici curiae nommés étaient également présents, mais n’ont pas non plus présenté d’observations.
Deuxièmement, il y a eu une audience à huis clos au cours de laquelle l’avocat de M. Ortis a présenté des observations sur l’application du critère de l’arrêt Ribic aux renseignements caviardés dans le dossier de divulgation du ministère public. Les avocats du SPCC n’étaient pas présents durant cette partie de l’audience. Les avocats du PGC et les amici curiae étaient de nouveau présents, mais n’ont pas présenté d’observations.
Troisièmement, il y a eu une série d’audiences à huis clos au cours desquelles le PGC a présenté des éléments de preuve provenant de représentants de divers organismes, ministères et bureaux gouvernementaux à l’appui de l’allégation selon laquelle la divulgation des renseignements caviardés dans le dossier de divulgation du ministère public et le sommaire de la défense porterait atteinte aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. Plus précisément, des témoins ont témoigné au nom du Centre de la sécurité des télécommunications, du Service canadien du renseignement de sécurité, de la GRC, du ministère de la Défense nationale, d’Affaires mondiales Canada, de l’Agence des services frontaliers du Canada et du Bureau du Conseil privé. Les témoins ont été contre‑interrogés par les amici curiae. L’avocat de M. Ortis n’était pas présent à ces audiences, pas plus que les avocats du SPPC.
Quatrièmement, le PGC et les amici curiae ont fourni des observations écrites classifiées sur l’application du critère de l’arrêt Ribic aux renseignements en cause dans la première étape de la présente demande.
Cinquièmement, une audience à huis clos a eu lieu au cours de laquelle les avocats du SPPC ont expliqué leur position au sujet des renseignements précis en cause dans la première étape de la présente demande. Les avocats du SPPC ont également présenté de brèves observations écrites non classifiées. L’avocat de M. Ortis était présent pendant la majeure partie de l’audience, mais il a été prié de sortir vers la fin afin que les avocats du SPPC puissent traiter de certains renseignements dans la preuve du ministère public dont il n’est pas au courant en raison des passages caviardés en vertu de l’article 38. Avant qu’il soit prié de sortir, l’avocat de M. Ortis a présenté des observations en réplique sur les raisons pour lesquelles, à son avis, les renseignements qui ont été caviardés dans le sommaire de la défense sont essentiels au droit de M. Ortis de présenter une défense pleine et entière et pourquoi, dans la mesure où il comprend en quoi ils peuvent consister, les renseignements caviardés dans la preuve communiquée par le ministère public fournissent une corroboration nécessaire et essentielle pour la défense de M. Ortis aux chefs d’accusation 5 à 8. (À ce stade, M. Carter avait déjà communiqué des parties du sommaire de la défense aux avocats du SPPC.) Les avocats du PGC et les amici curiae étaient présents tout au long de l’audience.
Enfin, pendant que ce processus est toujours en cours, il est prévu que les avocats du PGC et les amici curiae fourniront des observations écrites détaillées sur l’application du critère de l’arrêt Ribic aux renseignements en cause dans la deuxième étape de la présente demande (se rapportant principalement aux chefs d’accusation 1 à 4), et ensuite aux renseignements en cause dans la troisième étape (au besoin, à la lumière de toute ordonnance qui pourrait être rendue par le juge du procès en vertu de l’article 38.14 de la LPC). La Cour entendra également les observations de vive voix des avocats du PGC et des amici curiae à ces deux égards, au besoin.
[41] J’aimerais ajouter une dernière remarque concernant la procédure suivie dans la présente demande. Toutes les parties et la Cour sont parfaitement au courant du droit de M. Ortis à un procès dans un délai raisonnable, comme le garantit l’alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Tous les efforts ont été déployés pour obtenir le règlement rapide des demandes fondées sur l’article 38 afin que, dans la mesure du possible, ces procédures ne perturbent pas le calendrier du procès.
V. LES ACCUSATIONS EN VERTU DE LA LOI SUR LA PROTECTION DE L’INFORMATION
[42] Étant donné que les éléments des infractions dont M. Ortis est accusé établissent le cadre dans lequel la pertinence et l’importance potentielle des renseignements en cause doivent être évaluées, il pourrait être utile d’établir ce cadre d’abord avant de passer au critère de l’arrêt Ribic lui‑même.
[43] L’article 16 de la LPI est ainsi libellé :
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[44] Dans la présente affaire, le ministère public soutient, entre autres choses, que M. Ortis s’est livré à une conduite qui constitue des actes préparatoires relativement à la perpétration d’une infraction prévue à l’article 16. Si cette conduite est prouvée, il s’agit d’une infraction prévue à l’article 22 de la LPI. Voici la partie pertinente de l’article 22 :
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[45] Comme il est indiqué ci‑dessus, l’article 16 de la LPI érige en infraction le fait, sans autorisation légitime, de communiquer des renseignements protégés à une entité étrangère ou à un groupe terroriste. En ce qui concerne les chefs d’accusation 5 à 8, le ministère public n’a pas précisé dans l’acte d’accusation s’il soutient que le destinataire visé des renseignements protégés était une entité étrangère, un groupe terroriste ou les deux. Toutefois, en réponse à une question de la Cour au sujet de la portée de la preuve que M. Ortis doit réfuter, les avocats du SPPC ont souligné qu’il n’y a aucune mention d’un groupe terroriste dans la preuve communiquée par le ministère public concernant les chefs d’accusation 5 à 8. Ce que j’en comprends, c’est que, malgré le fait que les chefs d’accusation 5 à 8 incluent l’article 16 de la LPI sans limitation, le ministère public soutient seulement que M. Ortis a commis des actes préparatoires en vue de la communication de renseignements protégés à une entité étrangère.
[46] Le terme « entité étrangère »
est défini au paragraphe 2(1) de la LPI de la manière suivante :
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[47] Le terme
« puissance étrangère »
, qui fait partie de la définition du terme
« entité étrangère »
, est défini en ces termes au paragraphe 2(1) de la LPI :
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[48] L’acte d’accusation ne précise pas l’entité étrangère à laquelle M. Ortis se serait apprêté à communiquer des renseignements protégés. Le ministère public soutient que, par conséquent, il n’est pas nécessaire qu’il prouve que M. Ortis s’apprêtait à communiquer des renseignements protégés à une entité étrangère en particulier; M. Ortis peut être déclaré coupable des chefs d’accusation 5 à 8, à condition que le jury soit convaincu hors de tout doute raisonnable que le destinataire visé était une entité étrangère. Quoi qu’il en soit, le ministère public soutient également que les éléments de preuve, y compris les listes de choses « à faire »
conservées par M. Ortis, ses notes manuscrites et les cartes professionnelles des représentants d’une entité étrangère que M. Ortis a recueillies, établissent que M. Ortis s’apprêtait à communiquer clandestinement des documents classifiés à une entité étrangère. D’après ce que je comprends de ces éléments de preuve, tout cela renvoie en grande partie, sinon entièrement, à une entité étrangère en particulier. J’en tiendrai compte dans les motifs publics ci‑dessous ainsi que dans les motifs classifiés.
[49] De plus, l’acte d’accusation ne précise pas si le ministère public prétend que M. Ortis s’apprêtait à commettre une infraction au sens du paragraphe 16(1) ou du paragraphe 16(2) de la LPI. Toutefois, selon le mémoire de la preuve déposé par le SPPC relativement à la présente demande, il semble que le ministère public se concentre sur la préparation alléguée de M. Ortis à la perpétration d’une infraction prévue au paragraphe 16(2). Comme il a été mentionné ci‑dessus, en l’espèce, les éléments essentiels de cette infraction sont :
la personne communique intentionnellement et sans autorisation légitime à une entité étrangère des renseignements pour lesquels le gouvernement du Canada prend des mesures de protection;
la personne croit que les renseignements sont des renseignements pour lesquels le gouvernement du Canada prend des mesures de protection ou ne se soucie pas de savoir si tel est le cas;
la communication porte atteinte aux intérêts canadiens.
[50] L’actus reus d’une infraction prévue au paragraphe 22(1) de la LPI est exceptionnellement large et englobe tout ce qu’une personne fait. La contrainte critique de ce vaste actus reus est la mens rea qui doit accompagner les actes de la personne (voir R c Legare, 2009 CSC 56 au para 35). En l’espèce, la mens rea applicable exige que les actes aient été commis « en vue »
de la perpétration de l’une des infractions énumérées. Dans la présente affaire, le ministère public doit établir que les actes de M. Ortis visaient à commettre une infraction prévue à l’article 16 de la LPI. Comme le dispose également le paragraphe 22(1), pour constituer des actes préparatoires au titre de cette disposition, les actes de M. Ortis doivent avoir été commis « en vue ou en préparation de la perpétration d’une infraction ».
[51] L’article 22 de la LPI crée une infraction préliminaire ou inchoative, c’est‑à‑dire « un crime préparatoire constitué d’actes, par ailleurs légaux, qui devraient mener à la perpétration d’un crime complet »
(Legare, au para 25, faisant référence à l’alinéa 172.1(1)c) du Code criminel, dont la structure est similaire). Il criminalise la conduite qui précède la perpétration des infractions auxquelles il fait référence.
[52] Il ne fait aucun doute que, dans le cas d’une telle infraction, l’intention de l’accusé doit être déterminée subjectivement. Il faut démontrer que l’accusé s’est livré à la conduite interdite dans l’intention précise de se préparer à commettre l’une des infractions énumérées. Pour adopter la décision de la Cour dans l’arrêt Legare, « [c]ette conclusion s’impose, non seulement en raison du sens ordinaire [du paragraphe 22(1)], mais aussi à cause de la jurisprudence relative à d’autres infractions préparatoires du Code criminel et de considérations de principe relatives à de telles infractions »
(au para 33). Dans l’arrêt Legare, la Cour a adopté l’observation suivante du professeur Andrew Ashworth, qui s’applique également en l’espèce : « les crimes inchoatifs constituent une extension de la sanction criminelle; plus une infraction est éloignée de la véritable infliction d’un préjudice, plus le degré de faute nécessaire pour justifier la criminalisation est élevé »
(Legare, au para 33, citant Andrew Ashworth, Principles of Criminal Law (6e éd. 2009), à la p 456).
[53] Comme pour les autres infractions inchoatives, la justification de la criminalisation de la conduite décrite au paragraphe 22(1) de la LPI se trouve dans la mens rea requise. C’est l’intention de commettre une ou plusieurs des infractions énumérées [traduction] « qui rend la conduite par ailleurs légitime de l’accusé suffisamment nuisible et potentiellement dangereuse pour justifier l’imposition d’une sanction pénale »
(R c Alicandro, 2009 ONCA 133 au para 21, faisant également référence à l’article 172.1 du Code criminel).
[54] Comme je l’ai déjà dit, il semble qu’une question centrale, sinon la question centrale, sera ce que M. Ortis avait l’intention de faire avec les renseignements protégés qui se rapportent aux chefs d’accusation 5 à 8. Les éléments de preuve à cet égard auront une incidence directe sur la capacité du ministère public de prouver ces infractions hors de tout doute raisonnable.
[55] Bien que le ministère public n’ait pas à prouver la perpétration de l’infraction sous‑jacente — en l’espèce, la communication de renseignements protégés à une entité étrangère — des éléments de preuve qui tendent à démontrer la présence ou l’absence d’un élément de cette infraction pourraient également être pertinents pour ce qui est de déterminer si le ministère public a établi les éléments requis d’une infraction prévue au paragraphe 22(1) de la LPI. Par exemple, pour des raisons de logique et de bon sens, des éléments de preuve soulevant un doute raisonnable quant à savoir si M. Ortis avait l’intention de communiquer des renseignements protégés à une entité étrangère pourraient également soulever un doute raisonnable quant à savoir s’il a fait quelque chose dans le but de commettre cette infraction. Autrement dit, les éléments de preuve tendant à démontrer que M. Ortis n’avait pas l’intention de communiquer des renseignements protégés à une entité étrangère pourraient également avoir tendance à démontrer qu’il ne se préparait pas à commettre cette infraction. Pour des raisons de logique et de bon sens, on ne peut pas dire que quelqu’un se préparait à faire quelque chose qu’il n’avait pas l’intention de faire.
[56] Je reviens à la question de la mens rea dans les motifs classifiés.
VI. LE CRITÈRE DE L’ARRÊT RIBIC EN GÉNÉRAL
[57] L’arrêt Ahmad a traité du « conflit potentiel entre deux obligations fondamentales de l’État dans notre système de gouvernement : premièrement, celle de protéger la société en empêchant la divulgation de renseignements susceptibles de constituer une menace pour les relations internationales ou pour la défense ou la sécurité nationales; deuxièmement, celle de poursuivre les individus accusés d’infractions à nos lois »
(Ahmad, au para 1). La décision ajoute qu’à l’article 38 de la LPC, « le législateur a reconnu qu’il peut à l’occasion devenir nécessaire de choisir entre ces objectifs, mais il a conçu un cadre détaillé pour tenter de les concilier lorsque la chose est possible »
(ibid.). Ainsi, le régime de l’article 38 a pour objet « la recherche du juste équilibre entre l’intérêt public en matière de secret d’État et l’intérêt public relatif à l’administration efficace d’un système de justice équitable »
(au para 41).
[58] Dans l’arrêt Ribic, la Cour d’appel fédérale a établi le critère en trois étapes applicable pour décider s’il y a lieu de confirmer ou non, au titre de l’article 38.06 de la LPI, l’interdiction de divulgation de renseignements sensibles ou, à titre subsidiaire, s’il y a lieu d’ordonner une forme ou une autre de divulgation. Ce critère a été appliqué de façon uniforme depuis lors dans les demandes fondées sur l’article 38 dans le cadre de procédures criminelles et civiles (voir, par exemple Canada (Procureur général) c Telbani, 2014 CF 1050 au para 22, et les affaires qui y sont citées; voir aussi Canada (Procureur général) c Huang, 2018 CAF 109 au para 1, et Canada (Procureur général) c Meng, 2020 CF 844 au para 39). Bien qu’elle n’ait pas commenté directement le critère de l’arrêt Ribic, la Cour suprême du Canada a souligné la souplesse du régime de l’article 38 et le « pouvoir discrétionnaire considérable »
qu’il confère aux juges désignés (Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 au para 77, et Ahmad au para 44).
[59] Le juge désigné qui entend une demande fondée sur l’article 38 doit d’abord déterminer si les renseignements en cause sont pertinents ou non à l’instance dans laquelle ils seront utilisés. Dans l’arrêt Ribic, dans lequel l’instance principale était une poursuite pénale, la Cour a expliqué que la pertinence devait être déterminée en fonction du « sens habituel et courant »
donné à ce terme dans l’arrêt R c Stinchcombe, [1991] 3 RCS 326 — en l’occurrence, la question de savoir si les renseignements, qu’il s’agisse d’éléments de preuve inculpatoires ou disculpatoires, pourraient raisonnablement être utiles pour la défense (Ribic au para 17). Cette conception large de la notion de renseignements pertinents en tant que renseignements potentiellement utiles à la partie à laquelle ils ont été refusés peut aisément être transposée à une instance civile par opposition à une poursuite criminelle. Je vais revenir ci‑dessous à la question de savoir ce que signifie le fait que les renseignements soient raisonnablement utiles à la défense dans le cadre d’une poursuite criminelle.
[60] C’est à la partie qui demande leur divulgation qu’il appartient de « prouver que les renseignements sont très probablement des éléments de preuve pertinents »
(Ribic, au para 17). Cela étant, le juge désigné ne saurait exiger une démonstration de la manière précise dont les renseignements visés pourraient être utilisés dans le cadre de l’instance sous‑jacente. Imposer à la partie qui demande la divulgation un fardeau initial aussi strict la placerait dans une situation sans issue (voir, dans un contexte semblable, R c McNeil, 2009 CSC 3 au para 33; voir aussi Dersch c Canada (Procureur général), [1990] 2 RCS 1505 aux p 1513‑1514; R c Garofoli, [1990] 2 RCS 1421 aux p 1463‑1464; Carey c Ontario, [1986] 2 RCS 637 à la p 678; R c Durette, [1994] 1 RCS 469 à la p 499; R c O’Connor, [1995] 4 RCS 411 à la p 438 (motifs du juge en chef Lamer et du juge Sopinka, dissidents quant au résultat, mais s’exprimant au nom de la majorité sur ce point), et R c Mills, [1999] 3 RCS 668 à la p 717). Il n’est pas rare — et il est compréhensible — que la partie qui demande la divulgation doive formuler des hypothèses quant à la nature des renseignements expurgés et qu’elle doive formuler ses observations de manière générale en fonction de l’utilité potentielle de certains types de renseignements, par opposition à l’utilité des renseignements précis dont la divulgation lui a été refusée et qu’elle n’a pas vus (voir, par exemple l’arrêt Meng, au para 77).
[61] Quoi qu’il en soit, la Cour d’appel fédérale a confirmé que le critère de la pertinence à cette étape est « sans aucun doute d’un seuil de faible niveau »
(Ribic, au para 17).
[62] Le juge désigné est bien placé pour évaluer la pertinence des renseignements caviardés. L’arrêt Ribic a précisé que cette étape « nécessitera en général, à cette fin, une inspection ou un examen des renseignements »
afin de déterminer s’ils sont pertinents ou non (au para 17). Il est pratique courante pour le PGC de déposer des versions classifiées des documents ou des renseignements en cause dans lesquelles les renseignements caviardés sont visibles au juge désigné dès le départ.
[63] Il suffit pour le juge désigné d’être convaincu que les renseignements expurgés ne sont pas pertinents pour pouvoir confirmer l’interdiction de leur divulgation. Si, en revanche, le juge désigné est convaincu de la pertinence des renseignements expurgés, il doit passer à la deuxième étape du critère.
[64] À la deuxième étape, le juge désigné doit juger si la divulgation des renseignements porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales. À cette étape, il incombe au PGC de démontrer qu’un préjudice découlerait de la divulgation. Pour ce faire, il doit démontrer que le préjudice allégué est une probabilité, et non simplement une possibilité (Canada (Procureur général) c Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens), 2007 CF 766 au para 49). Les arguments du PGC sur le préjudice éventuel doivent « repose[r] sur des faits établis par la preuve »
(Ribic, au para 18). Si la position du PGC est raisonnable, le juge désigné doit l’accepter et passer à la troisième étape du critère (Ribic, au para 19; voir aussi Huang, au para 13). Si, en revanche, le juge désigné n’est pas convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de conclure que le préjudice allégué découlerait de la divulgation, il peut alors autoriser la divulgation des renseignements question (paragraphe 38.06(1) de la LPI).
[65] À la troisième étape du critère, le juge désigné doit décider si les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation. Il existe, d’une part, des raisons d’intérêt public de s’assurer que justice soit rendue dans l’instance principale, qu’il s’agisse du droit à une défense pleine et entière à une accusation criminelle ou de celui d’obtenir une réparation concrète dans le cadre d’une instance civile. En revanche, il existe également des raisons d’intérêt public d’éviter le préjudice que pourrait causer la divulgation de renseignements sensibles, comme il est établi à la deuxième étape du critère. Le juge désigné doit soupeser et évaluer notamment l’importance d’éviter le préjudice que causerait la divulgation, les intérêts en jeu dans l’instance sous‑jacente, et l’importance que revêtent tous les renseignements expurgés aux yeux de la partie qui en demande la divulgation (Ribic, au para 22). Le juge désigné doit également se demander s’il existe des moyens de limiter le préjudice qui serait causé par la divulgation tout en permettant quand même leur communication en vue de leur utilisation dans le cadre de l’instance principale — par exemple en autorisant la présentation d’un résumé des renseignements (paragraphe 38.06(2) de la LPI).
[66] C’est à la partie qui demande la divulgation qu’il incombe de prouver que la balance de l’intérêt public penche en sa faveur. À la première étape, cette partie ne devrait pas être tenue de respecter une norme irréaliste étant donné qu’il est presque toujours vrai qu’elle n’a pas vu les renseignements en cause. Cela dit, les possibilités purement hypothétiques concernant l’utilité potentielle des renseignements ne justifient pas la divulgation de renseignements préjudiciables (Ader, au para 30).
[67] Si le juge désigné n’autorise pas la divulgation sous quelque forme que ce soit, il confirme l’interdiction de divulgation (paragraphe 38.06(3) de la LPC).
VII. LE CRITÈRE DE L’ARRÊT RIBIC ET LES POURSUITES CRIMINELLES
[68] Étant donné que le ministère public doit appliquer le critère de la pertinence énoncé dans l’arrêt Stinchcombe lorsqu’il communique des renseignements à l’accusé dans le cadre d’une poursuite criminelle, il sera rare que des renseignements caviardés dans la preuve communiquée par le ministère public ne passent pas la première étape du critère de l’arrêt Ribic, qui applique exactement le même critère. Néanmoins, il est important de préciser clairement ce que signifie le fait que les renseignements soient raisonnablement utiles à la défense, car cette idée est également à la base de la troisième étape du critère de l’arrêt Ribic. Après avoir examiné la notion de la pertinence dans le contexte de la communication de la preuve au criminel et dans la mesure où elle s’applique à la troisième étape du critère de l’arrêt Ribic, j’examinerai une formulation possible du critère servant à déterminer, en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC, si des raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public justifiant la non‑divulgation, à savoir si l’innocence est en jeu.
A. La pertinence et le droit d’obtenir la communication de la preuve du ministère public
[69] Le droit de l’accusé à la communication de la preuve par le ministère public fait partie intégrante du droit de présenter une défense pleine et entière à l’égard d’une accusation criminelle, « qui est lui un principe de justice fondamentale visé à l’art. 7 de la Charte »
(R c Carosella, [1997] 1 RCS 80 à la p 106). La non‑divulgation de renseignements pertinents par le ministère public « peut miner gravement le droit à une défense pleine et entière et risque fortement d’entraîner la déclaration de culpabilité d’un innocent »
(Mills, au para 70).
[70] L’arrêt Stinchcombe a confirmé que le ministère public a l’obligation légale de communiquer tous les renseignements pertinents en sa possession ou sous son contrôle à un accusé dans un procès criminel, dans la mesure où les documents ne sont pas privilégiés (Stinchcombe, aux p 338 à 340). Il a également confirmé que les décisions sur la communication de la preuve du ministère public peuvent faire l’objet d’un contrôle par le juge du procès. Ce contrôle des questions de pertinence ou de privilège est décrit en ces termes :
Le juge du procès qui effectue un contrôle doit se laisser guider par le principe général selon lequel il ne faut refuser de divulguer aucun renseignement s’il existe une possibilité raisonnable que la non‑divulgation porte atteinte au droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière, à moins que cette non‑divulgation ne se justifie par le droit au secret. Le juge du procès pourrait également, dans certaines circonstances, conclure que la reconnaissance de l’existence d’un droit au secret ne constitue pas une restriction raisonnable du droit constitutionnel de présenter une défense pleine et entière, et ainsi exiger la divulgation malgré le droit au secret.
(Stinchcombe, à la p 340)
[71] Dans l’arrêt R c Egger, [1993] 2 RCS 451, la Cour a réitéré les principes énoncés dans l’arrêt Stinchcombe, en déclarant que « le ministère public est tenu de communiquer à l’accusé tous les renseignements qui sont raisonnablement susceptibles d’avoir un effet sur sa capacité d’avoir une défense pleine et entière »
(à la p 466). L’obligation générale de divulgation du ministère public « est assujettie à un pouvoir discrétionnaire, dont la justification lui incombe, de retenir les renseignements qui, de toute évidence, ne sont pas pertinents ou dont la non‑divulgation est exigée par les règles en matière de privilège, ou de retarder la divulgation de renseignements lorsque cela est nécessaire pour protéger des témoins ou pour terminer une enquête »
(ibid.).
[72] L’arrêt Egger a également établi un critère plus précis pour déterminer la pertinence des renseignements en la possession du ministère public :
Une façon de mesurer la pertinence d’un renseignement dont dispose le ministère public est de déterminer son utilité pour la défense : s’il a une certaine utilité, il est pertinent et devrait être divulgué – [Stinchcombe,] précité, à la p. 345. Le juge qui effectue le contrôle doit déterminer si l’accusé peut raisonnablement utiliser la communication des renseignements pour réfuter la preuve et les arguments du ministère public, pour présenter un moyen de défense ou autrement pour parvenir à une décision susceptible d’avoir un effet sur le déroulement de la défense comme, par exemple, de présenter ou non une preuve.
(Egger, à la p 467)
[73] Entre les mains de la défense, les renseignements peuvent être utilisés pour réfuter la preuve du ministère public en soulevant un doute raisonnable au sujet des éléments de l’infraction reprochée ou en appuyant une défense affirmative. Ils peuvent le faire, notamment, en fournissant un fondement au contre‑interrogatoire des témoins du ministère public, en indiquant les moyens d’enquête que la défense peut explorer pour se préparer au procès, en permettant à la défense de prendre des décisions éclairées au sujet de la preuve à présenter au procès, et en corroborant la preuve à l’appui de la position de la défense au procès. Les renseignements peuvent également servir à appuyer des demandes de redressement judiciaire, comme l’exclusion d’éléments de preuve. La possibilité réelle de contester l’admissibilité des éléments de preuve, y compris l’accès aux renseignements nécessaires pour présenter une telle demande, est un élément essentiel du droit de présenter une défense pleine et entière (Dersch, aux p 1513‑1514), tout comme la possibilité de demander d’autres redressements judiciaires qui peuvent être appropriés et justes dans les circonstances, comme la suspension des procédures. Cette liste n’est pas exhaustive. La façon précise dont les renseignements seront utiles à la défense dans une affaire donnée dépendra des questions en litige au procès et de la nature des renseignements en question.
B. La pertinence et la troisième étape du critère de l’arrêt Ribic
[74] Le critère préliminaire fixé pour la divulgation dans le contexte d’un procès criminel est fort peu élevé (R c Dixon, [1998] 1 RCS 244 au para 21). Par conséquent, la portée de l’obligation de divulgation du ministère public est très vaste. Elle comprend « les documents qui peuvent n’avoir qu’une importance secondaire par rapport aux questions fondamentales en litige »
(Dixon, au para 23). Cela se reflète dans le seuil très faible appliqué à la première étape du critère de l’arrêt Ribic (Ribic, au para 17).
[75] Cependant, la troisième étape du critère de l’arrêt Ribic « requiert l’application d’un critère plus rigoureux que la règle habituelle de la pertinence des renseignements »
qui justifie l’obligation de divulgation du ministère public (Ribic, au para 22). À cette étape, la décision « ne doit pas être considérée comme se rapportant strictement à la question de savoir si elle se rapporte à un point qui a été plaidé, mais plutôt à son importance relative lorsqu’il s’agit de prouver la demande ou de se défendre »
(ibid.). En termes de droit pénal, cela exige une évaluation de l’importance des renseignements lorsqu’il s’agit de réfuter la preuve du ministère public, de faire valoir une défense ou de prendre une décision qui pourrait avoir une incidence sur la conduite de la défense, par exemple, une demande visant l’exclusion d’éléments de preuve ou un autre recours juridique — en bref, la valeur ou l’utilité des renseignements pour ce qui est de présenter une défense pleine et entière à l’accusation.
[76] Cette évaluation qualitative est guidée par des facteurs tels que l’importance pour la défense des faits établis par les renseignements; l’admissibilité des renseignements dans la procédure sous‑jacente; dans le cas où les renseignements seraient admissibles, leur valeur probante; et la question de savoir si les faits peuvent être établis par de l’information provenant d’une autre source qui ne soulève pas de préoccupations au titre de l’article 38 (Ribic, au para 22; voir aussi Ader, aux para 18‑26 et 28‑29, et Canada (Procureur général) c Ader, 2017 CF 838 au para 68). (Je note entre parenthèses que, bien que l’admissibilité des renseignements au procès ait été considérée comme un facteur pertinent par rapport à la troisième étape du critère de l’arrêt Ribic, c’est au juge du procès et non au juge désigné qu’il incombe de trancher cette question. De plus, à cet égard, le paragraphe 38.06(4) de la LPC dispose que des exceptions peuvent être apportées aux règles habituelles d’admissibilité pour permettre la présentation d’éléments de preuve communiqués en vertu du paragraphe 38.06(2).)
[77] À mon avis, la façon dont le juge désigné devrait évaluer l’importance des renseignements pour l’accusé dépend de la façon dont l’accusé pourrait les utiliser.
[78] Si les renseignements concernent un élément de l’infraction, le juge désigné devrait tenir compte de la valeur potentielle des renseignements pour ce qui est de soulever un doute raisonnable au sujet de cet élément. Un doute raisonnable est un doute fondé sur la raison et le bon sens, un doute qui est logiquement lié à la preuve ou à l’absence de preuve (R c Lifchus, [1997] 3 RCS 320 au para 36). Fait important, le juge des faits n’a pas besoin de croire la preuve à l’appui de la position de la défense pour qu’elle justifie un acquittement; tant que la preuve laisse un doute raisonnable au juge des faits, l’accusé doit être acquitté (R c W(D), [1991] 1 RCS 742 aux p 757‑758).
[79] Si les renseignements se rapportent à une défense affirmative qui est légalement accessible à l’accusé, le juge désigné devrait tenir compte de la valeur potentielle des renseignements pour ce qui est d’appuyer cette défense (voir, par exemple l’arrêt Ader, au para 28). De même, si les renseignements se rapportent à une éventuelle demande de redressement judiciaire, comme l’exclusion d’éléments de preuve ou la suspension de l’instance, le juge devrait tenir compte de la valeur potentielle des renseignements par rapport aux questions en jeu dans cette demande. Comme le juge désigné n’a peut‑être pas accès à tous les renseignements nécessaires, il devrait hésiter à se prononcer sur la viabilité ultime d’une défense affirmative ou d’une demande de redressement au procès. Cela dit, si, compte tenu de l’ensemble des renseignements mis à la disposition du juge désigné (y compris les renseignements caviardés), il semble que la valeur potentielle des renseignements en question ne soit que spéculative, cela ne suffira probablement pas à surmonter le moindre préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale.
[80] Fait important, même si l’accusé a certainement un intérêt privé important à obtenir la divulgation de renseignements qui l’aideront à se défendre contre une accusation criminelle, les facteurs susmentionnés font partie de ceux qui déterminent le poids des raisons d’intérêt public justifiant la divulgation. C’est parce que la protection du droit de présenter une défense pleine et entière et d’éviter les condamnations injustifiées est fondamentalement une question d’intérêt public également.
[81] De l’autre côté de la balance, il y a un autre intérêt public, soit celui d’éviter les préjudices qui seraient causés aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale par la divulgation des renseignements en question. Il s’agit aussi d’une évaluation qualitative. Certains préjudices aux intérêts protégés seront relativement mineurs, d’autres seront exceptionnellement graves, et d’autres tomberont quelque part entre les deux catégories. La question déterminante à la troisième étape consiste à déterminer si, après avoir soupesé les intérêts divergents en jeu, les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public justifiant la non‑divulgation. Bien que ce soit le juge qui préside le procès criminel qui ait la responsabilité ultime de veiller à l’équité de la procédure, le juge désigné qui entend une demande fondée sur l’article 38 doit également tenir compte de cet aspect dans l’exercice d’équilibre. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ribic, le juge désigné « a été charg[é] de la difficile tâche consistant à soupeser les intérêts publics rivaux que sont ici la protection de renseignements sensibles et la protection des droits constitutionnels d’un accusé à une défense pleine et entière et à un procès équitable »
(au para 13).
C. Le critère de l’innocence en jeu
[82] Un point de discorde important en l’espèce — particulièrement entre les avocats du SPPC et l’avocat de M. Ortis — est le rôle, le cas échéant, de la notion de l’innocence en jeu dans la troisième étape du critère de l’arrêt Ribic.
[83] Si j’ai bien compris leur position principale, les avocats du SPPC soutiennent qu’il ne faut pas ordonner la divulgation de renseignements pertinents dans le cadre d’une instance criminelle si cela portait préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale, à moins que l’innocence ne soit en jeu — autrement dit, à moins que les renseignements ne soient nécessaires pour établir l’innocence de l’accusé.
[84] Par ailleurs, l’avocat de M. Ortis soutient qu’une notion élaborée dans le contexte des privilèges génériques ne devrait pas être appliquée à l’exercice de pondération au cas par cas inhérent à la troisième étape du critère de l’arrêt Ribic. Il soutient que l’innocence en jeu ne devrait pas être une condition nécessaire à la divulgation de renseignements. La troisième étape consiste essentiellement à établir un équilibre, et les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation peuvent l’emporter sur les raisons d’intérêt public justifiant la non‑divulgation, même s’il n’a pas été démontré que l’innocence est en jeu, au sens strict qui constituerait une exception à un privilège générique.
[85] Je commencerai par faire remarquer que les tentatives précédentes d’appliquer le critère de l’innocence en jeu au critère de divulgation prévu au paragraphe 38.06(2) de la LPC n’ont pas connu beaucoup de succès. Dans la décision Ribic c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 10 (CanLII) (Ribic CF), le PGC a fait valoir que « le critère à appliquer aux fins de la mise en équilibre des intérêts opposés est le [traduction] “critère de l’innocence en jeu”; selon ce critère, le demandeur doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements protégés démontrent un fait crucial pour la défense dans l’instance criminelle »
(au para 21). Le juge désigné, le juge Blanchard, a rejeté cette approche, en concluant ce qui suit :
Le paragraphe 38.06(2) de la Loi ne précise pas le critère ou les facteurs à prendre en considération lorsqu’il s’agit de soupeser les intérêts opposés; de plus, la Loi n’envisage pas un manque d’équilibre évident entre les raisons d’intérêt public relatives à la sécurité nationale et les raisons d’intérêt public relatives à l’administration de la justice. Je suis d’avis que la Cour peut tenir compte de différents facteurs en soupesant les diverses raisons d’intérêt public. L’étendue des facteurs peut bien varier d’un cas à l’autre.
(Ribic CF, au para 22)
[86] En appel, le PGC a réitéré l’argument selon lequel le critère strict de l’innocence en jeu devrait être appliqué. Écrivant au nom de la Cour, le juge d’appel Létourneau a conclu que, bien qu’il serait enclin « à appliquer ce critère, du moins en ce qui concerne les aspects intéressant la sécurité nationale ou la défense nationale »,
il n’était pas nécessaire dans cette affaire de déterminer si le critère de l’innocence en jeu devrait s’appliquer (Ribic, au para 27).
[87] Plus récemment, cependant, dans l’arrêt Ader, la Cour d’appel fédérale a cité avec approbation le paragraphe de l’arrêt Ribic CF dans lequel le juge Blanchard a refusé d’adopter le critère de l’innocence en jeu. La Cour a expressément confirmé que les facteurs à prendre en considération à la troisième étape du critère énoncé dans l’arrêt Ribic « varient selon les circonstances »
(Ader, au para 25). La Cour a également souligné que les normes de divulgation diffèrent en matière civile et en matière pénale et qu’il ne faut pas les confondre en appliquant la norme civile plus rigoureuse aux affaires criminelles (Ader, au para 26).
[88] Bien entendu, dans un cas donné, l’innocence peut être un facteur pertinent — voire très pertinent — quant à la troisième étape du critère de l’arrêt Ribic. Cependant, je suis d’accord avec l’avocat de M. Ortis pour dire qu’il faut faire preuve de prudence lorsqu’on applique une notion élaborée dans le contexte des privilèges génériques au genre de décision au cas par cas qui est inhérente à la troisième partie du critère de l’arrêt Ribic. Je conviens également que cette notion ne devrait pas être établie comme une norme à respecter dans tous les cas dans lesquels la divulgation de renseignements préjudiciables est demandée.
[89] L’innocence en jeu constitue une exception aux privilèges génériques que la Cour suprême du Canada a décrits comme étant quasi absolus, à savoir le privilège relatif aux indicateurs et le secret professionnel de l’avocat (R c Barros, 2011 CSC 51 au para 1, et Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23 aux paras 53‑54). Le privilège du secret professionnel de l’avocat « devrait être levé seulement si des questions fondamentales touchant la culpabilité ou l’innocence de l’accusé sont en cause ou s’il y a un risque véritable qu’une déclaration de culpabilité injustifiée soit prononcée »
(R c McClure, 2001 CSC 14 au para 47). Le même principe s’applique lorsque le privilège de l’indicateur est en cause (R c Leipert, [1997] 1 RCS 281 au para 20). Le critère pour établir cette exception unique est rigoureux (McClure, au para 5). La levée du privilège « est censée constituer une rare exception et n’être utilisée qu’en dernier recours »
(R c Brown, 2002 CSC 32 au para 3). Par ailleurs, rien ne permet de croire que la protection de tous les renseignements dont la divulgation porterait atteinte aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale est presque absolue au même titre que le privilège de l’indicateur ou le privilège du secret professionnel de l’avocat. Au contraire, la troisième étape du critère énoncé dans l’arrêt Ribic consiste en un exercice de pondération qui ne fait manifestement pas partie du règlement des demandes selon lesquelles les renseignements sont protégés par le secret professionnel de l’avocat ou le privilège de l’indicateur (McClure, au para 35, et Leipert, aux para 12‑14; voir aussi l’arrêt Canada (Procureur général) c Khawaja, 2007 CF 490 aux para 76‑84).
[90] L’exception relative à l’innocence en jeu vise à prévenir le risque d’une condamnation injustifiée (Brown, aux para 2‑3, et R c Durham Regional Crime Stoppers Inc, 2017 CSC 45 au para 14). Dans notre système de droit, « le droit d’une personne accusée de démontrer son innocence en faisant naître un doute raisonnable au sujet de sa culpabilité a toujours primé »
(R c Scott, [1990] 3 RCS 979 aux p 995‑996). Si les renseignements peuvent soulever un doute raisonnable au sujet de la culpabilité de l’accusé, cela constituera une indication convaincante de l’importance des renseignements non seulement pour l’accusé, mais aussi pour la bonne administration de la justice. Mais ce n’est pas tout ce qui est nécessaire pour établir l’application de l’exception relative à l’innocence en jeu à l’égard d’un privilège générique. Les renseignements doivent également être nécessaires pour que l’accusé soulève un doute raisonnable, en ce sens qu’ils « ne peuvent pas être obtenus ailleurs et [que l’accusé] est incapable de susciter de quelque autre façon un doute raisonnable quant à sa culpabilité »
(Brown, au para 4). Je ne suis pas convaincu que cette exigence supplémentaire en particulier devrait être appliquée à titre de norme qu’un accusé doit respecter pour réfuter une demande présentée sous le régime de l’article 38, par opposition à un facteur pertinent qui peut être soulevé dans une affaire donnée. Le fait d’imposer cette exigence dans toutes les affaires transformerait une décision au cas par cas en ce qui serait, en fait, un nouveau privilège générique. De plus, la procédure permettant de déterminer si l’accusé peut soulever un doute raisonnable d’une autre manière suggérée relativement aux privilèges génériques (évaluer comment les choses se présentent à l’accusé une fois que le ministère public a terminé sa preuve et, au besoin, une autre fois après que la défense a présenté tous les éléments de preuve à sa disposition sans toucher au privilège) est manifestement inapplicable dans le contexte de l’article 38 (voir l’arrêt Brown, aux para 52‑55 pour une analyse du moment de la présentation d’une demande concernant « l’innocence en jeu »
afin de lever le privilège du secret professionnel de l’avocat).
[91] De plus, il ne faut pas oublier que les renseignements préjudiciables peuvent aider l’accusé d’autres façons sans nécessairement porter directement sur les « questions fondamentales »
liées à la culpabilité de l’accusé. Comme il en a été question ci‑dessus, des renseignements préjudiciables pourraient, par exemple, appuyer un argument en faveur de l’exclusion d’éléments de preuve obtenus en violation de la Charte ou un argument en faveur d’un autre redressement judiciaire qui ne touche pas directement le bien‑fondé de l’accusation ou l’innocence de l’accusé, mais qui fait quand même partie intégrante du droit à une défense pleine et entière. Bref, l’innocence en jeu ne devrait pas être considérée comme une condition nécessaire à la divulgation de renseignements préjudiciables en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC.
[92] Quoi qu’il en soit, à mon avis, même si des renseignements caviardés mettent en jeu l’innocence, cela pourrait ne pas suffire à justifier leur divulgation si cette divulgation porte préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. Tout dépend de la gravité du préjudice que causerait la divulgation. Dans un cas donné, le préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale pourrait être si profond qu’il justifierait le refus de divulguer des renseignements à un accusé, même dans des circonstances où l’innocence est en jeu. Il en va de même pour des renseignements qui, d’une autre façon, sont essentiels à la capacité de l’accusé de présenter une défense pleine et entière, même si ces renseignements ne satisfont pas le critère strict de l’innocence en jeu.
[93] Il s’agit d’une perspective troublante. La confirmation d’une interdiction de divulgation de renseignements qui sont nécessaires pour démontrer l’innocence de l’accusé ou, de façon plus générale, qui sont nécessaires pour que l’accusé puisse présenter une défense pleine et entière soulève un risque grave d’erreur judiciaire dans l’instance criminelle sous‑jacente. Toutefois, comme il est énoncé dans l’arrêt Ahmad, lorsque le conflit entre la nécessité d’empêcher la divulgation de renseignements préjudiciables et le droit à un procès équitable est irréconciliable, « il ne saurait être question de tolérer un procès inéquitable. Suivant la primauté du droit, le droit de l’accusé à une défense pleine et entière ne peut pas être compromis »
(Ahmad, au para 2).
[94] La protection ultime contre une telle erreur judiciaire ne relève pas de la Cour, mais plutôt des pouvoirs de redressement du juge du procès en application de l’article 38.14 de la LPC et du paragraphe 24(1) de la Charte (Ahmad, aux para 32 et 65; voir aussi Ader, au para 35). Néanmoins, la Cour a la responsabilité importante de soupeser le droit à un procès équitable pour déterminer si les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public justifiant la non‑divulgation. Lorsque le processus de pondération entraîne la non‑divulgation de renseignements, la Cour a également une importante responsabilité de veiller à ce que le juge du procès dispose de suffisamment de renseignements pour déterminer quel redressement, le cas échéant, est nécessaire pour faire en sorte que le procès soit fondamentalement équitable (Ahmad, au para 45; voir aussi Ader, aux para 33‑39).
VIII. APPLICATION DU CRITÈRE DE L’ARRÊT RIBIC
[95] Compte tenu de la nature des renseignements en cause à cette étape, les présents motifs publics doivent être en grande partie péremptoires. Une explication plus détaillée des motifs pour lesquels j’ai conclu qu’aucun de ces renseignements ne peut être divulgué figure à l’annexe A, qui est classifiée.
[96] Premièrement, il n’est pas contesté que les renseignements en cause à cette étape satisfont au critère de la pertinence aux fins de la première étape du critère de l’arrêt Ribic.
[97] Deuxièmement, pour les motifs énoncés à l’annexe A, je suis convaincu que la divulgation des renseignements en cause porterait un préjudice exceptionnellement grave à la sécurité nationale du Canada à cette étape.
[98] Troisièmement, également pour les motifs énoncés dans l’annexe classifiée, je suis convaincu que les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public justifiant la divulgation des renseignements en cause à cette étape. J’en arrive à cette conclusion malgré le fait que j’estime que les renseignements sont d’une importance capitale pour permettre à M. Ortis de présenter une défense pleine et entière aux chefs d’accusation 5 à 8. Plus particulièrement, cette preuve est très probante de la mens rea de M. Ortis et peut soulever un doute raisonnable au sujet de sa culpabilité à l’égard de ces chefs d’accusation. Bien qu’il ne m’appartienne pas de dire avec certitude que M. Ortis n’a pas d’autre moyen de soulever un doute raisonnable sur ces chefs d’accusation, je suis convaincu qu’il n’a aucun moyen de soulever un doute raisonnable au moyen de renseignements qui sont aussi probants de son intention criminelle que les renseignements en cause en l’espèce. Malgré cela, le préjudice à la sécurité nationale qui serait causé par la divulgation de ces renseignements est si grave que les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public justifiant la divulgation.
IX. CONCLUSION
[99] Pour les motifs énoncés précédemment, je confirme les demandes du procureur général du Canada à l’égard des renseignements en cause à cette étape de l’instance fondée sur l’article 38. Les renseignements précis en cause sont décrits à l’annexe A.
[100] Enfin, pour les motifs exposés dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ortis, 2021 CF 737, les présents motifs ne doivent pas être publiés dans un document, ni diffusés ou transmis de quelque façon que ce soit avant la conclusion du procès criminel de Cameron Jay Ortis devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Pour les mêmes motifs, sous réserve d’une autre ordonnance de la Cour, le greffe ne doit pas mettre la présente ordonnance et les présents motifs à la disposition du public avant la conclusion du procès criminel de Cameron Jay Ortis devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
ORDONNANCE dans le dossier DES‑5‑20
LA COUR ORDONNE ce qui suit :
Les demandes du procureur général du Canada concernant l’interdiction de divulgation fondée sur l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada à l’égard des renseignements décrits à l’annexe A de la présente ordonnance et des présents motifs sont confirmées.
Une copie de l’annexe A doit être mise à la disposition des avocats du procureur général du Canada et des amici curiae.
Une copie de l’annexe A ne doit pas être mise à la disposition de M. Ortis ou de son avocat ou des avocats du Service des poursuites pénales du Canada.
Le greffe désigné de la procédure est autorisé, en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC, à mettre une copie de l’annexe B de la présente ordonnance et des motifs à la disposition de l’honorable juge Maranger.
L’annexe B doit également être mise à la disposition des avocats du procureur général du Canada et des amici curiae.
L’annexe B ne doit pas être mise à la disposition de M. Ortis ou de son avocat ou de l’avocat du Service des poursuites pénales du Canada.
Conformément au paragraphe 38.06(2) de la LPC, le greffe des instances désignées est autorisé à mettre à la disposition de l’honorable juge Maranger, de l’avocat de M. Ortis et des avocats du Service des poursuites pénales du Canada une copie du sommaire de la défense, décrit plus particulièrement au paragraphe 36 de la présente ordonnance et des présents motifs, et il lui est ordonné de le faire.
Les présents motifs ne doivent pas être publiés dans un document, ni diffusés ou transmis de quelque façon que ce soit avant la conclusion du procès criminel de Cameron Jay Ortis devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
Il est entendu que la condition qui précède ne s’applique pas au dépôt des présents motifs, en tout ou en partie, à la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
Sous réserve d’une autre ordonnance de la Cour, le greffe ne doit pas mettre la présente ordonnance et les présents motifs à la disposition du public avant la conclusion du procès criminel de Cameron Jay Ortis devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
« John Norris »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
DES‑5‑20
|
INTITULÉ :
|
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c CAMERON JAY ORTIS ET AL
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
OTTAWA (ONTARIO)
|
DATES DES AUDIENCES PUBLIQUES :
|
LES 20 ET 21 SEPTEMBRE 2021
|
DATES DES AUDIENCES Ex parte À HUIS CLOS :
|
LES 4, 5, 6 ET 21 OctobRE 2021
LES 2 ET 3 NovembRE 2021
Le 1ER ET Les 2, 3 et 13 Décembre 2021
LES 20 et 21 janvier 2022
|
ORDONNANCE ET MOTIFS :
|
le juge NORRIS
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 8 février 2022
|
DATE DES MOTIFS MODIFIÉS :
|
LE 9 février 2022
|
COMPARUTIONS :
Andre Seguin
Elizabeth Richards
Nicole Jedlinski
Jacques‑Michel Cyr
Derek Rasmussen
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Ian Carter
|
POUR LE DÉFENDEUR, CAMERON JAY ORTIS
|
John MacFarlane
Judy Kliewer
|
POUR LA DÉFENDERESSE, LA DIRECTRICE DES POURSUITES PÉNALES
|
Christine Mainville
Howard Krongold
|
AMICI CURIAE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Bayne, Sellar, Ertel, Carter
Ottawa (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR, CAMERON JAY ORTIS
|
Service des poursuites pénales du Canada
Ottawa (Ontario)
|
POUR LA DÉFENDERESSE, LA DIRECTRICE DES POURSUITES PÉNALES
|
Christine Mainville
Toronto (Ontario)
|
AMICUs CURIAE
|
Howard Krongold
Ottawa (Ontario)
|
AMICUs CURIAE
|