Référence : 2023 CF 1516
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[TRADUCTION FRANÇAISE] |
ENTRE :
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MOHAMMADREZA KIYAN MANESH
DELSA KIYAN MANESH
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION
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JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] La demanderesse, Maryam Taghdiri, sollicite le contrôle judiciaire, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR], du rejet de sa demande de permis d’études au Canada. Son époux et son enfant avaient demandé un permis de travail et un visa de visiteur, respectivement, dont l’issue était tributaire de l’issue de la demande de permis d’études de la demanderesse. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie à l’égard de tous les demandeurs, pour les motifs suivants.
[2] La demanderesse, une citoyenne de l’Iran âgée de 39 ans, a demandé un permis d’études pour s’inscrire à la maîtrise en santé publique offerte à l’Université de la Saskatchewan. L’agent des visas (l’agent
) a rejeté sa demande, ce qui a entraîné le rejet des demandes présentées par les membres de sa famille.
[3] La demanderesse a obtenu un baccalauréat ès sciences en biologie moléculaire et cellulaire de l’Université islamique Azad à Karaj en 2006 ainsi qu’une maîtrise ès sciences en immunologie clinique de l’Université des sciences médicales de Jundishapur à Ahvaz en 2013.
[4] Pour ce qui est des antécédents professionnels de la demanderesse, celle‑ci travaille comme assistante de recherche au sein du département d’immunologie du Razi Vaccine and Serum Research Institute depuis 2015 (l’employeur
), où elle gère les opérations de laboratoire et enseigne les techniques d’immunologie. Auparavant, la demanderesse a fait fonction d’analyste microbienne de 2006 à 2015. En outre, la demanderesse a donné des cours d’immunologie et de biologie et elle est l’auteure de plusieurs publications en matière de recherche sur les vaccins. Dans le cadre de son perfectionnement professionnel, elle a assisté à bon nombre de conférences et de colloques internationaux.
[5] Le 24 mars 2022, la demanderesse a été admise à la maîtrise en santé publique de l’Université de la Saskatchewan à Saskatoon, en Saskatchewan. Le ou vers le 4 juillet 2022, la demanderesse a présenté une demande de permis d’études à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).
[6] Dans une lettre datée du 19 août 2022, l’agent a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse en raison notamment de ses liens familiaux insuffisants à l’extérieur du Canada, qui l’ont amené à croire que la demanderesse ne quitterait pas le Canada à la fin de son programme d’études.
[7] Dans ses notes, l’agent a énuméré plusieurs motifs de refus qui expliquaient pourquoi la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. Outre l’absence de liens familiaux importants à l’extérieur du Canada, l’agent a mis en doute la logique du plan d’études de la demanderesse parce qu’il ressemblait à ses antécédents scolaires et professionnels. L’analyse qu’a faite l’agent de la demande présentée par la demanderesse principale figure dans les notes versées au Système mondial de gestion des cas (le SMGC) et est ainsi rédigée :
[traduction]
J’ai examiné la demande. J’ai tenu compte des facteurs suivants pour rendre ma décision. La demandeure principale est une ressortissante iranienne de 38 ans. En ce qui concerne le but de la visite, la demandeure principale présente une demande d’admission à un programme de maîtrise en santé publique à l’Université de la Saskatchewan. Ses études passées sont du même niveau que celles envisagées au Canada. La demandeure principale a obtenu une maîtrise ès sciences en immunologie clinique. Elle travaille actuellement comme assistante de recherche au sein du département d’immunologie. Étant donné que les études et l’expérience de travail antérieures de la demandeure sont dans le même domaine, je ne suis pas convaincu qu’elle ne profite pas déjà des avantages de ce programme. Rien dans les études ou les emplois antérieurs de la demandeure principale n’indique que le programme envisagé constitue une progression nécessaire dans son cheminement scolaire ou professionnel. Je ne suis pas convaincu que la demandeure quittera le Canada à la fin de son séjour à titre de résidente temporaire. Je note qu’elle sera accompagnée de son conjoint et de leur enfant à charge. Comme il est prévu que la famille immédiate de la demandeure l’accompagne au Canada, les liens avec le pays d’origine sont affaiblis puisque la motivation de la demandeure à retourner dans son pays d’origine diminuera en raison de la présence de sa famille immédiate au Canada. Après avoir soupesé les facteurs de la présente demande, je ne suis pas convaincu que la demandeure quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable. Pour les motifs mentionnés précédemment, je rejette la demande.
J’ai examiné la demande. J’ai tenu compte des facteurs suivants pour rendre ma décision. Le client sollicite l’entrée au Canada pour accompagner un membre de sa famille qui demande un permis d’études. Le permis d’études du membre de la famille a été refusé. Après avoir soupesé les facteurs de la présente demande, je ne suis pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable. Pour les motifs mentionnés précédemment, je rejette la demande.
II. Les questions en litige et la norme de contrôle
[8] La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions principales :
A. La décision de l’agent était‑elle déraisonnable?
B. Y a‑t‑il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?
[9] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable consiste en une évaluation empreinte de déférence et rigoureuse qui vise à établir si une décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 12-13 et 15; Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 aux para 8, 63.
[10] J’ai commencé par lire les motifs du décideur en corrélation avec le dossier dont il disposait et je les ai interprétés de façon globale et contextuelle. Conformément à l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 83, 84 et 87, en tant que juge de la cour de révision, je me suis concentrée sur le raisonnement suivi par le décideur. Je ne me suis pas demandé si la décision du décideur était correcte ni quelle décision j’aurais rendue si je devais trancher moi‑même l’affaire : Vavilov, au para 83; Canada (Justice) c DV, 2022 CAF 181, aux para 15, 23.
[11] Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti : Vavilov, en particulier aux para 85, 91‑97, 103, 105, 106 et 194; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 RCS 900 aux para 2, 28‑33, 61; Mason, aux para 8, 59‑61, 66. Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle comporte des lacunes qui sont suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Ce ne sont pas toutes les erreurs relevées dans une décision ni toutes les réserves qu’elle suscite qui justifieront une intervention.
[12] La question relative à l’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée) aux para 37‑56; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35). La cour appelée à statuer sur une question d’équité procédurale doit essentiellement se demander si la procédure était équitable compte tenu de toutes les circonstances, y compris les facteurs énumérés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 aux para 21‑28 (Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 54).
III. Aperçu du droit applicable
[13] Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes en l’espèce :
72 (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est, sous réserve de l’article 86.1, subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.
Application
(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :
a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées;
b) elle doit être signifiée à l’autre partie puis déposée au greffe de la Cour fédérale — la Cour — dans les quinze ou soixante jours, selon que la mesure attaquée a été rendue au Canada ou non, suivant, sous réserve de l’alinéa 169f), la date où le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance;
c) le délai peut toutefois être prorogé, pour motifs valables, par un juge de la Cour;
d) il est statué sur la demande à bref délai et selon la procédure sommaire et, sauf autorisation d’un juge de la Cour, sans comparution en personne;
e) le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d’appel.
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Application for judicial review
72 (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is, subject to section 86.1, commenced by making an application for leave to the Court.
(2) The following provisions govern an application under subsection (1):
(a) the application may not be made until any right of appeal that may be provided by this Act is exhausted;
(b) subject to paragraph 169(f), notice of the application shall be served on the other party and the application shall be filed in the Registry of the Federal Court (“the Court”) within 15 days, in the case of a matter arising in Canada, or within 60 days, in the case of a matter arising outside Canada, after the day on which the applicant is notified of or otherwise becomes aware of the matter;
(c) a judge of the Court may, for special reasons, allow an extended time for filing and serving the application or notice;
(d) a judge of the Court shall dispose of the application without delay and in a summary way and, unless a judge of the Court directs otherwise, without personal appearance; and
(e) no appeal lies from the decision of the Court with respect to the application or with respect to an interlocutory judgment. |
[14] Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR] sont également pertinentes en l’espèce :
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IV. Analyse
A. La décision de l’agent était‑elle déraisonnable?
[15] Dans une demande de permis d’études, le demandeur doit établir qu’il satisfait aux exigences de la LIPR et du RIPR. Les agents des visas disposent d’un grand pouvoir discrétionnaire dans leur évaluation de la demande, et la Cour devrait faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision d’un agent, compte tenu du niveau d’expertise qu’il apporte à ces questions. Il incombe au demandeur qui souhaite entrer temporairement au Canada d’établir qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée demandée et d’en convaincre l’agent des visas.
[16] En outre, dans l’appréciation du caractère raisonnable de la décision, la Cour reconnaît que le volume élevé de décisions relatives aux visas et les conséquences limitées d’un refus sont tels qu’il n’est pas nécessaire de fournir des motifs détaillés : Vavilov, aux para 88, 91; Lingepo, au para 13; Yuzer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 781 aux para 9, 16; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1298 aux para 19‑20. Néanmoins, les motifs fournis par l’agent doivent, lorsqu’ils sont lus dans le contexte du dossier, bien expliquer et justifier pourquoi la demande a été rejetée : Yuzer, aux para 9, 20; Hashemi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1562 [Hashemi] au para 35; Vavilov, aux para 86, 93‑98.
V. Liens familiaux
[17] Les agents des visas « doivent évaluer la solidité des liens qui unissent le demandeur à son pays d’origine ou qui l’attirent vers ce dernier par rapport aux mesures incitatives, économiques ou d’autre nature, qui pourraient inciter l’étranger à dépasser la durée permise »
: Hashemi, au para 19; Rivaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 198 [Rivaz] aux para 21‑22; Ali c Canada (MCI), 2023 CF 608 [Ali] aux paras 9‑11; Zeinali, au para 20; Hassanpour, au para 19; Nesarzadeh, aux para 16‑18; Hassani, au para 20; Chhetri, au para 14. J’admets que le fait de voyager au Canada avec son époux et son enfant pourrait affaiblir les liens d’une personne avec son pays d’origine. Toutefois, l’agent devrait proposer une analyse de la façon dont le fait de profiter des programmes de visas conçus pour permettre aux étudiants d’être accompagnés par les membres de leur famille immédiate contribuerait vraisemblablement à une prolongation illégale du séjour. Rien dans le dossier ne donne à penser que la demanderesse n’est pas une personne respectueuse de la loi et que cela pourrait raisonnablement changer parce que sa famille l’accompagnerait.
[18] La simple existence de liens familiaux au Canada n’est pas une raison suffisante en soi pour rejeter une demande de permis d’études. La présence d’un membre de la famille au Canada peut être un facteur défavorable ou, lorsque le membre de la famille est disposé à procurer un soutien financier au demandeur, un facteur favorable : Rivaz, au para 21; Mouivand, au para 13. En l’espèce, l’époux de la demanderesse avait l’intention de travailler au Canada. Je ne me prononce pas sur la question de savoir s’il s’agit d’une preuve favorable de soutien financier ou d’un facteur « d’attraction »
potentiellement défavorable. L’agent devait se livrer à cette analyse, mais il ne l’a pas fait en l’espèce.
[19] De plus, il y avait des éléments de preuve contradictoires sur les liens familiaux que l’agent n’a pas analysés, dont les membres de la famille qui se trouvent en Iran (les parents ainsi que les frères et sœurs de la demanderesse et de son époux). En n’examinant aucunement la preuve contradictoire, l’agent a rendu une décision arbitraire (Seyedsalehi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1250).
[20] Dans sa plaidoirie, l’avocate du défendeur a invoqué la décision Moosavi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1037 pour affirmer qu’étant donné que la demanderesse vivait avec son conjoint et leur enfant, et non avec ses parents ou sa fratrie, l’agent était en droit de conclure que la demanderesse avait de faibles liens familiaux en Iran. L’agent disposait d’éléments de preuve qui démontraient que la demanderesse entretient des liens étroits avec les autres membres de la famille. La Cour ne peut pas remplacer les hypothèses de l’avocate quant aux liens avec les autres membres de la famille par ce que l’agent aurait pu avoir eu en tête ou non. Dans la décision Moosavi, le décideur avait examiné la preuve relative aux parents et à la fratrie, et il est difficile de savoir si des éléments de preuve faisaient état de liens étroits. Quoi qu’il en soit, il y a lieu d’opérer une distinction entre la présente affaire et la décision rendue dans Moosavi parce que le manque de fonds dans cette affaire, en contravention du paragraphe 216(1) du RIPR, constituait une question décisive d’envergure.
[21] Par ailleurs, l’obligation de quitter le Canada à l’expiration d’un visa est une exigence légale fondée sur la prépondérance de la preuve et non une conjecture sur l’intention d’une personne. Elle garantit que les personnes respectent les conditions de leur visa et suivent la procédure légale. En l’absence de toute preuve de non‑conformité ou de mauvaises intentions et d’une analyse de la part de l’agent, on ne peut pas supposer que des personnes ont l’intention d’enfreindre la loi en prolongeant illégalement la durée de séjour autorisée. Ce principe est d’autant plus important que la demanderesse avait déposé des éléments de preuve contraires que l’agent a choisi de ne pas prendre en compte. Ces éléments de preuve concernaient notamment le reste de la famille en Iran, les biens immeubles ainsi que les liens professionnels de la demanderesse et de son époux.
[22] Je suis également guidée par la décision de la Cour dans l’affaire Kazemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2023 CF 615, selon laquelle il incombe aux agents d’apprécier la preuve des liens familiaux du demandeur avec son pays d’origine, ainsi que les autres éléments de preuve, pour décider si le demandeur a établi qu’il retournerait en Iran à l’expiration de ses permis de résidence temporaire. À défaut d’une telle évaluation, les conclusions de l’agent ne sont ni intelligibles, ni transparentes, ni justifiées — elles sont tout simplement déraisonnables.
VI. Le plan d’études
[23] L’agent a également mis en doute le but dans lequel la demanderesse voulait étudier au Canada. L’agent a reconnu les études impressionnantes de la demanderesse en sciences, mais il se demandait si le programme de maîtrise en santé publique contribuerait grandement à la progression de sa carrière puisqu’il estimait qu’elle possédait déjà une vaste expérience dans ce domaine. L’analyse de l’agent se limite à la phrase suivante : [traduction] « Étant donné que les études et l’expérience de travail antérieures de la demandeure sont dans le même domaine, je ne suis pas convaincu qu’elle ne profite pas déjà des avantages de ce programme. »
[24] Il s’agit d’une situation où il y a des éléments de preuve clairement contradictoires au dossier que l’agent n’a pas pris en compte. La demanderesse a non seulement produit une preuve qui démontre qu’elle dispose des ressources financières pour payer ses études au Canada, mais elle a aussi soumis une lettre de son employeur qui précise qu’en plus de concorder avec leurs plans d’expansion, les études de la demanderesse à l’Université de la Saskatchewan [traduction] « sont obligatoires en vue de notre plan d’expansion envisagé et nous y donnons notre plein appui »
. L’absence d’analyse et de prise en compte d’éléments de preuve potentiellement contraires rend la décision arbitraire.
[25] Je ne souscris pas aux arguments du défendeur selon lesquels ces commentaires étaient trop généraux pour être pris en compte.
[26] L’agent a aussi fait abstraction d’un autre élément de preuve contradictoire, soit la lettre de motivation comprise dans le plan d’études de la demanderesse dans laquelle elle expliquait pourquoi elle voulait étudier dans ce champ d’études précis à l’Université de la Saskatchewan :
[traduction]
Outre les faits susmentionnés, l’Université de la Saskatchewan est l’une des universités les plus prestigieuses et les plus distinguées du Canada et dans le monde. De même, l’Université travaille en étroite collaboration avec VIDO‑InterVac (un chef de file mondial en développement de vaccins et de technologies contre des maladies infectieuses) et comporte un groupe universitaire médico‑hospitalier. Cela dit, l’Université de la Saskatchewan jouit d’une réputation hors pair dans mon champ d’intérêt. Elle est aussi membre de U15 Canada, une association d’universités à forte intensité de recherche qui offre aux chercheurs des occasions uniques de participer à des domaines de recherche de pointe. Sans oublier que la faculté des sciences de la santé publique de l’Université de la Saskatchewan est dotée de professeurs et de membres du corps professoral de haute réputation, tant à l’échelle nationale qu’internationale. J’estime donc que je pourrai rehausser ma vie professionnelle à l’avenir dans les champs de la santé humaine et de l’immunisation publique. D’autres facteurs ont toutefois influé sur ma décision, notamment les droits de scolarité très faibles par rapport à d’autres, un environnement anglophone et des conditions de vie commodes pour les étudiants étrangers.
[27] De toute évidence, la demanderesse s’était renseignée sur l’université et le programme auquel elle voulait s’inscrire. Elle a expliqué comment il servirait ses champs d’intérêt et contribuerait à son avancement professionnel. Il n’incombe pas à la Cour d’apprécier cette preuve. Cela revient plutôt à l’agent; il s’agit d’un élément de preuve au dossier qui n’étaye pas la conclusion de l’agent et qui n’a pas été pris en compte dans le cadre de son analyse ou de son raisonnement. Le fait que des éléments de preuve importants n’ont pas été examinés rend la décision déraisonnable.
[28] Je ne suis pas d’accord avec l’argument du défendeur selon lequel la demanderesse n’a pas expliqué comment un nouveau diplôme et une promotion au poste de chercheuse en maladies infectieuses contribueraient à son avancement professionnel. En fait, la demanderesse avait donné une description circonstanciée des avantages liés à son nouveau poste et de la façon dont le diplôme obtenu au Canada lui permettrait de s’acquitter de ses tâches :
[traduction]
D’autre part, après avoir travaillé pendant près de sept ans à titre d’assistante de recherche auprès de RVSRI et avoir mené plus de quinze projets de recherche en matière d’immunisation et de maladies infectieuses, j’ai constaté que je dois jouir d’une indépendance pour concevoir des expériences en fonction des besoins de la collectivité et pour analyser les données. Je souhaite donc acquérir des compétences analytiques et de supervision.
Je crois que des études à l’Université de la Saskatchewan, qui est dotée d’un programme bien conçu et d’excellents membres du corps professoral, me permettront d’acquérir le riche éventail de compétences intellectuelles et d’aptitudes dont j’aurai besoin pour réaliser mes aspirations, soit mener des recherches en matière de maladies infectieuses, et rehausser ma vie professionnelle à l’avenir en Iran, mon pays, et y avoir un plus grand apport.
J’ai fait des recherches sur les universités qui offrent ces programmes, j’ai passé en revue leurs catalogues et, en plus d’avoir parlé à mes anciens professeurs, je me suis entretenue avec les étudiants et professeurs de ces universités au sujet des cours offerts dans le cadre de chaque programme. J’ai compris que les cours offerts dans les universités iraniennes sont conçus pour former des étudiants dans un champ précis. Par exemple, la biostatistique et l’épidémiologie sont considérées être deux majeures distinctes à la maîtrise; les sciences de la santé environnementale sont une sous‑catégorie des sciences de la santé, et la gestion de la sécurité et de l’environnement ainsi que la gestion des services de la santé ne sont pas offertes aux études supérieures. Les universités iraniennes sont effectivement bien conçues pour former des étudiants dans un champ d’études précis, notamment au premier cycle. En outre, des programmes semblables n’ont pas été suffisamment élaborés pour former des étudiants doués dans un champ interdisciplinaire aux études supérieures, notamment dans un domaine prisé sur le marché du travail.
Cependant, la maîtrise en santé publique offerte à l’Université de la Saskatchewan a été conçue comme un programme interdisciplinaire axé sur les principales matières clés susmentionnées : biostatistique, épidémiologie, sciences de la santé environnementale, gestion des services de la santé ainsi que sciences sociales et du comportement.
[29] Comme je l’ai indiqué précédemment, le fait que l’agent a fait abstraction d’éléments de preuve qui vont à l’encontre de sa conclusion rend la décision déraisonnable. Je reconnais qu’un décideur qui rend une décision finale n’est généralement pas tenu de tirer une conclusion explicite à l’égard de chacun des éléments de preuve. Néanmoins, il est clair aussi que la preuve contradictoire pertinente ne doit pas être ignorée (Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080). En l’absence d’analyse, je ne peux pas supposer que la preuve n’a pas été ignorée.
[30] En ce qui concerne les autres demandeurs, selon mon interprétation de la décision, les conclusions de l’agent relativement aux autres demandes, soit pour un permis de travail et un visa de visiteur, découlent des conclusions qu’il a tirées pour la demanderesse principale. Par conséquent, comme je conclus que la décision est déraisonnable à l’égard de la demanderesse principale, elle l’est également pour les autres demandeurs.
VII. Conclusion
[31] La décision de l’agent est déraisonnable, car elle ne présente pas le degré requis de justification, d’intelligibilité et de transparence. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et la décision, annulée.
[32] Comme j’annulerai la décision de l’agent parce qu’elle est déraisonnable, il n’est pas nécessaire d’aborder les questions d’équité procédurale soulevées.
[33] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑9030‑22
La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.
[vide]
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[vide]
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Dossier : |
IMM‑9030‑22 |
INTITULÉ :
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MARYAM TAGHDIRI ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 8 novembre 2023
|
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT : |
LA JUGE AZMUDEH
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 16 novembre 2023
|
COMPARUTIONS :
Samin MORTAZAVI |
POUR LES DEMANDEURS |
Coco WIENS‑PARIS |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pax Law Corporation
Vancouver (Colombie‑Britannique) |
POUR LES DEMANDEURS |
Ministère de la Justice du Canada Vancouver (Colombie‑Britannique) |
POUR LE DÉFENDEUR |