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Date : 20231108


Dossier : IMM-8142-22

Référence : 2023 CF 1491

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2023

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

JIAN HUANG

(alias JIM WONG)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Est-il raisonnable de conclure qu’un résident permanent du Canada bénéficie d’une protection auxiliaire qui le prive de l’asile en raison de l’application de la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés [la Convention] et de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], alors que cette même décision entraîne le retrait de son statut de résident permanent?

I. Aperçu

[2] Le 8 août 2022, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu que le demandeur était visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier de la Convention. La SAR devait se prononcer sur l’exclusion au titre de la section E de l’article premier, tout en sachant que, si elle concluait que le demandeur était exclu en raison de son statut préexistant, il perdrait ce statut. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable.

[3] Selon l’article 98 de la LIPR, la personne visée par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier de la Convention ne peut avoir la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La section E de l’article premier est libellée ainsi :

E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

[4] Au paragraphe 1 de l’arrêt Zeng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 118 [Zeng], la Cour d’appel fédérale a décrit l’exclusion prévue à la section E de l’article premier et son objectif :

La section 1E est une clause d’exclusion. Elle empêche que l’asile soit accordé à une personne qui jouit d’une protection auxiliaire dans un pays où elle a essentiellement les mêmes droits et les mêmes obligations que les ressortissants de ce pays.

[5] Dans la décision faisant l’objet du contrôle, la SAR a conclu que le demandeur bénéficiait de la protection auxiliaire prévue à la section E de l’article premier étant donné qu’il était résident permanent du Canada à la date de l’audience devant la SAR :

En tant que résident permanent du Canada, il a les droits et les obligations d’un résident permanent du Canada, bien que son statut ne soit pas inconditionnel. Ses droits et obligations sont essentiellement semblables à ceux des [ressortissants] canadiens.

[6] Il est incontesté que le demandeur était un résident permanent du Canada à la date de la décision de la SAR; cependant, le demandeur fait valoir que les faits dont disposait la SAR montrent que son statut de résident permanent était [traduction] « intrinsèquement vulnérable » étant donné que le maintien de sa validité n’est pas sous son contrôle et que sa perte n’est pas théorique. Plus précisément, le demandeur soutient que, si la SAR l’exclut de la protection de la Convention, il perdra son statut de résident permanent. En effet, la mesure d’expulsion prise à son encontre par la Section de l’immigration n’entre en vigueur que 15 jours après la décision de la SAR. C’est un fait admis par les deux parties et reconnu par la SAR. Toutefois, la SAR a estimé que ce fait ne rendait pas le statut du demandeur si vulnérable qu’il ne serait pas assujetti à l’application de la clause d’exclusion de la section E de l’article premier.

[7] Les faits ne sont pas contestés. Le bref résumé qui suit est tiré de la décision faisant l’objet du contrôle et d’une décision antérieure rendue le 16 décembre 2021 par laquelle la Section de l’immigration a déclaré le demandeur interdit de territoire au Canada pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)c) de la Loi. Cette décision fait actuellement l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour (IMM-9566-21).

II. Le contexte

[8] Le demandeur est un citoyen de la Chine, où il est né le 20 septembre 1979. Le 29 mars 2012, il a présenté une demande de visa de résident temporaire [VRT] au consulat du Canada à Shanghai afin de venir au Canada en tant que visiteur pour faire du tourisme. Le 4 avril 2012, il a reçu un VRT délivré au nom de Jian Huang. Il est entré au Canada le 2 mai 2012 à l’aéroport de Vancouver.

[9] En septembre 2012, l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a été informée par les autorités chinoises que Jian Huang avait fui la Chine après avoir commis une fraude de plus d’un milliard de yuans (environ 190 millions de dollars canadiens). Un rapport d’interdiction de territoire a été établi en vertu de l’article 44 de la Loi et, en décembre 2012, l’ASFC a lancé un mandat, mais elle n’a réussi à retrouver Jian Huang qu’en février 2018.

[10] Entre‑temps, le 23 avril 2013, les autorités chinoises ont diffusé une notice rouge d’Interpol pour l’arrestation de Jian Huang, celui-ci étant accusé d’avoir [traduction] « obtenu illégalement du crédit auprès d’une institution financière ».

[11] Le 3 septembre 2013, Jim Wong a présenté une demande de VRT à l’ambassade du Canada au Guatemala. Le demandeur a depuis admis que Jian Huang et Jim Wong sont deux noms qu’il utilise. Le demandeur s’est vu délivrer un visa de visiteur pour entrée unique et il est entré au Canada en tant que visiteur le 18 octobre 2013.

[12] Le 22 octobre 2013, le demandeur a présenté une autre demande de VRT à l’ambassade du Canada au Guatemala. Un visa pour entrées multiples lui a été délivré. Il est revenu au Canada le 9 décembre 2013 et y est resté par la suite.

[13] Le 25 avril 2013, son épouse a parrainé sa demande de résidence permanente. La demande a été approuvée et il est devenu résident permanent du Canada le 12 octobre 2016.

[14] Le 6 octobre 2016, l’ASFC a reçu la confirmation que le passeport guatémaltèque dont s’est servi le demandeur pour obtenir ses visas les plus récents était un document falsifié. Le 21 février 2018, l’ASFC a lancé un mandat d’enquête. Le demandeur a été arrêté.

[15] Dans sa décision, la Section de l’immigration souligne que les agents de l’ASFC ont initialement établi un rapport en vertu du paragraphe 44(1) contre le demandeur pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi. Cependant, le demandeur a présenté une demande d’asile après avoir été arrêté, et l’ASFC a ensuite établi un rapport soutenant qu’il était interdit de territoire au titre de l’alinéa 36(1)c) de la Loi, vraisemblablement parce que les demandeurs d’asile sont soustraits à l’application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR tant que leur demande d’asile n’est pas tranchée.

[16] Selon le deuxième rapport établi en vertu de l’article 44, le demandeur aurait commis un crime d’escroquerie financière, visé à l’article 175, paragraphe 2 du Code pénal de la République populaire de Chine, et ses actes auraient causé des pertes de plus de 5 000 $ CA. Dans ce rapport, l’ASFC affirmait que le même acte, s’il avait été commis au Canada, constituerait une fraude prévue au paragraphe 380(1) du Code criminel, LRC 1985, c C‑46. Puisque la valeur de l’objet de l’infraction dépasse 5 000 $ CA, le demandeur serait passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans.

[17] Le demandeur nie avoir commis les actes répréhensibles reprochés par les autorités chinoises et affirme que ces accusations sont inventées de toutes pièces. Ainsi, au début de 2018, il a déposé sa demande d’asile dans laquelle il a allégué que, s’il retournait en Chine, il ne bénéficierait pas d’un procès équitable et qu’il serait condamné et emprisonné pour des crimes qu’il n’a pas commis.

[18] La demande d’asile a été entendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] pendant plusieurs jours, de juin 2018 à août 2019. La SPR a rendu sa décision le 22 septembre 2020.

III. L’historique des procédures

A. La décision de la SPR

[19] La SPR a conclu que le demandeur était visé par l’exclusion prévue à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention.

[20] La SPR, au vu des éléments de preuve communiqués par le ministre du Bureau de la sécurité publique de la Chine, a déterminé que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun à l’étranger avant de venir au Canada.

[21] Elle a également conclu qu’il n’existait pas de lien plausible entre les conditions dans le pays, qui prouvent le recours à la torture, et la preuve à l’encontre du demandeur. Elle a estimé que l’application régulière de la loi à l’encontre du demandeur n’était pas viciée et que les accusations n’étaient pas motivées par des considérations politiques. La SPR n’a pas reconnu qu’il avait été victime de fonctionnaires corrompus. Enfin, la SPR a jugé qu’il n’était pas un témoin crédible.

[22] Après avoir conclu que le crime grave de droit commun que le demandeur avait commis équivalait à une fraude au Canada telle qu’elle est décrite dans le Code criminel, la SPR a conclu que le demandeur était exclu de la protection accordée par l’asile.

[23] Il importe de souligner que la SPR a conclu que le demandeur était visé par l’exclusion prévue à l’alinéa Fb) de l’article premier et qu’il n’était donc pas nécessaire d’examiner l’exclusion prévue à la section E de l’article premier. Par conséquent, la SPR n’a tiré aucune conclusion concernant l’exclusion au titre de la section E de l’article premier.

B. La décision de la SAR

[24] Le demandeur a interjeté appel devant la SAR de la conclusion fondée sur l’alinéa Fb) de l’article premier. Le ministre a demandé à la SAR de statuer sur l’application des exclusions au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier et de la section E de l’article premier.

[25] La SAR a conclu que la SPR avait eu tort de conclure que la norme des « raisons sérieuses de penser » qui est requis pour tirer une conclusion fondée sur l’alinéa Fb) de l’article premier avait été respecté.

[26] La SPR a estimé qu’il n’était pas nécessaire de se demander si l’exclusion prévue à la section E de l’article premier avait été établie; toutefois, la SAR a ensuite dû se pencher sur cette exception. Le demandeur a fait valoir que la SPR n’avait pas commis d’erreur en refusant d’analyser l’exclusion au titre de la section E de l’article premier et que, de toute façon, l’exclusion ne s’appliquait pas. Le ministre a soutenu que la section E de l’article premier s’appliquait et que le fait de ne pas en tenir compte constituait une erreur.

[27] La SAR a conclu qu’à la date de sa décision, le demandeur était un résident permanent du Canada. La SAR a souligné que, si elle concluait que le demandeur était visé par la clause d’exclusion, la mesure de renvoi prise contre lui prendrait effet, et il perdrait automatiquement son statut de résident permanent 15 jours plus tard, en application des alinéas 46(1)c) et 49(2)c) de la Loi. Ces dispositions sont libellées ainsi :

46 (1) Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants :

[…]

c) la prise d’effet de la mesure de renvoi;

[…]

49 (2) Toutefois, celle visant le demandeur d’asile est conditionnelle et prend effet :

[…]

c) en cas de rejet de sa demande par la Section de la protection des réfugiés, à l’expiration du délai visé au paragraphe 110(2.1) ou, en cas d’appel, quinze jours après la notification du rejet de sa demande par la Section d’appel des réfugiés;

46(1) A person loses permanent resident status

[…]

(c) when a removal order made against them comes into force;

[…]

49(2) Despite subsection (1), a removal order made with respect to a refugee protection claimant is conditional and comes into force on the latest of the following dates:

[…]

(c) if the claim is rejected by the Refugee Protection Division, on the expiry of the time limit referred to in subsection 110(2.1) or, if an appeal is made, 15 days after notification by the Refugee Appeal Division that the claim is rejected;

[28] La SAR a jugé que, comme la SPR n’avait pas examiné l’exclusion prévue à la section E de l’article premier, il lui incombait de déterminer si celle‑ci s’appliquait à la date de l’appel. Cette conclusion n’est pas contestée; elle est conforme à l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Zeng. La Cour d’appel a statué que le tribunal était autorisé à prendre en compte tous les faits pertinents jusqu’à la date de l’audience, et elle a souligné ce qui suit au paragraphe 13 :

Cette question n’est pas litigieuse. Les parties conviennent, comme je le fais également, que la date doit être souple afin de faire en sorte que le statut et les actes d’un demandeur d’asile à toutes les étapes, soient pris en compte. Les faits à la date de la demande sont pertinents; les faits à la date de l’audience sont pertinents; les faits antérieurs à la demande peuvent être pertinents aussi, selon les circonstances. Ce type d’affaires dépend dans une large mesure des faits.

[29] La SAR a conclu que rien dans la Loi n’empêche les résidents permanents du Canada de présenter des demandes d’asile au Canada. Elle a rejeté l’argument du ministre selon lequel le demandeur était « en quête du meilleur statut » comme décrit dans l’arrêt Zeng. Au contraire, elle a jugé qu’il « exerce simplement un droit qui lui est accordé par la [Loi] ». Par ailleurs, elle a rejeté l’argument du demandeur selon lequel la conduite du ministre est abusive et absurde. Au soutien de cet argument, le demandeur a fait valoir que le ministre cherche à l’exclure en application de la section E de l’article premier en raison de son statut de résident permanent et qu’il tente en même temps de le dépouiller de ce statut. La SAR a souligné que la question de l’exclusion en application de la section E de l’article premier « est fondamentalement différente de celle de l’interdiction de territoire ».

[30] Enfin, la SAR a rejeté l’argument selon lequel le fait de conclure que le demandeur est visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier irait, en fin de compte, à l’encontre de l’obligation de non-refoulement du Canada en droit international puisqu’il ne bénéficiera pas d’un examen des risques avant renvoi [ERAR]. La SAR a accepté l’argument du ministre selon lequel le demandeur aurait l’occasion de demander un ERAR.

[31] La SAR a conclu que le demandeur « est visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier et à l’article 98 [de la Loi] ». En tant que résident permanent du Canada à la date de la décision, « il a les droits et les obligations » d’un résident permanent du Canada, « bien que son statut ne soit pas inconditionnel ».

IV. La norme de contrôle

[32] Les parties conviennent à juste titre que la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada [la Cour suprême] dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable porte à la fois sur le raisonnement du décideur et sur le résultat de ce raisonnement. La décision doit non seulement être justifiable à la lumière du dossier, mais, lorsqu’elle est motivée, elle doit être justifiée par les motifs. Aucune des exceptions fondées sur l’intention du législateur ou la primauté du droit, comme elles sont énoncées par la Cour suprême dans les arrêts Vavilov et Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c Entertainment Software Association, 2022 CSC 30, ne permet d’écarter la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable.

[33] L’application de la norme de la décision raisonnable a été récemment réexaminée et confirmée par la Cour suprême dans l’arrêt Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason], publié après l’audition de la présente affaire. Les parties ont demandé et obtenu l’autorisation de présenter des observations écrites après l’audience relativement à l’applicabilité de l’arrêt à la présente affaire.

[34] Dans les cas où des motifs sont requis et ont été fournis, la cour de révision qui effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit commencer son contrôle judiciaire par ces motifs : « la cour de justice […] doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle elle serait parvenue à la place du décideur administratif » (Vavilov, au para 15). La cour doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard du décideur, puisqu’il s’agit de l’entité à qui le législateur a délégué le pouvoir et qu’il est doté de connaissances et d’une compréhension spécialisées des « objets et [des] réalités pratiques du régime administratif en cause » et « des conséquences et des effets concrets de la décision » auxquels la cour de révision peut ne pas être attentive : Vavilov, au para 93. En même temps, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est un type de contrôle qui demeure rigoureux, il ne s’agit pas d’une « simple formalité » : Vavilov, au para 13. La cour ne peut faire abstraction d’un raisonnement erroné, encore moins y substituer son propre raisonnement.

[35] En somme, lorsqu’elle procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour doit se demander si la décision possède les « caractéristiques d’une décision raisonnable » (soit la justification, la transparence et l’intelligibilité) et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » : Vavilov, au para 99.

[36] L’arrêt Mason n’a pas changé la façon dont la cour effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Au contraire, l’arrêt Mason a mis l’accent sur des principes déjà énoncés dans l’arrêt Vavilov. En particulier, l’arrêt Mason a souligné le principe de la « justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées » : plus une décision a des conséquences graves sur les droits et intérêts d’un individu, plus il est nécessaire d’avoir des motifs qui reflètent ces enjeux (Mason, au para 76, citant Vavilov, au para 133. Il incombe au décideur administratif de justifier sa décision, et les conséquences qui en découlent, à la lumière des faits et du droit.

V. La question en litige

[37] La seule question à trancher consiste à savoir si la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur est visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier de la Convention est déraisonnable au regard des faits dont elle disposait.

[38] Les parties ne contestent pas que la SAR pouvait statuer sur l’applicabilité de la section E de l’article premier étant donné que la SPR n’avait pas rendu de décision à ce sujet.

[39] Les parties ne contestent pas non plus que le bon critère, tel que la SAR l’a appliqué, pour établir s’il y a exclusion au titre de la section E de l’article premier consiste à déterminer si la personne possède, au cours de la période pertinente, un statut qui est « essentiellement semblable » à celui d’un ressortissant : Zeng, au para 28. Même si la personne a un statut essentiellement semblable, la section E de l’article premier peut néanmoins ne pas s’appliquer si ce statut est « intrinsèquement vulnérable » : Rrotaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 152 [Rrotaj], au para 21.

[40] Le demandeur a avancé un certain nombre d’observations axées sur de prétendues lacunes dans le raisonnement de la SAR qui, selon lui, rendent la décision déraisonnable. Ces questions seront examinées sous les rubriques suivantes :

  1. Était-il raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur avait un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants canadiens?

  2. Était-il raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur n’a pas besoin de bénéficier d’une protection absolue contre le renvoi forcé pour être visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier?

  3. Était-il raisonnable pour la SAR de conclure que le statut du demandeur n’est pas « intrinsèquement vulnérable » et, donc, que le demandeur est visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier?

VI. Question préliminaire : la SAR a-t-elle raisonnablement déterminé la période pertinente pour évaluer le statut du demandeur en application de la section E de l’article premier?

[41] À titre préliminaire, la SAR devait établir la période pertinente pour évaluer l’exclusion en application de la section E de l’article premier : jusqu’à la date de l’audience devant la SPR ou jusqu’à la date de l’appel devant la SAR. Il est important d’établir la « date déterminante », car elle dicte les éléments de preuve que la SAR peut prendre en compte dans son évaluation. Au moment de l’audience devant la SPR en 2018, l’enquête devant la Section de l’immigration était seulement enclenchée. Le 16 décembre 2021, après la décision de la SPR en 2020, la Section de l’immigration a rendu une conclusion d’interdiction de territoire et a ordonné la prise d’une mesure d’expulsion à l’encontre du demandeur. La SAR a accepté les observations des parties en mars 2022. À ce stade, elle avait connaissance de ces faits et savait en particulier que le demandeur perdrait son statut si elle concluait que le demandeur était visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier, étant donné que la mesure d’expulsion prendrait effet 15 jours après sa décision.

[42] Dans ses motifs, la SAR a expressément suivi les directives formulées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Majebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274 [Majebi], selon lesquelles la SAR ne peut procéder à un examen de novo que lorsqu’elle estime que la SPR a commis une erreur. Puisque la SAR avait déjà déterminé que la SPR avait commis une erreur en n’examinant pas la question de l’exclusion en application de la section E de l’article premier, elle a conclu qu’elle avait compétence pour procéder à un examen de novo et évaluer le statut du demandeur à la date de l’audience devant la SAR pour l’application de la section E de l’article premier.

[43] Le demandeur allègue que la décision de la SAR était bien fondée, c’est-à-dire que la période pertinente pour évaluer si le statut du demandeur était « essentiellement semblable » à celui d’un ressortissant en application de la section E de l’article premier est celle de l’audience devant la SAR. Par conséquent, il était raisonnable que la SAR tienne compte des conséquences de sa décision, à savoir que le demandeur ferait l’objet d’une mesure d’expulsion et perdrait son statut si la SAR appliquait la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier.

[44] Le défendeur a précisé lors de l’audience qu’il convenait avec le demandeur qu’il était raisonnable que la SAR tienne compte du statut du demandeur au moment de l’audience devant elle, étant donné qu’elle examinait de nouveau la question de l’exclusion en application de la section E de l’article premier.

[45] Je reconnais que la SAR a raisonnablement conclu que la « date déterminante » pour évaluer le statut du demandeur était la date de l’audience devant elle. Il est important de souligner, comme l’a fait la SAR, qu’au moment de l’appel devant elle et de l’audience devant la SPR, il est incontesté que le demandeur détenait le statut de résident permanent au Canada.

VII. Analyse

A. Était-il raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur avait un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants canadiens?

[46] La SAR a déterminé que le demandeur avait un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants canadiens au moment de l’appel devant elle. Pour en arriver à cette conclusion, la SAR a examiné si le demandeur possédait les droits énoncés dans la décision rendue par notre Cour dans l’affaire Shamlou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 1537 (CF 1re inst.) [Shamlou], qui établit les critères rattachés à la nationalité d’une personne, notamment le droit de retourner dans le pays de résidence, le droit de travailler et d’étudier, ainsi que le droit d’utiliser les services sociaux [les droits énoncés dans la décision Shamlou]. Elle a conclu que le demandeur, en tant que résident permanent, bénéficiait de ces droits.

[47] Le demandeur fait valoir que la SAR a fait abstraction de la preuve selon laquelle il n’avait pas le droit de travailler et d’étudier sans restriction. Le demandeur soutient que, puisque, depuis 2018, il était soit détenu par les autorités de l’immigration soit en détention à son domicile, sa capacité à travailler et à étudier sans restriction a été compromise. Il affirme que ces conditions ne peuvent être imposées à un ressortissant, car un ressortissant ne peut être détenu pour des motifs liés à l’immigration. Le demandeur soutient que la SAR n’a pas examiné cette preuve et qu’elle ne s’est donc pas attaquée de façon significative à ses observations, comme l’exige l’arrêt Vavilov.

[48] Le défendeur répond que, bien que la SAR n’ait pas expressément mentionné les conditions de détention du demandeur par les autorités de l’immigration, elle n’était pas obligée de le faire. L’arrêt Vavilov n’exige pas des tribunaux administratifs qu’ils « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » ni qu’ils « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à [leur] conclusion finale »; ils doivent répondre seulement à ceux qui sont pertinents pour les questions centrales de la décision : Vavilov, au para 128. Le défendeur soutient que les restrictions auxquelles le demandeur était soumis ont très peu d’importance pour déterminer si ce dernier possédait des droits essentiellement semblables à ceux d’un ressortissant.

[49] La SAR a conclu qu’en tant que résident permanent, le demandeur bénéficiait des droits énoncés dans la décision Shamlou. La SAR a rejeté les arguments du demandeur selon lesquels son statut diffère de celui des ressortissants en raison de l’absence de protection contre le renvoi et l’expulsion, comme l’exige le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Selon la SAR, cette protection excède les droits énoncés dans la décision Shamlou et n’est pas requise par la jurisprudence canadienne.

[50] J’estime que la SAR a raisonnablement conclu que le demandeur, au moment de l’appel, avait un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants canadiens conformément à la décision Shamlou. Dans les rares cas comme celui‑ci où les demandeurs sollicitent l’asile alors qu’ils détiennent le statut de résident permanent dans ce pays ou ailleurs, les tribunaux ont conclu que ces demandeurs possédaient un statut suffisant aux fins de l’application de la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier : voir, comme mentionné par la SAR, Zeng, Rrotaj, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Choovak, 2002 CFPI 573 [Choovak]. Au vu de la jurisprudence, il était raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur, en tant que résident permanent canadien, possédait un statut suffisant.

[51] Le demandeur soutient que la SAR ne s’est pas attaquée de façon significative à son observation selon laquelle ses libertés étaient restreintes par sa détention par les autorités de l’immigration d’une manière qui ne l’est pas pour les ressortissants. Invoquant l’arrêt Mason dans ses observations présentées après l’audience, le demandeur affirme que cette omission équivaut à une absence de justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées. Toutefois, comme le défendeur le fait valoir, la SAR n’avait pas à examiner chacun des arguments soulevés par le demandeur : Vavilov, au para 128. Selon le principe de la justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées, les motifs de la SAR devaient refléter les enjeux liés au risque d’expulsion du demandeur. Bien que ses motifs soient muets sur les conditions de détention du demandeur par les autorités de l’immigration, la SAR a examiné l’argument plus général du demandeur selon lequel il ne peut être visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier parce que les droits dont il jouit en tant que résident permanent sont conditionnels. Citant la décision Choovak, la SAR explique que le statut d’une personne, y compris les droits rattachés à ce statut, n’a pas à être inconditionnel pour que la section E de l’article premier s’applique. Bien que la décision Choovak porte sur le droit du demandeur d’asile de retourner dans son pays de résidence plutôt que sur le droit de travailler et d’étudier, elle étaye néanmoins le raisonnement de la SAR selon lequel les droits ne doivent pas nécessairement être inconditionnels. Le fait que le demandeur était détenu par les autorités de l’immigration n’a pas changé son statut ni les droits rattachés à ce statut.

[52] Je souligne ici que l’arrêt Vavilov, au paragraphe 91, indique expressément que les motifs fournis par le décideur administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection : « [l]e fait que les motifs de la décision “ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire” ne constitue pas un fondement justifiant à lui seul d’infirmer la décision ». Même s’il y aurait eu avantage à ce que les motifs mentionnent expressément la capacité limitée du demandeur à exercer ses droits de travailler et d’étudier, j’estime que cette omission ne représente pas un manquement de la part de la SAR à s’attaquer de façon significative aux observations du demandeur, ni une absence de justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées. La SAR a examiné la question et la préoccupation centrales du demandeur, à savoir la durabilité des droits énoncés dans la décision Shamlou qui est requise pour que la section E de l’article premier s’applique.

B. Était-il raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur n’a pas besoin de bénéficier d’une protection absolue contre le renvoi forcé pour être visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier?

[53] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, la SAR a conclu qu’une personne visée par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier au motif qu’elle a un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de son pays de résidence doit posséder les droits énoncés dans la décision Shamlou, ce qui inclut le droit de retourner dans ce pays. Cependant, la SAR a statué que ces droits ne comportent pas nécessairement une « protection absolue » contre le renvoi. À la lumière des faits, la SAR a conclu que le demandeur pouvait être visé par la section E de l’article premier malgré le fait qu’il était susceptible d’être expulsé suivant la décision de la SAR. Elle a estimé que tous les résidents permanents du Canada, y compris le demandeur, risquent d’être renvoyés du Canada s’ils ne respectent pas les conditions de la résidence permanente; ainsi, aucun résident permanent ne bénéficie d’une « protection absolue » contre l’expulsion. Il s’agit néanmoins de personnes visées par la section E de l’article premier.

[54] La SAR a en outre conclu que, même si le demandeur ne bénéficie pas d’une « protection absolue » contre le renvoi du Canada, il est néanmoins effectivement protégé contre le refoulement puisqu’il pourra présenter une demande d’ERAR.

[55] Le demandeur soutient qu’il ne peut être visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier en raison de la conclusion d’interdiction de territoire tirée par la Section de l’immigration et de la mesure d’expulsion prise à son encontre, qui font de lui une personne à protéger. Il fait valoir que la SAR a commis une erreur de droit en concluant que la section E de l’article premier n’exige pas une « protection absolue » contre le renvoi du pays de résidence. En particulier, le demandeur affirme que la SAR a commis une erreur en ne respectant pas la note du HCR sur l’interprétation de la section E de l’article premier de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés [la note du HCR] et son Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié [le Guide du HCR].

[56] La note du HCR, au paragraphe 2, reflète l’avis du HCR selon lequel la section E de l’article premier [traduction] « devrait être interprétée de manière stricte, et que seules des “exceptions limitées” devraient être autorisées en dérogation au statut de nationalité ou de citoyenneté à part entière » :

[traduction]

L’objet de cette disposition est d’exclure du statut de réfugié les personnes qui n’ont pas besoin de cette protection parce qu’elles jouissent déjà d’un statut qui, éventuellement avec des exceptions limitées, correspond à celui des ressortissants. Un critère strict est donc nécessaire afin que la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier puisse s’appliquer.

[57] Le paragraphe 145 du Guide du HCR reflète la position du HCR selon laquelle une personne n’est pas visée par la section E de l’article premier à moins que, comme l’affirme le demandeur, [traduction] « elle bénéficie d’une protection “absolue” contre l’expulsion » :

Il n’existe aucune définition précise des « droits et... obligations » qui entraînent l’inapplicabilité de la Convention en vertu de cette clause d’exclusion. On peut dire, toutefois, que la clause d’exclusion opère lorsque le statut de l’intéressé est largement assimilé à celui d’une personne ayant la nationalité du pays considéré. Il doit, en particulier, être pleinement protégé contre le refoulement ou l’expulsion.

[58] Le demandeur soutient que le Guide du HCR, à l’instar de la note d’interprétation, « doit être considéré comme un ouvrage très pertinent dans l’examen des pratiques relatives à l’admission des réfugiés » : Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593 [Chan] au para 46. Ensemble, ces documents soutiennent l’interprétation faite par le demandeur de la politique et de l’objectif de la section E de l’article premier selon laquelle la clause d’exclusion vise uniquement les personnes qui n’ont pas besoin de l’asile parce qu’elles jouissent déjà, dans un autre pays, des droits des ressortissants de ce pays, avec des exceptions limitées. Cette disposition vise à éviter les redondances. Le demandeur soutient en outre que les tribunaux canadiens ont interprété la section E de l’article premier comme une disposition visant à protéger contre « la recherche du meilleur pays d’asile », ce que la SAR a estimé que le demandeur ne faisait pas : Zeng, au para 19.

[59] Le demandeur soutient en outre que l’interprétation faite par la SAR des exigences de la section E de l’article premier va à l’encontre des obligations internationales du Canada relativement au principe de non-refoulement. Bien que le demandeur soit d’accord avec la SAR sur le fait qu’il peut présenter une demande d’ERAR, il a allégué que cette mesure est insuffisante pour se protéger contre le refoulement, une exigence pour que la section E de l’article premier s’applique. La Cour a reconnu au paragraphe 22 de l’arrêt Zeng qu’une personne visée par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier ne bénéficie pas d’un ERAR favorable de la même manière qu’une personne qui n’est pas visée par la clause d’exclusion :

Le ministre reconnaît que le processus d’ERAR ne règle pas complètement le problème. Si un agent d’ERAR conclut que la section 1E s’applique, même s’il est démontré que des risques existent, l’article 98 de la LIPR empêche que l’asile soit accordé. De plus, le demandeur ne peut bénéficier du sursis de la mesure de renvoi prévu à l’article 114 puisque la section 1E n’est pas visée au paragraphe 112(3). Bien que l’agent d’ERAR ait le pouvoir de décider que la section 1E ne s’applique pas, l’obligation de présenter de nouveaux éléments de preuve (afin qu’on puisse arriver à une telle décision) qu’établit l’alinéa 113a) est un obstacle énorme que le demandeur doit surmonter.

[60] S’appuyant sur l’arrêt Zeng, le demandeur allègue que, comme la SAR avait déjà conclu qu’il était visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier, l’alinéa 113a) de la Loi restreindra de manière significative la viabilité du processus d’ERAR afin de protéger le principe de non-refoulement. L’alinéa 113)a) de la Loi est libellé ainsi :

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

113 Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection

[61] Pour soutenir sa position selon laquelle la procédure d’ERAR est insuffisante, le demandeur fait valoir que la SAR ne s’est pas attaquée de façon significative à ses observations, ce qui rend la décision déraisonnable.

[62] Le défendeur répond que l’interprétation par la SAR de la politique et de l’objectif de la section E de l’article premier est raisonnable étant donné que la SAR a simplement respecté l’intention du législateur. Le Parlement a le pouvoir ultime d’adopter des lois concernant le respect des obligations internationales du Canada; il a choisi de faire en sorte que le demandeur, qui fait l’objet d’une mesure de renvoi, conserve son statut de résident permanent et soit donc visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier pendant l’instruction de son dossier devant la SAR.

[63] Le défendeur convient avec le demandeur que le principe du non-refoulement doit être respecté pour que la section E de l’article premier s’applique, mais il soutient que la décision de la SAR n’enfreint pas ce principe. Il partage l’avis de la SAR selon lequel l’ERAR offre une protection adéquate contre le refoulement, étant donné qu’un agent d’ERAR peut réexaminer l’application de la section E de l’article premier.

[64] Pour les motifs qui suivent, j’estime que l’interprétation par la SAR des exigences relatives à l’exclusion prévue à la section E de l’article premier, y compris leur lien avec le principe de non-refoulement, est raisonnable. La SAR a pris en compte les contraintes juridiques, en particulier le cadre établi par la Loi et la jurisprudence, pour rendre sa décision.

(1) La SAR a raisonnablement interprété l’adoption par le Canada de la section E de l’article premier pour conclure que cette disposition n’exige pas qu’une personne jouisse d’une « protection absolue » contre le renvoi

[65] Comme l’a mentionné la SAR, la section E de l’article premier prévoit qu’une personne visée par cette disposition doit avoir « les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays ». Cette disposition n’exige pas que les personnes visées par la clause d’exclusion soient des citoyens ou, comme l’indique la SAR, « des ressortissants au sens légal véritable ». En effet, selon la jurisprudence acceptée par les deux parties dans l’affaire Zeng, une personne doit seulement avoir des droits essentiellement semblables à ceux d’un ressortissant : Zeng, au para 28.

[66] Le demandeur affirme qu’il n’insinue pas que tous les résidents permanents échappent à l’application de la section E de l’article premier. Si, comme il le dit, une personne doit toujours bénéficier d’une [traduction] « protection absolue contre le renvoi forcé », cela revient essentiellement à exclure les résidents permanents de l’application de la section E de l’article premier puisque leur statut est toujours conditionnel. Autrement dit, selon l’interprétation du demandeur, la section E de l’article premier ne pourrait s’appliquer qu’aux ressortissants à part entière. La SAR a insisté dans ses motifs sur le fait que cette préoccupation guidait son interprétation de la section E de l’article premier. La SAR a souligné à juste titre que l’exclusion des résidents permanents de l’application de la section E de l’article premier ne saurait refléter l’intention des auteurs de la Convention ni l’application que le législateur souhaitait adopter. La SAR s’est appuyée en partie sur la décision rendue par la Cour dans l’affaire Rrotaj, au paragraphe 22, pour étayer cette thèse :

À mon avis, le texte clair de la disposition indique que les personnes ne seront pas exclues si le statut qui leur a été accordé par le pays tiers leur confère moins que les droits fondamentaux des ressortissants de ce pays, et je n’irais pas jusqu’à affirmer que le droit canadien associe la « nationalité », dont il est question à la section E de l’article premier de la Convention, à la citoyenneté. La section E de l’article premier de la Convention n’indique pas que les demandeurs exclus doivent devenir des ressortissants au sens légal véritable; ils doivent seulement avoir les droits et obligations « rattachés à la nationalité ». Compte tenu de tout ce qui précède, cela devrait signifier des droits et obligations « semblables » à ceux des ressortissants du pays, c’est-à-dire les droits et obligations généralement associés au statut de résident permanent, lequel statut a été jugé satisfaisant au titre de la section E de l’article premier de la Convention dans la jurisprudence. Si les auteurs de la Convention avaient voulu dire que les demandeurs devaient avoir obtenu la nationalité ou la citoyenneté du pays tiers, ils l’auraient dit clairement dans ces termes.

[67] La SAR n’était pas obligée de retenir l’interprétation de la section E de l’article premier qui était suggérée par le Guide du HCR pour que sa décision soit raisonnable; elle a souligné à juste titre qu’il s’agissait d’un outil d’interprétation utile et persuasif, mais non déterminant pour le droit canadien des réfugiés : Chan, au para 47. Dans ses motifs, la SAR a expliqué pourquoi elle s’écartait des documents du HCR en s’appuyant sur de la jurisprudence selon laquelle la section E de l’article premier peut s’appliquer aux résidents permanents canadiens.

[68] Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte de sa situation particulière, à savoir qu’il sera certainement renvoyé si la SAR rend une décision défavorable à son égard. Ainsi, le demandeur soutient que même si le fait d’être un résident permanent n’est pas suffisant pour échapper à l’application de la section E de l’article premier, cette disposition ne devrait pas viser les personnes qui courent plus qu’un simple risque hypothétique d’être renvoyées dans leur pays. Tous les résidents permanents ne sont pas dans cette situation. Bien que ce point soit examiné plus en détail ci‑après dans les présents motifs, je souligne ici que le demandeur n’a pas étayé cet argument, sauf en invoquant le Guide du HCR et la note du HCR. Ces documents, qui, je le répète, n’ont pas force obligatoire, ne font pas cette distinction et exigent seulement qu’une personne soit « pleinement protégée » contre l’expulsion. J’ai déjà expliqué pourquoi il était raisonnable pour la SAR de conclure que le droit canadien n’adhère pas strictement à ces orientations. Étant donné que la SAR a établi que les personnes n’ont pas besoin d’une « protection absolue » contre le renvoi pour être visées par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier, elle n’a pas eu besoin d’aller plus loin pour expliquer pourquoi le demandeur méritait une considération spéciale pour bénéficier d’une telle protection.

[69] Comme le soutient le demandeur, la section E de l’article premier a pour objectif d’éviter les redondances. L’asile ne devrait pas être accordé à une personne qui bénéficie déjà d’une protection similaire au cours de la période pertinente de l’évaluation. Dans les observations qu’il a présentées après l’audience, le demandeur affirme à juste titre qu’il ressort de l’arrêt Mason que l’interprétation par le décideur administratif est limitée par l’objectif du régime législatif en cause. Cependant, le demandeur ne souligne pas l’importante restriction temporelle applicable à la portée de l’objectif de la section E de l’article premier. La section E de l’article premier ne protège pas contre toutes les pertes éventuelles de statut. Au moment de l’audience devant la SAR, le demandeur était un résident permanent, qui possédait les droits énoncés dans la décision Shamlou, comme je l’ai indiqué ci-dessus. La SAR a raisonnablement interprété la section E de l’article premier conformément à son objectif et a conclu que la disposition s’appliquait au demandeur au moment de l’audience devant elle.

(2) La SAR a raisonnablement pris en considération les observations faites par le demandeur à l’égard du refoulement lorsqu’elle a conclu que le demandeur bénéficiait d’une protection suffisante parce qu’il avait la possibilité de présenter une demande d’ERAR.

[70] Le demandeur confond la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier et la mesure de renvoi qui, selon lui, l’exposerait au refoulement. Bien qu’il soit admis que la mesure d’expulsion à l’encontre du demandeur prendra effet 15 jours après la décision de la SAR de l’exclure en vertu de la section E de l’article premier, le demandeur est toujours protégé contre le refoulement parce qu’il a la possibilité de présenter une demande e d’ERAR.

[71] Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, la SAR n’a pas conclu que les personnes n’ont pas besoin d’une protection absolue contre le refoulement. La SAR a expressément apprécié la préoccupation du demandeur en ce qui a trait au respect des obligations internationales du Canada à l’égard du principe de non-refoulement, comme il est réaffirmé dans l’arrêt Mason. Elle a néanmoins estimé que sa décision d’appliquer la section E de l’article premier s’harmoniserait avec ce principe puisque le demandeur avait la possibilité de présenter une demande d’ERAR.

[72] La SAR s’est attaquée de façon significative aux observations du demandeur concernant le refoulement; elle a conclu que le demandeur pouvait toujours présenter une demande d’ERAR puisque, conformément aux observations du demandeur, il n’est pas visé par le paragraphe 112(3) de la Loi. Elle reconnaît dans ses motifs que le demandeur se trouve dans une « situation difficile » puisqu’il croit qu’il ne « bénéficiera » pas d’un ERAR favorable parce que la SAR a conclu qu’il était visé par la section E de l’article premier. La SAR a traité ce point en indiquant expressément au paragraphe 571 que le demandeur peut produire de nouveaux éléments de preuve au soutien de sa demande d’ERAR; essentiellement, l’agent d’ERAR peut réévaluer si le demandeur est visé la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier. Si l’agent d’ERAR estime que la section E de l’article premier ne s’applique pas et que l’existence d’un risque est démontrée, l’asile ou un sursis à la mesure de renvoi peut être accordé. Comme l’a dit la Cour dans l’arrêt Zeng, bien que la présentation de nouveaux éléments de preuve puisse constituer un « obstacle énorme » en raison de l’alinéa 113a) de la Loi, il ne s’agit pas d’une interdiction totale. Il est également important de souligner que la présente affaire comporte une matrice factuelle différente de celle de l’affaire Zeng; en l’espèce, le demandeur sera confronté à un changement de circonstances important à la suite de la décision de la SAR de l’exclure en vertu de la section E de l’article premier puisque la mesure d’expulsion prendra certainement effet à ce moment-là. Bien que la SAR ait pris en considération la mesure d’expulsion dans ses motifs, au moment de sa décision, les conséquences de cette mesure ne s’étaient pas encore concrétisées. Au moment où l’agent d’ERAR examinera le dossier du demandeur, les conséquences de la mesure d’expulsion se seront cristallisées. Comme l’a fait valoir le défendeur, et je suis d’accord, il était raisonnable pour la SAR de rendre cette décision.

[73] Je reconnais la préoccupation du demandeur quant au fait que la SAR ne s’est pas attaquée de façon significative à ses observations — les motifs de la SAR sur ce point sont particulièrement brefs. Je n’ai pas l’intention de substituer mon avis à celui de la SAR, car cela serait inapproprié suivant la méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision » dans le cadre du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, comme elle est décrite dans l’arrêt Vavilov et soulignée dans l’arrêt Mason. Toutefois, bien que si les motifs de la SAR doivent être adaptés aux questions et préoccupations soulevées, ils n’ont pas besoin d’être longs. Dans l’arrêt Mason, la Cour suprême a conclu que le décideur administratif n’avait pas pris en compte les arguments du demandeur sur les conséquences qu’aurait son interprétation de l’article 34 de la Loi sur les protections dont il bénéficiait dans le cadre du régime d’ERAR. Le demandeur a fait valoir que l’alinéa 34(1)e) exige un lien avec la sécurité nationale ou la sécurité du Canada, en partie, parce que l’agent d’ERAR doit déterminer si la personne constitue un danger pour la sécurité du Canada lorsqu’il analyse l’application de l’article 34. Les motifs du décideur étaient silencieux sur ce point, et selon la Cour suprême, rien ne permettait de conclure que le décideur avait tenu compte de cette contrainte juridique, « même implicitement » : Mason, au para 97, ce qui a contribué au manquement à l’obligation de justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées. En revanche, l’argument du demandeur en l’espèce selon lequel il ne sera pas protégé contre le refoulement par la procédure d’ERAR repose sur l’hypothèse que l’agent d’ERAR conclura que le demandeur est visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier. Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zeng, et comme le reconnaît le demandeur, l’agent d’ERAR peut réexaminer l’application de la section E de l’article premier si de nouveaux éléments de preuve sont déposés, ce qui constitue un obstacle énorme, mais non insurmontable. Par conséquent, lorsqu’elle a fait remarquer que le demandeur pouvait produire de nouveaux éléments de preuve, la SAR a implicitement répondu à l’observation du demandeur concernant l’incidence de la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier sur la protection dont il peut bénéficier au moyen d’un ERAR.

C. Était-il raisonnable pour la SAR de conclure que le statut du demandeur n’est pas « intrinsèquement vulnérable » et, donc, que le demandeur est visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier?

[74] La SAR a souligné que, lorsque le statut d’une personne comporte une vulnérabilité inhérente, la section E de l’article premier n’a pas pour effet d’exclure une personne qui remplit par ailleurs les critères de cette disposition (c’est-à-dire qui a un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants). Elle a statué que le statut de résident permanent du demandeur n’est pas « intrinsèquement vulnérable ». Plus précisément, la SAR a conclu que « [l]e renvoi à la suite d’une conclusion d’interdiction de territoire suivant l’application régulière de la loi ne constitue pas en soi un cas où le statut est vulnérable ou temporaire ».

[75] Le demandeur allègue que la SAR a interprété de manière déraisonnable ce qui constitue un statut « intrinsèquement vulnérable ». Dans la décision Shamlou, la Cour a estimé qu’une personne qui jouit d’un simple statut temporaire ou d’un statut conditionnel ou révocable ne devrait normalement pas être exclue en application de la section E de l’article premier (para 35). Dans la décision Rrotaj, qui confirme la décision Shamlou et sur laquelle s’appuie la SAR, la Cour a conclu qu’un statut est suffisamment durable lorsque la personne a le droit de retourner et de résider dans le pays tiers de résidence durant une période illimitée (para 18‑20). Le demandeur affirme que ces conclusions sont conformes à la note du HCR, au paragraphe 10, qui se lit comme suit :

[traduction]

L’expression « a établi sa résidence » signifie qu’un séjour temporaire ou de courte durée, un simple transit ou une visite ne sont pas suffisants. L’intéressé doit bénéficier d’un statut de résident qui est sûr et donc du droit qui est accordé aux ressortissants de retourner, de rentrer et de demeurer dans le pays concerné. Ce droit doit pouvoir être exercé dans les faits. La renonciation volontaire à la résidence ne rend pas la section E de l’article premier inapplicable, à condition que la personne continue de bénéficier d’un statut de résidence sûr, y compris le droit de retour, et qu’elle se voie reconnaître les droits et obligations rattachés à la possession de la nationalité.

[76] La question de savoir si les résidents permanents, en tant que personnes bénéficiant par définition d’un statut conditionnel, peuvent être visés par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier a déjà été examinée et son caractère raisonnable a été confirmé ci-dessus. Comme l’a constaté la SAR, bien qu’il existe une exigence de durabilité, le statut de résident permanent n’est pas intrinsèquement vulnérable. Le demandeur reconnaît que le simple fait que le statut de résident permanent puisse être perdu n’est pas suffisant pour empêcher l’application de la section E de l’article premier. Cependant, le demandeur allègue que, comme son expulsion est imminente, à savoir 15 jours après que la SAR ait conclu qu’il était visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier, la perte de son statut de résident permanent n’est plus une spéculation, c’est une certitude sur le plan juridique. Par conséquent, le demandeur soutient que son statut est intrinsèquement vulnérable puisqu’il ne possède pas de statut de résident sûr lui permettant de rester dans le pays pour une durée illimitée. À l’appui de cet argument, le demandeur affirme que la SAR n’a pas tenu compte des faits particuliers de son dossier, ce qui est suffisant pour juger la décision déraisonnable.

[77] Le défendeur a fait valoir que l’interprétation de la vulnérabilité inhérente par la SAR est raisonnable compte tenu du régime législatif qu’elle doit appliquer. Le législateur a expressément mis en place un régime législatif qui est à l’origine de cette situation dans laquelle le demandeur fait l’objet d’une mesure d’expulsion qui n’entrera en vigueur qu’une fois que la SAR aura rendu sa décision. Le fait que le statut soit perdu après l’audience ne prouve pas que le statut est intrinsèquement vulnérable, car cette perte de statut est le résultat de l’intention du législateur. La SAR est tenue par la loi de mettre en œuvre l’intention du législateur, ce qu’elle a fait.

[78] La conclusion de la SAR selon laquelle le statut du demandeur n’était pas intrinsèquement vulnérable était raisonnable. La jurisprudence citée par la SAR pour étayer l’existence de l’exigence de durabilité portait sur la protection du demandeur d’asile contre l’expulsion. Dans la décision Rrotaj, au paragraphe 28, citée par la SAR, la Cour souligne expressément que certaines conditions peuvent limiter le statut du demandeur, mais ne le rendent pas intrinsèquement vulnérable, notamment le fait de ne pas respecter les conditions de la résidence permanente — le fondement même de la mesure d’expulsion à l’encontre du demandeur (c’est-à-dire une conclusion d’interdiction de territoire). Le demandeur a fait valoir que la décision Rrotaj confirmait la thèse selon laquelle la conclusion d’un statut intrinsèquement vulnérable nécessite des éléments de preuve démontrant plus qu’une simple possibilité de perte de statut; dans cette affaire, il n’y avait qu’une preuve spéculative que le statut du demandeur d’asile était expiré. Le demandeur d’asile a toujours eu la possibilité de respecter les conditions de son statut. En l’espèce, le demandeur allègue qu’il existe plus qu’un simple risque que son statut soit perdu pour des raisons indépendantes de sa volonté, puisqu’il fait déjà l’objet d’une mesure d’expulsion.

[79] Bien que le moment choisi en l’espèce soit malheureux, la situation du demandeur n’est pas totalement différente des circonstances exposées dans la jurisprudence. Le demandeur avait le statut de résident permanent au moment de l’audience de la SAR, lorsqu’elle a évalué si le demandeur était visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier; pour conserver ce statut de résident permanent, il ne faut pas être interdit de territoire au Canada. La violation de cette condition par le demandeur, et non un simple risque de violation, qu’elle soit intentionnelle ou non, ne rend pas le statut intrinsèquement vulnérable. Jusqu’à ce que le statut soit effectivement perdu, il est raisonnable que la SAR évalue si le demandeur est visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier comme elle le ferait pour tout autre résident permanent canadien.

[80] Le demandeur fait valoir que son cas est différent dans la mesure où, à la suite de la décision, il perdra le statut même sur lequel la SAR s’appuie pour appliquer la section E de l’article premier. En toute déférence, cette conclusion est erronée. Le statut du demandeur sera révoqué en raison de la prise d’effet de la mesure d’expulsion; la SAR n’a pas inventé la vulnérabilité du statut du demandeur. Comme l’indique la SAR, le législateur a conçu l’ordre des procédures prévues par la Loi. Lorsque la Section de l’immigration conclut qu’un demandeur est interdit de territoire, le demandeur conserve son statut de résident permanent jusqu’à ce que la SAR ait statué sur un appel, le cas échéant. Pour cette raison, la SAR a raisonnablement interprété qu’elle ne devait pas considérer le statut du demandeur comme déjà perdu ni le traiter comme éminemment vulnérable ou [traduction] « complètement précaire » comme le décrit le demandeur. Le législateur avait le pouvoir de faire en sorte que le demandeur perde son statut de résident permanent au moment où la Section de l’immigration a conclu qu’il était interdit de territoire, mais il a choisi de ne pas le faire. J’estime qu’il s’agit là d’une interprétation raisonnable du régime législatif.

[81] Le demandeur propose une interprétation différente du statut « intrinsèquement vulnérable », à savoir qu’un statut n’est pas intrinsèquement vulnérable lorsqu’il est volontairement perdu. Invoquant l’arrêt Zeng, lequel était axé sur le problème de la recherche du meilleur pays d’asile, le demandeur soutient que l’exception relative à la vulnérabilité inhérente, et non à une vulnérabilité quelconque, vise l’exclusion des personnes qui compromettent leur statut par leurs propres actions. Même si c’était le cas, le demandeur confond la perte volontaire du statut et la perte intentionnelle. Le défendeur allègue que le demandeur a volontairement compromis son statut, puisque ce sont ses actes qui ont entraîné la conclusion d’interdiction de territoire de la Section de l’immigration. Bien que le demandeur n’ait peut-être pas eu l’intention de perdre son statut, il avait probablement un certain contrôle sur cette perte. Quoi qu’il en soit, l’interprétation par la SAR de ce qui constitue un statut « intrinsèquement vulnérable » est tout aussi, sinon plus, plausible.

[82] Le demandeur soutient également que la conclusion de la SAR revient à interdire à tous les résidents permanents susceptibles d’avoir besoin d’une protection de déposer une demande d’asile, leur statut n’étant pas intrinsèquement vulnérable. Dans ses observations présentées après l’audience, le demandeur affirme que cette conclusion rend la portée de la décision trop large à la lumière de l’arrêt Mason. L’arrêt Mason, au paragraphe 69, rappelle que « l’interprétation par un décideur administratif pourrait être déraisonnable dans la mesure où elle ne tient pas compte de ses conséquences possiblement sévères à l’égard d’une vaste catégorie de personnes ou de la question de savoir, compte tenu de ces conséquences, si le législateur avait souhaité que la disposition s’applique de la sorte ».

[83] Encore une fois, en toute déférence, ce n’est pas vrai. La SAR souligne à juste titre que la Loi n’interdit pas aux résidents permanents canadiens de présenter des demandes d’asile. Elle a conclu que les résidents permanents peuvent être visés par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier et que, dans l’affaire dont elle était saisie, en tant que résident permanent, le demandeur détenait des droits qui l’excluaient au titre de la section E de l’article premier. Au contraire, comme je l’ai mentionné plus haut, les arguments du demandeur reviennent à exiger qu’une personne visée par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier possède des droits équivalant à la citoyenneté, un seuil beaucoup plus élevé que ce que suggère la jurisprudence.

[84] La SAR n’a pas tranché l’affaire du demandeur dans l’abstrait. Elle a souligné au paragraphe 517 de ses motifs qu’elle devait examiner les circonstances particulières afférentes au statut du demandeur. Ainsi, elle a conclu qu’il n’y a aucune preuve de vulnérabilité inhérente qui exclurait le demandeur de l’application de la section E de l’article premier.

VIII. Conclusion

[85] La décision de la SAR était raisonnable. Même si la situation du demandeur est unique parce que le statut sur lequel la SAR s’appuie pour conclure que le demandeur est visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier deviendra certainement caduc après l’exclusion, la SAR a rendu une décision raisonnable en se fondant sur le statut que le demandeur détenait au moment de l’audience devant elle, ainsi que sur tous les droits et obligations rattachés à ce statut. La SAR a suffisamment motivé son interprétation de la section E de l’article premier, en s’appuyant sur la jurisprudence pertinente et sur le régime législatif. En ce qui concerne le non-refoulement, la SAR a expressément pris en considération cette obligation dans ses motifs et a raisonnablement conclu qu’il n’y aurait pas atteinte à cette obligation parce que le demandeur pourrait présenter une demande d’ERAR.

[86] Pour ces motifs, la présente demande sera rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-8142-22

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

 

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8142-22

 

INTITULÉ :

JIAN HUANG (alias JIM WONG) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 août 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 novembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Charles Steven

 

Pour le demandeur

 

James Todd

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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