Date : 20231109
Dossier : IMM-7640-21
Référence : 2023 CF 1494
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2023
En présence de madame la juge Pallotta
ENTRE : |
PALVEER KAUR, GURDEV SINGH,
ASHMEEN KAUR, HARKIRAT SINGH
|
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Les demandeurs, Palveer Kaur, son époux Gurdev Singh et leurs deux enfants, sont une famille originaire de l’Inde qui demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 22 septembre 2021 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAR a rejeté l’appel des demandeurs et a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle ils n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).
[2] M. Singh, un ancien adepte d’un groupe religieux, a perdu ses illusions à l’égard du groupe lorsqu’il a appris que le chef était un criminel et un imposteur. Après avoir quitté le groupe, il a sensibilisé les gens au sujet des activités criminelles du chef, et les demandeurs craignent des représailles. Selon les demandeurs, ils ont reçu, lorsque le chef était en prison, des menaces de la part de fidèles influents de ce groupe. Ils affirment que M. Singh a été arrêté en raison de ses activités contre le groupe et qu’il n’a été libéré qu’après avoir accepté de mettre fin à ses activités. Les demandeurs ont demandé l’asile au motif qu’ils craignaient d’être persécutés ou de subir un préjudice de la part des fidèles et de la police s’ils devaient retourner en Inde.
[3] La SPR a conclu que la preuve et le témoignage des demandeurs n’étaient pas crédibles en ce qui concernait le profil de M. Singh, sa participation au sein du groupe et les activités qu’il a menées pour s’opposer au groupe et à son chef ainsi que l’allégation selon laquelle il était pourchassé par les fidèles du groupe et la police.
[4] Les demandeurs soutiennent que les conclusions défavorables que la SPR a tirées relativement à la crédibilité étaient entachées d’erreurs d’interprétation. En appel devant la SAR, les demandeurs ont allégué qu’ils avaient été privés de justice naturelle à cause d’une mauvaise interprétation.
[5] Les demandeurs ont présenté de nouveaux éléments de preuve en appel à l’appui de leur argument selon lequel la qualité de l’interprétation avait amené la SPR à tirer des conclusions erronées quant à leur crédibilité. Les nouveaux éléments de preuve consistaient en un affidavit de Mme Kaur, un affidavit de M. Singh, un rapport sur la vérification de l’interprétation effectuée par un interprète agréé par la Commission ainsi qu’un affidavit d’une parajuriste qui travaille avec le conseil des demandeurs dans lequel elle a affirmé qu’elle avait traduit l’enregistrement de l’audience de la SPR du pendjabi vers l’anglais. La SAR a estimé que l’affidavit de Mme Kaur ne constituait pas un nouvel élément de preuve au sens du paragraphe 110(4) de la LIPR; toutefois, elle a considéré l’affidavit de Mme Kaur comme des observations à l’instar des arguments contenus dans le mémoire des demandeurs. La SAR a accepté les trois autres documents comme de nouveaux éléments de preuve.
[6] Bien que la SAR ait accepté l’affidavit de la parajuriste, elle ne lui a accordé aucun poids. Dans son affidavit, la parajuriste avait indiqué qu’une traduction de l’enregistrement de l’audience de la SPR était jointe, mais la SAR a déclaré qu’aucun document n’était joint à l’affidavit. De plus, aucun élément de preuve ne démontrait la compétence de la parajuriste en tant qu’interprète du pendjabi à l’anglais. Par conséquent, la SAR n’a accordé aucun poids aux arguments des demandeurs qui se fondaient uniquement sur la traduction que la parajuriste avait réalisée.
[7] La SAR a accepté l’expertise de l’interprète agréé par la Commission et a accordé toute l’importance voulue à son rapport de vérification.
[8] La SAR a déclaré avoir examiné le rapport de vérification dans son intégralité, les arguments présentés dans le mémoire des demandeurs relativement aux erreurs décrites dans le rapport de vérification ainsi que le dossier de la SPR, y compris la transcription de l’audience de la SPR et les parties pertinentes de l’enregistrement audio. La SAR a déterminé que les demandeurs n’avaient pas été privés de justice naturelle à cause d’une mauvaise interprétation pendant l’audience devant la SPR. La SAR a conclu que l’interprétation lors de l’audience devant la SPR respectait la norme jurisprudentielle de la compréhension linguistique et que les erreurs décrites par les demandeurs étaient accessoires et n’étaient pas déterminantes pour les conclusions que la SPR a tirées sur leur crédibilité :
[24] […] Il est vrai que l’interprétation n’a pas toujours été exacte. Or, j’estime que les erreurs décrites dans le rapport de vérification ne démontrent pas un manque de compréhension linguistique entre les appelants et le tribunal de la SPR. Bon nombre des problèmes relevés dans la vérification ont trait au choix des mots par l’interprète qui, bien que différents, ont la même signification ou une signification semblable. Dans de nombreux cas, les questions et les réponses qui ont suivi une interprétation inexacte de quelques mots ou d’une expression démontrent qu’il y avait une compréhension linguistique entre les parties à l’audience.
[25] En outre, et fait encore plus important, j’estime que les erreurs n’ont pas eu une incidence déterminante sur les conclusions de la SPR. Comme il l’a été mentionné, les conclusions de la SPR se fondaient sur de nombreuses divergences et incohérences entre l’exposé circonstancié des appelants, leur témoignage, d’autres déclarations verbales et écrites faites au cours de leurs procédures d’immigration, et les éléments de preuve présentés à l’appui de leur demande d’asile. Les extraits de l’interprétation mis en évidence par les appelants se rapportent à des questions accessoires qui n’étaient pas à la base des conclusions de la SPR.
[9] Les demandeurs soutiennent qu’ils ont été privés de justice naturelle lors de l’audience à cause de la mauvaise qualité de l’interprétation. Selon eux, la question de la crédibilité était déterminante pour la prise de décision relative à leur demande d’asile, et le fait qu’il y a eu des erreurs d’interprétation est suffisant en soi pour que la Cour puisse conclure à un déni de justice naturelle. Les demandeurs soutiennent que la SAR ne s’est pas penchée sur toutes les erreurs d’interprétation qu’ils avaient signalées et qu’elle a commis une erreur en rejetant les erreurs d’interprétation qui étaient résumées dans l’affidavit de la parajuriste. Les demandeurs affirment que la décision de la SAR ne peut être maintenue. Ils demandent que la décision de la SAR soit annulée et que l’affaire soit renvoyée devant la SAR pour un nouvel examen par un tribunal différemment constitué ou, subsidiairement, que l’affaire soit renvoyée devant la SPR.
[10] Le défendeur affirme que la SAR a choisi et appliqué le bon critère, qu’elle a raisonnablement estimé qu’il y avait une compréhension linguistique et qu’elle a raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré l’existence d’erreurs d’interprétation déterminantes. Il soutient que la SAR a constaté de multiples problèmes quant à la crédibilité autres que les problèmes d’interprétation allégués.
[11] Je conclus que les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une erreur qui justifierait l’annulation de la décision de la SAR.
[12] Les demandeurs n’ont relevé aucune erreur d’interprétation que la SAR aurait omis de prendre en considération. La SAR a examiné toutes les erreurs que les demandeurs ont signalées. Elle n’a toutefois accordé aucun poids aux allégations d’erreur fondées sur l’affidavit de la parajuriste puisque la traduction que cette dernière a faite de l’enregistrement de l’audience de la SPR n’était pas jointe à son affidavit et que l’interprète agréé par la Commission n’a pas considéré les erreurs alléguées comme des erreurs dans son rapport de vérification. La SAR a, par conséquent, donné préséance au témoignage de l’interprète agréé par la Commission.
[13] Les demandeurs soutiennent que la SAR aurait dû prendre en considération l’affidavit de la parajuriste puisque les services d’un interprète agréé coûtent très cher et que la parajuriste a relevé des erreurs d’interprétation. Cependant, l’affidavit de la parajuriste ne mentionne pas d’erreurs d’interprétation. Les observations des demandeurs au sujet de l’interprétation inexacte qu’ils attribuent à la parajuriste ne figurent pas dans l’affidavit de cette dernière. Dans son affidavit, la parajuriste indique seulement qu’elle a réalisé une traduction du pendjabi vers l’anglais de l’enregistrement de l’audience de la SPR et que [traduction] « [l]e document ci-joint est, à tous égards, une traduction fidèle et correcte du pendjabi vers l’anglais »
. La SAR a déclaré que la pièce jointe n’était pas dans le dossier à sa disposition. La copie de l’affidavit de la parajuriste dans le dossier certifié du tribunal n’est accompagnée d’aucune pièce jointe. Comme le fait remarquer le défendeur à juste titre, les demandeurs ne peuvent invoquer des erreurs d’interprétation que la parajuriste aurait relevées, alors que la preuve à cet égard n’était pas à la disposition de la SAR. En outre, la copie de l’affidavit de la parajuriste dans le dossier de contrôle judiciaire des demandeurs n’est accompagnée d’aucune pièce jointe.
[14] De plus, je suis d’accord avec le défendeur que la SAR a pris en considération les observations relatives aux erreurs qui étaient soi-disant étayées par l’affidavit de la parajuriste et qu’elle a fait remarquer que le rapport de vérification de l’interprète agréé par la Commission ne mentionnait pas ces erreurs. La SAR a donné préséance au témoignage de l’interprète agréé par la Commission.
[15] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les demandeurs n’ont établi aucune erreur dans la manière dont la SAR a traité les allégations d’erreurs d’interprétation qui étaient soi-disant étayées par l’affidavit de la parajuriste.
[16] Les demandeurs font également valoir que les erreurs d’interprétation sont suffisantes pour que la Cour puisse conclure à un déni de justice naturelle. Cependant, la SAR a examiné les erreurs d’interprétation qui étaient mentionnées dans le rapport de vérification. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs réitèrent les observations formulées dans le mémoire qu’ils ont présenté à la SAR. Dans le mémoire à l’appui de la présente instance, les demandeurs n’expliquent pas en quoi la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a évalué si les erreurs d’interprétation ont mené à un déni d’équité procédurale.
[17] Lors de l’audience devant la Cour, les demandeurs ont fait valoir que la SPR a tiré des conclusions déterminantes quant à leur crédibilité en se fondant sur le témoignage de M. Singh au sujet du caractère religieux du groupe que craignaient les demandeurs et d’une visite de la police en juin 2018. Les demandeurs ont soutenu que ces conclusions de la SPR n’étaient pas accessoires et qu’elles étaient entachées d’erreurs d’interprétation. Je ne suis pas convaincue que ces arguments établissent l’existence d’une erreur de la part de la SAR. L’erreur alléguée dans l’interprétation du témoignage de M. Singh au sujet du caractère religieux du groupe n’est pas mentionnée dans le rapport de vérification de l’interprétation. Il s’agissait d’une erreur d’interprétation qui serait soi-disant ressortie de la traduction de la parajuriste, laquelle n’a jamais été fournie. La SAR a examiné l’erreur d’interprétation relative au témoignage de M. Singh au sujet de la visite de la police et elle a estimé que la SPR avait fondé ses conclusions quant à la crédibilité sur la contradiction entre l’exposé circonstancié des demandeurs, sur lequel repose la demande d’asile, et le témoignage de Mme Kaur, dont l’exactitude n’était pas contestée. La SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré que l’erreur d’interprétation du témoignage de M. Singh au sujet de la visite de la police avait été importante pour la conclusion de la SPR ou qu’elle avait eu une incidence sur l’issue du dossier.
[18] En conclusion, la SAR a déterminé qu’il n’y avait eu aucun manquement à l’équité procédurale découlant d’une interprétation inadéquate pendant l’audience devant la SPR, et les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une erreur qui justifierait l’annulation de la décision de la SAR. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
[19] La présente affaire ne soulève aucune question à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM-7640-21
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Christine M. Pallotta »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-7640-21 |
INTITULÉ :
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PALVEER KAUR, GURDEV SINGH, ASHMEEN KAUR, HARKIRAT SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 13 juin 2023
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE PALLOTTA
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DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :
|
LE 9 NOVEMBRE 2023
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COMPARUTIONS :
Aditi Sheoran (à titre de représentante de Lakhwinder Sandhu) |
POUR LES DEMANDEURS |
Christopher Ezrin |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lakhwinder Sandhu Law Firm Prof. Corp
Avocat Brampton (Ontario) |
POUR LES DEMANDEURS |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
Pour le défendeur |