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Date : 20231031


Dossier : IMM-10299-22

Référence : 2023 CF 1449

Montréal (Québec), le 31 octobre 2023

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

MOHAMED AMIR BELHEDI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Mohamed Amir Belhedi, est citoyen de la Tunisie. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 27 septembre 2022 [Décision] de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [SAR]. Dans sa Décision, la SAR rejette la demande d’asile de M. Belhedi au motif qu’il n’a pas la qualité de réfugié ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], car il dispose de deux possibilités de refuge intérieur [PRI] viables en Tunisie, dans les villes de Sfax ou de Hammamet. La SAR confirme ainsi la décision que la Section de la protection des réfugiés [SPR] avait rendue au même effet.

[2] M. Belhedi soutient que la Décision n’est pas raisonnable puisque la SAR aurait erré dans son analyse des PRI. Il demande à la Cour d’annuler la Décision et de retourner l’affaire devant la SAR pour une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. La seule question en litige est de savoir si les conclusions de la SAR sur les PRI sont raisonnables.

[3] Pour les motifs qui suivent, je vais rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Belhedi. Compte tenu des conclusions de la SAR, de la preuve qui lui a été présentée et du droit applicable, je ne vois aucune raison d’infirmer la Décision, car elle ne comporte aucune lacune grave qui nécessiterait l’intervention de la Cour.

II. Contexte

A. Les faits

[4] M. Belhedi arrive au Canada en octobre 2012 en tant qu’étudiant.

[5] En mai 2014, il rentre en Tunisie pour visiter sa famille et ses proches. Le 2 juillet 2014, M. Belhedi se trouve dans un café de son quartier avec deux amis, où ils débattent de la situation politique en Tunisie, plus précisément de la montée de l’islamisme et de la menace terroriste. À ce moment, un vieil ami de M. Belhedi, M. Ahmed Chi [Agent persécuteur], membre du parti Ennahdha — un parti islamiste et salafiste —, s’approche de M. Belhedi et ses amis. M. Belhedi constate qu’il a un discours religieux, citant le Coran et relançant le sujet de l’islamisme et des frères musulmans. Après que M. Belhedi ait exprimé son rejet des actes de terrorisme, l’Agent persécuteur monte le ton, justifiant les attaques, les crimes et les attentats comme étant des commandements divins.

[6] Une semaine plus tard, M. Belhedi se rend seul au même café de quartier. Alors qu’il est assis à une table, l’Agent persécuteur s’y invite sans être prié. Il parle encore une fois de religion et de djihad. M. Belhedi se sent menacé et lui demande de cesser de lui parler sans quoi il le dénoncerait à la police pour « apologie du terrorisme ». L’Agent persécuteur l’agrippe au bras et l’enjoint de cesser de critiquer l’islam et le djihad. M. Belhedi répond de nouveau qu’il irait voir la police et qu’il n’a rien à faire de la religion. L’Agent persécuteur frappe alors M. Belhedi d’un coup de poing au visage, devant les clients du café.

[7] M. Belhedi se rend le jour même au commissariat de police du quartier pour porter plainte contre l’Agent persécuteur. Toutefois, les policiers refusent sa plainte car ils estiment que la situation n’est pas assez sérieuse.

[8] Le 15 novembre 2014, alors que M. Belhedi s’apprête à s’installer au même café, il revoit l’Agent persécuteur pour une troisième fois. Ce dernier lui dit être courant de sa visite au commissariat et qu’il regretterait sa tentative de porter plainte contre lui. M. Belhedi appelle tout de suite son père, qui lui achète par la suite un billet d’avion pour retourner au Canada.

[9] M. Belhedi retourne au Canada en janvier 2015, au moment où son permis d’étude entre en vigueur. Le statut d’étudiant de M. Belhedi vient à échéance en août 2016, après quoi il demeure au Canada sans statut. Il demande l’asile en octobre 2020.

[10] La SPR rejette la demande de M. Belhedi. Elle conclut que les allégations et le témoignage de M. Belhedi sont crédibles. Cependant, la SPR identifie des PRI dans les villes de Sfax et Hammamet en Tunisie. Elle estime que M. Belhedi n’a pas établi que l’Agent persécuteur aurait la motivation de le rechercher s’il devait se relocaliser dans l’une de ces villes et qu’il n’a pas démontré une possibilité sérieuse de persécution ou d’être personnellement exposé à un risque aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR. Pour appuyer sa conclusion, la SPR se réfère au témoignage de M. Belhedi affirmant que ni sa famille ni ses amis n’ont eu de problèmes avec l’Agent persécuteur depuis son retour au Canada en janvier 2015. De plus, la SPR note que les incidents ont tous eu lieu au même café du quartier. De ce fait, la SPR caractérise les incidents comme « rencontres fortuites » et détermine qu’il n’y a pas de preuve au dossier démontrant que l’Agent persécuteur serait motivé de rechercher M. Belhedi dans les PRI.

[11] La SPR détermine donc qu’il n’y a pas de risque prospectif pour M. Belhedi advenant un retour en Tunisie, même s’il est un musulman non-pratiquant. En regard de l’ensemble des facteurs analysés, la SPR conclut que la preuve documentaire sur la situation générale en Tunisie n’est pas suffisante pour établir une possibilité sérieuse que M. Belhedi soit exposé à une atteinte grave à ses droits fondamentaux.

[12] La SPR détermine également que les PRI ne sont pas déraisonnables vu les affirmations faites à l’audience par M. Belhedi à l’effet qu’outre ses problèmes avec l’Agent persécuteur, il pourrait vivre et travailler dans les villes de Sfax ou Hammamet.

B. La Décision de la SAR

[13] Dans sa Décision, la SAR confirme les conclusions de la SPR, et analyse les deux volets du test pour la détermination d’une PRI. À cette fin, la SAR conclut également qu’il n’y a pas une possibilité sérieuse de persécution ou, selon la prépondérance des probabilités, un risque au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR dans les PRI proposées, ni qu’il serait objectivement déraisonnable pour M. Belhedi d’y trouver refuge.

[14] Sur le premier volet du test, la SAR estime que M. Belhedi n’a pas rencontré le fardeau qui lui incombait de démontrer que l’Agent persécuteur aurait l’intérêt et la motivation de le rechercher dans les PRI proposées. Selon la SAR, à la lumière de la preuve présentée par M. Belhedi, toutes les interactions avec l’Agent persécuteur se sont déroulées au même café de quartier, ce qui suggère que le risque auquel M. Belhedi pourrait être exposé se limite au quartier en question.

[15] Qui plus est, la SAR conclut que M. Belhedi n’a pas démontré que son Agent persécuteur aurait la capacité de le retrouver dans les PRI proposées. La SAR reconnaît que l’Agent persécuteur fait partie du parti politique Ennahdha et qu’il pourrait donc avoir accès aux informations et coordonnées divulguées par M. Belhedi à la Caisse nationale de la sécurité sociale advenant son retour en Tunisie. Par contre, la SAR observe que M. Belhedi n’a fourni aucune preuve quant au rôle de l’Agent persécuteur au sein du parti Ennahdha ou à l’influence qu’il pourrait y avoir. La SAR estime donc que rien ne permet d’établir que l’Agent persécuteur pourrait avoir accès aux renseignements personnels de M. Belhedi en raison de son appartenance politique ou qu’il entreprendrait des démarches pour tenter de retrouver M. Belhedi même s’il les avait.

[16] Finalement, la SAR détermine qu’il n’y a pas une possibilité sérieuse de persécution aux mains des extrémistes religieux du fait que M. Belhedi soit un musulman non pratiquant, puisque M. Belhedi n’a pas contesté les conclusions de la SPR à ce chapitre.

[17] Quant au deuxième volet du test de la PRI, à savoir qu’il serait déraisonnable pour M. Belhedi de chercher refuge dans les PRI proposées, la SAR estime que la SPR n’a pas erré en concluant que M. Belhedi n’en a pas fait la preuve. Compte tenu des représentations de M. Belhedi devant la SPR ainsi que sa formation universitaire et ses capacités linguistiques, la SAR conclut que M. Belhedi n’a pas démontré qu’il ne pourrait s’établir à Sfax ou à Hammamet, subvenir à ses besoins, s’y loger et y vivre en sécurité. De surcroît, la SAR estime que les conditions dans les PRI proposées ne sont pas à ce point aberrantes que la vie ou la sécurité de M. Belhedi y serait à risque.

C. La norme de contrôle

[18] Il est bien connu que les conclusions de la SAR quant à l’existence d’une PRI viable sont révisables selon la norme de la décision raisonnable (Rodriguez Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 426 au para 14; Djeddi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1580 au para 16; Valencia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 386 au para 19; Adeleye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 81 au para 14; Ambroise c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 62 au para 6; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 350 [Singh] au para 17; Kaisar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 789 au para 11).

[19] La norme de la décision raisonnable se concentre sur la décision prise par le décideur administratif, ce qui englobe à la fois le raisonnement suivi et le résultat (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 83, 87). Une décision raisonnable se justifie par des raisons transparentes et intelligibles qui révèlent un raisonnement intrinsèquement cohérent (Vavilov aux para 86, 99). La cour de révision doit tenir compte des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur est confronté (Vavilov aux para 90, 99), sans pour autant « apprécier à nouveau la preuve prise en compte » par celui-ci (Vavilov au para 125). La cour doit plutôt adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13).

[20] Il incombe à la partie qui conteste une décision de prouver qu’elle est déraisonnable. Pour que la cour de révision annule une décision administrative, elle doit être convaincue qu’il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

III. Analyse

[21] La seule question en litige porte sur le caractère raisonnable de la Décision en ce qui a trait aux conclusions de la SAR sur les PRI.

[22] M. Belhedi avance deux motifs pour attaquer le caractère raisonnable de la Décision.

[23] D’une part, M. Belhedi estime la SAR aurait erré en concluant que l’Agent persécuteur n’aurait pas l’intérêt ou la motivation de le rechercher. À cette fin, M. Belhedi soumet que la SAR n’aurait pas tenu compte de la preuve déposée, et notamment du témoignage d’un de ses amis affirmant que l’Agent persécuteur est encore à la recherche de M. Belhedi et que ce dernier tient toujours un discours haineux, dangereux et violent à son endroit. M. Belhedi soumet également que la SAR n’aurait pas tenu compte de son affidavit qui déclare que l’État tunisien refuse de le protéger vu que les policiers n’ont pas pris sa plainte au sérieux et que l’Agent persécuteur comptait le retrouver et le tuer, selon les propos rapportés par son ami. M. Belhedi affirme que ces éléments de preuve démontreraient un intérêt et une motivation de la part de l’Agent persécuteur pour le rechercher.

[24] D’autre part, M. Belhedi maintient que la SAR aurait erré en concluant que l’Agent persécuteur n’aurait pas la capacité de le retrouver. Selon M. Belhedi, la SAR aurait ignoré ses explications quant à la capacité de l’Agent persécuteur de le retrouver par l’entremise de la Caisse nationale de la sécurité sociale en raison de son lien avec le parti Ennahdha.

[25] Je ne suis pas convaincu par les arguments de M. Belhedi.

[26] Le test permettant de déterminer l’existence d’une PRI viable est bien établi. Il trouve sa source dans les arrêts Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA) [Thirunavukkarasu], où la Cour d’appel fédérale a identifié deux critères à satisfaire pour conclure au caractère raisonnable d’une PRI :

1) Il ne doit pas y avoir de possibilité sérieuse, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs soient persécutés dans la partie du pays dans laquelle la PRI existe; et

2) Il ne doit pas être déraisonnable pour les demandeurs de prendre refuge à la PRI, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui sont propres à la situation des demandeurs.

[27] Dans l’affaire Singh, la Cour a rappelé que « l’analyse d’une PRI repose sur le principe voulant que la protection internationale ne puisse être offerte aux demandeurs d’asile que dans les cas où le pays d’origine est incapable de fournir à la personne qui demande l’asile une protection adéquate partout sur son territoire » (Singh au para 26).

[28] Si une PRI est établie, il incombe alors aux demandeurs d’asile de démontrer que la PRI est inadéquate et qu’il est déraisonnable de s’y établir (Thirunavukkarasu au para 12; Salaudeen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 39 au para 26; Manzoor‑Ul‑Haq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1077 au para 24; Feboke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 155 aux para 43–44). De plus, la jurisprudence enseigne qu’une conclusion sur la PRI est déterminante et est suffisante pour rejeter une demande d’asile (Ojeda Escobar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1453 au para 6).

[29] En ce qui concerne le témoignage de l’ami de M. Belhedi, rien n’indique que la SAR ait omis de prendre en considération cette preuve pertinente. Bien au contraire, la SAR fait expressément référence à ce témoignage au paragraphe 30 de la Décision. La SAR était donc bien au fait de ce témoignage et a simplement déterminé, au terme de son analyse, que la rencontre entre l’ami de M. Belhedi et l’Agent persécuteur était fortuite, considérant que ces personnes vivaient toutes dans le même quartier près du café fréquenté par l’Agent persécuteur. Il était donc tout à fait loisible, devant une telle trame factuelle, pour la SAR de conclure que M. Belhedi n’avait pas démontré que l’Agent persécuteur serait activement à sa recherche ou qu’il aurait l’intérêt ou la motivation de le rechercher dans les PRI proposées.

[30] À la lumière des faits devant elle, la SAR pouvait raisonnablement conclure que M. Belhedi n’a pas démontré que le risque auquel il serait exposé s’étendrait à l’extérieur du quartier. D’ailleurs, M. Belhedi n’a soumis aucune preuve indiquant que l’Agent depuis son départ en janvier 2015 — une période de sept (7) ans — ou même après l’incident avec son ami en janvier 2022. Toute la preuve appuie plutôt la conclusion voulant que l’Agent persécuteur ne nourrissait aucune motivation de rechercher M. Belhedi dans l’une ou l’autre des PRI proposées.

[31] Je souligne que, selon la jurisprudence, la SAR est présumée avoir analysé l’ensemble de la preuve devant elle, à moins de preuve à l’effet contraire (Khelili c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 188 [Khelili] au para 29, citant Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 au para 36 et Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL) au para 1). En l’espèce, il n’y a pas de preuve que la SAR n’aurait pas tenu compte de la preuve déposée.

[32] Par ailleurs, contrairement à ce qu’avance M. Belhedi, rien n’indique non plus que la SAR aurait ignoré les explications de M. Belhedi quant à la capacité de l’Agent persécuteur de le retrouver par le biais de la Caisse nationale de la sécurité sociale vu son appartenance au parti Ennahdha. En fait, encore une fois, la SAR a fait expressément référence à cette possibilité au paragraphe 32 de la Décision. Cependant, la SAR a ensuite déterminé que M. Belhedi n’a fourni aucune preuve quant au rôle que l’Agent persécuteur jouait au sein de ce parti ou à l’influence qu’il pouvait y exercer. Contrairement à ce que M. Belhedi a suggéré lors de l’audience devant la Cour, le seul fait d’être membre d’un parti politique qui s’apparente à un groupe terroriste ne suffit pas pour conclure que cette personne présente une menace à l’échelle du pays tout entier. Il appartenait à M. Belhedi de faire la preuve que c’était le cas en ce qui concerne son Agent persécuteur, mais il omis de le faire.

[33] Au surplus, rien dans la preuve ne permettait d’établir que, même s’il pouvait avoir accès aux renseignements inscrits à la Caisse nationale de la sécurité sociale, l’Agent persécuteur aurait la motivation d’entreprendre les démarches requises afin d’obtenir les coordonnées de M. Belhedi et tenter de le retracer. Dans la décision Leon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 428 [Leon], citée par le Ministre, la Cour énonce « qu’il existe une différence entre la capacité d’un persécuteur de poursuivre un individu partout dans un pays et sa volonté ou son intérêt de le faire. Le fait qu’un persécuteur a la capacité de poursuivre un individu n’est pas une preuve décisive que ce dernier est motivé de poursuivre cet individu. Si le persécuteur n’a pas la volonté ou l’intérêt de trouver, poursuivre et/ou persécuter un individu, il est raisonnable de conclure qu’il n’y a pas de risque sérieux de persécution » (Leon au para 13). C’est le cas ici.

[34] Une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits (Vavilov au para 126). À cette fin, « le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments […] Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov au para 126). En l’espèce, il est manifeste que la SAR a tenu compte de l’ensemble de la preuve, y compris le témoignage de l’ami de M. Belhedi et les soumissions de M. Belhedi concernant la Caisse nationale de la sécurité sociale, et en a tiré des conclusions raisonnables lors de son analyse.

[35] De plus, compte tenu de l’absence totale de preuve eu égard aux efforts que l’Agent persécuteur aurait pu déployer pour retrouver M. Belhedi, la SAR pouvait raisonnablement inférer de la preuve soumise que l’Agent persécuteur n’avait pas la motivation requise pour le poursuivre (Leon au para 18).

[36] En somme, vu la preuve devant elle, la SAR pouvait à bon droit conclure que M. Belhedi n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que son Agent persécuteur aurait la motivation ou l’intérêt de lui poursuivre dans les PRI proposées.

[37] Quant au deuxième volet du test, le Ministre fait valoir que M. Belhedi n’a pas contesté la conclusion de la SAR à cet égard et que celle-ci devrait alors être tenue pour avérée. Je partage cet avis. Incidemment, M. Belhedi a lui-même affirmé, lors de son audience devant la SPR, qu’hormis ses problèmes avec l’Agent persécuteur, il pourrait vivre et travailler dans les villes de Sfax et Hammamet. La SAR a donc raisonnablement conclu que M. Belhedi pourrait trouver refuge dans les PRI proposées. À l’audience devant la Cour, l’avocat de M. Belhedi a confirmé qu’il ne contestait pas les conclusions de la SAR sur le deuxième volet du test.1

[38] Au final, les arguments de M. Belhedi manifestent plutôt son désaccord quant à l’appréciation de la preuve faite par la SAR et suggèrent à la Cour d’adopter une évaluation différente du décideur administratif. Or, il est bien acquis que ceci n’est pas suffisant pour que la Cour intervienne (Khelili au para 25). M. Belhedi n’a identifié aucune lacune grave dans la Décision et, dans une telle situation, la Cour doit éviter de s’immiscer dans les conclusions de la SAR (Vavilov au para 100). L’expertise de la SAR en matière d’immigration exige en effet que la Cour fasse preuve d’une grande déférence à l’égard de ses conclusions de faits sur le test de la PRI (Singh au para 32). En l’espèce, je suis d’avis que la Décision possède les attributs d’intelligibilité, de transparence et de justification requis en vertu de la norme de la décision raisonnable, et qu’il n’y a aucune raison qui pourrait justifier la Cour de substituer son opinion à celle de la SAR.

IV. Conclusion

[39] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de M. Belhedi est rejetée.

[40] Aucune partie n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune.

 


JUGEMENT au dossier IMM-10299-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-10299-22

INTITULÉ :

MOHAMED AMIR BELHEDI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

30 OCTOBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

GASCON J.

DATE DES MOTIFS :

31 OCTOBRE 2023

COMPARUTIONS :

Me Fernand Bali

POUR LE DEMANDEUR

Me Steve Bell

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fernand Bali

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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