Dossier : IMM-326-22
Référence : 2023 CF 1343
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2023
En présence de monsieur le juge Norris
ENTRE :
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JOHN KAYODE-ABUSI
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le demandeur est un citoyen du Nigéria âgé de 38 ans. Il a quitté le Nigéria pour se rendre aux États-Unis en février 2017. Il est entré de manière irrégulière au Canada en octobre 2017 et a ensuite demandé l’asile. Il a allégué qu’il craignait avec raison la persécution de la part de traditionalistes de son village d’origine, Ikale, qui ont tenté de le convaincre de devenir un Abobaku, c’est-à-dire une personne qui, selon les coutumes des Yorouba, serait éventuellement sacrifiée et inhumée avec le roi local à la mort de ce dernier.
[2] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la CISR) a instruit la demande du demandeur le 3 juin 2021. Dans une décision datée du 5 juillet 2021, elle a rejeté la demande parce qu’elle a conclu que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) [trois endroits précis au Nigéria ont été désignés].
[3] Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la CISR. La SAR a rejeté l’appel interjeté par le demandeur dans une décision datée du 21 décembre 2021. La SAR a convenu avec la SPR que le demandeur disposait d’une PRI viable dans les endroits désignés. La SAR a donc confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.
[4] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Il soutient que la conclusion de la SAR selon laquelle il dispose d’une PRI viable est déraisonnable.
[5] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas d’accord. La présente demande sera donc rejetée.
[6] Les parties conviennent, tout comme moi, que la décision de la SAR doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85). Une cour de révision doit faire preuve de déférence à l’égard d’une décision qui revêt ces qualités (ibid). Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur et de modifier les conclusions de fait à moins de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Avant de pouvoir infirmer la décision pour le motif qu’elle est déraisonnable, la cour de révision doit être convaincue qu’« elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au para 100).
[7] Comme je l’ai souligné, la SPR et la SAR ont toutes deux rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’une PRI viable existe au Nigéria. Une PRI est un endroit dans le pays d’origine de la partie qui demande l’asile où elle ne serait exposée à aucun risque (selon le sens pertinent et la norme applicable, selon que la demande est présentée au titre de l’article 96 ou 97 de la LIPR) et où il ne lui serait pas déraisonnable de se réinstaller. Lorsqu’il existe une PRI viable, un demandeur n’a pas droit à la protection d’un pays tiers. Pour réfuter la proposition qu’elle dispose d’une PRI viable, la partie demandant l’asile porte le fardeau de démontrer qu’elle serait soit exposée à un risque dans l’endroit proposé comme PRI ou, même si elle n’y serait pas exposée à un risque, qu’il serait déraisonnable qu’elle s’y réinstalle compte tenu de toutes les circonstances. Pour ce qui est du critère relatif à la PRI en général, voir Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1992] 1 CF 706, Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1994] 1 CF 589 et Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CA), [2001] 2 CF 164.
[8] Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de conclure que le premier volet du critère relatif à la PRI était satisfait. Il affirme aussi que la SAR a commis une erreur dans sa décision puisqu’elle n’y a pas abordé le second volet du critère dans le moindre détail.
[9] Quant à la question de savoir si le demandeur serait à l’abri de la persécution dans les endroits désignés comme PRI par la SPR, la SAR était d’accord avec la SPR pour dire que le demandeur n’avait pas établi que ses agents de persécution seraient motivés à le chercher dans ces endroits ou, même s’ils l’étaient, qu’ils auraient les moyens de l’y retrouver. À cet égard, le fardeau de la preuve reposait sur le demandeur. Il n’était pas déraisonnable de la part de la SAR, vu le dossier dont elle était saisie, de conclure que le demandeur n’avait pas réussi à s’acquitter de ce fardeau.
[10] Tout comme la SPR, la SAR a reconnu que l’exposé circonstancié du demandeur était crédible. À ce titre, tout intérêt que les agents de persécution avaient manifesté pour le demandeur n’était cependant plus pertinent. Le dernier incident pour lequel le demandeur avait pu fournir une date (lorsque sa femme avait été interrogée au sujet de l’endroit où il se trouvait quelques semaines après son départ du Nigéria) s’était produit en février 2017. Avant cet incident, l’intérêt des agents de persécution envers le demandeur remontait à juin 2015.
[11] La SAR a fourni des motifs transparents et intelligibles qui expliquaient pourquoi elle était d’accord avec la SPR pour dire que la preuve du demandeur ne permettait pas d’établir que les agents de persécution étaient actuellement motivés à le retrouver ou qu’ils avaient les moyens de le faire. Entre autres, la SAR a expliqué pourquoi elle était d’accord avec la SPR pour dire que certains éléments de preuve, qui ne portaient pas de date, n’avaient aucune valeur probante permettant d’établir l’intérêt continu des agents de persécution à l’égard du demandeur. (Même si on appliquait l’interprétation la plus favorable à ces éléments de preuve, ceux-ci ne sont pas postérieurs à 2018.) Dans ses observations en appel, le demandeur me demande essentiellement d’apprécier à nouveau la preuve qu’il a présentée et de tirer une conclusion différente de celle tirée par la SAR. Comme je l’ai déjà mentionné, il ne s’agit pas du rôle de la Cour lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable.
[12] Le demandeur prétend aussi que la SAR a commis une erreur puisqu’elle n’a pas abordé le deuxième volet du critère relatif à la PRI en détail dans sa décision. Je ne suis pas d’accord. Bien qu’il soit vrai que la SAR a seulement résumé brièvement les conclusions de la SPR au sujet du second volet et a ensuite formulé de façon concluante qu’elle était d’accord avec ces conclusions, il est également vrai, comme la SAR elle-même l’a mentionné, que le demandeur n’a pas contesté cet aspect de la décision de la SPR. Toutes les observations en appel du demandeur se rapportaient au premier volet du critère relatif à la PRI. La SAR ne peut pas être accusée de ne pas avoir abordé en détail une question qui ne lui avait pas été soumise.
[13] En somme, le demandeur n’a pas établi de fondement qui justifie une modification de la décision de la SAR.
[14] Les parties n’ont pas proposé de question grave de portée générale aux fins de certification en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-326-22
LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :
La demande est rejetée.
Aucune question de portée générale n’est énoncée.
« John Norris »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-326-22
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INTITULÉ :
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JOHN KAYODE-ABUSI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 23 MarS 2023
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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lE JUGE NORRIS
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DATE DES MOTIFS :
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LE 10 OctobRe 2023
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COMPARUTIONS :
Ariel Hollander
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POUR LE DEMANDEUR
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Michael Butterfield
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POUR LE défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lewis & Associates
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE défendeur
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