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Date : 20231020

Dossier : IMM-9439-21

Référence : 2023 CF 1393

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa, le 20 octobre 2023

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

DAVID OLUSANYA MATTHEW

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur conteste la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande d’asile présentée sur le fondement de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La SPR a conclu que la demande d’asile du demandeur était manifestement infondée aux termes de l’article 107.1 de la LIPR parce que celle-ci était clairement frauduleuse.

[2] Le demandeur fait valoir que la décision de l’agent devait être annulée au motif qu’elle est déraisonnable selon les principes établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov].

[3] Pour les motifs exposés ci-après, la demande sera rejetée.

I. Les faits et les événements à l’origine de la présente demande

[4] Le demandeur est un citoyen du Nigéria. À la fin du mois de juin 2018, il a quitté le Nigéria et s’est rendu aux États-Unis pour assister à une conférence. Après avoir été mis au courant par sa famille de certains événements survenus au Nigéria, il craignait de retourner chez lui et est demeuré aux États-Unis. Quatre mois plus tard, en raison de l’épuisement de ses ressources financières et de la politique [traduction] « intolérante » relative à l’immigration et aux réfugiés appliquée par les États-Unis à l’époque, le demandeur a traversé la frontière pour entrer au Canada.

[5] Le 13 novembre 2018, le demandeur a présenté une demande d’asile au titre de la LIPR. Il prétendait craindre d’être persécuté parce qu’il était impliqué dans un litige foncier au Nigéria. En mars 2020, il a modifié sa demande d’asile pour y ajouter une allégation relative à son identité bisexuelle.

A. Le litige foncier

[6] Le demandeur a affirmé avoir hérité d’une parcelle de terre au Nigéria après le décès de son père, sur laquelle il voulait construire une nouvelle maison. Il a affirmé que, en septembre 2016, des émissaires envoyés par Sa Majesté Royale, l’Enogie III, lui ont ordonné d’arrêter les travaux. Le demandeur a prétendu que six personnes ont pris d’assaut le chantier de construction et ont tenté d’arrêter les travailleurs; ils en ont battu quelques-uns et ont saisi des outils et des matériaux. Le demandeur a tenté de déposer une plainte à la police, mais s’est fait dire que l’affaire était de nature civile et qu’elle devait être réglée à l’amiable étant donné la notoriété des personnes concernées. Le demandeur a appris plus tard que le fils de l’Enogie était un commissaire de police adjoint de la police nigériane et qu’il avait un intérêt direct dans le terrain en raison de son emplacement stratégique. Le demandeur a affirmé avoir reçu d’autres menaces par téléphone et avoir été ouvertement harcelé, mais qu’il avait continué les travaux de construction.

[7] La construction de la maison, sur la parcelle de terre en litige, s’est achevée le 17 novembre 2017. En janvier 2018, le demandeur et sa famille ont emménagé dans cette nouvelle maison.

[8] Le demandeur a quitté le Nigéria le 27 juin 2018 pour assister à une conférence aux États-Unis. Trois jours plus tard, son cousin lui a téléphoné pour l’informer que sa maison avait fait l’objet d’une attaque par des agresseurs inconnus et que son fils avait été atteint par deux projectiles. Son épouse l’a appelé plus tard pour corroborer les événements et lui a dit que la famille royale, en particulier le commissaire de police adjoint, était responsable.

[9] Les membres de la famille immédiate du demandeur qui se trouvaient au Nigéria ont déménagé à Port Harcourt, mais les agresseurs les ont retrouvés là-bas et ont laissé un message de menace à un voisin.

[10] Après avoir parlé à des membres de sa famille au Nigéria, le demandeur croyait qu’il était la cible principale et qu’il aurait été tué s’il avait été chez lui lorsque les agresseurs sont arrivés. Il a décidé de ne pas retourner au Nigéria.

B. L’identité bisexuelle

[11] Dans un addenda à sa demande d’asile, daté du 4 mars 2020, le demandeur a affirmé qu’il était bisexuel et qu’il avait caché son identité à son épouse et à tous ceux qui le côtoyaient au Nigéria. Il a prétendu que, à un moment donné, en 2016, il avait été arrêté et détenu et qu’on l’avait accusé d’avoir eu des activités homosexuelles avec l’homme qui était son partenaire à l’époque. Il a été forcé d’avouer sous la contrainte qu’il avait commis le crime et de « payer un énorme pot-de-vin » d’environ 1 000 $ CA. Il a été libéré peu après avoir versé le pot‑de‑vin. Après avoir reçu l’argent, la police a dit, à son partenaire et à lui, que le dossier était clos.

[12] Le demandeur a aussi déclaré dans son addenda que, après avoir été arrêté en lien avec la parcelle de terre dont il avait hérité, un agent de police avait révélé ses activités bisexuelles à son supérieur, soit le commissaire de police adjoint (c’est-à-dire le membre de la famille royale). Le demandeur a affirmé que le commissaire adjoint avait utilisé ses pouvoirs pour ordonner à ses hommes d’arrêter le demandeur et de le poursuivre en application de la loi nigériane. La police s’est présentée au domicile du beau-père du demandeur et lui a remis une lettre d’invitation relative à son arrestation. De plus, le roi l’a accusé de profaner la terre par ses activités bisexuelles et a mis sa tête à prix.

[13] Le demandeur a déclaré que sa vie serait gravement menacée s’il retournait au Nigéria.

C. La décision de la SPR

[14] La SPR a instruit la demande d’asile le 21 juin 2021. Dans une décision datée du 12 novembre 2021, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur fondée sur l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la LIPR.

[15] Allégation relative au litige foncier : La SPR a conclu que le fondement de la demande d’asile ayant trait au litige foncier n’était pas crédible ni digne de foi. Elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y avait pas eu de litige foncier et a tiré plusieurs conclusions au sujet de celui-ci :

  • a)Adresse de la parcelle de terre en litige : Il y avait dans le témoignage du demandeur d’asile une incohérence importante concernant l’adresse de la maison de ce dernier située sur la parcelle de terre. Plus précisément, dans son témoignage au sujet de l’endroit où il habitait avant de quitter le Nigéria, le demandeur n’a pas mentionné la maison située sur le terrain en litige où il aurait vécu à compter de janvier 2018; dans son témoignage, il a d’abord dit que l’adresse de la maison était le 20, rue Isibor, puis a affirmé qu’il s’agissait du 20, rue Ekilado, et son explication pour cette erreur n’était pas crédible. De plus, un homme qui avait travaillé sur la maison de 2016 à 2018 a fourni une adresse différente dans un affidavit présenté par le demandeur, et l’explication du demandeur à cet égard n’était pas crédible. En outre, à l’audience, la SPR a examiné un rapport de police présenté par le demandeur dans lequel était indiquée l’adresse de la maison, et le demandeur a déclaré spontanément que l’adresse était le 12, rue Ekilado (et non pas le 20, rue Ekilado). Encore une fois, la SPR a jugé que l’explication du demandeur à propos de cette divergence n’était pas crédible. L’adresse de la maison ou de la parcelle de terre en litige ne figurait dans aucun autre affidavit provenant des membres de la famille. Enfin, le demandeur n’avait pas indiqué l’adresse de la parcelle de terre en litige comme il était exigé dans le formulaire Annexe A lorsqu’il a rempli ses documents d’immigration canadiens. La SPR a jugé que l’explication du demandeur au sujet de cette omission n’était pas crédible.

  • b)Documents de police contrefaits : Trois documents, à savoir la lettre et deux extraits prétendus d’un registre de police nigérian, étaient contrefaits. Dans l’en-tête de la lettre et des deux rapports ainsi que dans le sceau sur la lettre, il était indiqué « Intelligent » Department of the police (Département de la police intelligent), plutôt que « Intelligence » Department (Département du renseignement). La SPR a comparé les documents aux autres documents contenus dans le cartable national de documentation (le CND) sur le Nigéria et a jugé que leur provenance était grandement minée. La SPR a fait remarquer que les documents avaient tous été envoyés par la même personne, soit le cousin du demandeur, que ce cousin était aussi inscrit à titre de plaignant dans l’une des deux entrées du registre de la police et que cette plainte avait été déposée le jour même de l’attaque contre la maison et le fils du demandeur. Toutefois, le cousin n’a pas dit dans son affidavit qu’il avait déposé une plainte à la police (et il n’a pas non plus mentionné l’emplacement ou l’adresse de la parcelle de terre en litige).

  • c)Rapport d’hôpital contrefait et photographies qui sont le résultat de mises en scène : Le rapport d’un hôpital du Nigéria faisant état des blessures subies par le fils du demandeur était contrefait. Le document indiquait à tort que le fils du demandeur était âgé de 15 ans (alors qu’il avait en fait 16 ans) et était daté d’avril 2020, presque deux ans après que le fils avait été admis à l’hôpital, le 1er juillet 2018. La SPR a jugé que l’explication donnée par le demandeur concernant le fait qu’il n’avait pu fournir un rapport avec une date plus rapprochée n’était pas crédible, puisque le rapport indiquait que le fils devait revenir pour des consultations de suivi peu après l’incident de 2018, lors desquelles la famille aurait pu obtenir le dossier de l’hôpital. Comme pour les prétendus documents de la police, c’est le cousin du demandeur qui lui a envoyé le rapport d’hôpital. La SPR a jugé que les photographies des blessures du fils étaient le résultat d’une mise en scène.

[16] La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré de façon crédible que les incidents visant son fils et sa maison s’étaient réellement produits.

[17] Dans l’ensemble, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas de litige foncier.

[18] Allégation relative à l’identité sexuelle : La SPR a conclu que le demandeur d’asile n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était bisexuel. Le fondement de la demande d’asile relatif à son orientation sexuelle n’était pas crédible ni digne de foi. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré de façon crédible qu’il avait été arrêté et détenu en 2016, ce qui a miné fondamentalement la crédibilité de son récit concernant son orientation sexuelle.

[19] La SPR a tiré les conclusions suivantes relativement à cette allégation :

  • a)La SPR a relevé une incohérence importante dans le récit du demandeur au sujet de son arrestation et de sa détention au Nigéria en 2016. Dans l’addenda, il a affirmé que son partenaire et lui avaient été remis en liberté peu après avoir versé un énorme pot-de-vin et que, après le paiement, « le dossier était clos ». Cependant, le demandeur a dit dans son témoignage qu’il avait continué de payer des pots-de-vin, dont un en mars 2018, et qu’un autre était prévu pour juin 2018. Il a aussi déclaré qu’il n’avait pas fui le Nigéria en 2016 ni en 2017 parce qu’il « tenait la police à l’écart » grâce aux paiements. La SPR a conclu que l’explication du demandeur quant aux différents pots-de-vin n’était pas crédible et qu’il s’agissait d’une contradiction importante. La SPR a aussi jugé que le demandeur n’avait pas expliqué de façon crédible pourquoi il avait déclaré qu’il n’avait été arrêté qu’une seule fois, tandis qu’il avait affirmé dans son addenda qu’il l’avait été deux fois.

  • b)Le prétendu document de la police au sujet de son arrestation avec son partenaire a été contrefait, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés plus haut (Département du « renseignement »). Cela a miné l’allégation du demandeur selon laquelle il a été ciblé en 2016 par la police en raison de son orientation sexuelle.

  • c)Le demandeur n’a pas mentionné son arrestation de 2016 dans ses documents d’immigration canadiens (Annexe A et Annexe 12).

  • d)Le demandeur n’a pas mentionné son orientation sexuelle dans son formulaire Fondement de la demande d’asile original, et n’a pas expliqué cette omission de manière crédible. Il n’était pas crédible qu’il omette cette information, compte tenu de sa prétendue arrestation et des prétendus pots-de-vin qu’il continuait de verser à la police pour la tenir à l’écart; un versement était d’ailleurs dû en juin 2018, juste avant qu’il quitte le Nigéria pour assister à une conférence aux États-Unis, mais le demandeur ne l’aurait pas fait.

  • e)Les courriels échangés avec son épouse au Nigéria n’avaient aucun poids.

  • f)La preuve relative à la relation homosexuelle qu’aurait entretenue le demandeur au Canada entre décembre 2018 et mars 2019 n’avait aucun poids. Cette relation n’a pas été mentionnée dans l’addenda déposé le 4 mars 2020. La lettre de l’ancien partenaire n’a pas été présentée par voie d’affidavit, et le partenaire n’a pas témoigné.

  • g)Les lettres provenant de deux organisations canadiennes de la communauté LGBTQ+ n’établissaient pas de façon authentique l’orientation sexuelle du demandeur.

[20] Demande d’asile clairement frauduleuse : La SPR était d’avis que les doutes importants quant à la crédibilité des fondements de la demande d’asile du demandeur démontraient cumulativement que la demande d’asile était clairement frauduleuse. Par application de l’article 107.1 de la LIPR, la SPR a conclu que la demande d’asile était manifestement infondée.

[21] La SPR a conclu que les deux fondements de sa demande d’asile (le litige foncier et l’orientation sexuelle du demandeur) n’étaient pas de la nature qui a été prétendue. Ils étaient liés à des déclarations et à des récits malhonnêtes, y compris des documents de police contrefaits, dont deux concernaient le litige foncier et l’autre, son orientation sexuelle. Les documents contrefaits ont fondamentalement miné la crédibilité des deux fondements de sa demande d’asile, parce que l’agent de persécution (le commissaire de police adjoint membre de la famille royale) était le même dans les deux.

[22] La SPR a déclaré que les trois documents de police contrefaits étaient des éléments essentiels de la demande d’asile du demandeur, à savoir qu’il avait « été pris pour cible par une famille royale dont fait partie un haut gradé de la police qui convoite sa terre, et [qu’il] est un homme bisexuel qui a été pris pour cible par le même haut gradé de la police ». La SPR a relevé d’autres déclarations malhonnêtes au sujet du litige foncier et de l’orientation sexuelle du demandeur.

[23] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur conteste la décision de la SPR.

II. Analyse

[24] Les parties s’entendent pour dire que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, et je suis d’accord : Rejuyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 642 au para 19.

[25] Le contrôle fondé sur le caractère raisonnable consiste en une analyse faisant appel à la déférence, mais rigoureuse, et consistant à vérifier si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12, 13 et 15; Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason] aux para 8, 63. La cour de révision examine d’abord les motifs du décideur, qui sont interprétés de façon globale et contextuelle à la lumière du dossier dont le décideur était saisi. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, surtout aux para 85, 91-97, 103, 105-106 et 194; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 RCS 900 aux para 2, 28-33, 61; Mason, aux para 8, 59-61, 66.

[26] La cour de révision n’examine pas si la décision du décideur était correcte ni ce qu’elle ferait si elle tranchait elle-même l’affaire : Mason, au para 62; Vavilov, au para 83; Canada (Justice) c D.V., 2022 CAF 181 aux para 15, 23.

[27] Le demandeur soutient essentiellement que la SPR a commis une erreur en concluant que sa demande d’asile était manifestement infondée, parce que ses conclusions défavorables en matière de crédibilité n’étaient pas étayées, qu’elles étaient excessives et qu’elles n’étaient pas justifiées. Le demandeur fait valoir que, même si son témoignage au sujet de l’adresse de la parcelle de terre en litige était incohérent, cette incohérence ne touche pas [traduction] « à l’essence même de la demande d’asile, soit le litige concernant une parcelle de terre convoitée pour son emplacement stratégique ». Il conteste les conclusions de la SPR selon lesquelles les documents de la police et le dossier d’hôpital étaient contrefaits, affirmant que les incohérences soulevées par la SPR étaient mineures et qu’elles n’étaient pas suffisamment graves pour conclure que le fondement de ses allégations au sujet du litige foncier était « clairement frauduleu[x] » aux termes de l’article 107.1 de la LIPR. Le demandeur soutient qu’il n’a pas fait de déclarations malhonnêtes, ce qui est l’élément essentiel de la fraude. Il affirme qu’il y avait d’autres éléments de preuve se rapportant aux allégations relatives à son orientation sexuelle que la SPR n’a pas examinés.

[28] Je ne peux souscrire à la position du demandeur. Selon moi, la décision de la SPR était suffisamment intelligible, transparente et justifiée pour que je puisse conclure qu’elle était raisonnable au regard de la norme établie dans l’arrêt Vavilov.

[29] Le demandeur ne prétend pas que la SPR a commis une erreur de droit dans sa décision au titre de l’article 107.1 de la LIPR. La SPR a renvoyé aux exigences établies par la Cour dans la décision Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596 [Warsame], et le demandeur n’a pas contesté la norme juridique qui a été appliquée.

[30] Je suis d’accord avec le demandeur pour dire qu’une simple conclusion défavorable en matière de crédibilité ne suffit pas à établir qu’une demande est manifestement infondée. C’est la demande en soi qui doit être frauduleuse : Vargas Hernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1291 au para 16; Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 755 aux para 33, 44; Warsame, au para 27.

[31] Toutefois, je ne suis pas d’accord pour dire que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle dans son application de la norme juridique aux faits et aux éléments de preuve dans la présente affaire.

[32] Le demandeur soutient que les incohérences relevées dans la preuve relative à l’adresse de la maison située sur la parcelle de terre en litige ne touchent pas à l’essence de sa demande d’asile, laquelle est fondée sur un litige foncier lié à l’emplacement stratégique de la parcelle de terre. Cependant, les incohérences au sujet de l’adresse de la maison et le manque de crédibilité des explications du demandeur à cet égard n’étaient pas des cas isolés, contrairement à ce que prétend le demandeur. Dans son analyse, la SPR n’a pas examiné uniquement les incohérences relevées dans le témoignage du demandeur pour tirer une conclusion défavorable à l’égard de sa crédibilité. La SPR a plutôt établi un lien entre les incohérences relevées dans le témoignage et dans les allégations écrites et les trois documents de police et le dossier d’hôpital contrefaits; elle a également relié ces documents au litige foncier, parce que l’attaque ayant ciblé la maison du demandeur, dans le cadre de laquelle le fils de ce dernier a été blessé, a été signalée à la police et a mené à l’hospitalisation de ce dernier. Comme l’a fait remarquer la SPR, la parcelle de terre, l’attaque et l’intervention de la police étaient aussi reliées puisqu’ils concernaient tous le commissaire de police adjoint, membre de la famille royale, qui avait un « intérêt direct » dans la parcelle de terre en litige et qui aurait utilisé sa position pour cibler le demandeur. Je fais observer que celui‑ci n’a pas fait valoir que les motifs de la SPR ne reflétaient pas fidèlement son témoignage à l’audience.

[33] Le demandeur cherche à contester la conclusion de la SPR concernant les documents de police contrefaits; il soutient que les différences entre ses documents et les échantillons du CND étaient mineures et que ses documents ne contenaient qu’une seule erreur dans l’en-tête, qui était isolée, ou une erreur typographique. Le demandeur soutient également que les documents de police ne contenaient aucune trace de fraude ou d’incohérence quant à leur contenu, ce qui étayait son allégation selon laquelle ces documents ne pouvaient être jugés clairement frauduleux.

[34] Dans une certaine mesure, dans ses observations, le demandeur cherche à débattre à nouveau la question de savoir si les documents de police sont contrefaits, ce qui ne relève pas de la compétence de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Quoi qu’il en soit, il était tout à fait loisible à la SPR de tirer une conclusion sur le document de police à partir du dossier; le demandeur n’a pas contesté de façon substantielle le raisonnement suivi par la SPR pour comparer les documents contenus dans le CND avec les siens. La SPR pouvait parfaitement considérer que l’erreur dans l’en-tête des trois documents et dans le sceau apposé sur la lettre était suffisante pour conclure qu’il s’agissait de documents contrefaits. Compte tenu des autres doutes soulevés par la SPR à propos du témoignage du demandeur et du manque de crédibilité de ses explications au sujet des incohérences relevées dans son témoignage et ses documents, il était tout aussi loisible à la SPR de conclure que le demandeur avait fait des déclarations malhonnêtes en présentant des documents frauduleux pour appuyer sa demande d’asile devant la SPR.

[35] Il est vrai que la SPR aurait pu conclure que l’erreur relevée dans le dossier d’hôpital au sujet de l’âge du fils du demandeur était une erreur d’inattention ou une erreur typographique. Toutefois, les doutes exprimés par la SPR quant à l’authenticité du document d’hôpital n’étaient pas basés sur cette seule erreur. La SPR a également voulu savoir pourquoi le document avait été demandé et produit en 2020, près de deux ans après que le fils avait été admis à l’hôpital au milieu de 2018. La SPR n’a pas accepté l’explication du demandeur au sujet de cet écart. Elle a aussi tenu compte du fait que ce document avait été communiqué par la même personne qui avait envoyé les dossiers de police frauduleux (le cousin du demandeur). Dans ce contexte, il était tout à fait loisible à la SPR de conclure à partir du dossier que le document était contrefait. La Cour ne peut pas réexaminer la question de savoir si la SPR aurait dû admettre l’explication du demandeur concernant la date du dossier d’hôpital, comme le demandeur l’invitait à le faire dans ses observations.

[36] En ce qui concerne les observations du demandeur au sujet de l’évaluation par la SPR du deuxième fondement de la demande d’asile, la SPR n’a pas admis l’explication du demandeur selon laquelle il croyait que [traduction] « la question de l’homosexualité avait été réglée » et que c’est pour cette raison qu’il ne l’avait pas mentionnée avant de rédiger son addenda. La SPR n’a pas fait abstraction du témoignage du demandeur selon lequel il croyait que le versement régulier de pots-de-vin tenait la police à l’écart; contrairement à ce que prétend le demandeur, la SPR a expressément examiné cet élément de preuve.

[37] Le demandeur conteste le fait que la SPR n’a accordé aucun poids aux courriels de son cousin, de son épouse et de deux groupes LGBTQ+ au Canada. Je ne vois aucune raison d’intervenir. Le poids qui aurait pu être accordé à la preuve du cousin, en particulier, était étroitement lié au fait que cette personne avait fourni des éléments de preuve contrefaits au demandeur, qui les a présentés à son tour à la SPR.

[38] Enfin, le demandeur soutient que la preuve dans son ensemble ne justifiait pas de conclure que sa demande d’asile était clairement frauduleuse, et donc de déclarer sa demande d’asile manifestement infondée en application de l’article 107.1 de la LIPR.

[39] En plus des conclusions qu’elle avait déjà énoncées, la RPD a conclu, au paragraphe 99 de ses motifs, que le demandeur a fait des déclarations malhonnêtes :

Le fait que le demandeur d’asile a présenté des documents contrefaits et qu’il s’est appuyé sur ceux-ci témoigne également de déclarations malhonnêtes. Le demandeur d’asile a présenté les quatre documents et les photographies comme des renseignements authentiques afin d’influencer en sa faveur la décision concernant l’un ou l’autre des fondements de la demande d’asile, ou les deux.

[40] La SPR a conclu que les documents contrefaits et les photographies qui étaient le résultat de mises en scène minaient la crédibilité de la demande d’asile du demandeur. De plus, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que les documents de police avaient été présentés comme étant des éléments essentiels de la demande d’asile du demandeur. Comme il est indiqué plus haut, selon ces documents, le demandeur d’asile avait été ciblé par une famille royale, dont l’un des membres était un agent de police haut gradé qui convoitait son terrain, et le demandeur d’asile est un homme bisexuel qui avait été ciblé par ce même agent de police haut gradé. La SPR a jugé que le rapport d’hôpital et les photographies étaient des éléments essentiels des allégations relatives au litige foncier, puisqu’ils ont été présentés pour établir que le demandeur et sa famille avaient été ciblés parce qu’ils n’avaient pas cédé la parcelle de terre à la famille royale. Ces éléments de preuve avaient également une incidence sur le fondement des allégations relatives à son orientation sexuelle, puisque le même agent de persécution était concerné.

[41] Ces facteurs, conjugués aux [traduction] « autres déclarations malhonnêtes » énumérées par la SPR, ont mené celle-ci à conclure que la demande d’asile du demandeur était clairement frauduleuse et qu’elle était donc manifestement infondée en application de l’article 107.1 de la LIPR.

[42] J’ai déjà conclu qu’aucun des éléments sous-tendant les conclusions défavorables de la SPR à l’égard de la crédibilité du demandeur n’était déraisonnable. Le demandeur n’a pas contesté la façon dont la SPR a qualifié les raisons pour lesquelles il avait présenté les documents de police, le rapport d’hôpital et les photographies pour appuyer sa demande d’asile, et (comme il est indiqué plus haut) il ne prétend pas non plus que la SPR, dans ses motifs, rapportait son témoignage de façon inexacte.

[43] Dans l’ensemble, je ne vois aucune raison de modifier la conclusion de la SPR selon laquelle la demande d’asile du demandeur était clairement frauduleuse. La SPR a axé son analyse sur les faits pour tirer ses conclusions quant à l’existence ou non du litige foncier, aux incohérences et aux divergences relevées dans le témoignage du demandeur, au récit écrit de ses prétentions, aux documents de police contrefaits, au dossier d’hôpital contrefait et à la question de savoir si le demandeur avait réellement été arrêté, détenu et accusé avec son partenaire en 2016. Il était raisonnable compte tenu du dossier de faire le lien entre les deux fondements de la demande d’asile du demandeur et l’intérêt que portait le commissaire de police adjoint et la famille royale à la parcelle de terre en litige. Le demandeur a présenté des documents contrefaits qui, selon la SPR, témoignaient de déclarations malhonnêtes.

[44] La conclusion de la SPR au titre de l’article 107.1 de la LIPR était intelligible et fondée sur le dossier ainsi que sur ses conclusions de fait raisonnables, et elle respectait les contraintes relatives au droit et à la preuve auxquelles la SPR était assujettie. Selon les principes établis dans l’arrêt Vavilov, je n’ai aucune raison de modifier la décision de la SPR.

III. Conclusion

[45] Le demandeur n’a pas démontré que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle dans sa décision. La demande sera donc rejetée.

[46] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune ne sera énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-9439-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9439-21

 

INTITULÉ :

DAVID OLUSANYA MATTHEW c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

ottawa (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 JUIN 2023

 

MOTIfS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 OCTOBRE 2023

COMPARUTIONS :

Vakkas Bilsin

POUR LE DEMANDEUR

 

Don Klaassen

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis and Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

pour le défendeur

 

 

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