Dossier : T-2663-22
Référence : 2023 CF 1382
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2023
En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné
ENTRE :
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SHAMAYAL HUSSAIN
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demandeur
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et
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L’AGENCE DU REVENU DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] M. Shamayal Hussain demande le contrôle judiciaire de deux décisions par lesquelles l’Agence du revenu du Canada (l’Agence) l’a déclaré inadmissible à la Prestation canadienne d’urgence (la PCU) et à la Prestation canadienne de la relance économique (la PCRE), deux des mesures que le gouvernement canadien a mises en place pour atténuer les diverses répercussions engendrées par la pandémie de COVID-19.
[2] En ce qui concerne la seconde décision, le défendeur admet qu’elle était déraisonnable et qu’elle devrait lui être renvoyée pour nouvelle décision.
[3] Cependant, le défendeur soutient que le demandeur était inadmissible à la PCU parce qu’il n’a pas réussi à démontrer qu’il avait gagné, dans le cadre d’un emploi ou d’un travail qu’il a exécuté pour son compte, des revenus s’élevant à au moins 5 000 $ pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date de sa demande.
II. Le cadre législatif
[4] Afin de recevoir la PCU, un résident canadien devait présenter une demande pour chaque période de quatre semaines comprise dans la période commençant le 15 mars 2020 et se terminant le 26 septembre 2020. Les périodes de quatre semaines étaient numérotées de 1 à 7. Les personnes admissibles pouvaient recevoir 2 000 $ (avant les retenues d’impôt) pour chaque période de quatre semaines.
[5] Conformément à l’article 4 de la Loi sur la prestation canadienne d’urgence, LC 2020, c 5, art 8 (la Loi), le ministre de l’Emploi et du Développement social a versé la PCU à toute personne qui satisfaisait aux conditions d’admissibilité énoncées aux articles 2 et 6 de la Loi, y compris le critère susmentionné des 5 000 $.
[6] L’Agence administre le programme de la PCU et examine certaines demandes, avant ou après le versement des prestations. Pour ce faire, l’Agence peut exiger qu’un demandeur lui fournisse toute information pertinente à sa demande.
III. La première décision
[7] Entre le 6 avril 2020 et le 8 septembre 2020, le demandeur a demandé la PCU pour sept périodes de quatre semaines. L’allocation lui a initialement été versée sans examen pour les périodes 1 à 7 inclusivement. Le demandeur a reçu des versements de la PCU pour un total de 14 000 $.
[8] Le 13 mai 2022, l’Agence a choisi le dossier du demandeur pour fins d’examen de son admissibilité (le premier examen). Le dossier a été attribué à un agent afin qu’il procède au premier examen. Le système de l’Agence indiquait ce qui suit :
a) le demandeur a déclaré 10 000 $ à titre d‘autres revenus pour l’année d’imposition 2019;
b) aucun feuillet T4 n’a été produit entre 2017 et 2020;
c) un feuillet T4A a été émis par le gouvernement du Canada au montant de 20 000 $ pour l’année d’imposition 2020, ce qui correspond aux versements de la PCU totalisant 14 000 $ (case 197 du feuillet) et aux versements de la PCRE totalisant 6 000 $ (case 202 du feuillet);
d) un feuillet T4A a été émis par le gouvernement du Canada au montant de 18 600 $ pour l’année d’imposition 2021, ce qui correspond aux versements de la PCRE totalisant 18 600 $ (case 202 du feuillet);
e) un feuillet T4 émis par 9260-0535 Québec inc. au montant de 10 648 $ a été produit pour l’année d’imposition 2021.
[9] Le 16 mai 2022, l’agent chargé du premier examen a appelé le demandeur pour obtenir des documents supplémentaires corroborant l’allégation de ce dernier selon laquelle il satisfaisait au critère des 5 000 $, puisque l’information dans le système ne lui permettait pas de le confirmer.
[10] Pendant l’appel, le demandeur a affirmé qu’il travaillait à temps plein comme serveur pour 9260-0535 Québec inc. depuis 2015 et l’agent chargé du premier examen lui a demandé de fournir les documents suivants :
a) des copies de chèques pour l’année d’imposition 2019;
b) des relevés bancaires pour l’année d’imposition 2019;
c) une copie d’un feuillet T4 pour l’année d’imposition 2019 que le demandeur avait mentionné avoir en sa possession.
[11] Après avoir examiné l’information à sa disposition, l’agent chargé du premier examen a conclu que le demandeur n’était pas admissible à la PCU, car il n’avait pas fourni les renseignements demandés.
IV. La décision faisant l’objet du contrôle
[12] Le demandeur a sollicité un second examen de son admissibilité à la PCU (le second examen).
[13] L’agent chargé du second examen a pris en considération, en plus des documents à la disposition de l’agent chargé du premier examen, les documents fournis par le demandeur les 29 juillet, 27 août et 24 octobre 2022, à savoir :
a) une copie de l’avis de cotisation pour l’année d’imposition 2019;
b) une copie de l’avis de cotisation pour l’année d’imposition 2020;
c) une copie d’un feuillet T4 émis par 9260‑0535 Québec inc. au montant de 10 648,50 $ pour l’année d’imposition 2019;
d) vingt-cinq talons de paie non datés pour l’année d’imposition 2021;
e) vingt-six talons de paie datés pour l’année d’imposition 2021.
[14] L’agent chargé du second examen a réitéré la demande de l’Agence visant à obtenir des factures et des relevés bancaires pour 2019 afin de confirmer les 10 000 $ que le demandeur a déclarés à titre d’autres revenus. Le demandeur a expliqué qu’il n’était pas en mesure de fournir ces documents, car il n’avait plus accès à ceux-ci.
[15] Après avoir examiné les observations du demandeur et les renseignements à sa disposition, l’agent chargé du second examen a conclu que ce dernier n’était pas admissible à la PCU parce qu’il n’avait pas fourni les documents demandés et que, par conséquent, l’Agence ne pouvait conclure qu’il satisfaisait au critère des 5 000 $.
[16] L’Agence a informé le demandeur de la décision relative au second examen dans une lettre datée du 9 novembre 2022.
V. La question en litige et la norme de contrôle
[17] La seule question en litige soulevée dans la présente demande consiste à savoir si l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le demandeur ne satisfaisait pas au critère des 5 000 $.
[18] La norme de contrôle applicable à l’analyse de la Cour est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 16).
VI. Analyse
[19] Selon les lignes directrices de l’Agence, constituent une preuve acceptable de revenu à titre de salarié notamment des talons de paie récents, une lettre de confirmation d’emploi, un relevé d’emploi, des relevés bancaires et tout autre document pouvant étayer un revenu de 5 000 $ à titre de salarié. Constituent une preuve acceptable de revenu à titre de travailleur indépendant notamment des factures, un reçu de paiement, des documents indiquant les revenus, des contrats, une liste de dépenses justifiant les gains nets et tout autre document pouvant étayer un revenu de 5 000 $ à titre de travailleur indépendant.
[20] Lors du second examen de son dossier, le demandeur avait affirmé à l’agent au téléphone qu’il travaillait comme serveur. Cependant, la cotisation fiscale du demandeur pour 2019 indique plutôt qu’il a déclaré 10 000 $ à titre d’autres revenus.
[21] Le régime fiscal canadien est fondé sur les principes d’autodéclaration et d’autocotisation. L’avis de cotisation ne prouve pas que le demandeur a réellement gagné le revenu indiqué dans sa déclaration de revenu (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139, para 35).
[22] La Cour a également conclu que les feuillets T4 donnent des exemples de ce qui est considéré comme un revenu d’emploi ou de travail indépendant, mais ne constituent pas une preuve des revenus (Virani c Canada (Procureur général), 2022 CF 1480, para 16).
[23] Dans ses observations écrites et sa plaidoirie devant la Cour, le demandeur n’a pas été en mesure d’expliquer la source des autres revenus qu’il a déclarés pour l’année d’imposition 2019; tout ce qu’il a trouvé à dire est que, selon lui, il avait présenté une preuve de revenu suffisante pour cette année-là, comme le montrent les revenus qu’il avait déclarés pour les années antérieures.
[24] Malheureusement, cela ne suffit pas. Si le demandeur avait d’autres sources de revenu qu’un emploi, il aurait dû être en mesure de produire des éléments de preuve et d’expliquer la nature de ce revenu. Si le demandeur occupait un emploi de serveur, comme il l’a d’abord affirmé aux agents, il aurait dû être en mesure de fournir quelques talons de paie ou relevés bancaires pour l’année d’imposition 2019. Comme il n’a fait ni l’un ni l’autre, la décision rendue par l’agent chargé du second examen relativement aux versements de la PCU reçus par le demandeur est raisonnable et il n’y a pas lieu d’intervenir.
VII. Conclusion
[25] La décision relative à la PCRE sera renvoyée à l’Agence du revenu du Canada pour qu’elle rende une nouvelle décision. Toutefois, comme le demandeur n’a pas réussi à convaincre la Cour que la décision relative à la PCU était déraisonnable, sa demande de contrôle judiciaire sera rejetée à cet égard.
JUGEMENT dans le dossier T-2663-22
LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :
La demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 9 novembre 2022 par laquelle l’Agence du revenu du Canada a refusé au demandeur l’admissibilité à la Prestation canadienne de la relance économique est accueillie et ce volet du dossier est renvoyé à l’Agence pour qu’elle rende une nouvelle décision;
La demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 9 novembre 2022 par laquelle l’Agence a refusé au demandeur l’admissibilité à la Prestation canadienne d’urgence est rejetée;
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Jocelyne Gagné »
Juge en chef adjointe
Traduction certifiée conforme
Bernard Olivier
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-2663-22
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INTITULÉ :
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SHAMAYAL HUSSAIN c L’AGENCE DU REVENU DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 5 SEPTEMBRE 2023
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ
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DATE DES MOTIFS :
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LE 18 OCTOBRE 2023
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COMPARUTIONS :
Shamayal Hussain
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POUR SON PROPRE COMPTE
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Mathilde Romano
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POUr Le DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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POUR Le DÉFENDEUR
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