Date: 20231006
Dossier: IMM-2238-22
Référence: 2023 CF 1336
Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2023
En présence de monsieur le juge Régimbald
ENTRE : |
UZIEL KILONGOZI NYEMBO
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demandeur |
et |
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, Uziel Kilongozi Nyembo, fait une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision rendue par une agente d’immigration [Agente] qui a rejeté la demande de résidence permanente de son enfant adoptif, Jean-Lucien Kibondo [Jean-Lucien].
[2] Le demandeur est arrivé au Canada de la République Démocratique du Congo [RDC] et a été reconnu comme personne à protéger. Il tente de réunifier sa famille au Canada. Sa demande de résidence permanente comprend son épouse ainsi que les deux enfants de celle-ci que le demandeur a adoptés. La demande comprend aussi un troisième enfant, adopté par le demandeur et son épouse avant qu’il ne doive quitter la RDC, mais dont l’adoption ne fut légalement confirmée qu’après son départ pour le Canada. La demande de résidence permanente de cet enfant fut refusée par l’Agente aux motifs que l’enfant n’a jamais vécu avec le demandeur, que l’adoption a eu lieu pour des raisons financières, qu’il n’y a rien dans la preuve démontrant un lien d’interdépendance émotionnelle et financier entre le demandeur et Jean-Lucien, et qu’il n’est pas dans les meilleurs intérêts de l’enfant de quitter son cercle familial initial. Ainsi, le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver que l’adoption de Jean-Lucien ne vise pas principalement l’acquisition d’un statut ou privilège en vertu de la LIPR ni qu’il y ait une relation affective parent-enfant entre l’adopté et l’adoptant.
[3] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision et soumet qu’il était déraisonnable pour l’Agente de conclure que l’adoption visait l’acquisition d’un privilège ou qu’une relation affective n’a pas été prouvée, et qu’il n’était pas dans les meilleurs intérêts de l’enfant de lui permettre de quitter la RDC pour rejoindre ses parents adoptifs.
[4] Pour les motifs qui suivent, et en conformité avec le rôle de la Cour, je conclus que la décision de l’Agente est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.
II. Contexte factuel
[5] Le demandeur, M. Nyembo, est citoyen de la RDC. Il est le père adoptif de Jean-Lucien, né le 12 août 2009, qui est également citoyen de la RDC. Le demandeur soutient que lui et sa femme ont pris la garde de Jean-Lucien deux mois après sa naissance – en 2009 – en raison de la situation précaire de sa famille biologique. Il allègue aussi avoir engagé un avocat pour concrétiser l’adoption au niveau juridique dès 2009.
[6] En juin 2010, avant que le statut juridique de l’adoption ne soit complété, le demandeur a dû quitter la RDC après avoir été arrêté par des agents du gouvernement congolais. Il a premièrement voyagé à Nairobi pour après arriver au Canada le 7 août 2010. Il a également été contraint de quitter sa femme et ses deux autres enfants : Josué, 6 ans, et Jeannette, 2 ans (ces deux enfants sont les enfants adoptés du demandeur, mais ils sont les enfants biologiques de son épouse).
[7] Après son départ, les procédures d’adoption de Jean-Lucien ont suivi leur cours et le jugement d’adoption a été rendu le 31 décembre 2012. L’authenticité de l’adoption n’est pas contestée. Le demandeur déclare qu’il a continué à subvenir aux besoins financiers de sa famille en leur envoyant des fonds par l’intermédiaire de sa sœur Joséphine Muloye Kilongozi.
[8] En mai 2016, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada et a inclus son épouse et ses trois enfants comme enfants à charge. Jean-Lucien a été inclus à titre d’enfant adoptif.
[9] Le 18 octobre 2018, la demande de statut de résidence permanente de la catégorie des personnes protégées a été jugée recevable.
[10] Le 21 avril 2021, l’Agente a avisé le demandeur de certaines préoccupations concernant l’établissement d’un lien véritable entre le demandeur et l’enfant adoptif, incluant le fait que le demandeur n’ait jamais vécu avec Jean-Lucien, qu’il y avait un manque de preuve de vie commune, que les parents biologiques sont tous les deux en vie et ont donné leur consentement à l’adoption, et que le jugement d’adoption ne mentionne pas que Jean-Lucien n’est pas orphelin. Le demandeur a soumis des réponses expliquant que :
Jean-Lucien lui a été confié deux mois après sa naissance en août 2009;
Qu’un avocat a été retenu en décembre 2009 pour commencer les procédures d’adoption mais que la fuite du demandeur en juin 2010 a fait que l’adoption n’a eu lieu qu’en 2012;
Qu’il était important que l’adoption se fasse en 2009 pour permettre au demandeur de donner à Jean-Lucien les avantages sociaux comme les soins médicaux et les prestations pour les enfants fournis par son employeur;
Que le demandeur n’a pas de photos avec Jean-Lucien parce que ses documents ont été saccagés, vandalisés et amenés par la police lors de son arrestation et sa fuite de la RDC;
Que le fait que les parents de Jean-Lucien soient en vie n’est pas interdit en droit congolais ni en vertu de la Chartre internationale sur les enfants.
[11] Le 12 juillet 2021, l’Agente a rejeté la demande de résidence permanente de Jean-Lucien (la décision n’a été envoyée que le 9 novembre 2021). L’Agente a conclu :
A. Il n’y avait pas de preuve que Jean-Lucien a vécu avec le demandeur deux mois après sa naissance;
B. L’adoption a eu lieu dans les textes après le départ du demandeur, pour des raisons de moyens financiers;
C. Rien dans les documents soumis ne démontrait un lien d’interdépendance émotionnelle et financier ni des preuves de vie commune avec Jean-Lucien; et
D. Aucune circonstance exceptionnelle n’existait pour démontrer qu’il est dans le meilleur intérêt de Jean-Lucien de quitter son cercle familial initial (ses parents biologiques), son seul cercle familial connu, pour rejoindre le demandeur au Canada.
[12] Toutes ces conclusions ont amené l’Agente à la conclusion globale que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver que l’adoption ne vise pas principalement l’acquisition d’un statut ou privilège sous le régime de la LIPR ni qu’il a réellement créé un véritable lien affectif parent-enfant avec Jean-Lucien.
III. Questions en litige et norme de contrôle judiciaire
[13] Ayant considéré les arguments des parties, la preuve au dossier et la jurisprudence applicable, les questions principales en l’espèce portent toutes ultimement sur la raisonnabilité de la décision de l’Agente.
[14] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 688 au para 5; Acikgoz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 149; Durojaye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 700 au para 6). Ainsi, selon cette norme, il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 100).
[15] Afin de déterminer si une décision est raisonnable, la cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi et vérifier si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (Vavilov au para 99). L’analyse sous la norme de la décision raisonnable n’est pas une « simple formalité »
, mais un contrôle rigoureux (Vavilov au para 13).
IV. Dispositions pertinentes
[16] Les dispositions pertinentes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR] sont les suivantes :
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V. Analyse
A. La décision de L’Agente est déraisonnable
[17] Un demandeur de résidence permanente peut inclure une demande pour ses enfants à charge, incluant ses enfants adoptifs. Selon le paragraphe 4(2) de la RIPR, l’étranger n’est pas considéré l’enfant adoptif d’une personne si l’adoption : (1) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR; ou (2) n’a pas créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adopté et l’adoptant.
[18] Le demandeur allègue que l’Agente a rejeté la demande sur le fait que : « Le jugement d’adoption ne mentionne pas les circonstances ou raisons de cette adoption considérant que [Jean-Lucien] n’est pas orphelin. »
De même, le demandeur souligne que l’Agente a aussi rejeté la demande parce que les parents de Jean-Lucien sont tous les deux en vie et ont donné leur consentement à l’adoption. Le demandeur s’appuie sur la loi congolaise pour démontrer que l’adoption de Jean-Lucien est légale, puisque la loi ne nécessite pas qu’un enfant devienne orphelin si les deux parents biologiques y consentent.
[19] Le demandeur soumet que la décision de l’Agente est déraisonnable quant à sa conclusion que : « Cette adoption a eu lieu dans les textes après votre départ pour des raisons de moyens financiers. »
Le demandeur souligne qu’il a demandé l’adoption bien avant son départ, mais qu’elle a été approuvée après son arrivée au Canada puisqu’il a dû quitter rapidement afin de fuir la persécution.
[20] Enfin, le demandeur allègue que la décision de l’Agente est déraisonnable au sujet de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant car Jean-Lucien a vécu avec sa mère adoptive (l’épouse du demandeur) depuis 2009. Jean-Lucien n’a donc pas connu de cercle familial autre que l’épouse et les deux autres enfants du demandeur.
[21] Le défendeur soumet que le demandeur a eu la chance de répondre aux préoccupations de l’Agente, mais n’a pas fourni de preuves satisfaisantes pour établir le lien d’adoption, et notamment le lien émotionnel et financier qui existe entre lui et Jean-Lucien. Selon le défendeur, le demandeur a fourni les pièces et informations suivantes, aucune desquelles ne lui permettait de se décharger de son fardeau de preuve :
-L’acte de naissance et certificat de naissance de Jean-Lucien;
-Témoignages de membres de sa famille et amis;
-Certificats de naissance des enfants biologiques de son épouse;
-Consentement de l’adoption des parents biologiques de Jean-Lucien;
-Le jugement d’adoption.
[22] Le défendeur allègue que l’Agente a même avisé le demandeur par lettre d’un manque de preuve pour établir un lien véritable entre le demandeur et l’enfant adoptif. Le demandeur a eu la possibilité de répondre mais n’a pas fourni de preuves satisfaisantes. Il n’a fourni aucune preuve d’une relation émotionnelle avec l’enfant. Dans sa réponse, le demandeur a simplement affirmé que la seule preuve qu’il puisse fournir est des lettres de membres de sa famille et voisins qui attesteraient que Jean-Lucien a grandi dans la maison du demandeur.
[23] Le défendeur prétend que compte tenu du manque de preuve, l’Agente a raisonnablement conclu que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve, n’établissant pas que l’adoption a créé un véritable lien adopté-adoptant. Le demandeur n’a pas démontré qu’un lien affectif a été maintenu, malgré son absence. Un refus fondé sur un manque de preuve est raisonnable.
[24] À mon avis, la décision de l’Agente démontre certaines lacunes. Bien qu’une décideuse soit présumée avoir pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis et qu’elle n’a pas à mentionner chacun des éléments de preuve contraire à sa conclusion, une décideuse doit à tout le moins traiter des éléments de preuve pertinents qui contredisent directement ses conclusions. La Cour peut inférer qu’une décideuse a tiré une conclusion de fait erronée lorsque les motifs ne tiennent pas compte des éléments de preuve dont elle disposait, qui se rapportaient à la conclusion, et qui suggéraient une issue différente. Comme l’explique Vavilov au paragraphe 126 « Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte »
(voir aussi Allanah v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 408 au para 38; Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF934 au para 40; Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF), [1998] ACF no 1425 (QL) au para 15).
[25] En l’espèce, l’Agente a conclu que : « Rien dans les documents soumis ne démontre un lien d’interdépendance émotionnelle et financier… [soulignements ajoutés] »
. Or, l’Agente ne mentionne ni n’évalue aucun des aspects du dossier qui fournissent des preuves de dépendance émotionnelle et, surtout, financière :
Le fait que Jean-Lucien est aussi l’enfant adoptif de la femme du demandeur et qu’il a vécu avec elle et les autres enfants à la même adresse en DRC (Dossier certifié du Tribunal [DTC] à la p 30).
Les transferts de fonds du demandeur à sa sœur, Josephine Muloye Kilongozi, de 2011 à 2012 (DTC aux pp 35-44). L’Agente était au courant que le demandeur aidait financièrement sa famille par l’entremise de sa sœur (DTC à la p 82, GCMS (Global Case Management System) note du 2 décembre 2020).
Le fait que le demandeur a expliqué ne pas pouvoir présenter de photos de famille avec Jean-Lucien (ou de mariage avec son épouse) puisque sa maison a été saccagée lorsqu’il fut arrêté par la police, et il a dû fuir par la suite (DTC à la p 82, GCMS note du 2 décembre 2020).
[26] Ces éléments de preuve contredisent la conclusion de l’Agente à l’effet que « Rien dans les documents soumis ne démontre un lien d’interdépendance émotionnelle et financier [soulignements ajoutés] »
. Au contraire, la preuve soumise faisait état de l’appui financier du demandeur auprès de sa famille, par l’entremise de sa sœur, et expliquait pourquoi le demandeur ne pouvait fournir de preuve de sa relation avec Jean-Lucien. L’Agente a omis de considérer, ou n’a pas justifié, en quoi cette preuve contradictoire n’était pas suffisante afin de permettre au demandeur de se décharger de son fardeau de preuve.
[27] Quant à la conclusion de l’Agente qu’« [i]l n’y a pas de circonstances exceptionnelles qui puissent ici rassurer sur le fait qu’il est dans le meilleur intérêt de [Jean-Lucien] de quitter son cercle familial initial, le seul connu pour [rejoindre le demandeur]… que finalement il ne connait pas »
, les motifs de l’Agente ne sont ni transparents ni intelligibles. Il n’est pas clair de quel « cercle familial initial, le seul connu »
l’Agente fait référence.
[28] La seule preuve au dossier est que Jean-Lucien a toujours habité avec sa mère adoptive, son frère et sa sœur. Il n’y a aucune preuve au dossier suggérant que Jean-Lucien a toujours habité avec sa famille biologique.
[29] De plus, dans sa lettre au demandeur du 21 avril 2021 qui notait ses préoccupations, notamment au sujet d’un manque de preuve pour établir un lien véritable entre le demandeur et l’enfant adoptif, l’Agente ne pose aucune question sur les meilleurs intérêts de Jean-Lucien, alors que la décision l’affecte particulièrement. La lettre mentionne spécifiquement certaines questions au sujet de l’adoption, mais aucune concernant la question à savoir où vit Jean-Lucien actuellement. En l’espèce, ni l’authenticité légale de l’adoption de Jean-Lucien, ni son adresse identifiée dans la demande de résidence permanente (identifiant que Jean-Lucien habite à la même adresse que sa mère adoptive), ne sont contestées.
[30] Dans ses motifs, l’Agente a omis de clarifier quel est le « cercle familial »
auquel elle réfère. D’une part, si par « cercle familial »
, l’Agente veut dire l’épouse du demandeur, il n’y a aucune preuve que l’épouse ne viendra pas au Canada avec ses deux autres enfants et Jean-Lucien. En fait, la preuve indique que le demandeur veut réunir sa famille au complet au Canada, incluant son épouse et ses trois enfants. Par ailleurs, si par « cercle familial »
, l’Agente fait référence aux parents biologiques, il n’y a aucune preuve que Jean-Lucien demeure toujours chez eux. Si l’Agente avait une préoccupation à cet effet, il lui incombait de demander des précisions au demandeur dans sa lettre du 21 avril 2021, ou dans une lettre subséquente.
[31] La preuve devant l’Agente est à l’effet que : a) le demandeur a fait une demande de résidence permanente incluant son épouse et ses enfants (incluant Jean-Lucien), notant qu’ils vivent tous à la même adresse; b) Jean-Lucien est son enfant adoptif; c) il vit avec son épouse et ses autres enfants (comme le dit aussi le demandeur dans ses réponses à l’Agente, et tout comme ses notes le démontrent). Il n’y a aucune preuve que Jean-Lucien vivait avec ses parents biologiques.
[32] Par conséquent, les motifs de l’Agente ne démontrent pas une pondération de cette preuve contradictoire, à savoir que Jean-Lucien vivait déjà avec sa famille adoptive (pendant que le demandeur est au Canada) et que par conséquent, Jean-Lucien n’ira pas vivre avec un « cercle familial »
qu’il ne connait pas. En fait, la preuve semble plutôt démontrer que si Jean-Lucien n’est pas admis au Canada avec sa mère, il sera retiré de son « cercle familial »
actuel, et remis à ses parents biologiques qui ne peuvent prendre soin de lui.
[33] La décision de l’Agente est donc déraisonnable.
B. L’Agente a omis de considérer la question à savoir si Jean-Lucien était un enfant à charge de l’épouse du demandeur et par ce fait potentiellement admissible en vertu de l’alinéa 1(3)b) et de l’article 2 du RIPR
[34] La décision de l’Agente est aussi déraisonnable puisqu’elle n’a pas considéré si Jean-Lucien se qualifiait en tant que « membre de la famille »
en vertu de l’alinéa 1(3)b) puisqu’il est un « enfant à charge »
de l’épouse du demandeur, celui-ci ayant été adopté par celle-ci au sens de l’article 2 du RIPR.
[35] L’alinéa 1(3)b) du RIPR stipule que le terme « membre de la famille »
comprend non seulement l’« enfant à charge »
d’un demandeur mais aussi un « enfant à charge »
de l’époux du demandeur. L’article 2 du RIPR prévoit ensuite qu’un « enfant à charge »
comprend un enfant qui est adopté.
[36] En l’espèce, les parties s’entendent que le mariage entre le demandeur et son épouse est authentique, et que l’adoption de Jean-Lucien par le demandeur et son épouse est aussi légale et authentique.
[37] Étant donné que l’épouse du demandeur a été incluse comme « membre de la famille »
dans sa demande de résidence permanente, et qu’elle a aussi adopté Jean-Lucien, l’alinéa 1(3)b) et l’article 2 du RIPR indiquent que tout « enfant à charge »
(qui comprend un enfant adopté) de l’épouse du demandeur devait aussi être considéré comme « membre de la famille »
.
[38] Malgré cela, dans sa lettre indiquant ses préoccupations au demandeur, aucune question n’a été posée à savoir si Jean-Lucien vivait ou non avec sa mère adoptive, ni à obtenir une preuve additionnelle sur un lien émotionnel entre l’épouse du demandeur et Jean-Lucien. De plus, dans ses motifs et ses notes, l’Agente ne fournit aucune analyse sur la relation entre Jean-Lucien et l’épouse du demandeur. La seule analyse de l’Agente a porté sur la relation de Jean-Lucien avec le demandeur.
[39] Il appartient à l’Agente, et non à la Cour, de définir la portée de l’alinéa 1(3)b) et à savoir si Jean-Lucien se qualifierait à titre de « membre de la famille »
en vertu de l’alinéa 1(3)b) et de l’article 2 du RIPR, puisqu’il est adopté par l’épouse du demandeur et est ainsi un « enfant à charge »
de sa mère adoptive, et ce en dépit de tout lien, affectif ou autre, avec le demandeur (Vavilov aux para 115-124).
[40] En d’autres mots, il se peut que Jean-Lucien soit admissible en vertu de l’alinéa 1(3)b) et de l’article 2 du RIPR, en raison de son lien adoptif avec l’épouse du demandeur et même s’il n’aurait aucun lien, légal ou affectif, avec le demandeur lui-même. Bien qu’une autre interprétation raisonnable puisse être possible de l’alinéa 1(3)b) et de l’article 2, l’Agente devait déterminer si Jean-Lucien pouvait se qualifier à cet égard, ce qu’elle n’a pas fait.
[41] La Décision de l’Agente est donc déraisonnable, puisque l’Agente n’a pas examiné la question à savoir si Jean-Lucien pouvait se qualifier, tout comme son frère et sa sœur, comme « enfant à charge »
de l’épouse du demandeur en vertu de l’alinéa 1(3)b) et de l’article 2. L’Agente aurait dû analyser cet élément et fournir une justification si elle n’était pas satisfaite que la relation entre la mère adoptive et Jean-Lucien n’était pas suffisante, ce qu’elle n’a pas fait.
[42] Ce faisant, et suite à cette détermination, l’Agente aurait pu en venir à une autre conclusion sur l’application du paragraphe 4(2) du RIPR. L’Agente a conclu que l’adoption de Jean-Lucien était de mauvaise foi et visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR, et sans avoir créé un véritable lien affectif parent-enfant entre le demandeur et Jean-Lucien. Or, si Jean-Lucien est admissible puisqu’il est un « enfant à charge »
de l’épouse du demandeur, qui l’a aussi adopté, alors une conclusion que le paragraphe 4(2) ne s’appliquait pas était possible selon les faits présents au dossier. L’Agente se devait de considérer cet aspect, ce qu’elle a omis de faire.
VI. Conclusion
[43] La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’Agente est déraisonnable puisque ses motifs ne possèdent pas les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité au sujet de la preuve contradictoire sur le lien d’interdépendance émotionnelle et financier entre le demandeur et Jean-Lucien (Vavilov au para 99). De même, les motifs de l’Agente ne considèrent pas la question à savoir si Jean-Lucien pourrait se qualifier en tant qu’« enfant à charge »
de l’épouse du demandeur. Enfin, les motifs de l’Agente au sujet du « cercle familial »
et du meilleur intérêt de Jean-Lucien ne sont ni transparents ni intelligibles, puisqu’il n’est pas clair à quel « cercle familial »
l’Agente fait référence.
[44] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-2238-22
LA COUR STATUE:
La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie;
La décision faisant l’objet du contrôle est annulée et l’affaire est renvoyée afin d’être réexaminée par un autre décideur; et
Il n’y a aucune question à certifier.
« Guy Régimbald »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER:
|
IMM-2238-22 |
INTITULÉ:
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UZIEL KILONGOZI NYEMBO c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE:
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PAR VIDÉOCONFÉRENCE ZOOM |
DATE DE L’AUDIENCE:
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LE 26 SEPTEMBRE 2023 |
JUGEMENT ET MOTIFS:
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LE JUGE RÉGIMBALD |
DATE DES MOTIFS:
|
LE 6 OCTOBRE 2023 |
COMPARUTIONS:
Kibondo Max Kilongozi |
POUR LE DEMANDEUR |
Valeriya Sharypkina |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Kilongozi Law Office
Ottawa (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |
Procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |