Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230922


Dossier : IMM-4256-22

Référence : 2023 CF 1273

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

SYED FAHEEM AFZAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Le demandeur est un citoyen du Pakistan. Il a demandé l’asile au Canada au motif que, en tant que musulman chiite, il craint avec raison d’être persécuté par les extrémistes sunnites. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a rejeté sa demande d’asile pour des raisons de crédibilité et parce que, de toute façon, il a une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Islamabad.

[2] Le demandeur a interjeté appel de la décision auprès de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la CISR. La SAR était d’accord avec le demandeur pour dire qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale parce que la SPR s’était fondée sur des renseignements tirés des notes prises lors du contrôle au point d’entrée (le PDE) qui n’avaient pas été communiquées au demandeur. La SAR a tenté de remédier à ce manquement en communiquant ces notes au demandeur et en l’invitant à présenter des observations sur celles-ci. Sur le fond de l’appel, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle la preuve présentée par le demandeur n’était pas suffisamment crédible pour étayer sa demande d’asile. La SAR a ensuite conclu que, comme cette question était déterminante quant à l’appel, il n’était pas nécessaire de traiter de la question de la PRI. La SAR a donc rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR portant que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[3] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAR conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LPIR). Il soutient que la manière dont la SAR a examiné les notes prises lors du contrôle au PDE n’était pas conforme aux exigences en matière d’équité procédurale. Il soutient également que la décision est déraisonnable.

[4] Comme je l’expliquerai dans les motifs qui suivent, je ne suis pas d’avis que la manière dont la SAR a examiné les notes était inéquitable ni que la décision était déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

II. CONTEXTE

A. L’exposé circonstancié du demandeur

[5] Le demandeur est né à Mandi Bahauddin, au Pakistan, en décembre 1983.

[6] Selon ce qu’il a affirmé dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, il a commencé à exercer les fonctions de secrétaire général de l’aile jeunesse d’un Imam Bargah à Mandi Bahauddin en février 2017. Le demandeur affirme que ses problèmes ont commencé en septembre 2018 lorsqu’il a organisé un match de cricket interconfessionnel avec des joueurs de confession sunnite. Une bagarre a éclaté pendant le match. Le demandeur a tenté de mettre fin à la bagarre, mais, selon lui, après le match, des sunnites ont commencé à faire circuler des rumeurs à son sujet selon lesquelles il avait [traduction] « pris pour les chiites ». Le demandeur soutient que des ecclésiastiques sunnites locaux ont commencé à s’en mêler et à tenir des discours anti-chiites.

[7] En octobre 2018, le demandeur a commencé à recevoir des menaces par téléphone de la part de personnes qui prétendaient appartenir au Sipah-e-Sahaba, un groupe sunnite fondamentaliste. Le demandeur affirme qu’il a signalé cet événement à la police, mais qu’elle n’a rien fait. Craignant pour sa sécurité, le demandeur a cessé de travailler pour l’Imam Bargah.

[8] Le demandeur prétend que le 18 novembre 2018, il a reçu un appel téléphonique d’une personne qui disait appartenir au Lashkar-e-Jhangvi, un autre groupe sunnite fondamentaliste. Au téléphone, la personne l’a menacé de mort en raison de son travail pour la communauté chiite. Le demandeur affirme qu’après avoir reçu cet appel, il a réduit ses activités religieuses et sociales, et est resté à la maison la plupart du temps.

[9] Le 2 décembre 2018, un ecclésiastique sunnite a lancé une fatwa contre le demandeur dans laquelle il le désignait comme un infidèle. Le demandeur affirme qu’après le prononcé de la fatwa, il a été victime d’un « boycott social » dans sa communauté. Le demandeur a remis une copie de la fatwa à la SPR.

[10] Le 19 décembre 2018, le demandeur a obtenu un visa de visiteur aux États-Unis.

[11] Le 24 décembre 2018, un groupe de personnes a attaqué la maison du demandeur. Des voisins sont intervenus pour mettre fin à l’attaque. La police s’est rendue sur place et a pris la déposition du demandeur. Après cet incident, le demandeur, sa femme et leurs enfants ont quitté Mandi Bahauddin pour se rendre à la ville de Multan, où ils se sont cachés.

[12] Le demandeur a quitté le Pakistan pour se rendre aux États-Unis le 29 décembre 2018. Le 3 janvier 2019, il est entré au Canada de façon irrégulière en traversant la frontière par le chemin Roxham et a présenté une demande d’asile.

[13] Le 10 octobre 2019, des membres du Lashkar-e-Jhangvi et du Sipah-e-Sahaba ont brûlé la maison du demandeur. Le 9 février 2020 et le 17 novembre 2020, des membres du Lashkar-e-Jhangvi et du Sipah-e-Sahaba se sont rendus chez le père du demandeur à la recherche de ce dernier.

B. L’intervention du ministre

[14] Le 17 septembre 2020, le ministre a déposé un avis d’intention d’intervenir devant la SPR. En résumé, le ministre alléguait ce qui suit :
[Traduction]

  • a)Lors de son entrevue avec un agent de l’Agence canadienne des services frontaliers (l’ACSF) après être entré au Canada, le demandeur a expliqué qu’il n’avait pas eu l’intention de venir au Canada, mais qu’après son arrivée aux États-Unis, on l’avait informé que ses agents de persécution avaient appris où il se trouvait et l’avaient menacé à nouveau. Il a alors décidé de demander l’asile au Canada. Ces faits ne se trouvent pas dans l’exposé circonstancié du formulaire Fondement de la demande d’asile, que le demandeur a rempli le 22 janvier 2019.

  • b)Le demandeur n’a pas déclaré aux autorités canadiennes qu’il s’était vu refuser un visa de visiteur aux États-Unis en décembre 2017, avant même que les problèmes allégués ne surviennent.

  • c)Les renseignements personnels que le demandeur a fournis en lien avec sa demande de visa américain de 2018 (p. ex., sur ses études et son travail) diffèrent à d’importants égards par rapport à ceux qu’il a fournis aux autorités canadiennes en lien avec sa demande d’asile.

  • d)La page Facebook du demandeur, qui est publique, indique qu’il vit à Toronto, en Ontario.

[15] Avec l’avis d’intention d’intervenir, le ministre a déposé un rapport sur les données biométriques au sujet du demandeur préparé par le Département de la sécurité intérieure des États‑Unis, une copie de la demande de visa américain de 2018 et une capture d’écran de la page Facebook du demandeur. Dans l’avis d’intention d’intervenir, le ministre fait référence aux notes prises lors du contrôle au PDE, mais ces notes n’ont pas été fournies avec l’avis.

C. La décision de la SPR

[16] L’audience devant la SPR a eu lieu le 20 août 2021. Dans une décision du 8 novembre 2021, la SPR a rejeté la demande d’asile.

[17] En résumé, la SPR a relevé plusieurs points qui mettaient en doute la crédibilité du demandeur :

  • Le demandeur a affirmé qu’il avait obtenu un visa de visiteur aux États-Unis le 19 décembre 2018, après le prononcé de la fatwa. Or, le demandeur n’a pas mentionné sa demande de visa américain de 2017. Le fait que le demandeur avait essayé d’obtenir un visa américain en 2017 laisse croire qu’il essayait de quitter le Pakistan avant même que les événements lui ayant fait craindre pour sa sécurité ne surviennent. Cette omission de la part du demandeur laisse supposer qu’il [traduction] « était conscient que sa demande d’asile serait moins convaincante s’[il] avait déjà essayé de quitter le Pakistan », alors il a tenté de dissimuler ce fait.

  • Le demandeur a donné des explications vagues et incohérentes concernant les renseignements inexacts fournis dans sa demande de visa américain de 2018.

  • Le fait que le demandeur n’ait pas mentionné, dans son exposé circonstancié, que ses agents de persécutions avaient appris qu’il se trouvait aux États-Unis et que c’était la raison pour laquelle il avait décidé de venir au Canada constitue une omission importante.

  • Le fait que le demandeur ait indiqué sur sa page Facebook qu’il se trouvait au Canada malgré qu’il ait allégué avoir quitté les États-Unis parce que ses agents de persécution avaient su qu’il s’y trouvait laisse supposer une absence de crainte subjective de sa part.

[18] La SPR a souligné que le demandeur avait produit un certain nombre de documents pour étayer son exposé circonstancié, dont des affidavits souscrits par différentes personnes confirmant les événements que le demandeur a décrits, des rapports de police au sujet des attaques sur le demandeur et sa maison, et une copie de la fatwa. La SPR a conclu que les affidavits étaient rédigés dans des termes semblables et qu’il n’était pas clair si les déposants avaient été personnellement témoins des événements ou si le demandeur leur en avait parlé. De plus, la plupart des affidavits proviennent [traduction] « de personnes proches [du demandeur] ». La SPR a également fait remarquer que selon les rapports sur les conditions dans le pays, il était facile d’accéder à des documents frauduleux partout au Pakistan. Pour ces motifs, la SPR a conclu que les documents à l’appui avaient [traduction] « peu de force probante » et ne l’emportaient pas sur les doutes relatifs à la crédibilité.

[19] En ce qui concerne les événements à l’origine de sa demande d’asile, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas été attaqué après avoir organisé un match de cricket interconfessionnel et que le Lashkar-e-Jhangvi et le Sipah-e-Sahaba ne l’avaient pas retrouvé aux États-Unis.

[20] En résumé, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas de crainte subjective d’être persécuté par des membres des groupes Lashkar-e-Jhangvi et Sipah-e-Sahaba au Pakistan, et n’était pas exposé à un risque de subir des préjudices de la part de ces groupes s’il retournait au Pakistan. La SPR a également conclu, à titre subsidiaire, que le demandeur avait une PRI viable à Islamabad. Pour ces raisons, elle a rejeté sa demande d’asile.

D. L’appel du demandeur à la SAR

[21] Dans son appel à la SAR, le demandeur a soutenu qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce que la SPR s’était fondée sur des renseignements tirés des notes prises lors du contrôle au PDE, mais que ces notes ne lui avaient pas été communiquées malgré qu’il les avait demandées avant l’audience. Il a également contesté les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité ainsi que l’appréciation par cette dernière de la preuve documentaire produite pour corroborer son exposé circonstancié. Le demandeur a également fait valoir que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il disposait d’une PRI viable.

[22] En réponse à la demande de la SAR du 22 mars 2022, le ministre a fourni les notes prises par l’agent de l’ASFC qui avait interrogé le demandeur au Centre de traitement urbain de Montréal, le 8 janvier 2019. Les passages importants des notes sont rédigés ainsi :

[traduction]
J’ai demandé à M. Afzal pourquoi il présentait une demande d’asile aujourd’hui. Il a déclaré avoir des démêlés avec de jeunes chiites. Un groupe qu’il a décrit comme étant entièrement religieux et non politique. Il a été menacé par deux groupes, le Lashkar Jhangvi et le Sipah-e-Sahaba. Prié d’expliquer pourquoi les menaces le visaient lui, précisément, il a répondu que c’était parce qu’il était le secrétaire général de ce groupe. Il a expliqué que son rôle consistait à prendre soin de son lieu de culte et à participer aux processions. M. Afzal a ajouté que, initialement, il n’avait pas l’intention de venir au Canada, qu’il s’était rendu aux États-Unis pour échapper à ces menaces, mais qu’une fois aux États-Unis, il avait été de nouveau menacé, et que les membres du groupe lui ont dit qu’ils savaient qu’il se trouvait aux États-Unis. Il a affirmé être venu au Canada pour cette raison. Il a déclaré que les membres de sa famille n’ont pas de visa américain, donc ils se cachent au Pakistan.

[23] Le 9 mars 2022, la SAR a écrit au demandeur pour lui faire part de six éléments qui soulevaient des doutes en matière de crédibilité qui n’avaient pas été examinés dans les motifs de la SPR, et pour l’inviter à présenter des observations pour y répondre. L’un de ces éléments concernait le fait que le demandeur n’avait pas mentionné, dans son exposé circonstancié, les menaces dont il avait fait l’objet une fois aux États-Unis ni sa crainte d’y être retrouvé. La SAR a également invité le demandeur à présenter des observations [traduction] « au sujet des notes prises lors du contrôle au point d’entrée ».

[24] L’avocat du demandeur (qui n’était pas Me Jeffrey) a répondu à l’invitation de la SAR par une lettre datée du 22 mars 2022. Il a répondu à chacun des six éléments soulevant des doutes en matière de crédibilité mentionnés par la SAR. En ce qui concerne les notes prises au PDE, il a écrit ceci : [traduction] « [L]e seul lien pertinent que je vois est qu’elles corroborent la position de M. Afzal (décrite plus haut au premier paragraphe) selon laquelle il n’a pas mentionné la crainte d’être retrouvé aux États-Unis dans son exposé circonstancié, car il l’avait déjà mentionnée au point d’entrée. » (Dans le paragraphe précédent auquel il renvoie, l’avocat a écrit ce qui suit : [traduction] « Il n’y a eu aucune tentative d’induire en erreur, de désinformer ou d’omettre des faits, mais simplement la croyance que ce n’était pas pertinent pour la présente demande en lien avec le Pakistan. De plus, il l’avait déjà dit aux services d’immigration. ») L’avocat termine sa lettre en indiquant que, bien qu’il ait fait de son mieux pour répondre aux doutes soulevés par la SAR, [traduction] « [s]i des doutes persistent ou si [ses] explications soulèvent d’autres questions, une nouvelle audience pourrait peut-être être proposée à M. Afzal pour lui permettre de mieux y répondre ».

III. DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[25] Tout d’abord, s’agissant des notes prises lors du contrôle au PDE, la SAR était d’accord avec le demandeur pour dire que le défaut du ministre de communiquer les notes à ce dernier avait occasionné un manquement à l’équité procédurale devant la SAR. Toutefois, elle a conclu qu’il s’agissait d’un manquement mineur, car « le contenu de l’intervention du ministre [était] conforme au contenu des notes prises lors du contrôle au PDE ». La SAR a également conclu que le manquement avait été corrigé en appel, car les notes avaient été communiquées au demandeur et celui-ci avait eu l’occasion de répondre en présentant des observations.

[26] Sur le fond de l’appel, la SAR a souscrit en grande partie aux conclusions défavorables de la SPR à l’égard de la crédibilité du demandeur. Elle a examiné chacun des arguments avancés par le demandeur en appel. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’explication raisonnable pour justifier le fait qu’il n’avait pas mentionné les menaces qu’il aurait reçues aux États-Unis dans son exposé circonstancié. Le fait que le demandeur ait dévoilé son emplacement sur les médias sociaux est incompatible avec ce qu’il a dit au PDE, à savoir qu’il vivait dans la peur aux États-Unis parce qu’il y avait été retrouvé. Le fait que le demandeur n’ait pas mentionné sa demande de visa américain de 2017, et qu’il n’a pas donné d’explication raisonnable pour cette omission, justifiait une conclusion défavorable quant à sa crédibilité. En ce qui concerne les éléments de preuve à l’appui, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR portant que deux des affidavits étaient presque identiques. La SAR était également d’avis qu’il n’était pas clair si les déposants avaient personnellement été témoins des événements qu’ils décrivaient.

[27] La SAR a conclu ce qui suit :

J’ai examiné les documents à l’appui présentés par l’appelant et je conclus qu’ils ne l’emportent pas sur les préoccupations importantes en matière de crédibilité énoncées ci-dessus, dont l’omission des menaces aux États-Unis dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA; la divulgation par l’appelant de son emplacement sur les médias sociaux; et le défaut de l’appelant de mentionner sa demande de visa américain antérieure. J’estime que les explications de l’appelant n’expliquent pas raisonnablement les divergences et qu’elles minent sa crédibilité. Je conclus que l’appelant n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, le bien-fondé des allégations sur lesquelles repose sa demande d’asile.

[28] Par conséquent, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision rendue par la SPR portant que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

IV. NORME DE CONTRÔLE

[29] Le demandeur conteste le caractère équitable de la procédure suivie par la SAR à l’égard des notes prises lors du contrôle au PDE ainsi que la décision sur le fond de l’appel. Nul ne conteste la manière dont la Cour devrait traiter de ces questions dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[30] Premièrement, pour déterminer si la procédure suivie par la SAR était conforme aux exigences en matière d’équité procédurale, la Cour de révision doit effectuer sa propre analyse du processus suivi par le décideur et déterminer par elle-même si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux paragraphes 21 à 28 : voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée] au para 54; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14; Perez c Hull, 2019 CAF 238 au para 18. En pratique, il s’agit de la même chose que d’appliquer la norme de contrôle de la décision correcte : voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, au para 49-56 et Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35. La question fondamentale est celle de savoir « si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, au para 56). Il n’est pas exigé de faire preuve de déférence à l’égard de la SAR quant à ces questions (Canada (Procureur général) c Ennis, 2021 CAF 95 au para 45). Il incombe au demandeur de démontrer qu’il y a eu un manquement aux exigences en matière d’équité procédurale.

[31] Deuxièmement, la décision de la SAR sur le fond de l’appel est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Pour être raisonnable, la décision « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 85). La cour de révision doit faire preuve de déférence envers une décision qui possède ces attributs (ibid). Pour qu’une décision soit raisonnable, la cour de révision « doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’[un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, […] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait » (Vavilov, au para 102, guillemets internes et références omis). En revanche, « si des motifs sont communiqués, mais que ceux-ci ne justifient pas la décision de manière transparente et intelligible […], la décision sera déraisonnable » (Vavilov, au para 136).

[32] Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision n’a pas pour rôle d’apprécier ou d’évaluer à nouveau la preuve examinée par le décideur ni de modifier des conclusions de fait en l’absence de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Néanmoins, la norme de la décision raisonnable, et les critères de justification, d’intelligibilité et de transparence qui s’y rattachent, s’appliquent à la manière dont le décideur apprécie la preuve dont il a été saisi et aux conclusions qui peuvent en être tirées (Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223 au para 46). Par conséquent, les conclusions de fait défavorables et les conclusions ou hypothèses défavorables en matière de crédibilité doivent être justifiées par les éléments de preuve qui ont été présentés au décideur et doivent être énoncés dans ses motifs (ibid).

[33] Il incombe au demandeur de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer une décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

V. ANALYSE

A. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[34] Le demandeur soutient que le fait que les notes prises lors du contrôle au PDE lui ont été communiquées et qu’il a eu l’occasion d’y répondre n’a pas remédié au manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Au contraire, cette situation n’a fait qu’aggraver le manquement à l’équité procédurale causé par la SPR, car le demandeur a continué d’être privé d’une réelle occasion de répondre à un élément de preuve important. Selon le demandeur, la SAR aurait dû renvoyer l’affaire devant la SPR pour la tenue d’une nouvelle audience.

[35] Je ne suis pas de cet avis.

[36] Je commencerais par faire remarquer qu’il était tout à fait approprié de la part de la SAR de qualifier le défaut de communiquer les notes prises au PDE de « manquement mineur » à l’équité procédurale . Comme l’a fait observer la SAR, les renseignements contenus dans les notes étaient exposés avec précision dans l’avis d’intervention du ministre. Les notes elles-mêmes ne renfermaient pas de renseignements supplémentaires pertinents. Par conséquent, même si le demandeur n’avait pas le document duquel le ministre a tiré ces renseignements, il était au courant de ces renseignements et a eu pleinement la possibilité d’y répondre devant la SPR.

[37] À la lumière de ces circonstances, je suis convaincu que le demandeur a eu une véritable possibilité en appel de répondre aux notes prises lors du contrôle au PDE. En bref, les notes n’apportaient rien de nouveau à la preuve que le demandeur avait déjà eu la possibilité de réfuter devant la SPR. Il est important de souligner que, lorsqu’il a eu l’occasion de présenter d’autres observations relatives aux notes, l’avocat du demandeur n’avait rien à ajouter. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le demandeur n’a relevé aucun renseignement supplémentaire qu’il n’avait pu fournir en raison de la manière dont la SAR a procédé.

[38] La SAR n’a pas expressément examiné la demande du demandeur de renvoyer l’affaire à la SPR pour une nouvelle audience. Elle n’a pas non plus expressément examiné la question de savoir si, après avoir admis les notes prises lors du contrôle au PDE, il était justifié de tenir une audience au titre du paragraphe 110(6) de la LIPR. Par souci de transparence, il aurait été préférable que la SAR examine ces questions. Néanmoins, étant donné que les notes prises lors du contrôle au PDE n’ont rien ajouté de nouveau à la preuve à réfuter, je suis convaincu que le processus que la SAR a suivi respectait les exigences en matière d’équité procédurale.

B. La décision est-elle déraisonnable?

[39] Le demandeur soutient que la décision de la SAR est déraisonnable parce que les conclusions défavorables qu’elle a tirées en matière de crédibilité ne résistent pas à un examen minutieux. Il soutient également que la SAR a fait abstraction de la preuve substantielle qui pouvait appuyer les éléments clés de sa demande, ce qui a créé une lacune fondamentale dans son analyse.

[40] Encore une fois, je ne suis pas d’accord.

[41] Dans son appel, le demandeur a contesté la conclusion défavorable de la SPR en matière de crédibilité ainsi que la conclusion qu’elle a tirée relativement à la PRI. Comme je le fais observer plus haut, la SAR a conclu qu’il n’était pas nécessaire de traiter de la question de la PRI. En ce qui concerne les conclusions en matière de crédibilité, le demandeur a fait valoir que la SPR avait commis les erreurs suivantes : 1) elle a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’a pas mentionné les menaces dont il a fait l’objet aux États-Unis dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la plainte; 2) elle a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur a révélé son emplacement sur les médias sociaux; 3) elle a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’a pas mentionné sa demande de visa américain de 2017. Le demandeur a également fait valoir que la SPR avait commis une erreur en n’accordant que [traduction] « peu de force probante » à ses éléments de preuve à l’appui et en concluant que ceux-ci ne l’emportaient pas sur ses réserves en matière de crédibilité.

[42] Tout d’abord, pour ce qui est des conclusions de la SAR en matière de crédibilité, le demandeur ne m’a pas convaincu qu’elles étaient déraisonnables. La SAR a examiné en détail chacune des erreurs alléguées par le demandeur. Dans des motifs transparents, intelligibles et justifiés, elle a expliqué pourquoi elle n’était pas convaincue que la SPR avait commis une erreur quelconque de l’une ou l’autre des manières alléguées par le demandeur et pourquoi elle souscrivait aux conclusions de la SPR. Le demandeur n’a relevé aucune lacune fondamentale dans les motifs de la SAR. Il est plutôt simplement en désaccord avec les conclusions de la SAR et m’exhorte à faire de même. Comme je l’ai déjà fait remarquer, ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire reposant sur la norme de la décision raisonnable.

[43] Quant aux éléments de preuve à l’appui de sa demande d’asile, le demandeur a fait valoir en appel que la décision de la SPR de rejeter ceux-ci manquait de transparence parce qu’elle n’avait pas indiqué quels affidavits présentaient des similarités frappantes ni ceux pour lesquels il n’était pas clair si les déposants avaient été personnellement témoins des événements décrits. Le demandeur a également fait valoir que la simple affirmation selon laquelle il est facile d’accéder à des documents frauduleux partout au Pakistan n’était pas suffisante pour rejeter la preuve substantielle qu’il a présentée à l’appui de sa demande d’asile.

[44] Dans sa décision, la SAR a précisé quels étaient les deux affidavits en question. Elle a conclu que les similitudes « sont évidentes, car les affidavits sont presque identiques ». Elle était également d’accord avec la SPR pour dire qu’il n’était pas clair si les déposants avaient personnellement été témoins des événements qu’ils décrivaient dans les affidavits. Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, le demandeur ne conteste pas ces conclusions. Cependant, il soutient que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte des autres documents à l’appui.

[45] Je ne suis pas d’accord. La SAR a expressément déclaré qu’elle a examiné les documents que le demandeur a présentés à l’appui de sa demande d’asile et a conclu qu’ils ne l’emportaient pas sur les réserves qu’elle avait concernant sa crédibilité. Bien que la SAR aurait certainement pu développer les raisons pour lesquelles elle a tiré cette conclusion, ses courts motifs constituent une réponse suffisante compte tenu de la manière très générale dont le demandeur a formulé son motif d’appel. Comme la Cour suprême l’a déclaré au paragraphe 127 de l’arrêt Vavilov, les « principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties ». En l’absence d’observations plus détaillées de la part du demandeur sur cette question, le fait que la SAR n’ait pas fourni de motifs plus détaillés ne remet pas en question le caractère raisonnable de son analyse sur ce point.

[46] Enfin, je soulignerais que, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, le demandeur n’a même pas tenté de faire valoir que la SAR ne pouvait pas raisonnablement conclure que la preuve à l’appui n’était pas suffisante pour l’emporter sur les réserves en matière de crédibilité. Il soutient simplement que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve à l’appui. Comme je l’ai expliqué, je ne suis pas convaincu que la SAR a commis une erreur.

VI. CONCLUSION

[47] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[48] Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je suis d’avis que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUDGMENT DANS LE DOSSIER IMM-4256-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4256-22

 

INTITULÉ :

SYED FAHEEM AFZAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 février 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 septembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Matthew Jeffery

 

Pour le demandeur

 

Kevin Doyle

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Jeffery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.