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Date : 20230927


Dossier : IMM-5383-22

Référence : 2023 CF 1307

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2023

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

LACHHMAN DAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Lachman Das est un citoyen du Pakistan. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAI a confirmé la décision d’un agent des visas [l’agent] selon laquelle les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas l’octroi de la résidence permanente à M. Das au titre de l’alinéa 28(2)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[3] M. Das a immigré au Canada avec sa famille en 2010. Il était devenu résident permanent et avait le droit de travailler, mais il a eu de la difficulté à trouver un emploi au Canada. En travaillant comme massothérapeute non agréé, M. Das a commis une agression sexuelle sur une cliente, une infraction visée à l’article 271 du Code criminel, LRC 1985, c C-46. Le 2 avril 2014, la Cour de justice de l’Ontario a déclaré M. Das coupable et l’a condamné à six mois de prison.

[4] Un rapport a été préparé concernant M. Das en application de l’article 44 de la LIPR, et il a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité. Il a été recommandé que M. Das fasse l’objet d’une enquête relative à la prise d’une mesure d’expulsion à son encontre. M. Das ne s’est pas présenté à l’enquête et un mandat d’arrestation a été lancé contre lui.

[5] Le ou vers le 8 novembre 2014, M. Das a quitté le Canada et s’est rendu au Pakistan. Il y est resté brièvement avant de s’installer à Oman, où il travaille actuellement comme médecin pour pouvoir soutenir financièrement sa famille.

[6] La famille de M. Das comprend son épouse, une fille et deux fils. Au moment de la présente demande, les trois enfants étaient des adultes dans la vingtaine. Les deux fils sont très handicapés. Le plus jeune présente des déficits intellectuels et des retards de développement, tandis que l’aîné a des déficits cognitifs. À l’exception de M. Das, tous les membres de la famille sont citoyens canadiens.

[7] M. Das explique que ses fils ont des besoins de plus en plus lourds au fur et à mesure qu’ils avancent en âge. Ils ont des difficultés diverses, entre autres, en matière d’hygiène, et ils peuvent avoir des comportements autodestructeurs. L’épouse et la fille de M. Das s’efforcent de s’occuper des fils en son absence.

III. La décision qui fait l’objet d’un contrôle

[8] Le 6 octobre 2020, M. Das a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et de réadaptation aux termes de l’alinéa 36(3)c) de la LIPR. Il a passé une entrevue téléphonique le 24 mars 2021.

[9] Dans sa demande de résidence permanente, M. Das a déclaré qu’il n’avait cumulé aucun jour de présence au Canada durant la période de cinq ans précédente. L’agent a conclu que M. Das n’avait pas respecté les exigences de résidence prévues à l’article 28 de la LIPR. L’agent a tenu compte des motifs d’ordre humanitaire et de l’intérêt supérieur des enfants.

[10] M. Das a interjeté appel de la décision de l’agent devant la SAI en vertu du paragraphe 63(4) de la LIPR. La SAI a confirmé la décision de l’agent selon laquelle les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas la prise de mesures spéciales.

[11] La décision de la SAI était fondée sur les conclusions suivantes :

  • Le manquement de M. Das à l’obligation de résidence était important et celui-ci devait donc établir l’existence de motifs d’ordre humanitaire très importants pour l’emporter sur ce manquement.

  • ·Les raisons pour lesquelles M. Das avait quitté le Canada étaient un facteur défavorable dans l’évaluation;

  • Les liens familiaux de M. Das avec le Canada jouaient en faveur de la prise de mesures spéciales, mais son absence d’établissement sur les plans matériel et social militaient contre la prise de telles mesures;

  • Les liens solides de M. Das avec Oman militaient contre la prise de mesures spéciales et le poids de ses liens avec le Pakistan était neutre;

  • Aucun enfant mineur ne serait touché par l’issue de l’appel;

  • Les difficultés des enfants de M. Das militaient en faveur de la prise de mesures spéciales.

[12] La SAI a conclu que les facteurs favorables à la prise de mesures spéciales, en particulier les liens familiaux de M. Das et les difficultés de ses enfants, ne l’emportaient pas sur les facteurs défavorables.

IV. La question en litige

[13] La seule question en litige soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SAI était raisonnable.

V. Analyse

[14] La décision de l’agent est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour n’interviendra que si « la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[15] Les critères « de justification, d’intelligibilité et de transparence » sont respectés si les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement qui a mené à la décision et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85-86, citant l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[16] Les notes versées dans le SMGC par l’agent font partie des motifs de la décision qui fait l’objet du présent contrôle (Ebrahimshani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 89 au para 5).

[17] M. Das soutient que la SAI a) n’a pas effectué d’analyse adéquate de l’intérêt supérieur des enfants; b) a mal compris les raisons pour lesquelles il a quitté le Canada; c) a surestimé la possibilité que ses fils lui rendent visite à Oman; d) a exagéré ses liens avec Oman.

A. L’intérêt supérieur des enfants

[18] M. Das soutient que la SAI n’a pas effectué une analyse adéquate de l’intérêt supérieur des enfants. Il affirme que s’il y avait eu une analyse appropriée de l’intérêt supérieur des enfants, l’intérêt supérieur de ses deux fils aurait été [traduction] « un facteur très important qui aurait milité en faveur de l’accueil de la demande d’appel ».

[19] L’avocat de M. Das insiste beaucoup sur le fait que la SAI n’a pas cité la décision Yoo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 343 [Yoo] de notre Cour, et fait observer que cette décision a été portée explicitement à l’attention du tribunal. Dans la décision Yoo, le juge Leonard Mandamin a confirmé que les enfants adultes peuvent bénéficier d’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant si la décision pourrait avoir des répercussions négatives sur eux.

[20] Bien qu’elle n’ait pas cité la décision Yoo dans ses motifs, il est clair que le SAI a en fait effectué une analyse de l’intérêt supérieur de tous les enfants de M. Das. La SAI a conclu que « les difficultés auxquelles feraient face les fils et la fille de l’appelant jouent en faveur de la prise de mesures spéciales ». La SAI a accepté les éléments de preuve concernant les difficultés importantes des deux fils de M. Das, ainsi que les efforts déployés par sa fille pour se débrouiller. Les motifs tenaient compte du dossier et il a été conclu que l’intérêt supérieur des enfants militait en faveur de la prise de mesures spéciales. Je suis convaincu que la SAI s’est montrée « récepti[ve], attenti[ve] et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants adultes (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 75).

[21] Il n’existe pas de formule ou d’approche précise pour analyser l’intérêt supérieur des enfants (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Habti, 2022 CF 433 au para 23; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 35). De multiples facteurs risquent de faire obstacle à l’intérêt supérieur de l’enfant, et l’analyse dépend fortement du contexte. La SAI n’était pas tenue d’énoncer ou d’appliquer un critère en particulier; elle devait plutôt examiner de manière globale l’ensemble des circonstances. Je suis convaincu qu’elle l’a fait.

B. Les raisons pour lesquelles M. Das a quitté le Canada

[22] La SAI a fait observer que le fait de « garder un emploi à l’extérieur du Canada est contraire aux objectifs de la LIPR » (citant Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Abderrazak, 2018 CF 602 [Abderrazak] au para 24). M. Das affirme que, contrairement au demandeur dans l’affaire Abderrazak, il n’a pas pu trouver de travail au Canada et qu’il a été contraint de partir afin d’assurer le bien-être financier de sa famille.

[23] Le défendeur fait observer qu’aucun élément de preuve n’a été présenté à la SAI pour étayer l’affirmation de M. Das selon laquelle il n’y avait pas de possibilités pour lui de rester au Canada. Au contraire, M. Das avait déjà trouvé divers emplois temporaires, notamment en tant qu’agent de sécurité, ouvrier d’usine et massothérapeute.

[24] Il était loisible pour la SAI de conclure que le départ de M. Das du Canada était motivé par des raisons contraires aux objectifs de la LIPR. La recherche d’un emploi à l’extérieur du Canada est fondamentalement incompatible avec le régime de la LIPR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Miteyo, 2021 CF 763 au para 25, citant Abderrazak, au para 24). En outre, les raisons pour lesquelles M. Das a quitté le Canada ne se limitaient pas à ses minces perspectives d’emploi. Il avait été déclaré coupable d’une infraction criminelle grave, et il devait faire l’objet d’une enquête, à laquelle il ne s’est finalement pas présenté.

C. Possibilité pour les fils de rendre visite à M. Das à Oman

[25] La SAI a écrit ce qui suit au sujet de la possibilité pour les fils de rendre visite à M. Das à Oman (au para 38) :

Les fils de l’appelant ne peuvent vivre à Oman au titre du permis de résidence de leur père, mais ils lui ont rendu visite dans ce pays et ailleurs pendant de longues périodes. Au moment de la seconde séance de l’appel, le fils aîné était à Oman avec ses parents, et son retour au Canada était prévu pour mai 2022. Bien que ce ne soit pas la situation idéale, ces séjours prolongés périodiques à Oman pourraient atténuer les difficultés découlant de l’affection des fils de l’appelant, car ils allégeraient le fardeau de la témoin 2 et permettraient à l’appelant de guider ses fils.

[26] M. Das n’est pas d’accord pour dire que des séjours de deux ou trois mois puissent être décrits raisonnablement comme des « séjours prolongés ». Il soutient que des visites de cette durée ne suffisent pas à lui permettre de remplir son rôle de père.

[27] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la SAI a estimé que les visites de deux ou trois mois des fils à M. Das à Oman pouvaient raisonnablement être considérées comme des [traduction] « visites prolongées ». La SAI a conclu que la situation n’était « pas [...] idéale », mais qu’elle contribuerait néanmoins à atténuer les difficultés qui découlent de l’état des fils. Il n’appartient pas à la Cour, dans un contrôle judiciaire, de soupeser à nouveau la preuve et de substituer ses propres conclusions à celles du tribunal (Pulido c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 463 au para 29).

D. Les liens de M. Das avec Oman

[28] M. Das n’est pas d’accord avec la conclusion de la SAI selon laquelle ses « liens solides [...] avec Oman militent contre la prise de mesures spéciales ». Il affirme que la SAI n’a pas tenu compte de son âge avancé et de ses perspectives d’avenir, et a uniquement tenu compte de sa situation financière, de ses actifs et de la longue période pendant laquelle il a vécu à Oman. Il affirme n’avoir aucun lien familial ni social avec Oman.

[29] Encore une fois, M. Das demande à la Cour de soupeser à nouveau la preuve dont disposait la SAI. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans un contrôle judiciaire.

[30] M. Das est titulaire d’un permis de résidence ouvert à Oman, renouvelable tous les deux ans. Il exerce un emploi rémunéré en tant que médecin. Il dispose d’une résidence et d’une automobile, ainsi que de comptes bancaires dans ce pays. Il était loisible à la SAI de conclure qu’il avait des liens solides avec Oman. En effet, étant donné que M. Das insiste sur le fait que ses perspectives d’emploi au Canada ont toujours été médiocres, il n’est pas évident de savoir comment il pourrait mieux subvenir aux besoins financiers de sa famille s’il revenait au pays.

VI. Conclusion

[31] La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5383-22

 

INTITULÉ :

LACHHMAN DAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 AOÛT 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 SEPTEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Maxwell Musgrove

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Bradley Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chaudhary Immigration Law

Avocats

North York (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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