Date : 20230926
Dossier : IMM‑5994‑22
Référence : 2023 CF 1295
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2023
En présence de monsieur le juge Régimbald
ENTRE :
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ABOLAJI FAFORE FASHINA
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, Abolaji Fafore Fashina, est un citoyen nigérien qui demande la résidence permanente en tant qu’époux de sa répondante, une citoyenne canadienne née en Sierra Leone. Lors d’une entrevue réalisée dans le cadre du processus de demande, un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a relevé plusieurs contradictions dans les réponses fournies par le demandeur et sa répondante, de même que des informations donnant à penser que ces derniers ne cohabitaient pas. Par conséquent, l’agent a rejeté la demande de parrainage.
[2] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision. Il prétend que son droit à l’équité procédurale a été violé pendant le processus d’entrevue parce que sa répondante et lui n’ont pas eu la chance de répondre aux allégations de déclarations divergentes ni d’être interrogés ensemble pour expliquer ou justifier ces contradictions. Le demandeur soutient également que la décision de l’agent était déraisonnable.
[3] Après avoir examiné le dossier soumis à la Cour, y compris les observations écrites et orales des parties et le droit applicable, je considère que le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que la décision de l’agent était déraisonnable. Pour les motifs exposés ci‑après, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
II. Les faits
[4] Avant d’arriver au Canada, le demandeur a demandé un visa d’étudiant qu’il s’est vu refuser en 2015. De 2016 jusqu’à son arrivée en juillet 2017, il a vécu aux États‑Unis pour y étudier.
[5] En arrivant au Canada, il a fait une demande d’asile, mais celle‑ci a été rejetée environ deux ans plus tard. Le demandeur affirme qu’entre‑temps, il a rencontré sa femme à la fête d’anniversaire d’un ami, le ou vers le 19 mai 2018. Ils se sont mariés en février 2020. Après quatre mois d’union, M. Fashina a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, en désignant sa femme comme répondante. Dans sa demande, il tentait aussi d’obtenir la résidence permanente pour son fils et sa fille.
[6] Dans le cadre du processus de demande, le couple s’est rendu dans un bureau d’IRCC pour passer une entrevue visant à évaluer l’authenticité du mariage et à déterminer si les exigences énoncées au paragraphe 12(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et à l’alinéa 124a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR] étaient respectées. L’agent a interrogé le demandeur et sa répondante séparément, puis a rejeté la demande de parrainage en raison de plusieurs contradictions dans les réponses fournies par les époux au cours de l’entrevue.
[7] Fait important, la répondante vivait en Gambie depuis 2021, où elle travaillait comme adjointe aux communications pour l’Organisation des Nations Unies. Elle n’avait pas rendu visite au demandeur depuis octobre 2021 (la décision a été rendue 13 juin 2022) et était revenue au Canada uniquement pour l’entrevue. De plus, les éléments de preuve présentés par le demandeur et la répondante relativement à la fréquence de leurs communications, que ce soit par téléphone ou par un autre moyen, étaient contradictoires. Enfin, la répondante n’arrivait pas à se rappeler depuis quand elle habitait avec le demandeur à leur adresse de l’époque. Elle a d’abord dit octobre 2020, puis 2022 et 2019. Dans son entrevue, le demandeur a mentionné qu’ils y demeuraient depuis octobre 2021.
III. La décision faisant l’objet du contrôle
[8] Dans la lettre de refus qu’il a envoyée au demandeur, l’agent a déclaré :
[TRADUCTION]
Vous ne m’avez pas convaincu que vous ne vous êtes pas mariés principalement à des fins d’immigration. Lors de votre entrevue, le 2 juin 2022, vous avez déclaré que votre répondante vivait et travaillait en Gambie depuis octobre 2021. Je ne suis pas convaincu que vous répondez aux exigences de l’alinéa 124a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.
[9] La décision et les motifs de l’agent soulignaient plusieurs contradictions et préoccupations relevées par l’agent au cours de l’entrevue. Par exemple : la répondante a eu de la difficulté à se rappeler son adresse et la date à laquelle elle y avait emménagé avec le demandeur; les déclarations des deux parties se contredisaient quant au chemin qu’ils avaient pris pour se rendre à l’entrevue et à leurs activités durant le trajet (la répondante a dit qu’elle avait passé la majeure partie du trajet à parler au téléphone avec des amis, tandis que le demandeur a dit qu’ils avaient discuté ensemble – il a même affirmé que son épouse n’avait pas parlé au téléphone pendant leur déplacement); la répondante vivait en Gambie depuis octobre 2021 pour y travailler et n’avait fait aucun voyage au Canada depuis (sauf pour l’entrevue); la répondante a déclaré que le demandeur et elle communiquaient presque tous les jours par messages texte sur WhatsApp et, à l’occasion, par appel vidéo ou par téléphone, alors que le demandeur a affirmé qu’ils se parlaient souvent par téléphone ou par textos et qu’ils espaçaient parfois les appels téléphoniques d’une journée ou deux.
[10] Les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) fournissent des précisions. Elles contiennent tous les détails des entrevues de l’agent avec le demandeur et sa répondante :
[TRADUCTION]
[…] Plusieurs contradictions et préoccupations sont ressorties de l’entrevue. […] Lorsque j’ai demandé à la répondante de confirmer son adresse, elle a eu de la difficulté à s’en souvenir et n’était pas certaine du code postal. À la question « Depuis combien de temps vivez‑vous à cette adresse? », elle a d’abord répondu qu’elle y résidait depuis octobre 2020, après quoi elle a dit 2022, puis 2019. […] Lorsque j’ai posé la même question au demandeur principal (DP), il a déclaré que son épouse et lui y avaient emménagé en octobre 2021. […] L’article 124 du RIPR énonce ce qui suit : Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes : a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada; b) il détient le statut de résident temporaire au Canada; c) une demande de parrainage a été déposée à son égard. À la question « Depuis combien de temps la répondante vit‑elle à l’étranger? », le demandeur a répondu qu’elle y demeurait depuis octobre 2021. En examinant le passeport de la répondante, j’ai constaté qu’il contenait plusieurs timbres d’entrée en Gambie depuis 2018. Lorsque j’en ai fait mention au DP, ce dernier a affirmé que la répondante n’avait pas vécu en permanence en Gambie, qu’elle s’y était rendue pour réaliser son rêve de trouver un meilleur emploi, mais qu’elle n’y était jamais restée plus de 6 mois. Plusieurs contradictions ont été relevées au cours des entrevues, dont les déclarations divergentes du DP et de la répondante au sujet de leurs activités pendant qu’ils se rendaient à l’entrevue, de la fréquence de leurs communications et de l’horaire de travail de la répondante. De plus, le DP et la répondante ont tous deux admis qu’ils n’habitaient pas ensemble au Canada depuis octobre 2021 et qu’ils avaient vécu séparément durant plusieurs périodes allant jusqu’à 6 mois depuis 2018. J’ai examiné l’ensemble de la preuve. Toutefois, après avoir analysé les éléments de preuve visant à établir l’authenticité du mariage et après avoir comparé les renseignements obtenus lors des entrevues, je ne suis pas convaincu que le demandeur puisse être considéré comme un époux, conformément à l’article 4 du RIPR. Le DP et la répondante n’ont pas été cohérents du début à la fin de l’entrevue et n’ont pas pu me donner d’explication qui réponde à mes préoccupations. Présentement, la répondante demeure en Gambie. Je ne suis pas convaincu que le DP et la répondante cohabitent conformément à l’article 124 du RIPR. Je ne suis pas non plus convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que cette relation est authentique et qu’elle ne vise pas principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la LIPR, comme le prévoit l’article 4 du RIPR. La demande est rejetée.
IV. Les questions en litige et la norme de contrôle
[11] Après avoir examiné les mémoires et les observations orales des parties, la preuve et la jurisprudence applicable, j’estime que la présente affaire soulève deux questions principales :
1)La décision était‑elle équitable sur le plan procédural?
2)La décision était‑elle raisonnable?
[12] La question de l’équité procédurale fait l’objet d’un « exercice de révision […] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée »
(Aboudlal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 689 au para 32, citant Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CFCP] au para 54). Comme la Cour d’appel fédérale l’a récemment déclaré dans l’arrêt Caron c Canada (Procureur général), 2022 CAF 196 au para 5 : « Lorsqu’elle entreprend une analyse relative à l’équité procédurale, [la] Cour doit établir quelles sont les procédures et les garanties requises et, si celles‑ci n’ont pas été respectées, elle doit intervenir. »
Le rôle de la cour de révision en matière d’équité procédurale consiste simplement à déterminer si la procédure suivie était juste et équitable eu égard aux circonstances particulières de l’espèce : « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre »
(comme le rappelle l’arrêt CFCP, au para 56).
[13] La norme de contrôle qui s’applique au fond de la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Vavilov, au para 85); elle doit aussi être justifiée, transparente et intelligible (Vavilov, au para 99). Il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision (Vavilov, au para 100).
[14] Comme l’a dit le juge Pentney au paragraphe 16 de la décision Oladihinde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1246 :
[16] En d’autres termes, dans le cadre d’un contrôle judiciaire selon la norme déférente de la raisonnabilité, il s’agit notamment de déterminer si le processus et la décision indiquent que le décideur a réellement « analysé » la preuve, en appliquant le critère juridique approprié. La norme ne commande pas la perfection. Il faut se rappeler que le législateur a confié à l’agent la tâche de réaliser une enquête initiale sur les faits. Il faut faire preuve d’une certaine retenue à l’égard d’un décideur, particulièrement dans un contexte où l’enquête est principalement factuelle et qu’elle relève du champ d’expertise du décideur, lorsqu’une plus grande exposition aux subtilités de la preuve ou une meilleure connaissance du contexte des politiques peut procurer un avantage. Si le raisonnement du décideur peut être compris, et s’il démontre que ce type d’analyse a eu lieu, la décision sera généralement jugée raisonnable : voir Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431.
V. Les dispositions applicables
[15] Voici les dispositions de la LIPR qui s’appliquent en l’espèce :
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[16] S’appliquent en outre les dispositions suivantes du RIPR :
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VI. Analyse
A. Le droit du demandeur à l’équité procédurale n’a pas été violé
[17] Dans son mémoire, le demandeur soutient que le processus d’entrevue n’était pas équitable sur le plan procédural parce que l’agent [traduction] « avait omis de rencontrer les deux parties ensemble pour leur faire part de ses préoccupations, de sorte qu’elles aient la possibilité d’y répondre »
et qu’il ne pouvait donc tirer que des [traduction] « conclusions conjecturales »
. À l’audience, l’avocat du demandeur a nuancé cet argument en faisant seulement valoir que l’agent aurait dû porter à l’attention des parties les divergences dans leurs déclarations — il n’était pas absolument nécessaire de confronter les parties en présence l’une de l’autre.
[18] S’appuyant sur la décision Shadow Lai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 563 au para 28, le défendeur fait valoir que le demandeur et sa répondante auraient dû s’attendre à ce que l’agent relève les différences entre leurs entrevues. Le simple fait d’être convoqué en entrevue indique au demandeur que ses réponses seront comparées et qu’il aura la chance de s’expliquer. Le décideur est en droit de dire qu’il n’est pas convaincu par l’explication fournie.
[19] Je ne suis pas d’accord avec le demandeur. Il est bien établi en droit que « les déclarations divergentes d’époux lors d’entrevues séparées portant sur la bonne foi du mariage ne sont pas des éléments de preuve au sujet desquels l’agent a le devoir de confronter le demandeur pour que ce dernier puisse fournir une explication »
(Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 673 au para 13; Dasent c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 79 au para 5; Oppong c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 78). Autrement dit, « les agents […] n’ont aucune obligation d’aviser les demandeurs de leurs préoccupations lorsque celles‑ci découlent d’éléments provenant directement de la preuve présentée par le demandeur ou des exigences prévues par la loi »
(Pascal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 595 au para 8; voir aussi Gega c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1468 au para 40).
[20] Les notes consignées par l’agent dans le SMGC indiquent clairement que les éléments de preuve présentés par le demandeur et sa répondante se contredisaient sur plusieurs questions qui ne se posent pas normalement dans un couple marié. Les contradictions dans les déclarations des deux parties découlaient d’éléments provenant directement de la preuve présentée par ces dernières. Par conséquent, il n’y avait aucune obligation de confronter les parties au sujet de ces déclarations pour qu’elles puissent fournir une réponse ou une justification. Il n’y a donc eu aucun manquement à l’équité procédurale en l’espèce.
B. La décision de l’agent est raisonnable
[21] Tout d’abord, il est important de préciser que les notes versées dans le SMGC font partie des motifs de l’agent et que la Cour peut s’en servir pour évaluer le caractère raisonnable de la décision (Ebrahimshani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 89 au para 5).
[22] Le demandeur conteste en particulier les conclusions tirées par l’agent à la lumière des faits. Il soutient que l’agent ne pouvait pas conclure que la relation n’était pas authentique simplement parce que la répondante ne se souvenait plus depuis combien de temps ils vivaient ensemble à leur adresse de l’époque et qu’il lui avait fallu un moment pour se rappeler ladite adresse. Le demandeur avance un argument similaire pour contester les conclusions tirées par l’agent au sujet de la fréquence de ses communications avec son épouse pendant qu’elle vivait en Gambie et des contradictions relatives à l’horaire de travail de la répondante. Le demandeur est d’avis que les réponses fournies durant l’entrevue n’étaient jamais totalement incompatibles. Au contraire, les déclarations étaient compatibles si elles étaient évaluées correctement dans le contexte des entrevues.
[23] Enfin, le demandeur fait valoir que la répondante travaillait en Gambie, mais qu’elle n’y est jamais restée plus de 6 mois consécutifs. Tous deux vivaient ensemble au Canada, avec la belle‑fille du demandeur. Ce dernier prétend que l’agent a interprété de manière déraisonnable leur « cohabitation »
en considérant qu’ils devaient « vivre ensemble de façon continue »
, contrairement à la jurisprudence de la Cour (Ally c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 445 [Ally] au para 29).
[24] Selon le défendeur, l’agent a expliqué les diverses contradictions, et son raisonnement montre qu’il a été sensible aux raisons pour lesquelles le demandeur et la répondante vivaient dans des pays différents depuis 2021. Par ailleurs, le demandeur n’a souligné que quelques‑unes des nombreuses contradictions relevées, et les conclusions factuelles tirées par l’agent commandent une certaine retenue (Boyacioglu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1356 [Boyacioglu] au para 32).
[25] Le défendeur soutient également que la façon dont l’agent interprète la « cohabitation »
est conforme à la jurisprudence, selon laquelle « [l]a séparation doit être temporaire et de courte durée »
et l’intention de vivre ensemble n’est pas suffisante (Oziegbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 360 [Oziegbe] aux para 13‑15).
[26] La question de savoir si un mariage est authentique est de nature « très factuelle »
et cette décision « peut être extrêmement difficile à prendre […]. Ces décisions difficiles que les décideurs sont appelés à prendre commandent une certaine retenue »
, surtout « lorsque le décideur a eu l’avantage d’interroger les époux en personne »
(Boyacioglu, au para 32).
[27] À mon sens, l’agent a correctement examiné les éléments de preuve présentés en l’espèce et a relevé plusieurs contradictions qui l’ont amené à conclure que le mariage n’était pas authentique, mais qu’il visait plutôt l’acquisition d’un statut sous le régime de la LIPR. Plus précisément, ces contradictions concernent le lieu et la durée de la cohabitation du demandeur avec la répondante, le trajet pour se rendre à l’entrevue et les activités des parties durant ce trajet, les moyens utilisés pour communiquer et la fréquence de leurs communications, ainsi que l’horaire de travail de la répondante en Gambie.
[28] Par exemple, en ce qui concerne leur adresse et la date à laquelle ils ont emménagé ensemble, la répondante avait de la difficulté à se rappeler l’adresse et a dit qu’elle y habitait depuis octobre 2020, 2022 ou 2019. Le demandeur a donné une réponse différente : il a déclaré qu’ils avaient déménagé à cette adresse en 2021, seulement huit mois plus tôt (l’entrevue a eu lieu en juin 2022). La répondante a mentionné trois années différentes, et aucune ne correspondait à celle indiquée par le demandeur.
[29] À propos de l’emploi de la répondante en Gambie, l’agent s’est appuyé sur les déclarations du demandeur, comme le montrent ses notes dans le SMGC : [traduction] « [la répondante] réside en Gambie depuis octobre 2021 »
et « [elle] n’a fait aucun voyage pour rendre visite au DP depuis »
. L’agent a aussi tenu compte des inscriptions au passeport de la répondante – il a noté que son passeport contenait plusieurs timbres d’entrée en Gambie depuis 2018 – et de la déclaration du demandeur, qui a affirmé que la répondante s’était rendue là‑bas pour trouver son emploi de rêve, mais qu’elle n’y était jamais restée plus de 6 mois consécutifs.
[30] Aux termes de l’alinéa 124a) du RIPR, l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant doit vivre avec ce répondant au Canada. En l’espèce, l’agent, au vu de la preuve, n’était pas convaincu que le couple cohabitait.
[31] L’agent n’exigeait pas que le couple soit [traduction] « continuellement ensemble »
, comme l’a prétendu le demandeur. Les motifs de sa décision sont plutôt conformes à la jurisprudence de la Cour, selon laquelle « [l]a séparation doit être temporaire et de courte durée »
(Oziegbe, au para 14, citant Chaudhary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 828 au para 12). De plus, le demandeur ne se fonde que partiellement sur la décision Ally, car le paragraphe même qu’il cite indique clairement que la séparation doit être « temporaire et de courte durée »
(au para 29). Dans cette décision, la Cour a confirmé une conclusion de l’agent voulant qu’un couple n’ait pas démontré qu’il respectait les exigences de l’article 124 du RIPR précisément parce que la séparation n’était pas temporaire et de courte durée (au para 31).
[32] Le demandeur ne s’est donc pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que la décision de l’agent était déraisonnable. Le raisonnement de l’agent, qui affirme que le demandeur et la répondante ne respectaient pas les exigences de l’alinéa 124a) parce qu’ils ne cohabitaient pas, est intelligible, transparent et justifié (Vavilov, aux para 15, 98). Les conclusions de l’agent sont factuelles et sont fondées sur la preuve et les arguments présentés par les parties. Je ne vois donc aucune raison d’intervenir.
[33] Quant à la question de savoir si le couple s’est marié principalement à des fins d’immigration, au sens de l’article 4 du RIPR, le défendeur a admis, à l’audience, que la conclusion de l’agent quant aux contradictions liées à la fréquence des communications entre le demandeur et la répondante pendant que celle‑ci était en Gambie était peut‑être déraisonnable. J’ajouterais que d’autres conclusions de fait auraient pu être plus favorables au demandeur. Toutefois, il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions de fait lors du contrôle judiciaire, et la Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par l’agent (Cortez Escobedo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 987 au para 19). Les conclusions de fait ne doivent être infirmées que « dans les cas les plus évidents »
(Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 720 au para 12). En l’espèce, les lacunes reprochées ne sont pas suffisamment évidentes, capitales ou importantes pour rendre cette décision déraisonnable (Vavilov, au para 100).
[34] Qui plus est, aucune des conclusions de fait discutables en l’espèce n’est liée à la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur et la répondante ne cohabitaient pas. Par conséquent, même si je devais conclure que la décision de l’agent était déraisonnable quant à la question de savoir si le couple s’est marié principalement à des fins d’immigration, le demandeur ne serait pas pour autant admissible au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada puisqu’il ne vivait pas avec son épouse comme l’exige l’alinéa 124a) du RIPR. Le fait de ne pas remplir l’une des conditions de l’alinéa 124a) rend sa demande irrecevable. Que leur mariage soit ou non authentique, il reste que le demandeur et sa répondante ne vivaient pas ensemble. La décision de l’agent sur cette question est raisonnable (Said c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1245 au para 35).
VII. Conclusion
[35] Pour ces motifs, la décision de l’agent est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.
[36] Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑5994‑22
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Guy Régimbald »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑5994‑22
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INTITULÉ :
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ABOLAJI FAFORE FASHINA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TORONTO (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 19 SEPTEMBRE 2023
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE RÉGIMBALD
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DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :
|
LE 26 SEPTEMBRE 2023
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COMPARUTIONS :
Adetayo G. Akinyemi
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POUR LE DEMANDEUR
|
Pavel Filatov
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Adetayo G. Akinyemi
North York (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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