Dossier : IMM-8795-22
Référence : 2023 CF 1300
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2023
En présence de monsieur le juge Fothergill
ENTRE :
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SEYED MANSOOR SHAMS
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Seyed Mansoor Shams, un citoyen de l’Iran, est directeur général de l’entreprise de construction Pargan. En juin 2022, M. Shams a demandé un permis de travail en tant que personne mutée à l’intérieur d’une société. Il a dit qu’il prévoyait de lancer et de diriger l’entreprise Saba Waterbuild [Saba] à Toronto.
[2] Une agente de traitement des demandes de Citoyenneté et Immigration Canada [l’agente] a rejeté la demande de M. Shams au motif qu’il n’avait pas satisfait aux critères d’admissibilité concernant la délivrance du permis.
[3] Il était raisonnable de la part de l’agente de conclure que M. Shams n’avait pas démontré l’existence de la relation employeur-employé requise; que Saba ne prévoyait pas d’acquérir des installations physiques à Toronto; que les renseignements financiers présentés ne suffisaient pas pour démontrer la capacité de Saba de se lancer dans les affaires et de rémunérer ses employés; que le plan d’affaires n’établissait pas la présence d’avantages économiques importants pour les citoyens canadiens et les résidents permanents; et que Saba ne serait pas assez importante pour justifier des postes de cadres ou de gestionnaires.
[4] La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.
II. Contexte
[5] Pargan, une entreprise iranienne, se spécialise dans les services de construction et d’ingénierie. M. Shams s’est joint à l’entreprise en 2011 et en est le directeur général depuis 2017. Lorsqu’il a présenté sa demande de permis, M. Shams possédait 33 p. 100 de Pargan et 49 p. 100 de Saba.
[6] En juin 2022, M. Shams a demandé un permis de travail de personne mutée à l’intérieur d’une société (code de dispense de l’étude d’impact sur le marché du travail – C12) au titre du Programme de mobilité internationale. Dans sa demande, il précisait qu’il serait muté à Saba pour une période de un an. Son épouse et son jeune enfant étaient inclus dans sa demande en tant que personnes à charge.
[7] Parmi les documents présentés à l’appui de sa demande de permis figuraient un certificat de constitution de Saba, un plan d’affaires pour les premières années de Saba, un certificat de travail délivré par Pargan et signé par M. Shams pour le compte de l’entreprise, une entente de location d’un espace de bureau virtuel au Canada, et de récents relevés bancaires de M. Shams.
[8] L’agente a refusé la demande pour les raisons suivantes :
[traduction]
Vous n’avez pas démontré que vous avez satisfait aux critères d’admissibilité de la dispense C12 et que vous êtes visé par les exceptions prévues à l’alinéa 205a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés ou que votre travail permettrait de créer ou de conserver des débouchés ou des avantages sociaux, culturels ou économiques pour les citoyens ou les résidents permanents.
[9] Selon les notes détaillées consignées par l’agente dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], l’agente n’était pas convaincue de la relation employeur-employé de M. Shams. M. Shams n’a présenté aucun talon de paye ni document de paye qui permettrait de prouver qu’il occupait un emploi continu depuis au moins un an. De plus, elle doutait que le demandeur avait l’intention de louer des installations physiques. L’agente a fait remarquer que le plan d’affaires prévoyait l’embauche d’un seul employé canadien au cours de la première année.
[10] D’après le plan d’affaires de Saba, l’entreprise embaucherait une personne au cours de la première année et jusqu’à trois avant la fin de la troisième année, et aurait recours à l’équipe d’ingénieurs en Iran pour le travail de planification et de conception. La probabilité de débouchés économiques importants ou de création d’emplois viables pour les citoyens canadiens ou les résidents permanents était donc faible. Selon l’agente, il y avait peu d’éléments de preuve permettant de démontrer la capacité de Saba de justifier des postes de gestionnaires.
[11] L’agente a conclu que l’investissement promis de 100 000 $ CA dans Saba au cours des deux premières années était faible, vu le coût du loyer et des autres dépenses d’exploitation de l’entreprise. Elle s’interrogeait également au sujet des nombreuses transactions de retrait et de remise répétitives et non motivées dans les comptes bancaires personnels de M. Shams et de son épouse.
III. Question en litige
[12] La seule question en litige soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de l’agente est raisonnable.
IV. Analyse
[13] La décision de l’agente est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au para 100).
[14] Les critères de « justification, d’intelligibilité et de transparence
»
sont respectés si les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement qui a mené à la décision et de conclure si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85-86, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).
[15] Les notes consignées par l’agente dans le SMGC font partie des motifs de la décision faisant l’objet du contrôle (Ebrahimshani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 89 [Ebrahimshani] au para 5).
[16] L’alinéa 205a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2022-227 [le RIPR] est ainsi libellé :
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[17] De plus amples renseignements sont donnés dans les instructions d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada intitulées Programme de mobilité internationale : Intérêts canadiens – Avantage important – Personnes mutées à l’intérieur d’une société – Exigences générales [R205a)] (code de dispense C12) (les instructions). L’extrait suivant est particulièrement pertinent :
Les personnes mutées à l’intérieur d’une société peuvent présenter une demande de permis de travail en vertu des dispositions générales si […] :
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elles ont occupé de façon continue un poste semblable (à titre permanent ou contractuel à la suite de la signature d’un contrat directement avec la société) à temps plein (et non le cumul d’heures à temps partiel) dans l’entreprise qui a l’intention de les muter, à l’étranger, pendant au moins un an au cours des trois années précédant immédiatement la date de la demande initiale; […]
Exigences visant l’entreprise
-
En général, l’entreprise doit disposer d’installations physiques d’où elle mènera ses activités au Canada, en particulier lorsqu’il est question de connaissances spécialisées. Toutefois, il peut arriver qu’il soit acceptable, dans certains cas touchant un cadre de direction ou un gestionnaire principal, que l’entreprise en démarrage n’ait pas encore d’adresse; par exemple, l’entreprise peut utiliser l’adresse de son avocat jusqu’à ce que le cadre de direction puisse acheter ou louer un immeuble.
[…]
-
L’entreprise doit avoir la capacité financière de se lancer dans les affaires au Canada et de rémunérer ses employés.
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Lors du transfert de cadres de direction ou de gestionnaires[,] l’entreprise doit démontrer qu’elle sera suffisamment importante pour justifier des postes de cadres ou de gestionnaires.
A. La relation employeur-employé
[18] M. Shams souligne que, selon les instructions, le demandeur n’est pas tenu de présenter des talons de paye ou des documents de paye. Tout ce qui est exigé est une confirmation que le demandeur a occupé de façon continue un poste semblable à titre permanent pendant au moins un an au cours des trois années précédant la demande de permis. M. Shams affirme que le certificat de travail fourni par Pargan, qui confirmait son titre et son statut d’actionnaire, ainsi que son salaire mensuel, aurait dû suffire.
[19] Le certificat de travail présenté par M. Shams ne précisait pas s’il travaillait à temps plein. Les relevés bancaires ne montraient pas des dépôts mensuels courants correspondant au salaire déclaré. Comme l’agente l’a souligné, les sources des dépôts n’étaient pas indiquées. Il était raisonnable de la part de l’agente de conclure que des renseignements insuffisants avaient été fournis pour établir une relation employeur-employé continue et à temps plein pendant la période pertinente.
B. Les installations physiques
[20] M. Shams affirme que Saba n’était pas tenue d’acquérir des installations physiques. Il fait remarquer qu’il est explicitement indiqué dans les instructions « [qu’] il peut arriver qu’il soit acceptable, dans certains cas touchant un cadre de direction ou un gestionnaire principal, que l’entreprise en démarrage n’ait pas encore d’adresse »
.
[21] Il était raisonnable de la part de l’agente de conclure que M. Shams ne prévoyait pas de louer d’installations physiques. M. Shams n’a pas non plus expliqué l’absence de telles installations. L’agente a reconnu qu’il peut arriver qu’il soit acceptable, dans certains cas concernant un cadre de direction ou un gestionnaire principal, qu’il n’y ait pas encore d’installations. Or, M. Shams n’a fourni aucune explication justifiant pareille absence. Il n’a pas non plus fait part d’une intention quelconque de louer des installations physiques ou des lieux de travail partagés à l’adresse fournie. L’agente a eu raison d’affirmer qu’avec l’embauche d’un seul employé au cours de la première année, il n’y aurait guère d’intérêt à trouver des installations physiques où M. Shams et son personnel pourraient aller travailler.
C. La capacité financière de Saba de se lancer dans les affaires
[22] L’agente estimait que les relevés bancaires démontraient que Saba avait la capacité de se lancer dans les affaires, mais elle n’était néanmoins pas satisfaite des renseignements financiers qui avaient été mis à sa disposition. M. Shams affirme que l’agente a agi de manière déraisonnable, compte tenu des renseignements contenus dans le plan d’affaires et la documentation à l’appui. Les tableaux sur les flux de trésorerie et les états des résultats démontraient que Saba avait la capacité de verser un salaire aux employés, de payer les dépenses d’exploitation et de réaliser des profits. M. Shams soutient que l’agente n’a pas tenu compte du fait que les divers coûts d’exploitation pourraient être payés à l’aide des profits générés.
[23] Le plan d’affaires de Saba reposait pour l’essentiel sur des souhaits et contenait peu de renseignements permettant de confirmer les prétentions générales concernant les dépenses et les profits prévus. La Cour a conclu à maintes reprises que les agents des visas ont le droit de se montrer sceptiques face à des plans d’affaires inadéquats (Shirkavand c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1022 au para 29; Tekcan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 635 aux para 11-13; Ebrahimshani au para 49). Il n’était pas déraisonnable de la part de l’agente de se concentrer sur l’investissement de 100 000 $ de Pargan sans tenir compte du profit projeté.
[24] Les instructions font référence à la « capacité financière [de l’entreprise] de se lancer dans les affaires […] et de rémunérer ses employés »
. L’agente a fait remarquer que le salaire proposé de M. Shams était de 120 000 $. Compte tenu des autres dépenses, cette somme dépassait manifestement l’investissement initial de Pargan de 100 000 $.
D. Les avantages pour les Canadiens
[25] L’agente a jugé que l’embauche d’une seule personne au cours de la première année et de jusqu’à trois personnes avant la fin de la troisième année ne correspondait pas à un avantage économique important pour les citoyens canadiens ou les résidents permanents. M. Shams souligne que l’agente n’a pas tenu compte des avantages économiques dont bénéficieraient les travailleurs contractuels embauchés par Saba ni du plan de Saba d’embaucher d’autres employés après la troisième année. Dans son plan d’affaires, Saba embaucherait des employés et conclurait des contrats avec d’autres entreprises et fournisseurs de services tiers au Canada, et tirerait profit de l’expertise de l’équipe d’ingénieurs iranienne pour contribuer à l’économie canadienne.
[26] Comme je le mentionne précédemment, le plan d’affaires reposait sur des souhaits. Les projections quant au développement des activités de l’entreprise devenaient de plus en plus spéculatives au fil du temps. Il était loisible à l’agente d’attribuer peu de poids aux prévisions optimistes qu’il contenait.
[27] Le plan d’affaires ne précisait pas le nombre de travailleurs contractuels ni la durée de leur emploi. De plus, comme le défendeur le souligne, les travailleurs contractuels et les fournisseurs tiers sont déjà actifs dans l’économie canadienne et ne dépendraient pas de Saba pour leur subsistance.
[28] Conformément à l’exigence prévue à l’alinéa 205a) du RIPR, les débouchés ou les avantages économiques doivent être importants. Saba proposait de recourir à son entreprise mère iranienne pour la plupart des activités d’ingénierie. Les avantages non précisés pour les travailleurs contractuels reposaient essentiellement sur des souhaits et étaient tirés d’un plan d’affaires qui reposait sur une faible valeur probante.
E. La capacité de Saba de justifier des postes de gestionnaire
[29] Une entreprise qui propose de muter des cadres ou des gestionnaires doit démontrer qu’elle sera assez importante pour justifier des postes de cadres ou de gestionnaires. La capacité de Saba de justifier des postes de gestionnaires reposait sur les prévisions de croissance contenues dans son plan d’affaires. Encore une fois, le plan d’affaires reposait sur des souhaits et était essentiellement dépourvu de tout fondement probatoire. Les projections quant au développement des activités de l’entreprise devenaient de moins en moins fiables au fil du temps. Il était raisonnable pour l’agente d’évaluer si Saba pouvait justifier des postes de cadres en se fondant sur le court terme.
V. Conclusion
[30] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification en vue d’un appel.
JUGEMENT
LA COUR STATUE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Simon Fothergill »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-8795-22
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INTITULÉ :
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SEYED MANSOOR SHAMS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 17 AOÛT 2023
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE FOTHERGILL
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DATE DES MOTIFS :
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LE 26 SEPTEMBRE 2023
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COMPARUTIONS :
Nicholas Woodward
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POUR LE DEMANDEUR
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John Loncar
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Battista Smith Migration Law Group
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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