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Date : 20230918


Dossier : IMM-6608-22

Référence : 2023 CF 1249

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

DEEPARANI HARISHKUMAR DHALIWAL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Deeparani Harishkumar Dhaliwal, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 23 juin 2022 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande qu’elle avait présentée en vue de parrainer son époux en tant que membre de la catégorie du regroupement familial.

[2] Selon la doctrine de la chose jugée, un appel ne peut pas être entendu si la question a déjà été tranchée par le décideur en fonction des mêmes faits. La SAI a conclu que les conditions préalables à l’application de la doctrine de la chose jugée étaient remplies en l’espèce, que les éléments de preuve qui avaient été produits après la décision rendue en 2016 par la SAI dans le dossier de la demanderesse ne justifiaient pas une exception, et que la demanderesse n’avait pas établi qu’il serait dans l’intérêt de la justice d’accorder une nouvelle audience à des fins d’appréciation de la crédibilité.

[3] La demanderesse affirme que la SAI n’a pas examiné sérieusement les éléments de preuve qu’elle avait présentés, qu’elle a tiré des conclusions déraisonnables et qu’elle a manqué à l’équité procédurale en ne lui accordant pas d’audience.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAI est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Faits

A. La demanderesse

[5] La demanderesse est citoyenne canadienne et elle est âgée de 38 ans. Elle est devenue résidente permanente du Canada en 2010 après avoir obtenu le droit d’établissement avec son ex‑époux dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Elle s’est séparée de son ex-époux en octobre 2011 en raison des comportements violents de ce dernier.

[6] Il s’agit de la quatrième tentative de la demanderesse de parrainer son époux actuel pour qu’il vienne au Canada. La demanderesse a rencontré son époux, qui est citoyen de l’Inde et est âgé de 35 ans, pour la première fois le 21 novembre 2011. Conformément aux souhaits exprimés par sa mère, qui était alors malade, la demanderesse et son époux se sont mariés le 9 décembre 2011 lors d’une cérémonie religieuse sikhe.

[7] La demanderesse a tenté une première fois de parrainer son époux en 2012, peu après leur mariage. La demande a été rejetée parce que la séparation de la demanderesse d’avec son ex‑époux n’était pas légalement reconnue au Canada et que son mariage actuel était donc considéré comme invalide.

[8] La demanderesse a obtenu le divorce au Canada le 1er février 2013. Son époux et elle se sont mariés une seconde fois le 10 mars 2013, selon la tradition religieuse hindoue. La demanderesse a présenté sa deuxième demande de parrainage de son époux en juillet 2013.

[9] Pendant que cette demande était en cours de traitement, la demanderesse a donné naissance à son fils le 4 juillet 2014. Le fils de la demanderesse est citoyen canadien, mais il réside en Inde avec l’époux de la demanderesse et les parents de celui-ci.

[10] La deuxième demande de parrainage a été rejetée en août 2014, en raison de doutes quant à l’authenticité du mariage. La demanderesse a interjeté appel de la décision auprès de la SAI, qui a confirmé la décision après avoir relevé divers problèmes, dont des incohérences dans la preuve, des doutes quant à l’authenticité de la relation et des communications, et l’absence de preuve génétique établissant que l’époux de la demanderesse était le père de son fils (la décision de la SAI de 2016). La demanderesse a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la SAR, mais la Cour a rejeté sa demande d’autorisation.

[11] La demanderesse et son époux ont présenté une troisième demande de parrainage en septembre 2016, qui a également été rejetée en raison de doutes quant à l’authenticité de la relation. La demanderesse a fait appel du rejet devant la SAI. La SAI a confirmé le rejet sans tenir d’audience, sur le fondement de la doctrine de la chose jugée, en dépit du fait que la demanderesse et son époux avaient produit une preuve génétique établissant la paternité relativement à leur fils (la décision de la SAI de 2018). La demanderesse a de nouveau demandé un contrôle judiciaire, mais sa demande d’autorisation a été rejetée.

[12] Pour sa quatrième demande de parrainage, la demanderesse a demandé la prise en compte de considérations d’ordre humanitaire, en faisant valoir son état émotionnel fragile et l’intérêt supérieur de l’enfant. L’agent des visas (l’agent) a fait passer une entrevue à la demanderesse, a relevé des divergences dans les déclarations de celle-ci et de son époux et a rejeté la demande. La demanderesse a interjeté appel de cette décision devant la SAI.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[13] La SAI a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse dans une décision datée du 23 juin 2022. La question déterminante que devait trancher la SAI était celle de savoir si elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la doctrine de la chose jugée.

[14] La SAI a pris note des éléments de preuve selon lesquels un enfant était issu du mariage et que la demanderesse et son époux continuaient d’élever l’enfant conjointement. Elle a pris en compte deux décisions de la Cour concernant la valeur probante d’un enfant issu d’un mariage en tant que preuve de l’authenticité d’un mariage : Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 122 (Gill), et Dhaliwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1182 (Dhaliwal).

[15] Dans la décision Gill, le juge Barnes a conclu qu’il fallait accorder un poids considérable à la naissance d’un enfant dans l’appréciation de l’authenticité d’un mariage. Dans la décision Dhaliwal, le juge Hughes a affirmé que la naissance d’un enfant n’était pas une preuve concluante de l’authenticité d’un mariage, mais que, dans les cas où la paternité n’était pas remise en question, elle devait être considérée comme favorisant une conclusion d’authenticité. Le juge Hughes a aussi souligné que l’absence d’éléments de preuve crédibles de la part des parties pouvait l’emporter sur la preuve selon laquelle un enfant était issu du mariage. La SAI a préféré le raisonnement de la Cour dans la décision Dhaliwal et a fait sien le raisonnement du juge Hughes selon lequel l’existence d’un enfant issu du mariage favorisait une conclusion d’authenticité, mais n’était pas déterminante.

[16] De plus, la SAI a souligné que le critère en deux volets énoncé au paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR), est disjonctif, en citant la décision Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 443, aux paragraphes 24 à 28 (Sidhu). Dans l’appréciation de la question de savoir si le mariage visait principalement des fins d’immigration aux termes de l’alinéa 4(1)a) du RIPR, il convient de s’attacher à l’intention des parties au moment du mariage. En revanche, les éléments de preuve relatifs à une relation continue sont plus pertinents quand il s’agit d’apprécier l’authenticité du mariage aux termes de l’alinéa 4(1)b).

[17] La SAI a souligné que, dans la décision Sidhu, mon collègue, le juge Favel, avait conclu que les nouveaux éléments de preuve présentés témoignaient essentiellement de la permanence de la relation et non pas de l’intention initiale du couple au moment du mariage. Elle a conclu que le même principe s’appliquait au présent appel.

[18] La SAI s’est ensuite penchée sur l’intérêt supérieur de l’enfant et elle a estimé que, dans le cas de la demanderesse, il avait déjà été établi que l’existence d’un enfant ne démontrait pas que son mariage était authentique ou qu’il ne visait pas principalement l’immigration. La SAI a estimé qu’à la lumière de l’incapacité de la demanderesse d’établir que le mariage n’était pas frauduleux, l’intérêt supérieur de l’enfant ne militait pas en faveur de la tenue d’une autre audience devant la SAI sur cette question.

[19] La SAI a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’il serait dans l’intérêt de la justice que sa crédibilité et celle de son époux soient à nouveau appréciées dans le cadre d’une nouvelle audience. Elle a conclu qu’elle n’était pas disposée à exercer son pouvoir discrétionnaire pour faire droit à l’appel, en soulignant que les conditions préalables pour l’application de la doctrine de la chose jugée étaient remplies et que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas suffisamment convaincants pour qu’une exception soit justifiée, particulièrement en ce qui concerne le premier volet du critère énoncé au paragraphe 4(1) du RIPR.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[20] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions qui suivent :

  1. La décision de la SAI est-elle raisonnable?

  2. Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale?

[21] Les parties conviennent que la première question doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 23-25) (Vavilov). C’est aussi mon avis.

[22] La question relative à l’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée) aux para 37‑56; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).

[23] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle axée sur la déférence, mais rigoureuse (Vavilov, aux para 12‑13, 75, 85). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, notamment son résultat et le raisonnement suivi, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision qui est raisonnable dans son ensemble doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont était saisi le décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135).

[24] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit estimer qu’elle comporte des lacunes qui sont suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle soulève ne justifient pas toutes l’intervention de la Cour. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne doit pas modifier les conclusions de fait tirées par celui-ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

[25] En revanche, le contrôle selon la norme de la décision correcte ne commande aucune déférence. La cour appelée à statuer sur des questions d’équité procédurale doit essentiellement se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 21 à 28 (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, au para 54).

IV. Analyse

[26] La demanderesse affirme que la SAI n’a pas pris en compte sérieusement les observations qu’elle a formulées, qu’elle a tiré des conclusions déraisonnables et qu’elle a manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience au sujet des doutes qu’elle entretenait en matière de crédibilité.

A. Caractère raisonnable de la décision

[27] La demanderesse soutient que, même si la conclusion énoncée dans la décision de la SAI de 2016 était que le mariage n’était pas authentique ou qu’il visait un but illégitime, l’essentiel de l’analyse de la SAI portait sur l’authenticité du mariage, et non pas sur son but illégitime. Elle invoque et tente de distinguer la décision Sandhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 834 (au paragraphe 15) (Sandhu), dans laquelle la Cour a conclu que si une décision antérieure de la SAI reposait en grande partie sur une conclusion que le mariage visait un but illégitime, de nouveaux éléments de preuve pouvaient ne pas être suffisants pour renverser cette conclusion. La demanderesse soutient que rien n’indique dans les motifs de la SAI que celle-ci a réellement pris en compte ces observations ou qu’elle l’a réellement écoutée (Vavilov, aux para 127‑128; Shubar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 186 aux para 12-13).

[28] En outre, la demanderesse affirme que l’erreur commise par la SAI est aggravée par le fait que le ministre a présenté des observations en réponse à l’argument qu’elle a avancé, observations que la SAI n’a pas examinées, et que cela est déraisonnable étant donné que la décision de la SAI de 2016 portait sur l’une des deux questions centrales soulevées par elle‑même, concernant les raisons pour lesquelles la doctrine de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer.

[29] De même, elle prétend que la SAI n’a pas examiné les observations qu’elle a formulées au sujet du fait que la décision de la SAI de 2016 reposait sur l’absence de preuve génétique de paternité ou de preuve établissant que les parents fournissaient des soins continus à l’enfant. Les éléments de preuve de la demanderesse dont la SAI n’était pas saisie lorsqu’elle a rendu la décision de 2016, et qui n’ont pas été pris en compte dans la décision de la SAI de 2018 parce que l’affaire a été tranchée selon la doctrine de la chose jugée, avaient un lien direct avec les conclusions tirées dans la décision de la SAI de 2016. Les observations formulées par la demanderesse à ce sujet étaient au cœur de son argumentation quant aux raisons pour lesquelles la doctrine de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer, et la SAI n’en a tenu aucun compte.

[30] La demanderesse soutient que la SAI n’a pas non plus pris en compte son observation selon laquelle l’agent en l’espèce avait semblé croire que le mariage était authentique. C’était une observation importante que la SAI aurait dû prendre en compte étant donné que la Cour a estimé dans la décision Sandhu qu’une conclusion selon laquelle un mariage est authentique constitue un facteur important pour établir s’il convient d’appliquer la doctrine de la chose jugée (Sandhu, aux para 13‑15).

[31] En outre, la demanderesse affirme que la SAI n’a pas dûment justifié ses conclusions. En premier lieu, la SAI a simplement affirmé qu’elle faisait sien le raisonnement de la Cour dans la décision Dhaliwal, sans l’appliquer aux faits de la présente affaire. Dans la décision Dhaliwal, la Cour a fait remarquer que dans les décisions antérieures de la SAI, la naissance de l’enfant avait été considérée comme une preuve de l’authenticité du mariage, mais elle avait conclu que cela n’était pas concluant. En l’espèce, ainsi que le soutient la demanderesse, la SAI dans sa décision de 2016 ne disposait pas d’éléments de preuve confirmant la paternité de l’enfant et n’a donc pas considéré la naissance comme une preuve de l’authenticité du mariage. Dans sa décision de 2018, la SAI n’a tiré aucune conclusion au sujet de la naissance de l’enfant, même si elle disposait d’une preuve de paternité.

[32] En outre, la SAI a estimé que la situation en l’espèce était la même que dans la décision Sidhu, en dépit de la mise en garde de la Cour dans la décision Sandhu selon laquelle tous les cas d’application de la chose jugée sont différents et que chacun doit être tranché en fonction des faits qui lui sont propres (Sandhu, au para 14). Selon la demanderesse, la SAI a commis la même erreur que celle qui est relevée dans la décision Sandhu.

[33] La demanderesse prétend que la SAI a affirmé à tort que même si les nouveaux éléments de preuve qu’elle a présentés étaient probants quant à certaines des préoccupations soulevées dans la décision de la SAI de 2016, ils ne l’étaient manifestement pas pour toutes, sans fournir de plus amples explications ou justifications. La SAI ne précise pas quels doutes exprimés dans la décision de 2016 n’ont pas été abordés, et la cour de révision n’est pas en mesure de suivre le raisonnement de la SAI (Vavilov, au para 102).

[34] Enfin, la demanderesse soutient que la SAI a apprécié de façon déraisonnable l’intérêt supérieur de l’enfant. La SAI a conclu que l’intérêt supérieur de l’enfant ne justifiait pas la tenue d’une audience, mais c’est une considération erronée. La question qui se posait était celle de savoir si, à la lumière de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’application de la doctrine de la chose jugée créerait une injustice (Rahman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1321 au para 20; Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44 au para 67). La demanderesse affirme que la SAI a omis de prendre en compte l’idée qu’il serait injuste d’empêcher la réunification de la famille et de priver l’enfant de son droit d’être avec ses deux parents par l’application de la doctrine de la chose jugée. Elle soutient que la Cour a conclu que faire obstacle à la réunification de la famille créait un risque d’injustice dont la SAI devrait tenir compte et auquel elle devrait accorder un poids considérable dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’entendre son second appel (Sami c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 539 au para 42; Kamara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1117 (Kamara) au para 23).

[35] Le défendeur soutient que la décision est raisonnable et que la demanderesse est tout simplement mécontente du résultat. Il prétend que la décision de la SAI de 2016 reposait clairement sur l’authenticité du mariage et sur le but principal du mariage au moment où il a été contracté. Il souligne qu’il est indiqué dans la décision de 2016 et la décision de 2018 que l’appel faisant l’objet de la décision de 2016 avait été rejeté en fonction des deux motifs. De plus, il affirme que la SAI en l’espèce a pris en compte les arguments avancés par la demanderesse au sujet de la décision de la SAI de 2016, étant donné que cette dernière avait souligné que la décision avait été tranchée en fonction des deux motifs, et que la SAI avait pris note de la distinction entre les deux volets du critère prévu au paragraphe 4(1) du RIPR. Le fait que la SAI n’a pas fait référence à toutes les observations formulées par la demanderesse ne soulève pas de question à trancher (Vavilov, au para 91).

[36] Le défendeur soutient que l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la SAI n’a pas examiné ses observations au sujet de la paternité de son enfant ou des soins continus que le couple prodigue à l’enfant ne soulève pas de question à trancher parce que la SAI a analysé les observations aux paragraphes 18-19 et 23-24 de la décision. L’affirmation de la demanderesse n’est pas non plus pertinente parce que l’appel qu’elle a interjeté a été rejeté sur le fondement du but principal du mariage.

[37] Le défendeur soutient que l’argument soulevé par la demanderesse voulant que l’agent ait semblé accepter l’authenticité du mariage est incorrect, comme le montre la conclusion de l’agent selon laquelle il n’était pas convaincu que le mariage était authentique ou qu’il n’avait pas été contracté dans un but illégitime. Cet argument n’est pas pertinent car la SAI a fondé sa décision sur le but illégitime du mariage.

[38] Le défendeur affirme que les observations formulées par la demanderesse au sujet de l’omission de la SAI de fournir des motifs transparents, intelligibles et justifiés ne sont qu’une simple reformulation de ses arguments quant au fait que la SAI n’a pas tenu compte de ses observations. La demanderesse aurait en fait voulu que la SAI donne davantage de motifs, mais la décision de la SAI est raisonnable quand elle est prise dans son ensemble. De plus, le défendeur soutient qu’il était loisible à la SAI de s’appuyer sur la décision Sidhu comme elle l’a fait, parce que les faits de cette affaire étaient suffisamment semblables à ceux de la présente affaire.

[39] Je conviens avec le défendeur que la décision de la SAI de 2016 reposait clairement sur deux questions déterminantes : l’authenticité du mariage de la demanderesse et le but principal du mariage lorsqu’il a été contracté, comme l’exige le RIPR. Contrairement à ce que soutient la demanderesse, soit que la décision de la SAI de 2016 porte clairement sur l’authenticité du mariage et non sur l’intention des parties au moment de contracter le mariage, la SAI, dans la décision visée par le présent contrôle judiciaire, a résumé ainsi la décision de 2016 :

Il est important de souligner que, dans cette décision de 2016, il a été conclu que l’appelante n’a pas réussi à prouver que le mariage est authentique et qu’elle n’a, de surcroît, pas établi qu’il ne visait pas principalement des fins d’immigration.

[Non souligné dans l’original.]

[40] Dans le même ordre d’idées, la décision de la SAI de 2016 soulevait de nombreuses réserves quant à la crédibilité des éléments de preuve présentés par la demanderesse, et tirait les conclusions qui suivent au sujet de l’incidence des réserves en question :

L’incohérence dans les éléments de preuve d’une entrevue à l’autre et même devant le tribunal est remarquable. Elle a entaché chaque aspect de l’évolution de la relation et miné l’authenticité des intentions des deux parties. […]

[41] Ces lignes montrent clairement que la SAI a porté attention aux deux volets du critère énoncé au paragraphe 4(1) du RIPR, qui concernent l’authenticité du mariage et l’intention des parties au moment où le mariage a été contracté, et qu’elle en a tenu compte.

[42] Ces deux fondements de la décision de la SAI de 2016 sont aussi reflétés dans la décision de 2018, et le fait que la SAI n’a pas repris ou reformulé expressément l’ensemble des observations formulées par la demanderesse ne permet pas de conclure qu’elle ne les a pas examinés. Au sujet de la décision de la SAI de 2016, la SAI écrit dans la décision de 2018 que « l’appelante et le demandeur n’avaient pas présenté une preuve claire, convaincante et crédible montrant que leur mariage ne visait pas des fins d’immigration et que leur relation est authentique » [non souligné dans l’original].

[43] Il semble que la demanderesse aurait voulu que les conclusions tirées par la SAI soient plus étoffées, mais un examen des motifs dans leur ensemble montre que ceux-ci sont raisonnables à la lumière des contraintes factuelles et juridiques qui avaient une incidence sur la décision (Vavilov, au para 99). Je conviens avec le défendeur que la demanderesse n’a pas relevé d’erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAI et que, dans une large mesure, la demanderesse demande à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve dont était saisie la SAI, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans un contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable (Vavilov, au para 125).

B. Équité procédurale

[44] La demanderesse affirme que la SAI a manqué à l’équité procédurale, étant donné que les motifs qu’elle a fournis montrent qu’elle entretenait des doutes quant à la crédibilité de son mariage, mais que, bien que la demanderesse ait demandé à la SAI de tenir une audience en cas de doutes sur la crédibilité des éléments de preuve, la SAI ne l’a pas fait. En réponse à l’observation formulée par le défendeur selon laquelle la demanderesse n’a demandé la tenue d’une audience que si la SAI avait des réserves au sujet de ses nouveaux éléments de preuve, la demanderesse affirme que l’essentiel de ses observations tient au fait que la SAI a clairement exprimé des doutes quant à la crédibilité, mais qu’elle ne lui a pas accordé, à son époux et à elle, la possibilité d’y répondre par un témoignage de vive voix.

[45] La demanderesse soutient que l’affirmation de la SAI selon laquelle elle n’avait pas réussi à prouver qu’il ne s’agissait pas d’un mariage frauduleux contracté à des fins d’immigration, jumelée avec sa conclusion qu’il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de leur permettre à elle et son époux que leur crédibilité soit appréciée de nouveau lors d’une audience, démontre que la SAI avait des doutes quant à la crédibilité. La demanderesse invoque la décision Kamara, dans laquelle la Cour a jugé que la décision de la SAI était déraisonnable mais a souligné que, étant donné que la conclusion de la SAI sur l’authenticité du mariage reposait largement sur la crédibilité, il aurait pu être utile à la SAI d’entendre un témoignage en personne (Kamara, aux para 30-33).

[46] La demanderesse estime que la présente affaire est différente de la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1055 (Singh), dans laquelle la Cour a conclu que la SAI n’avait pas manqué à l’équité procédurale en refusant de tenir une audience. Dans la décision Singh, la Cour a expressément fait remarquer qu’il n’y aurait pas d’audience si elle décidait de rejeter l’appel en application du principe de la chose jugée (Singh, au para 20). En l’espèce, la SAI n’a rien affirmé de tel et a laissé entendre qu’une audience pourrait avoir lieu si elle avait besoin de plus d’information pour trancher l’affaire.

[47] Le défendeur soutient que la SAI n’était pas obligée de tenir une audience. Il souligne que la demanderesse n’a pas demandé à la SAI de tenir une audience si elle avait des doutes quant à la crédibilité de ses éléments de preuve, mais bien quant à ses nouveaux éléments de preuve expressément. Il soutient que, quoi qu’il en soit, il s’agit d’établir si la procédure était équitable au regard de toutes les circonstances et, expressément, de la question de savoir si la demanderesse connaissait la preuve à réfuter et si elle avait eu une possibilité d’y répondre (Chemin de fer Canadien Pacifique, aux para 33-56; Canadian Airport Workers Union c Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, 2019 CAF 263 aux para 24-25).

[48] Le défendeur soutient que la demanderesse connaissait la preuve à réfuter parce que l’appel qu’elle avait interjeté précédemment devant la SAI avait été rejeté au motif du principe de la chose jugée et qu’elle savait que le présent appel concernait la même question. En outre, la demanderesse et son époux ont eu une entrevue dans le cadre des quatre demandes de parrainage et ont témoigné de vive voix dans le cadre de la décision de la SAI de 2016. Ils ont aussi présenté des déclarations sous serment dans les procédures précédentes ainsi que dans le cadre de la présente affaire.

[49] Je suis du même avis que le défendeur. Même si les questions sous-jacentes concernaient la crédibilité et qu’il aurait pu être utile à la SAI d’entendre un témoignage de vive voix, la demanderesse a déjà été entendue en entrevue à plusieurs occasions et la SAI n’a pas tiré de nouvelles conclusions quant à la crédibilité à son insu. Les conclusions tirées par la SAI concernaient le caractère suffisant des nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse dans le contexte de sa décision discrétionnaire d’appliquer ou non la doctrine de la chose jugée. Pour cette raison, je conclus que la décision de la SAI est équitable sur le plan procédural.

V. Conclusion

[50] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La décision de la SAI possède toutes les caractéristiques d’une décision raisonnable, énoncées dans l’arrêt Vavilov, et elle est équitable sur le plan de la procédure. Aucune question n’a été soulevée aux fins de la certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6608-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6608-22

 

INTITULÉ :

DEEPARANI HARISHKUMAR DHALIWAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 JUILLET 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 SEPTEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Amy King

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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