Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230914


Dossier : IMM-12276-22

Référence : 2023 CF 1240

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 14 septembre 2023

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

HASTI TABRIZI NOURI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Hasti Tabrizi Nouri [la demanderesse], une jeune citoyenne iranienne, s’est vu refuser le permis d’études qu’elle avait demandé pour faire sa 11e année dans une école secondaire de Vancouver parce que l’agent des visas n’était pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour. Elle sollicite le contrôle judiciaire de ce refus, et j’accueillerai sa demande pour les motifs qui suivent.

[2] L’agent des visas a exposé les motifs pour lesquels il a rejeté la demande de permis d’études dans une lettre de refus datée du 14 septembre 2022 et dans ses notes sous-jacentes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC]. Dans cette lettre, il a dit n’être pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour en raison d’un seul facteur, à savoir que le but de sa visite au Canada n’était [traduction] « pas compatible avec un séjour temporaire » compte tenu des renseignements fournis dans sa demande. Dans les notes du SMGC, il a exposé le fondement de sa conclusion de la façon suivante :

[traduction]

J’ai examiné la demande. Dans ma décision, j’ai pris en considération les facteurs suivants. La demandeure, une mineure, souhaite faire sa 11e année à la Bodwell High School. Elle a payé les droits de scolarité pour étudier à l’établissement d’enseignement désigné. Toutefois, j’ai accordé moins de poids aux facteurs favorables pour les motifs suivants : le but de la visite en soi ne paraît pas raisonnable étant donné que des programmes d’études semblables sont offerts plus près du lieu de résidence de la demandeure. La motivation à étudier au Canada ne semble pas raisonnable étant donné qu’un programme comparable est offert dans son pays d’origine à une fraction du coût. Après avoir soupesé les facteurs propres à la présente demande, je ne suis pas convaincu que la demandeure quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les motifs qui précèdent, j’ai rejeté la présente demande.

[Non souligné dans l’original.]

[3] La norme de contrôle applicable au refus d’accorder un visa est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16, 17, 23-25 [Vavilov]; Ocran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 175 aux para 14-16, citant Lingepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 552 au para 13. Lorsqu’elle applique cette norme, la Cour évalue si la décision est justifiée, intelligible et transparente, et elle n’interviendra que si la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle possède ces attributs : Vavilov, aux para 15, 99-101.

[4] Lorsqu’elle apprécie le caractère raisonnable de la décision, la Cour reconnaît qu’en raison du volume élevé de décisions relatives aux visas et des conséquences limitées d’un refus, des motifs exhaustifs ne sont pas nécessaires : Vavilov, aux para 88, 91; Lingepo, au para 13; Yuzer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 781 aux para 9, 16; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1298 aux para 19, 20. Néanmoins, les motifs donnés par l’agent, lus dans le contexte du dossier, doivent expliquer et justifier adéquatement le rejet de la demande : Yuzer, aux para 9, 20; Hashemi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1562 au para 35 [Hashemi]; Vavilov, aux para 86, 93-98.

[5] Au vu des notes consignées dans le SMGC par l’agent des visas, la décision semble entièrement fondée sur le fait que des programmes d’études secondaires, notamment des programmes moins dispendieux, seraient accessibles en Iran. En concluant sommairement que la motivation à étudier au Canada et le but de la demanderesse n’étaient pas [traduction] « raisonnable[s] » parce que de tels programmes étaient accessibles en Iran, l’agent des visas ne semble pas du tout s’être intéressé à la raison que la demanderesse avait donnée pour expliquer son choix d’étudier au Canada ni à ce qu’elle avait affirmé concernant les moyens dont disposait sa famille pour la soutenir dans ces études.

[6] À cet égard, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la présente situation ressemble à la situation dans l’affaire Hashemi. Dans cette affaire, qui concernait des élèves du secondaire d’origine iranienne, l’agent des visas a employé des termes très similaires dans son appréciation du but de la visite à la lumière de l’existence de programmes semblables moins dispendieux en Iran : Hashemi, au para 11. À mon avis, les conclusions suivantes tirées par le juge Pentney concernant la décision de l’agent dans cette affaire s’appliquent également dans les présentes circonstances :

Dans sa lettre de décision, l’agent explique son refus en disant principalement qu’il n’était pas convaincu que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de leur période de séjour compte tenu de la raison de leur visite. Les demandeurs cherchaient seulement à étudier au Canada. Il ressort clairement des notes consignées dans le SMGC que l’agent doutait de l’authenticité de la raison donnée par les demandeurs, principalement parce que les dépenses ne semblaient pas justifiées vu l’existence d’un programme comparable en Iran. Les demandeurs ont expliqué – quoique par des observations imparfaites et plutôt générales – en quoi ils estimaient important de terminer leurs études secondaires au Canada. Ils affirment qu’ils auraient ainsi accès à une éducation de qualité supérieure dans un milieu enrichissant, ce qui leur donnerait de meilleures chances d’être admis dans une université canadienne. L’agent ne s’est pas intéressé à la raison donnée par les demandeurs pour expliquer leur choix de venir terminer leurs études secondaires au Canada.

[Non souligné dans l’original; Hashemi, au para 34.]

[7] Je fais observer que la Cour a récemment jugé déraisonnables des refus d’accorder un visa formulés de façon identique ou semblable, aux paragraphes 4 et 19 à 23 de la décision Soltaninejad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1343, et aux paragraphes 4 à 12 de la décision Torkestani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1469 [Torkestani].

[8] Le ministre soutient que la demanderesse n’a pas adéquatement expliqué dans sa demande pourquoi elle avait l’impression qu’il était nécessaire de terminer ses études secondaires au Canada, et qu’il était donc raisonnable que l’agent conclue que sa motivation à cet égard n’était pas raisonnable. Je ne suis pas d’accord. Comme dans l’affaire Hashemi, la demanderesse a expliqué, bien qu’imparfaitement et de manière assez générale, pourquoi il était important pour elle de terminer ses études secondaires au Canada. En particulier, elle a souligné qu’elle aurait de meilleures chances d’être admise à l’Université de la Colombie-Britannique, où elle souhaitait entreprendre des études de premier cycle, puis des études en médecine, et que l’école secondaire où elle voulait s’inscrire mettait l’accent sur le mentorat professionnel. Comme dans l’affaire Hashemi, l’agent des visas ne s’est pas intéressé aux raisons que la demanderesse avait données pour expliquer son choix.

[9] Le ministre attire également l’attention sur l’affirmation contenue dans la lettre de refus selon laquelle le but de la visite de la demanderesse au Canada n’était [traduction] « pas compatible avec un séjour temporaire compte tenu des renseignements fournis dans [sa] demande ». L’avocat a fait valoir qu’il était raisonnable d’interpréter cette affirmation comme se rapportant au projet de la demanderesse de demeurer au Canada pour entreprendre des études de premier cycle et des études en médecine, ce qui, selon lui, ne constituerait pas un [traduction] « séjour temporaire ». Je ne peux souscrire à cet argument, et ce, pour deux raisons.

[10] Premièrement, dans la lettre de refus et les notes du SMGC, rien n’indique que ce point fait partie des motifs pour lesquels l’agent des visas a rejeté la demande. L’agent ne mentionne aucunement les projets universitaires de la demanderesse et ne fait aucun lien entre ces projets et la réserve exprimée sur la question d’un [traduction] « séjour temporaire ». Cette réserve, seul motif de refus fourni, se fondait plutôt sur l’existence de programmes moins coûteux en Iran ainsi que sur la conclusion connexe de l’agent des visas selon laquelle la motivation de la demanderesse à étudier au Canada n’était pas raisonnable. Les motifs d’un décideur doivent être lus à la lumière du dossier, mais le ministre ou la Cour ne peuvent pas créer de nouveaux motifs ni réécrire ceux que le décideur a donnés : Vavilov, aux para 96-98; Torkestani, aux para 18-20. La Cour ne peut pas non plus se fonder sur la mention générale des [traduction] « renseignements fournis [par la demanderesse] » dans la lettre de refus pour chercher de nouveaux [traduction] « renseignements » dans la demande qui n’ont pas été mentionnés par l’agent.

[11] Deuxièmement, l’agent des visas n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée : voir le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 216(1)b). Ce séjour demeurerait autorisé, quel que soit le nombre d’années d’études, pourvu que la demanderesse obtienne les renouvellements de permis d’études nécessaires. La question à laquelle l’agent devait répondre était celle de savoir si la demanderesse quitterait le Canada lorsque son séjour ne serait plus autorisé, et non celle de savoir si son programme d’études au Canada pourrait lui ouvrir la porte d’autres programmes lorsque d’autres permis ou des renouvellements seraient accordés, le cas échéant. Je doute qu’il soit raisonnable de refuser un permis d’études au motif qu’un demandeur pourrait en demander le renouvellement. Cependant, je réitère que ce n’est pas le motif pour lequel l’agent a rejeté la demande dans la présente affaire.

[12] Par conséquent, je conclus que la décision de l’agent des visas, en ce qui concerne son fondement principal, ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie et la décision contestée sera annulée. Compte tenu de cette conclusion, je n’ai pas besoin de traiter de l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent des visas a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de répondre à ses réserves.

[13] Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-12276-22

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rejetant la demande de permis d’études présentée par Hasti Tabrizi Nouri est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

« Nicholas McHaffie »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12276-22

 

INTITULÉ :

HASTI TABRIZI NOURI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 SEPTEMBRE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 14 SEPTEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Ramanjit Sohi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Edward Burnet

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raman Sohi Law Corporation

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.