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Date: 20230908


Dossier: IMM-6662-22

Référence: 2023 CF 1212

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2023

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

FONHEY ARMEL JOCELYN VAHO

partie demanderesse

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Fonhey Armel Jocelyn Vaho est un citoyen de la Côte d’Ivoire arrivé au Canada le 26 septembre 2019. Dans une décision du 21 juin 2022, la Section de l’immigration [SI ou le Tribunal] a déterminé que M. Vaho était membre de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire [FESCI], soit une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera au terrorisme au sens de l’article 34 (1)(c) et (f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2011, c 27 [LIPR]. Elle a par ailleurs déclaré le demandeur interdit de territoire au Canada puisqu’elle a jugé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que celui-ci en était membre.

[2] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SI et soumet qu’il était déraisonnable pour la SI de conclure qu’il était membre d’une telle organisation. Le demandeur soumet que la décision de la SI est déraisonnable puisque bien qu’il ait commis une erreur en affirmant être membre d’une telle organisation dans son Formulaire de demande d’asile, il a fourni une explication raisonnable pour justifier celle-ci.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de la SI est claire, justifiée, et intelligible au regard de la preuve soumise (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]).). Le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer que la décision de la SI était déraisonnable.

II. Contexte factuel

[4] Le demandeur est arrivé au Canada le 26 septembre 2019 en compagnie de sa femme et de son enfant à 3h du matin.

[5] À son arrivée, il a dû remplir plusieurs formulaires, dont l’annexe A : « Antécédents et déclarations » dans lequel il a déclaré avoir été militant de la « Fédération estudiantine de Côte d’Ivoire », alors que la FESCI est une organisation identifiée au Canada comme étant une organisation terroriste.

[6] La preuve documentaire objective démontre que la FESCI est un groupement étudiant créé en avril 1990 et étroitement associé au parti socialiste de Laurent Gbagbo, le Front Populaire ivoirien [FPI]. Celle-ci agirait comme milice liée à l’ex-président Gbago, muselant les dissidents antigouvernementaux dans les campus lycéens et universitaires.

[7] Cinq mois plus tard, lors de sa première entrevue avec un agent d’immigration qui considérait la « Fédération estudiantine de Côte d’Ivoire » comme étant la même entité que la FESCI (ce qui n’a pas été démenti par le demandeur), celui-ci a expliqué les circonstances de ce malentendu en précisant qu’il a oublié le mot « comptable » en notant avoir été « militant » pour la Fédération des étudiants comptables de la Côte d’Ivoire [FECCI] (et non pour la FESCI). Il a aussi dit avoir utilisé le mot « estudiantin » à la place du mot « étudiant » en raison de la précipitation, du stress et de la fatigue due à son arrivée.

[8] Depuis ce jour, le demandeur continue de soutenir cette deuxième version des faits selon laquelle il n’aurait pas été membre ou militant de la FESCI, mais bien « membre » ou « militant » de la FECCI. Durant l’audience devant la SI, il a d’ailleurs nié son appartenance à la FESCI.

III. Norme de contrôle et questions en litige

[9] La seule question en litige devant la Cour est à savoir si la décision de la SI à l’effet que le demandeur est membre de la FESCI et donc interdit de territoire au Canada est raisonnable.

[10] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. La décision sera raisonnable si elle est justifiée, transparente et intelligible et fait partie des issues possibles au regard des faits et du droit (Vavilov au paragraphe 99).

IV. Analyse

[11] En soit, le rôle de la SI en l’espèce était d’évaluer si le demandeur était interdit de territoire au Canada, en raison de son appartement à la FESCI. Le Tribunal n’avait pas compétence pour entendre la demande d’asile.

[12] Les parties sont d’accord que le test à appliquer pour juger si une personne est interdite de territoire est celui de l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 au paragraphe 114, selon lequel la norme des motifs raisonnables de penser :

[…] exige[…] davantage qu’un simple soupçon, mais rest[e] moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile : Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3012 (CAF), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), p. 445; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16793 (CAF), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), par. 60. La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi : Sabour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), CanLII 16300 (CF), [2000] A.C.F. no 1615 (1re inst.).

[13] L’article 34(1)(f) doit aussi être lu en tenant compte de l’article 33 de la LIPR qui énonce que dans le cas d’une interdiction de territoire, il n’y a aucune contrainte temporelle quant aux actes de l’organisation visée : il faut des motifs raisonnables de croire que ces faits soient survenus, surviennent ou pourraient survenir dans le futur.

[14] Il est important de noter que le demandeur en l’espèce ne conteste pas non plus le bien-fondé de la conclusion de la SI selon laquelle la FESCI est une organisation terroriste au sens de l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 SCC 1 au para 98.

[15] La seule question en l’espèce, pour la SI, était donc de déterminer l’affiliation du demandeur à la FESCI. Il s’agit là, comme le concède le demandeur, d’une question de crédibilité.

[16] Or, il convient de rappeler que l’appartenance du demandeur à une organisation au sens de l’article 34 (1)(f) de la LIPR doit être interprétée de manière libérale et sans restriction. (Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85 aux para 27, 29). Ainsi, tout étranger ou résident permanent qui a été membre d’une telle organisation, peu importe qu’il ait lui-même commis les actes, est interdit de territoire au Canada (Rahman c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 807 au para 23 citant Saleh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 303 [Saleh] au para 19; Aboubakar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 181 au para 17).

[17] La SI fonde sa décision sur la décision Kanapathy c Canada, 2012 CF 459 aux paragraphes 33-34 dans laquelle la juge McTavish a précisé qu’il n’est pas requis « qu’une personne appartienne réellement ou officiellement à une organisation : le terme doit plutôt être compris dans un sens large » et qu’une « participation officieuse ou un appui en faveur d’un groupe peut suffire. »

[18] Le test jurisprudentiel n’exige donc pas que la personne ait sciemment participé au terrorisme ou au renversement d’un gouvernement. Il suffit qu’elle ait été membre (Saleh aux para 19 et 24 citant Tjiueza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 1260.

[19] Or, le demandeur allègue principalement que la SI a commis une erreur en concluant que les explications qu’il a fournies pour remédier à son erreur dans sa déclaration à l’effet qu’il était membre de la FESCI n’étaient pas crédibles. Il soutient également que le Tribunal ne fournit pas de motifs clairs, précisant pourquoi cette deuxième version ne pourrait être retenue (Nadasapillai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 72 aux para 11-12). Il allègue que dans la précipitation, avec le stress et la fatigue de son arrivée au Canada, il a omis d’inscrire le mot « comptable » lorsqu’il a écrit qu’il était militant pour la FESCI. Selon le demandeur, l’oubli du mot « comptable » et l’utilisation du mot, « estudiantin » n’est pas suffisant pour conclure que le demandeur a fait partie de la FESCI. Il soutient que comme les autres déclarations contenues dans le formulaire n’ont pas été jugées non crédibles, la SI devait donner le bénéfice du doute au demandeur dans les circonstances selon l’arrêt Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593.

[20] Dans son affidavit au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur affirme également qu’il n’a jamais été membre de la FESCI, et qu’il avait plutôt adhéré à la FECCI en tant qu’étudiant en comptabilité en 2003 et que cette organisation aidait les étudiants en comptabilité à entrer sur le marché du travail. Il précise avoir commencé à être actif en 2006, même s’il a commencé à être membre en 2003. Il affirme que sa carte de membre datée de 2003-2004 vient établir l’existence de la FECCI et l’appartenance de celui-ci à cette Fédération.

[21] En l’espèce, la décision de la SI selon laquelle le Ministre s’est déchargé de son fardeau de démontrer qu’il y avait des soupçons raisonnables de croire que le demandeur était membre de la FESCI est raisonnable.

[22] Le Tribunal a pris en compte les explications du demandeur pour expliquer pourquoi il avait déclaré être membre de la FESCI plutôt que de la FECCI, mais a toutefois jugé cette explication peu convaincante, étant donné qu’il y avait plusieurs autres contradictions dans son témoignage. Ainsi, tel que le soumet le défendeur dans son mémoire, la transcription de l’audience devant la SI démontre que le Tribunal a considéré toutes les explications fournies par le demandeur.

[23] En effet, dans sa décision, la SI note plusieurs contradictions :

A. Durant l’audience devant la SI, le demandeur a confirmé que c’était lui qui avait inscrit « Fédération estudiantine de la Côte d’ivoire » contrairement à ce qui était écrit dans son mémoire devant la SI qui stipulait que c’était l’agent d’immigration ou de douanes qui avait écrit ces mots pour le demandeur;

B. La SI a noté des invraisemblances et contradictions concernant les études en finances et comptabilité du demandeur dans un établissement privé qui n’était pas affilié à la FESCI – la FESCI était présente dans tous les établissements supérieurs publics et privés;

C. Le demandeur prétend avoir été membre d’une Fédération « étudiante », or les objectifs de la FECCI décrits par le demandeur semblent viser les comptables diplômés;

D. La première déclaration fournie au point d’entrée indique qu’il était membre de 2006 à 2013, mais sa carte de membre de la FCCI date de 2003-2004;

E. Il a témoigné avoir obtenu sa carte après avoir participé à une première réunion en 2007, ce qui ne concorde pas avec le reste de la preuve;

F. Il a affirmé que l’ITES ne pouvait confirmer l’existence de la FECCI, une association étudiante qui selon les propres dires du demandeur était présente dans l’institution, mais a aussi demandé à l’ITES une attestation de non-appartenance à la FESCI, alors que cette organisation n’y était pas présente selon lui.

[24] Le tribunal était en droit de juger ces explications non crédibles, et de juger que « l’absence du mot « comptable » dans [la] première déclaration [du demandeur] ajoutait à l’invraisemblance de ses explications ». Bien qu’une conclusion unique sur cet aspect ne soit pas suffisante, il est important de préciser que l’accumulation des incohérences et des contradictions lors du témoignage ont miné la crédibilité du demandeur. Ses explications n’ont pas été jugées crédibles par la SI (voir Décision notamment aux para 20, 28, 36).

[25] Le tribunal était aussi en droit de juger que le contenu de la première déclaration du demandeur lors de son arrivée, faite de façon spontanée et par écrit, reflétait davantage la réalité, par opposition à ses déclarations subséquentes (Ishaku c Canada, 2011 CF 44, au para 53). D’ailleurs, le demandeur lui-même concède qu’il faut accorder plus d’importance à une déclaration spontanée faite à un point d’entrée qu’à des explications ultérieures qui deviennent vagues ou contredisent les versions initiales relatées spontanément (voir mémoire du demandeur aux para 91-93).

[26] Bien que le demandeur précise que les faits de ces décisions sont différents de son cas, il reconnaît lui-même qu’une déclaration initiale et spontanée, faite sans contrainte, mérite un poids important face à une explication ultérieure contradictoire qui elle, sert les intérêts du demandeur.

[27] En soi, en tant que cour de révision, le rôle de la Cour est très limité. La Cour peut seulement intervenir si les conclusions de faits sont clairement erronées, ou si celles-ci sont capricieuses ou sans regard à la preuve (Brahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 503 au para 30). En effet, l’évaluation de la crédibilité est au cœur de l’expertise de la SI, ce qui exige la déférence d’une cour de révision (Ji c Canada, 2019 CF 1219 aux para 7, 9).

[28] Tel que le mentionne le Juge Gascon dans Randhawa c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 905 :

[23] Avant de pouvoir infirmer une décision parce qu’elle est déraisonnable, la cour de révision doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov au para 100). L’évaluation du caractère raisonnable d’une décision doit être rigoureuse, mais rester sensible et respectueuse du décideur administratif (Vavilov aux para 12-13). Le contrôle fondé sur la décision raisonnable est une démarche qui tire son origine du principe de la retenue judiciaire et qui témoigne d’un respect envers le rôle distinct et la connaissance spécialisée des décideurs administratifs (Vavilov, aux para 13, 75, 93). Autrement dit, la cour de révision est tenue de suivre une démarche empreinte de déférence, surtout en ce qui concerne les conclusions de fait et de l’évaluation de la preuve. À moins de circonstances exceptionnelles, la cour de révision ne changera pas les conclusions de fait du décideur administratif (Vavilov aux para 125-126).

[29] En l’espèce, la décision de la SI ne souffre pas de lacune grave au point où on pourrait affirmer qu’elle ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence.

[30] D’ailleurs, bien que certains aspects des témoignages de M. Koonan et de la sœur du demandeur Mme Fonhey Marina Edwidge Pamela Vaho aient pu corroboré l’allégation du demandeur selon laquelle il était membre de la FECCI, la conclusion de la SI selon laquelle ces deux témoignages ne sont pas suffisamment probants, est raisonnable. En fait, comme le témoignage de M. Konan contredisait celui du demandeur quant au renouvellement de la carte, il était raisonnable pour la SI de conclure que cette preuve n’aidait pas au demandeur à démontrer une erreur lors de sa déclaration initiale au point d’entrée. La SI a déterminé que le demandeur n’était pas crédible et la preuve additionnelle n’a pas été jugée suffisante pour que le demandeur se décharge de son fardeau de preuve.

V. Conclusion

[31] Les motifs de la SI sont logiques, cohérents et rationnels comme prescrit par l’arrêt Vavilov au paragraphe 86. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[32] Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale à certifier et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6662-22

LA COUR STATUE:

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

IMM-6662-22

 

INTITULÉ:

FONHEY ARMEL JOCELYN VAHO c MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE:

MONTRÉAL, QUÉBEC

 

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 28 AOÛT 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE RÉGIMBALD

 

DATE DES MOTIFS:

LE 8 SEPTEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS:

Me Aristide Koudiatou

POUR LE DEMANDERESSE

Me Sonia Bédard

POUR LE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Aristide Koudiatou

Montréal, (Québec)

 

POUR LE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal, (Québec)

 

POUR LE DÉFENDERESSE

 

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