Dossier : IMM-5289-22
Référence : 2023 CF 1218
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2023
En présence de monsieur le juge Ahmed
ENTRE : |
JOHNNY ALFREDO CASTRO QUIEL |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Résumé
[1] Le demandeur, Johnny Alfredo Castro Quiel, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 26 mai 2022, par laquelle un agent principal (l’agent
) a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’il avait présentée depuis le Canada au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR
).
[2] L’agent a conclu que la preuve du demandeur ne jouait pas en sa faveur. Plus particulièrement, l’agent a accordé très peu d’importance à l’établissement du demandeur et un poids défavorable à son [traduction] « mépris à l’égard des lois canadiennes en matière d’immigration »
.
[3] Le demandeur soutient que l’agent a fait une appréciation déraisonnable du facteur lié à l’établissement et qu’il a manqué à l’équité procédurale en soulevant une nouvelle question concernant sa citoyenneté costaricienne et en s’appuyant sur des éléments de preuve extrinsèques.
[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent est à la fois raisonnable et équitable sur le plan procédural. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
II. Faits
A. Demandeur
[5] Le demandeur, âgé de 42 ans, est citoyen du Costa Rica. Il a cinq enfants, âgés de 8 à 23 ans, qui vivent au Costa Rica. Son épouse actuelle et leur fille sont des citoyennes canadiennes, tout comme sa mère. Il travaille à son compte comme peintre et homme à tout faire au Canada pour subvenir à la fois aux besoins de sa famille au Canada et à ceux de ses enfants mineurs au Costa Rica.
[6] Le demandeur est entré au Canada pour la première fois le 11 décembre 2002 et il a présenté une demande d’asile. La Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande d’asile le 14 janvier 2004. Il a renoncé à la possibilité de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi et il a pris des dispositions pour retourner au Costa Rica.
[7] Après qu’il eut omis de quitter le Canada dans les 30 jours suivant la décision défavorable rendue à l’égard de sa demande d’asile, le demandeur a quitté le Canada le 8 février 2005 sous le coup d’une mesure d’expulsion. Il s’est ainsi vu interdire de revenir au Canada à moins d’obtenir une autorisation de retour.
[8] Le demandeur est revenu au Canada le 20 mai 2019, sans avoir d’abord demandé ou obtenu une autorisation de retour et sans s’être présenté à un agent frontalier pour faire l’objet d’un contrôle. Plus tard en mai 2019, il a rencontré son épouse actuelle, Evelin, qui est citoyenne canadienne. Ils se sont mariés le 14 février 2020 et leur fille, Keydelin, est née au Canada le 6 octobre 2020. À l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur, Evelin a présenté une lettre dans laquelle elle décrivait leur relation et expliquait qu’elle dépendait de lui. Comme Evelin ne pouvait pas le parrainer, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en avril 2021.
B. Décision faisant l’objet du contrôle
[9] Dans une décision datée du 26 mai 2022, l’agent a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur. Il a noté qu’il incombait au demandeur de présenter des observations claires sur les facteurs pertinents et de fournir suffisamment d’éléments de preuve corroborants. Il a aussi noté que le demandeur ne souhaitait pas retourner au Costa Rica en raison de la situation économique, mais qu’il n’avait présenté que très peu d’éléments de preuve sur la situation dans le pays.
[10] L’agent a constaté, selon les observations du demandeur, que celui-ci avait travaillé à son compte au Costa Rica durant un certain nombre d’années. De l’avis de l’agent, aucun élément de preuve ne montrait que le demandeur serait incapable de subvenir aux besoins de sa famille depuis le Costa Rica ou de trouver un emploi convenable à son retour. De plus, l’agent a constaté que les renseignements fournis sur la situation dans le pays étaient de nature générale. Étant donné que le demandeur avait travaillé de façon constante au Canada, l’agent a estimé que ses compétences et son expérience l’aideraient à trouver un emploi au Costa Rica.
[11] Les frères et sœurs du demandeur vivent aussi au Costa Rica. Selon l’agent, aucun élément de preuve n’indiquait que les membres de la famille du demandeur ne seraient pas en mesure de l’aider ou ne seraient pas disposés à le faire s’il devait retourner au Costa Rica. De plus, l’agent a estimé que rien ne donnait à penser que le demandeur ne pourrait pas obtenir l’aide d’organismes communautaires pour se réintégrer s’il le souhaitait.
[12] L’agent a conclu que le fait de ne pas vouloir retourner dans son pays d’origine ne constituait pas un facteur déterminant dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le demandeur a passé une grande partie de sa vie au Costa Rica et il en connaît probablement la langue, les coutumes et la culture. Par conséquent, l’agent a conclu qu’il était peu probable que le demandeur soit exposé, au Costa Rica, à des difficultés telles qu’il était justifié de s’écarter du processus d’immigration habituel.
[13] Lors de son examen de l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a noté que deux des enfants du demandeur au Costa Rica avaient plus de 18 ans au moment où la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire avait été reçue. L’agent a tenu compte de leur intérêt en tant que membres de la famille puisqu’ils n’étaient plus mineurs. En ce qui concerne les enfants mineurs, le demandeur leur apporte un soutien continu au Costa Rica. Cependant, le demandeur a passé 14 ans au Costa Rica avant de revenir au Canada. Selon l’agent, la preuve ne donnait pas à penser que le demandeur n’était pas en mesure de soutenir financièrement ses enfants mineurs à l’époque ni que le fait d’être plus proche de ses enfants au Costa Rica nuirait à leur intérêt.
[14] De plus, l’agent a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve qui démontraient en quoi une décision défavorable irait à l’encontre de l’intérêt supérieur de Keydelin. Bien que la jeune Keydelin ait vécu au Canada durant toute sa vie, l’agent a estimé raisonnable de conclure qu’elle avait été exposée à la langue, la culture et les traditions du Costa Rica par l’entremise de son père et qu’elle serait probablement en mesure de s’adapter sans trop de difficultés. L’agent a conclu que, puisque Keydelin avait un parent costaricien, elle pourrait résider légalement au Costa Rica avec le demandeur. Au bout du compte, l’agent a accordé un poids important à l’intérêt supérieur des enfants.
[15] En ce qui concerne l’établissement du demandeur au Canada, l’agent a estimé que celui-ci avait déployé des efforts pour s’établir au pays en épousant une citoyenne canadienne et en travaillant à son compte comme peintre et homme à tout faire. Le peu d’éléments de preuve concernant l’établissement du demandeur comprend des relevés bancaires, des factures de services publics et des photographies. Le demandeur a aussi présenté des lettres d’appui provenant de membres de sa famille et d’amis au Canada. L’agent a conclu que ces éléments de preuve ne démontraient pas une dépendance mutuelle telle que le départ du demandeur occasionnerait des difficultés aux personnes touchées.
[16] La mère du demandeur vit aussi au Canada, mais le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve concernant leur relation actuelle ou les répercussions que son départ du Canada pourrait avoir sur elle. Par ailleurs, l’agent a tenu compte de l’épouse du demandeur, Evelin. Cependant, en examinant les lois du Costa Rica en matière de citoyenneté, il a constaté qu’Evelin pourrait probablement obtenir la citoyenneté costaricienne par naturalisation du fait de son mariage avec un citoyen costaricien.
[17] Enfin, l’agent s’est penché sur la question du retour illégal du demandeur au Canada. Il a noté que le demandeur était conscient de ses erreurs. Selon la décision Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 904, un demandeur ne peut s’attendre à ce que les années durant lesquelles il a vécu et travaillé illégalement au Canada l’aident à obtenir une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire (aux para 28-29). Dans le cas du demandeur, il est resté au Canada durant plus de trois ans sans autorisation. Le demandeur a fait remarquer qu’il ne pouvait pas être parrainé par son épouse parce qu’il vivait au Canada sans statut. L’agent a conclu que c’était peut-être le cas, mais que la preuve ne démontrait pas qu’une demande de parrainage d’un époux à l’étranger ne pouvait pas être présentée si les exigences de cette catégorie étaient remplies.
[18] En s’appuyant sur une appréciation cumulative des éléments de preuve présentés par le demandeur, l’agent a examiné les difficultés éventuelles que le demandeur pourrait subir s’il devait quitter le Canada pour présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger. Il a estimé que ces difficultés éventuelles ne suffisaient pas, à elles seules, à justifier l’octroi d’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire. Pour ces raisons, l’agent a rejeté la demande.
III. Questions en litige et norme de contrôle
[19] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :
La décision est-elle déraisonnable?
Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?
[20] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle qui s’applique à la décision de l’agent de rejeter la demande est celle de la décision raisonnable, en conformité avec les paragraphes 16 et 17 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] de la Cour suprême du Canada.
[21] La question relative à l’équité procédurale doit, quant à elle, être examinée selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée
] aux para 37-56; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).
[22] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de retenue, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12-13, 75, 85). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le résultat obtenu et le raisonnement suivi (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable dans son ensemble est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif en cause, du dossier dont disposait le décideur et de l’incidence de la décision sur ceux qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135).
[23] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle comporte des lacunes qui sont suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision, ou les réserves qu’elle suscite, ne justifient pas toutes une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui-ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure »
(Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).
[24] La norme de la décision correcte, en revanche, est une norme de contrôle qui ne commande aucune déférence. La cour appelée à statuer sur une question d’équité procédurale doit essentiellement se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs énumérés aux paragraphes 21 à 28 de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, au para 54).
IV. Analyse
A. La décision est-elle déraisonnable?
[25] Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable parce que l’agent n’a pas apprécié correctement son établissement au Canada. Il fait valoir que l’agent a commis deux erreurs susceptibles de contrôle et que la décision devrait être annulée en raison de ces deux erreurs : 1) l’agent a commis une erreur en [traduction] « prenant en compte deux fois »
son inconduite; 2) l’agent a considéré à tort son établissement comme une preuve de sa capacité à s’établir de nouveau au Costa Rica au moment de son renvoi.
[26] Le demandeur soutient d’abord que l’agent a commis une erreur en [traduction] « prenant en compte deux fois »
son absence de statut au Canada comme un facteur qui lui était défavorable. L’agent a pris en compte l’établissement du demandeur au Canada, y compris son travail autonome et ses liens familiaux, mais il n’y a accordé que peu de poids. Il a ensuite considéré l’absence de statut du demandeur comme un facteur défavorable en soi. Le fait que l’agent a employé l’expression [traduction] « en plus »
indique clairement qu’il a considéré l’inconduite du demandeur comme un élément défavorable de façon indépendante ainsi que dans le cadre de l’appréciation de son établissement. Pour affirmer qu’une « double prise en compte »
équivaut à une analyse irrationnelle, le demandeur s’appuie notamment sur les décisions Jiang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 413 (Jiang
), et Phan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 521, de notre Cour. Le demandeur soutient qu’en « prenant en compte deux fois »
son entrée irrégulière, l’agent a attribué à la fausse déclaration un degré de gravité tel qu’il serait impossible d’y faire contrepoids dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
[27] Le demandeur soutient aussi que l’agent a commis une erreur en considérant son établissement au Canada comme une preuve démontrant que son renvoi ne lui occasionnerait pas de difficultés étant donné sa nouvelle capacité à s’établir à l’étranger. Par exemple, l’agent a fait remarquer que le demandeur avait travaillé de façon constante au Canada comme peintre et homme à tout faire et qu’il était donc indépendant et autonome. Le demandeur affirme qu’il devrait s’agir d’un facteur favorable dans l’appréciation des considérations d’ordre humanitaire, et non d’un autre facteur jouant en sa défaveur. S’appuyant sur les décisions Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336 et Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1633, il souligne que la Cour a déjà conclu que des agents avaient commis des erreurs susceptibles de contrôle en indiquant que l’établissement d’un demandeur au Canada améliorait sa capacité à s’établir ailleurs.
[28] Le défendeur soutient que l’appréciation de l’établissement faite par l’agent est raisonnable. Rien n’indique que le demandeur ait eu un statut à un quelconque moment depuis son retour au Canada en 2019. Contrairement aux observations du demandeur, il était loisible à l’agent d’écarter son établissement puisqu’il résultait du fait qu’il était entré ou qu’il vivait illégalement au Canada.
[29] Le défendeur s’appuie sur l’arrêt Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CA), 2002 CAF 125 (CanLII), [2002] 4 CF 358, pour affirmer que le ministre a le droit de tenir compte de l’entrée illégale du demandeur lorsqu’il examine une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il soutient qu’en l’espèce, le demandeur est entré au Canada sans l’autorisation requise en mai 2019 et qu’il vit au Canada sans statut depuis lors. Il ajoute que l’établissement du demandeur résulte de cette illégalité et que l’agent a raisonnablement considéré ce facteur comme un élément défavorable.
[30] Le défendeur soutient que l’agent n’a pas [traduction] « pris en compte deux fois »
la résidence illégale du demandeur au Canada. Renvoyant aux paragraphes 24 et 25 de la décision Wang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 705 (Wang
), il fait remarquer que la jurisprudence sur ce point n’est pas aussi claire que ce que le demandeur affirme. Dans la décision Wang, la Cour a établi une distinction avec la décision Jiang et elle a expliqué que la Section d’appel de l’immigration est libre de comparer les facteurs les uns aux autres (Wang, au para 24). Le défendeur soutient que cela peut conduire à une « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur »
si le demandeur avance en fait que le décideur s’est livré à l’exercice de pondération trop tôt dans son examen (Vavilov, au para 102).
[31] Le défendeur soutient aussi que l’agent n’a pas converti un facteur favorable en un facteur défavorable. L’agent a fait remarquer l’expérience longue et fructueuse du demandeur en matière d’autosuffisance et d’emploi, tant au Costa Rica qu’au Canada, et il a indiqué qu’il s’attendait à ce que cette expérience continue à porter ses fruits. Selon le défendeur, il n’était pas déraisonnable de tenir compte des capacités du demandeur, y compris celles qu’il avait acquises au Canada, pour apprécier les difficultés auxquelles il pourrait être exposé s’il était renvoyé dans son pays d’origine.
[32] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la décision de l’agent est, dans l’ensemble, raisonnable et qu’elle ne justifie pas l’intervention de la Cour. Il incombait au demandeur d’avancer tous les facteurs d’ordre humanitaire qu’il souhaitait que l’agent examine et de fournir une preuve suffisante à l’appui de sa demande. Il était loisible à l’agent de conclure que le demandeur s’était établi au Canada en partie pendant qu’il ne se conformait pas aux lois canadiennes en matière d’immigration et qu’il s’agissait d’un facteur défavorable.
[33] Je tiens à souligner que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve à l’agent pour expliquer ou préciser pourquoi il est revenu au Canada en 2019, alors que rien n’indiquait que sa venue au Canada était nécessaire. Le demandeur prétend qu’il est soucieux de réunir sa famille, mais il a cinq enfants qui vivent de façon permanente au Costa Rica. Étant donné qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté concernant les circonstances qui avaient conduit le demandeur à revenir au Canada en 2019, il était raisonnable pour l’agent de penser que, s’il fallait éviter la séparation de la famille, une option valable pour lui serait de réunir toute sa famille au Costa Rica.
[34] À mon avis, le demandeur n’a pas démontré que l’appréciation faite par l’agent des facteurs d’ordre humanitaire tels qu’ils s’appliquent à sa situation comporte une erreur susceptible de contrôle. Les motifs de l’agent sont clairs et convaincants, et ils tiennent compte de la preuve.
B. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?
[35] Le demandeur soutient que la décision de l’agent contrevenait à l’équité procédurale. Il affirme que son épouse et sa fille canadiennes subiraient des difficultés s’il était renvoyé. Il fait valoir que l’agent a écarté ces difficultés au motif que son épouse et sa fille avaient toutes deux droit à la citoyenneté costaricienne et que les membres de la famille pourraient y vivre ensemble. Il prétend que l’agent a soulevé ce point comme une nouvelle question et qu’il a effectué sa propre recherche sur les lois du Costa Rica en matière de citoyenneté. De l’avis du demandeur, en soulevant cette preuve extrinsèque et en s’appuyant sur celle-ci, l’agent l’a privé de son droit à l’équité procédurale. Le demandeur s’appuie sur la décision Majdalani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294, pour affirmer que les renseignements fournis en ligne ne peuvent pas tous être considérés comme des documents accessibles au public.
[36] Pour déterminer si l’obligation d’équité procédurale exige d’un décideur qu’il communique des documents, la Cour examinera divers facteurs, énoncés au paragraphe 30 de la décision Alves c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 672 (Alves
). Ces facteurs comprennent la source et la crédibilité de celle-ci, la nature publique des documents, le caractère inédit et l’importance des renseignements, et la nature de la décision (Alves, au para 30). En l’espèce, l’agent s’est appuyé sur un seul site Web qui n’a aucun lien avec le gouvernement du Costa Rica et il n’a cité aucune des sources consultées dans le cadre de sa recherche sur les lois du Costa Rica en matière de citoyenneté. Le site Web contient un avertissement qui réfute toute prétention d’exactitude. L’agent n’a cité aucune autre source à l’appui de ces conclusions. Le demandeur soutient que l’agent ne s’est pas appuyé sur une source de renseignements bien connue ou fiable et qu’il aurait dû lui offrir la possibilité de répondre à ces renseignements avant de s’y fier pour rejeter la demande.
[37] Le demandeur soutient aussi que l’appréciation faite par l’agent de l’admissibilité à la citoyenneté costaricienne est inexacte et incomplète. Il renvoie à la Constitution du Costa Rica et aux renseignements provenant de l’ambassade du Costa Rica à Washington, notant qu’un enfant peut être admissible à la citoyenneté, mais qu’il doit d’abord être enregistré par ses parents. En ce qui concerne l’admissibilité de l’épouse du demandeur, l’article 15 de la Constitution du Costa Rica prévoit qu’un époux doit vivre au Costa Rica au sein d’un couple marié durant deux ans avant d’être admissible, ce qui signifie que son épouse n’est pas admissible à l’heure actuelle. En fin de compte, le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte des lois en matière de citoyenneté au Costa Rica.
[38] Par ailleurs, le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve indiquant que sa fille et son épouse pourraient ou ne pourraient pas devenir citoyennes du Costa Rica. Par conséquent, il fait valoir que les renseignements sont nouveaux en ce sens qu’ils soulèvent une nouvelle question qu’il n’a pas soulevée lui-même et que l’équité procédurale exigeait qu’un préavis lui soit donné. Il soutient que l’agent aurait dû mieux s’acquitter de son obligation d’équité en lui donnant un avis et que le fait que l’agent se soit appuyé sur des éléments de preuve extrinsèques sans donner aucune forme d’avis constituait un manquement à l’équité procédurale, ce qui justifie d’accueillir la présente demande.
[39] Le défendeur soutient que l’agent a traité la possibilité que la famille déménage au Costa Rica de façon équitable sur le plan procédural. Il affirme qu’il incombait au demandeur d’avancer tous les facteurs d’ordre humanitaire qu’il souhaitait voir examinés. Il fait remarquer que le demandeur a directement invoqué la séparation de la famille comme étant un facteur favorable à sa demande et que la lettre d’observations qui accompagnait sa demande mentionnait expressément la possibilité que la famille déménage au Costa Rica. Par conséquent, le demandeur était conscient de ces possibilités lorsqu’il a présenté sa demande. Le demandeur n’a pas soutenu que les lois du Costa Rica en matière d’immigration ou de citoyenneté empêcheraient le déménagement de la famille.
[40] De plus, le défendeur affirme que le demandeur a tenté de remédier au manque de renseignements dont disposait l’agent en présentant de nouveaux éléments de preuve concernant les lois du Costa Rica en matière de citoyenneté dans sa demande de contrôle judiciaire, soulignant le peu d’éléments de preuve présentés à ce sujet par le demandeur dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le défendeur fait valoir qu’il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle l’agent a recours à d’autres sources pour tenter de confirmer les observations du demandeur. Il soutient que l’agent n’a donc pas contrevenu à l’équité procédurale lorsqu’il a renvoyé à un site Web accessible au public, qui fournit un ensemble de renseignements non commerciaux. Il soutient que l’équité procédurale n’exige pas que l’agent donne au demandeur la possibilité de répondre à des renseignements provenant de sources accessibles au public.
[41] Je suis d’accord avec le défendeur. Ce dernier fait remarquer à juste titre que la possibilité que la famille du demandeur déménage au Costa Rica n’a pas été soulevée dans le vide – elle a plutôt été soulevée par les propres observations du demandeur concernant la nécessité d’empêcher la séparation de la famille, le possible déménagement de la famille au Costa Rica, et le fait que cette dernière solution n’était pas souhaitable. Cependant, le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve pour démontrer en quoi et pourquoi ce déménagement ne serait pas raisonnable ou souhaitable dans les circonstances. L’agent a raisonnablement tenté de remédier au manque de renseignements fournis par le demandeur sur cette question et il lui était loisible de conclure que, dans les circonstances, la famille était libre de déménager au Costa Rica. Je ne suis pas d’avis que l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur la possibilité de répondre à un document accessible au public concernant les lois en matière de citoyenneté, surtout compte tenu du manque d’éléments de preuve présentés par le demandeur sur cette question.
V. Conclusion
[42] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La décision est à la fois raisonnable et équitable sur le plan procédural. L’agent a fait une appréciation raisonnable des considérations d’ordre humanitaire et il a soupesé de façon appropriée la non-conformité et l’établissement du demandeur. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-5289-22
LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Shirzad A. »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-5289-22 |
INTITULÉ :
|
JOHNNY ALFREDO CASTRO QUIEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 29 mai 2023
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE AHMED
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 8 septembre 2023
|
COMPARUTIONS :
Steven Blakey |
Pour le demandeur |
Brendan Stock |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waldman & Associates
Avocats
Toronto (Ontario)
|
Pour le demandeur |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
Pour le défendeur |