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Date : 20230908


Dossier : IMM-3538-22

Référence : 2023 CF 1221

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

FARIA JABIN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Résumé

[1] La demanderesse, Faria Jabin, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 29 mars 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) portant qu’elle n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). La SAR a conclu que la question déterminante était la crédibilité de la demanderesse.

[2] La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité à partir d’incohérences mineures dans son récit et que celle‑ci a rendu une décision sans avoir dûment tenu compte de la preuve qu’elle avait présentée.

[3] Pour les motifs qui suivent, je juge que la décision de la SAR est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Faits

A. La demanderesse

[4] La demanderesse est une citoyenne du Bangladesh âgée de 24 ans. Ses parents et ses deux sœurs habitent à Muradnagar, dans le district de Comilla, au Bangladesh.

[5] La demanderesse a terminé ses études secondaires en 2016 et a commencé des études universitaires en 2017 à l’Université Green, à Dhaka. En décembre 2018, elle a obtenu un permis d’études pour poursuivre sa formation à l’Université de l’île de Vancouver, en Colombie‑Britannique, au Canada. Elle est arrivée au Canada le 27 décembre 2018 et s’est trouvé un logement à Nanaimo, en Colombie‑Britannique, avec d’autres étudiants. Pendant son séjour à Nanaimo, la demanderesse a rencontré son petit ami en ligne, qui étudiait au Collège Seneca, à Toronto.

[6] La demanderesse affirme avoir reçu une lettre de son père le 25 juin 2019 lui enjoignant de retourner au Bangladesh pour épouser un ami de la famille, Nazrul Islam. M. Islam était alors âgé de 60 ans et avait trois femmes et six enfants. Dans la lettre, son père l’informait que M. Islam avait payé ses études et qu’il continuerait de le faire si elle acceptait de l’épouser. La demanderesse soutient que la lettre lui a causé énormément d’anxiété.

[7] Le 30 juillet 2019, la demanderesse a reçu une autre lettre de son père dans laquelle celui‑ci expliquait qu’il n’avait pas les moyens de payer ses études. Il affirmait qu’il romprait tout lien avec elle et que M. Islam harcèlerait sa famille si elle n’acceptait pas d’épouser ce dernier. La demanderesse affirme s’être évanouie à la lecture de la lettre. Son petit ami et ses amis l’ont encouragée à se rendre à Toronto, où une importante communauté bengalie est établie. En juillet 2019, la demanderesse a emménagé avec deux amis à Toronto et a demandé conseil à un membre de la communauté.

[8] Le 20 août 2019, la demanderesse aurait reçu une autre lettre de son père l’informant que M. Islam et plusieurs autres hommes avaient saccagé leur domicile au Bangladesh, battu son père et expulsé sa mère et ses sœurs de la maison. Selon la demanderesse, sa mère et ses sœurs se sont réfugiées chez son grand‑père, tandis que son père s’est retrouvé en prison en raison de fausses accusations portées contre lui par M. Islam. Elle affirme que M. Islam a pris possession de la terre de son père, a exigé un paiement de 20 millions de takas bangladais et a menacé de tuer ce dernier s’il ne payait pas la somme demandée. La demanderesse prétend qu’elle serait forcée d’épouser M. Islam ou serait emprisonnée sur le fondement de fausses accusations si elle retournait au Bangladesh.

B. La décision de la SPR

[9] Dans sa décision du 23 août 2021, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi, au motif que ses allégations n’étaient pas crédibles.

[10] La SPR a fait remarquer dès le départ que, pour évaluer la demande d’asile de la demanderesse, elle s’était appuyée sur les Directives numéro 4 du président relatives aux procédures intentées par les femmes revendiquant le statut de réfugié, ces dernières se heurtant à des obstacles particuliers lorsqu’il s’agit d’établir la crédibilité et la fiabilité de leur demande. La SPR a fait observer que, compte tenu de ces directives et du contexte, la demande d’asile comportait des incohérences et des omissions importantes, de sorte que la demande dans son ensemble manquait de crédibilité.

[11] La SPR a jugé qu’il y avait d’importantes incohérences entre le formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA) de la demanderesse et la preuve qu’elle avait présentée pour corroborer ses prétentions. La SPR a fait remarquer que, dans son formulaire FDA, la demanderesse avait indiqué que son père lui avait écrit une lettre le 20 août 2019 pour l’informer que M. Islam et ses hommes avaient saccagé leur domicile au Bangladesh, mais que cette lettre, communiquée le 8 août 2021, ne mentionnait pas qu’un tel incident avait eu lieu. La demanderesse a témoigné que cet incident avait eu lieu après l’envoi de la lettre. La SPR a jugé que cette explication n’était pas raisonnable et a donc conclu que la demanderesse manquait de crédibilité.

[12] Lorsqu’on lui a demandé comment elle avait appris que la maison avait été saccagée si l’incident n’avait pas été explicitement mentionné dans la lettre de son père du 20 août 2019, la demanderesse a répondu que sa sœur l’en avait informée par des messages sur Facebook et par téléphone, et qu’elle était disposée à communiquer une copie de ces messages. Lorsqu’on lui a demandé à quel moment elle avait été informée de l’incident, la demanderesse a répondu que sa sœur l’en avait informée en mars 2020, malgré le fait que son formulaire FDA, signé en février 2020, contenait déjà des renseignements relatifs à l’incident. La SPR a fait observer que la demanderesse avait ensuite modifié son témoignage pour dire que sa sœur l’avait informée de l’incident par téléphone et non par des messages sur Facebook. La SPR a finalement conclu que la demanderesse manquait de crédibilité en raison des incohérences dans son témoignage et sa preuve.

[13] La SPR a également constaté que la demanderesse n’avait pas modifié son formulaire FDA pour indiquer que son père était sorti de prison. Elle a fait remarquer que le formulaire FDA indiquait que le père de la demanderesse était en prison, mais que celle‑ci avait témoigné que son père était sorti de prison après six mois et qu’il était décédé en juillet 2021. Lorsqu’elle a été interrogée au sujet de cette incohérence, la demanderesse a affirmé qu’elle ne savait pas qu’elle devait modifier son formulaire FDA. La SPR a jugé que cette explication n’était pas raisonnable étant donné que la demanderesse était représentée par un conseil et qu’elle avait déclaré que les renseignements contenus dans son formulaire FDA étaient complets, véridiques et exacts. La SPR a pris acte du fait que le père de la demanderesse était décédé en juillet 2021, comme celle‑ci l’avait déclaré, mais a conclu que la demanderesse n’avait pas établi de manière crédible que la crise cardiaque qui avait emporté son père avait été causée par les menaces de M. Islam, comme elle l’avait prétendu. Compte tenu des éléments de preuve contradictoires de la demanderesse et de son témoignage changeant, la SPR a conclu que la présomption de véracité était réfutée, que son père n’avait pas été emprisonné à cause de M. Islam et que la confrontation subséquente avec ce dernier n’avait pas eu lieu.

[14] La SPR a jugé que la demanderesse n’avait pas établi de manière crédible l’influence de M. Islam ni le profil politique de celui‑ci. Elle a pris acte du témoignage de la demanderesse selon lequel M. Islam était influent parce qu’il était un politicien au sein de la Ligue Awami, un important parti politique au Bangladesh. Elle a affirmé ignorer qu’elle devait mentionner ce fait dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA ou qu’elle devait fournir des éléments de preuve documentaire étayant ses affirmations à cet égard. La SPR a jugé que les réponses de la demanderesse concernant le rôle de M. Islam au sein de la Ligue Awami étaient vagues et évasives, et a tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité du fait que la demanderesse n’avait pas été en mesure de fournir de plus amples renseignements à propos des relations politiques de M. Islam, qu’elle n’avait pas mentionné dans son formulaire FDA le rôle que jouerait M. Islam au sein de la Ligue Awami et qu’elle n’avait pas présenté de preuve objective démontrant que M. Islam était un politicien influent.

[15] Enfin, la SPR a conclu que les trois lettres du père de la demanderesse ne suffisaient pas à dissiper les réserves en matière de crédibilité que soulève la demande d’asile. Elle a jugé que la lettre du 20 août 2019 ne faisait pas mention du saccage du domicile familial et que son contenu ne concordait pas avec ce qui figurait dans le formulaire FDA de la demanderesse, de sorte qu’aucun poids ne pouvait lui être accordé. La SPR a également fait remarquer que la demanderesse avait témoigné avoir perdu les enveloppes des lettres du 25 juin 2019 et du 16 juillet 2019 durant son déménagement de Nanaimo, en Colombie‑Britannique, à Toronto, en Ontario. La SPR a conclu qu’elle n’avait aucun moyen de confirmer la provenance de ces lettres. Elle a jugé que les trois lettres du père de la demanderesse ne permettaient pas d’atténuer les nombreuses et sérieuses préoccupations en matière de crédibilité que soulève la demande d’asile.

[16] Pour les motifs qui précèdent, la SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible et que, par conséquent, elle n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

C. La décision faisant l’objet du contrôle

[17] Dans sa décision du 29 mars 2022, la SAR a rejeté l’appel de la demanderesse et a confirmé la décision de la SPR.

[18] La SAR a jugé que la SPR avait conclu à juste titre que la demanderesse manquait de crédibilité en raison des incohérences dans son témoignage et ses éléments de preuve relativement au saccage du domicile familial. La SAR a fait remarquer que, dans son formulaire FDA, la demanderesse indiquait qu’elle avait été informée de l’incident dans une lettre datée du 20 août 2019 qui lui avait été envoyée par son père, mais a constaté que la lettre ne faisait pas explicitement mention d’un tel incident. En appel, la demanderesse a fait valoir qu’il ne s’agissait pas d’une incohérence et que l’incident aurait eu lieu après la réception de la lettre de son père. La SAR n’a pas souscrit à l’explication de la demanderesse : elle a jugé que le formulaire FDA indiquait clairement que celle‑ci avait été informée de l’incident le 20 août 2019 grâce à la lettre de son père et que le formulaire FDA était considéré comme un témoignage sous serment et non comme un simple résumé des événements.

[19] La SAR a également conclu que la SPR avait tiré à juste titre une conclusion défavorable en matière de crédibilité en raison des incohérences liées à la conversation téléphonique que la demanderesse a eue avec sa sœur en mars 2020, au cours de laquelle elle aurait été informée que son père avait été victime d’une agression. Deux incohérences ressortaient de cet élément de preuve : 1) la demanderesse a d’abord témoigné qu’elle avait été informée de l’incident par sa sœur au moyen de messages sur Facebook et qu’elle pouvait fournir des copies de ces messages, mais a ensuite affirmé qu’elle avait plutôt eu une conversation téléphonique avec sa sœur; 2) la demanderesse a été informée de l’incident par sa sœur en mars 2020, mais a signé son formulaire FDA en février 2020.

[20] La SAR a pris acte de l’observation formulée par la demanderesse en appel selon laquelle l’incohérence liée à sa conversation avec sa sœur était mineure. La SAR n’a pas souscrit à cette observation. Selon elle, la demanderesse avait clairement témoigné avoir été informée de l’événement par des messages sur Facebook et avait accepté d’en fournir des copies, après quoi elle a modifié son témoignage et a affirmé qu’elle avait plutôt parlé avec sa sœur au téléphone. La SAR a conclu que l’explication de la demanderesse ne permettait pas de justifier les incohérences relatives au moment où elle avait appris que son père avait été victime d’une agression et à la manière dont elle en avait été informée, et que la SPR avait eu raison de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité.

[21] La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait pas établi le profil politique de M. Islam. À l’audience de la SPR, la demanderesse a affirmé que M. Islam était un politicien influent, mais la SPR a tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité parce que la demanderesse n’avait pas mentionné ce renseignement essentiel dans son formulaire FDA et qu’elle n’avait pas présenté d’élément de preuve corroborant à ce sujet, et ce, sans fournir d’explication raisonnable. La SAR a conclu qu’il existait une présomption de véracité pour toutes les demandes d’asile, mais que cette présomption pouvait être réfutée lorsqu’il y avait des raisons de douter de la véracité de celles‑ci. La SAR a conclu que, compte tenu de la preuve, M. Islam n’était pas un politicien influent comme le prétendait la demanderesse et que la conclusion de la SPR était correcte.

[22] Enfin, la SAR a conclu que la SPR avait eu raison d’accorder peu de poids aux autres éléments de preuve, soit les trois lettres du père de la demanderesse. En appel, la demanderesse a fait valoir qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure que les lettres n’étaient pas fiables parce qu’elle n’avait pas fourni les enveloppes. La SAR n’était pas d’accord. Elle a jugé que, peu importe si les enveloppes avaient été égarées ou non, aucun renseignement ne permettait d’établir la provenance des lettres ni de démontrer qu’elles avaient été envoyées par le père de la demanderesse, depuis le Bangladesh, à cette dernière, au Canada. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle les lettres ne permettaient pas d’infirmer les nombreuses conclusions défavorables en matière de crédibilité tirées à l’égard de la demande d’asile.

[23] La SAR a finalement rejeté l’appel interjeté par la demanderesse à l’encontre de la décision de la SPR au motif que sa demande d’asile n’était pas crédible.

III. Question en litige et norme de contrôle

[24] En l’espèce, la seule question en litige est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[25] Nul ne conteste la norme de contrôle applicable. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16‑17, 23‑25). Je suis d’accord.

[26] La norme de la décision raisonnable commande un contrôle empreint de déférence, mais rigoureux (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, tant en ce qui concerne le raisonnement suivi que le résultat obtenu, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[27] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle soulève ne justifient pas toutes l’intervention de la Cour. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait tirées par celui‑ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

IV. Analyse

[28] La demanderesse fait valoir qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de fonder ses conclusions défavorables en matière de crédibilité sur des incohérences mineures dans sa demande d’asile et que la SAR a eu tort d’accorder peu de poids aux autres éléments de preuve. Je ne suis pas de cet avis. Selon moi, la décision de la SAR est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15).

[29] La demanderesse soutient que la SAR a tiré à tort des conclusions défavorables en matière de crédibilité en raison d’incohérences ou d’omissions mineures dans sa demande d’asile. La demanderesse fait valoir que la SAR ne pouvait pas conclure qu’il y avait une incohérence importante entre son formulaire FDA et la preuve relative au saccage du domicile familial puisque cet incident n’avait pas encore eu lieu au moment où la lettre lui avait été envoyée et la lettre n’en faisait donc pas mention. La demanderesse soutient en outre que l’incohérence découlant du fait qu’elle avait initialement déclaré avoir été informée de l’agression contre son père en mars 2020 et que son formulaire FDA avait été signé en février 2020 était mineure et ne justifiait donc pas une conclusion défavorable en matière de crédibilité. La demanderesse fait valoir que sa demande d’asile porte essentiellement sur le fait qu’elle serait victime d’un mariage forcé à son retour au Bangladesh et qu’elle craint d’être persécutée par M. Islam. La demanderesse soutient que la SAR n’a pas formulé de réserves au sujet de cette principale allégation.

[30] La demanderesse soutient en outre qu’il était déraisonnable de la part de la SAR d’accorder peu ou pas de poids aux trois lettres de son père présentées en preuve pour le seul motif qu’elle n’avait pas fourni les enveloppes. La demanderesse rappelle que la présomption de véracité s’applique à l’égard de son témoignage à moins qu’il n’y ait des motifs suffisants permettant de douter de sa véracité.

[31] Le défendeur soutient que la décision de la SAR est raisonnable compte tenu des faits et de la preuve et que la demanderesse n’a pas relevé d’erreur susceptible de contrôle justifiant l’intervention de la Cour. Le défendeur fait valoir que la SAR a tiré des conclusions raisonnables et justifiées en matière de crédibilité fondées sur des incohérences et des omissions ayant trait à des aspects centraux de la demande d’asile, notamment le fait que la demanderesse avait déclaré avoir été informée du saccage du domicile familial dans la lettre de son père du 20 août 2019, mais que la lettre en question n’indiquait pas qu’un tel incident avait eu lieu. Le défendeur fait remarquer qu’il est raisonnable de tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité lorsque les renseignements contenus dans le formulaire FDA d’un demandeur ne concordent pas avec les autres éléments de preuve. Le défendeur ajoute que ce n’est pas parce que le demandeur explique une incohérence que la SAR est tenue de considérer l’explication comme suffisante (Moshood c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 504 au para 16).

[32] Le défendeur soutient que la SAR a aussi tiré des conclusions raisonnables en matière de crédibilité fondées sur les déclarations incohérentes de la demanderesse concernant la manière dont celle‑ci avait été informée de l’agression contre son père et le moment où elle avait obtenu l’information, agression qui, selon le défendeur, est essentiellement liée à l’allégation portant qu’elle serait exposée à un risque de persécution à son retour au Bangladesh. Le défendeur fait valoir que le témoignage changeant de la demanderesse concernant la manière dont sa sœur l’a informée de l’incident et le moment où celle‑ci l’a fait est une incohérence importante et, par conséquent, constitue un motif raisonnable justifiant de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité. Le défendeur fait remarquer que, par les observations qu’elle a formulées à l’égard des conclusions de la SAR en matière de crédibilité, la demanderesse cherche en fait à ce que la Cour apprécie à nouveau la preuve qui était à la disposition de la SAR, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[33] Le défendeur soutient que la SAR n’a pas commis d’erreur en tirant une conclusion défavorable en matière de crédibilité parce que la demanderesse n’avait pas établi l’influence de M. Islam ni le profil politique de celui‑ci. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que la demanderesse n’avait fourni aucune preuve étayant le rôle politique de M. Islam au sein de la Ligue Awami et qu’elle n’avait fait qu’une vague déclaration selon laquelle elle avait été informée de l’influence de ce dernier par des gens de la région. Le défendeur renvoie à la conclusion de la Cour selon laquelle il peut être justifié de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité lorsqu’on peut raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur présente des éléments de preuve corroborants et que ce dernier ne fournit aucune explication raisonnable pour ne pas l’avoir fait (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 (Lawani) au para 25).

[34] Enfin, le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable de la part de la SAR de conclure que les trois lettres du père de la demanderesse ne permettaient pas d’infirmer les conclusions défavorables en matière de crédibilité. Le défendeur fait remarquer que la SAR a justifié cette conclusion de manière raisonnable, c’est‑à‑dire parce que les lettres n’indiquaient pas quand et comment elles avaient été transmises ni d’où elles provenaient. Pour le défendeur, le fait que la SAR ne pouvait établir la provenance des lettres était un motif raisonnable justifiant de leur accorder peu de poids pour statuer sur le bien‑fondé de la demande d’asile, surtout compte tenu des nombreuses réserves en matière de crédibilité.

[35] Je suis d’accord avec le défendeur. À mon avis, les conclusions défavorables de la SAR en matière de crédibilité et son évaluation des autres éléments de preuve présentés par la demanderesse possèdent les caractéristiques d’une décision raisonnable. Je fais d’abord remarquer que la demanderesse a présenté de brèves observations écrites qui reprennent en grande partie celles qu’elle avait présentées à la SAR et que cette dernière avait expressément examinées. La demanderesse, par bon nombre de ses observations, demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas le rôle de celle‑ci lorsqu’elle procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, au para 125).

[36] Dans ses observations, la demanderesse affirme également que la SAR aurait dû considérer son témoignage incohérent et vague comme étant crédible et permettant d’établir le bien‑fondé de sa demande d’asile. Cependant, les motifs de la SAR démontrent que celle‑ci a réalisé un examen rigoureux de la preuve et fournissent une explication transparente des incohérences relevées dans la demande d’asile, des raisons pour lesquelles ces incohérences étaient importantes quant au fondement de la demande d’asile et des raisons pour lesquelles les autres éléments de preuve ne comportaient pas suffisamment de renseignements corroborants pour compenser les incohérences et les omissions. Il était loisible à la SAR de conclure que les incohérences dans le récit de la demanderesse étaient déterminantes quant aux allégations de cette dernière selon lesquelles elle serait exposée à un risque de persécution au Bangladesh et minaient la crédibilité de sa demande d’asile.

[37] L’observation de la demanderesse concernant la façon dont la SAR a traité les trois lettres de son père ne tient pas compte du contexte général qui permet de douter de la fiabilité de ces lettres à titre d’éléments de preuve. La SAR a clairement expliqué qu’en raison des nombreuses réserves en matière de crédibilité déjà soulevées relativement à la demande d’asile et du fait que les renseignements du formulaire FDA ne concordaient pas avec ceux de la lettre du 20 août 2019, les lettres à elles seules ne suffisaient pas à infirmer les conclusions défavorables en matière de crédibilité, surtout compte tenu de l’absence d’information quant à leur provenance. Il s’agit d’un raisonnement rationnel que la SAR a adéquatement expliqué dans ses motifs.

[38] Il était raisonnable pour la SAR de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité du fait que la demanderesse n’avait pas fourni de renseignements ou d’éléments de preuve concernant le profil politique de M. Islam, qui est à la base de son allégation selon laquelle elle serait exposée à un risque de persécution de la part de ce dernier si elle devait retourner au Bangladesh. Compte tenu de la décision Lawani de notre Cour, je juge qu’il est loisible à la SAR de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité en l’absence d’éléments de preuve corroborants ou en l’absence de démarches pour les obtenir lorsqu’elle pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur présente de tels éléments et que celui‑ci n’a fourni aucune explication raisonnable pour ne pas l’avoir fait (au para 25). Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il était raisonnable que la SAR s’attende à recevoir des éléments de preuve étayant l’allégation de la demanderesse concernant l’influence de M. Islam ou le rôle de ce dernier au sein de la Ligue Awami étant donné le caractère essentiel de cette allégation dans la demande d’asile. La demanderesse n’a fourni que de vagues déclarations sur la façon dont elle avait appris que M. Islam était un homme politique influent de la Ligue Awami, et il était raisonnable pour la SAR de juger que ces déclarations ne constituaient pas une preuve suffisante.

[39] Pour les motifs qui précèdent, je juge que la demanderesse n’a pas relevé d’erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR qui justifierait l’intervention de la Cour. Les motifs de la SAR tiennent compte des éléments de preuve de la demanderesse et de la jurisprudence et, par conséquent, la décision est raisonnable.

V. Conclusion

[40] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La décision de la SAR est transparente, intelligible et justifiée compte tenu de la preuve présentée par la demanderesse (Vavilov, au para 15). Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3538-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3538-22

 

INTITULÉ :

FARIA JABIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1er JUIN 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 SEPTEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Anna Davtyan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Eli Lo Re

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EME Professional Corp

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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