Date : 20230106
Dossier : T‑1627‑16
Référence : 2023 CF 13
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2023
En présence de madame la juge St‑Louis
ENTRE :
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ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION
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demanderesses/défenderesses reconventionnelles
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et
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MYLAN PHARMACEUTICALS ULC.
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défenderesse/demanderesse reconventionnelle
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ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS
(Ordonnance et motifs confidentiels rendus le 6 janvier 2023)
I. Introduction
[1] La présente requête a été déposée par Mylan Pharmaceuticals ULC [Mylan] en vue d’obtenir des directives au titre des articles 400 et 403 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles]. Par sa requête, Mylan cherche à obtenir une ordonnance fixant le montant des dépens que devront lui verser les demanderesses (ci‑après désignées collectivement sous le nom de « Lilly »
) dans le cadre la présente action relative au brevet canadien no 2,371,684 [le brevet 684]. Mylan ne sollicite pas de dépens à l’égard du brevet canadien no 2,379,948 [le brevet 948], du brevet 540 ni des allégations relatives aux droits d’auteur et aux marques de commerce en raison d’ententes, conclues entre Lilly et elle, selon lesquelles les parties doivent assumer leurs propres dépens relativement à ces questions.
[2] Mes motifs concernant le brevet 684 figurent dans la décision Eli Lilly Canada Inc. c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2020 CF 816.
[3] Brièvement, et pour les motifs qui suivent, je conclus que (1) des dépens élevés versés sous la forme d’une somme globale sont justifiés; (2) un montant correspondant à 30 % du montant rajusté des frais juridiques est approprié; (3) la comptabilisation des frais juridiques et des débours faite par Mylan doit être rajustée à la baisse; (4) le montant des dépens ainsi calculé sera majoré d’intérêts après jugement au taux de 2 % à compter de la date de la présente ordonnance. Conformément à la suggestion des parties, j’ai déduit les dépens relatifs à la requête en radiation de Mylan lors du calcul des frais juridiques.
II. Positions des parties
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]
Conformément à ses observations écrites, Mylan sollicite une somme globale de 935 830 $ (taxe comprise) au titre des dépens, laquelle correspond à (i) 30 % des frais engagés, soit 793 942 $, et (ii) la totalité de ses débours, soit 141 888 $, et à laquelle on doit ajouter (iii) les intérêts avant et après jugement ainsi que les dépens de la présente requête, qui s’élèvent à 10 000 $.
[5] Subsidiairement, Mylan demande un montant de 810 538 $ correspondant (i) aux dépens engagés par Mylan uniquement pendant le procès (668 650 $, taxe comprise) et (ii) à la totalité de ses débours (141 888 $, taxe comprise).
[6] Subsidiairement, si la Cour décide qu’il ne s’agit pas d’un cas où une dérogation au tarif est justifiée, Mylan demande que les dépens soient taxés suivant l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B (362 222 $, taxe comprise), avec tous les débours raisonnables (141 888 $, taxe comprise), ce qui ne couvrirait qu’environ 13 % des frais engagés par Mylan concernant le brevet 684 (2 646 472 $, ce qui équivaut à 2 342 011 $ plus taxe).
[7] Mylan a confirmé au moyen d’une lettre adressée à la Cour que (1) les demanderesses ne contestent plus les débours de 1 151,79 $ relatifs aux frais d’hébergement des avocats de Mylan à Ottawa pendant le procès et que (2) si la Cour est disposée à lui adjuger les dépens en fonction du tarif B, Mylan accepte de déduire le montant énoncé aux articles 3 et 8 de son mémoire de frais.
[8] À l’appui de sa requête, Mylan invoque l’affidavit de M. Ryan Howes, étudiant employé par le cabinet d’avocats Osler, Hoskin & Harcourt LLP [Osler]. M. Howes, qui n’a pas été contre‑interrogé, présente 45 pièces et plus de 1 700 pages, notamment des copies des dossiers et des factures que Osler a envoyées à Mylan (pièce LL, pièce NN, confidentielles), un mémoire de frais pour le brevet 684 préparé en fonction de l’échelon supérieur de la colonne IV, tarif B (pièce OO), pour un total de 362 222 $ (taxe comprise), les factures de frais de déplacement et d’hébergement (pièce RR), les factures pour les services de témoin expert de Mme Baughman, de M. Ellis, du Dr Hellstrom et du Dr Porst (pièce QQ), et les factures pour tous les autres débours (pièce SS).
[9] Mylan invoque plusieurs facteurs mentionnés au paragraphe 400(3) des Règles pour soutenir que l’adjudication d’une somme globale de 30 % des frais juridiques qu’elle a réellement payés est appropriée, ce qui dépasse le montant qui pourrait être accordé en vertu du tarif. Ces facteurs sont les suivants : (1) le résultat de l’instance, l’importance et la complexité des questions en litige et la charge de travail (alinéas 400(3)a), c) et g) des Règles); (2) la conduite de Lilly a prolongé inutilement la durée de l’instance (alinéa 400(3)i) des Règles); (3) le défaut de Lilly de reconnaître les faits qu’elle aurait dû admettre en réponse aux demandes raisonnables de Mylan (alinéa 400(3)j) des Règles).
[10] Lilly s’oppose à la requête au motif que les circonstances de l’affaire ne justifient pas l’octroi de dépens élevés ou de dépens majorés. Essentiellement, Lilly soutient que les éléments de preuve fournis à l’appui de l’octroi d’une somme globale sont incomplets et insuffisants, que la conduite des défenderesses a prolongé inutilement la durée de l’instance et a entraîné du travail inutile et que les allégations de fraude non étayées doivent être sanctionnées.
[11] Lilly répond qu’il incombe à Mylan d’établir la raison pour laquelle elle mérite une adjudication supérieure au tarif. Lilly reconnaît que l’échelon supérieur de la colonne IV a, encore récemment, été considéré comme raisonnable et approprié dans les litiges en matière de brevets. Lilly fait notamment valoir ce qui suit : (1) [traduction] « [i]l n’y a aucune tendance à adjuger une somme globale au titre des dépens en fonction des honoraires, y compris depuis l’arrêt
Nova »
(faisant référence à Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 [Nova]; (2) une distinction a récemment été faite d’avec l’affaire Nova [traduction] « […] au motif que la complexité dans les deux instances n’était pas comparable. Dans la décision
Georgetown Rail Equipment Company c Tetra Tech Eba Inc., 2020 CF 1118 [
Georgetown], les dépens ont été accordés selon l’échelon supérieur de la colonne V du tarif B, même si une somme globale avait été sollicitée »
; (3) les défenderesses ont déclaré devant le juge responsable de la gestion de l’instance qu’elles collaboreraient de manière efficace afin d’éviter le dédoublement des efforts, des témoins et des experts (se fondant sur l’affidavit Paterson, pièce A), si bien qu’il est en somme inapproprié et inéquitable que Lilly verse une somme globale à chacune des défenderesses.
[12] Plus particulièrement, Lilly soutient ce qui suit : (1) Lilly a obtenu gain de cause à l’égard de la plupart des questions en litige au procès (12 sur les 15 questions concernant le brevet 684); (2) la conduite des défenderesses a eu pour effet de prolonger la durée de l’instance (abandon d’une allégation, questions relatives à la validité, objections quant aux experts et à la preuve d’expert présentée, allégations non fondées à l’égard du Dr Whitaker, contrefaçon non contestée à l’égard du brevet 684, allégations frisant des allégations de fraude présentées puis abandonnées, ensemble des allégations au procès, abus de procédure de la part de Mylan et allégations, formulées par Mylan, qui équivalaient à des contestations indirectes, et ce, même dans le cadre des présentes requêtes relatives aux dépens); (3) Lilly a pris des mesures pour raccourcir l’instance (en restreignant la portée de ses actes de procédure à la suite des interrogatoires préalables, en effectuant un suivi écrit auprès des représentants des sociétés des défenderesses après les interrogatoires préalables, en présentant une requête écrite en production de documents); (4) les frais facturés ne sont pas décrits de manière suffisante et ils sont caviardés (invoquant à l’appui Bristol‑Myers Squibb Canada Co v Pharmascience Inc, 2021 FC 354 [Bristol‑Myers Squibb Co]; (5) les demandes visant l’obtention d’une somme globale présentées par Mylan devraient être rejetées, car il est impossible de séparer le travail effectué à l’égard du brevet 684 de celui effectué à l’égard d’autres questions pour lesquelles les parties ont convenu qu’il n’y aurait pas de dépens; (6) certains articles ne devraient pas être accordés par la Cour en vertu du tarif (à savoir, les articles 2, 3, 7, 8, 9, 11, 13a), 13b), 14, 15, 16, 26 et 27 (pièce JJ)).
[13] Subsidiairement, si la Cour ne souscrit pas aux arguments de Lilly et estime qu’une somme globale fondée sur les frais juridiques est toujours appropriée, une somme globale devrait être accordée uniquement à l’égard de l’avocat « principal »
. Les dépens pour les autres avocats devraient suivre le tarif. Par conséquent, Lilly fait valoir que, dans ce scénario, Mylan devrait se voir accorder une somme globale pour le travail qu’elle a effectué à l’égard du brevet 684, étant donné que c’est elle qui a retenu les services de l’avocat principal en ce qui concerne ce brevet.
[14] Subsidiairement, si une somme globale est justifiée, Lilly soutient que le pourcentage approprié est 25 % des frais juridiques de Mylan, ce qui devrait ensuite être réduit de 40 %, correspondant ainsi à 345 689,58 $, taxe comprise.
[15] En ce qui concerne l’adjudication d’une somme globale, Lilly affirme que le pourcentage accordé doit être raisonnable dans le contexte du litige. Elle est d’avis que le taux de base s’élève à 25 % (Bauer Hockey Ltd. c Sport Maska Inc. (CCM Hockey), 2020 CF 862 au para 14 [Bauer]; Seedlings Life Science Ventures, LLC c Pfizer Canada SRI, 2020 CF 505 au para 22 [Seedlings]), qu’il ne devrait pas y avoir d’indemnisation pour le dédoublement du travail (présence déraisonnable, pour chaque partie, de nombreux avocats lors des interrogatoires préalables et lors du procès) et que certains frais ne peuvent faire l’objet d’une indemnisation. Lilly soutient également que la somme globale accordée à Mylan devrait être réduite de 40 % (réduction totale de 147 156,51 $) en raison des allégations de fraude, dont le bien‑fondé n’a pas été prouvé, soulevées par Mylan (20 %) et des contestations indirectes de décisions antérieures (15 %).
[16] Lilly s’oppose à de nombreux débours, car ils visent des questions qui ne peuvent pas faire l’objet d’une indemnisation ou d’un remboursement, notamment : (1) les coûts de livres, d’articles, de bases de données en ligne; (2) les honoraires d’« expert »
du Dr Porst; (3) les frais relatifs à la comparution et aux interrogatoires préalables; (4) les frais de déplacement et d’hébergement. Lilly soutient que Mylan devrait avoir droit à des débours de 117 432 $, taxe comprise. À l’audience, et dans une lettre envoyée à la Cour, Lilly a confirmé qu’elle ne contestait plus aux frais d’hébergement des avocats de Mylan à Ottawa pendant le procès, s’élevant à 1 151,79 $, ouvrant ainsi la porte à une adjudication de 118 583,79 $ au titre des débours, taxe comprise.
[17] De plus, Lilly fait valoir que Mylan sollicite, dans ses observations écrites, des intérêts avant et après jugement et que ces intérêts ne peuvent pas être accordés étant donné que des intérêts avant jugement ne peuvent pas être accordés en vertu de la loi (Loi sur les Cours fédérales, RCS, 1985, c F‑7 aux art 36(1), (2), et (4)c); Loi sur les tribunaux judiciaires, LRO 1990, c C.43 à l’art 128(4)c)) et les intérêts après jugement sont inclus dans une somme globale.
[18] Selon une lettre envoyée à la Cour, Lilly sollicite maintenant une réduction des dépens relativement à la requête en radiation de Mylan selon l’échelon supérieur de la colonne III, plus des débours, totalisant 7 976,39 $ (taxe comprise), montant précisé dans le mémoire de frais joint à la lettre. Mylan accepte la demande de réduction des dépens présentée par Lilly, mais seulement si les dépens sont calculés conformément au tarif B (et non s’il y a adjudication d’une somme globale), pour un montant total de 4 029,75 $ (calculé selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III), comprenant un unique débours relatif à des frais de déplacement.
[19] À l’appui de sa réponse, Lilly présente l’affidavit de Mme Kathy Paterson, auxiliaire juridique chez Borden Ladner Gervais LLP, auquel sont jointes 43 pièces. Celles‑ci comprennent notamment des notes sur la conférence sur la gestion de l’instance datées du 1er juin 2017 (pièce A) qui, contrairement à l’affirmation de Lilly, ne confirment pas à première vue un engagement officiel de la part des défenderesses à recourir aux mêmes experts.
[20] Lilly soumet à la Cour un mémoire de frais qu’elle a préparé en fonction de l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B, lequel comprend des réductions pour divers articles proposés (pièce JJ)). Le mémoire de frais, qui s’élève à 155 175,00 $ (avant taxe, 175 347,75 $ taxe comprise), est réduit de 40 % en raison des allégations de fraude (25 %) et des contestations indirectes (15 %), pour un total de 105 208,65 $, taxe comprise.
[21] Si l’adjudication d’une somme globale est appropriée, Lilly soumet à la Cour un tableau comprenant le calcul des frais payés par Mylan, auxquels sont soustraits les montants que Lilly conteste (pièce FFF). Le montant total demandé s’élève à 345 689,58 $ (taxe comprise), ce qui représentante 25 % (576 149,30 $) du total des dépens autorisés (2 304 597,21 $, taxe comprise) moins une réduction de 40 % en raison des allégations de fraude (25 %) et des contestations indirectes (15 %).
[22] Lilly soumet également à la Cour un mémoire de frais concernant les débours, lequel comprend diverses réductions (pièce MM). Celles‑ci s’élèvent à 24 456 $, taxe comprise. Tel que cela a déjà été mentionné, Lilly ne conteste plus les débours associés aux frais d’hébergement des avocats de Mylan à Ottawa pendant le procès.
III. Principes
[23] Le droit relatif aux dépens n’est pas une science exacte. Pour adjuger les dépens, les tribunaux tentent d’établir un juste équilibre entre trois objectifs principaux : indemniser la partie qui a eu gain de cause, inciter les parties à parvenir à un règlement et dissuader les parties à avoir une conduite abusive au procès. À cet égard, le paragraphe 400(1) des Règles prévoit que la Cour « a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer »
.
[24] Le paragraphe 400(3) des Règles renferme une liste non exhaustive de facteurs dont la Cour peut tenir compte. En ce qui concerne le montant, l’article 407 des Règles prévoit que la colonne III du tarif B est le barème « par défaut »
(Consorzio del Prosciutto, au para 9). Toutefois, le vaste pouvoir discrétionnaire de la Cour comprend le pouvoir d’ordonner une taxation des dépens en vertu d’une autre colonne du tarif B ou de déroger au tarif (Philip Morris Products S.A. c Marlboro Canada limitée, 2015 CAF 9 au para 4 [Philip Morris]). Le paragraphe 400(4) autorise la Cour à fixer les dépens et à adjuger une somme globale au lieu de taxer les dépens conformément au tarif B.
[25] À la suite de la discussion que j’ai eue avec les parties au cours de l’audience, je confirme que je me considère liée par les arrêts de la Cour d’appel fédérale [CAF] Raydan manufacturing ltd. c Emmanuel Simard & Fils (1983) Inc., 2006 CAF 293, et Illinois Tool Works Inc. c Cobra Fixations Cie Ltée/Cobra Anchors Co., 2003 CAF 358, et je conclus que le succès à l’égard de certains motifs d’invalidité ne veut pas dire qu’il y a un « succès partagé »
ou des « succès partiels »
(Allergan Inc. c Sandoz Canada Inc., 2021 CF 186 au para 31 [Allergan]).
[26] Le juge en chef Crampton a décrit les règles applicables ainsi que les principes généraux qui doivent guider la Cour dans une adjudication de dépens (Allergan). J’adopte ces principes et je prends en particulier acte de la déclaration suivante, figurant au paragraphe 27 :
Pour essentiellement les mêmes raisons que celles que nous venons d’évoquer, il est également de plus en plus courant dans les affaires de propriété intellectuelle d’adjuger une somme globale importante « dépassant largement le Tarif » : Venngo, précité, au paragraphe 85; Bauer Hockey Ltd c. Sport Maska Inc (CCM Hockey), 2020 CF 862 (Bauer) au paragraphe 12. À cet égard, une somme globale qui se situe entre 25 et 50 p. 100 des frais réels, plus les débours raisonnables, est souvent accordée : Nova c. Dow, précité, aux paragraphes 17 et 21; Seedlings, précitée, au paragraphe 6; Bauer, précitée, au paragraphe 13. Voir également Loblaws Inc. c. Columbia Insurance Company, 2019 CF 1434, au paragraphe 15. Pour en venir à la taxation en l’espèce, il faut garder à l’esprit que la détermination de l’ordre de grandeur de la somme globale « n’est pas une science exacte » : Nova c. Dow, précité, au paragraphe 21.
[27] En ce qui concerne la somme globale, je tiens à souligner les observations suivantes formulées par la CAF au paragraphe 11 de l’arrêt Nova : d’une part, les dépens sous la forme d’une somme globale contribuent à la réalisation de l’objectif des Règles d’apporter « une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible »
(article 3 des Règles) et, d’autre part, lorsqu’il peut adjuger les dépens sous la forme d’une somme globale, le tribunal n’a pas à faire une analyse détaillée et les audiences portant sur l’adjudication des dépens ne se transforment pas en exercice de comptabilité.
[28] La CAF ajoute ceci : « [i]l peut convenir d’adjuger une somme globale dans des affaires relativement simples ou encore dans des affaires particulièrement complexes où un calcul précis des dépens serait inutilement laborieux et onéreux :
Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 157 au para 11 »
(Nova, au para 12). Au paragraphe 15 de l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 157, la CAF a déclaré que « […] la Cour devrait, lorsqu’elle adjuge une somme globale tenant lieu de dépens taxés, s’inspirer le plus possible des normes établies dans le tableau du tarif B »
.
[29] Dans le contexte des litiges en matière de brevets, la Cour juge généralement que l’échelon supérieur de la colonne IV est approprié (Sanofi‑Aventis Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 CF 1138 au para 14); Adir c Apotex inc., 2008 CF 1070 aux para 10‑12; Eurocopter c Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 842 au para 22, conf par 2013 CAF 220; Apotex Inc. c H. Lundbeck A/S, 2013 CF 1188 au para 10).
[30] De plus, certaines circonstances justifient une majoration des dépens, c’est‑à‑dire des dépens plus élevés que ce que prévoit le tarif. Les deux principaux motifs invoqués pour solliciter une adjudication de dépens majorés en vertu du pouvoir discrétionnaire général sont (1) la sanction d’une conduite répréhensible et (2) le fait que le barème par défaut accorderait une indemnisation inadéquate dans le cas d’une procédure particulièrement coûteuse ou complexe. En ce qui concerne la question du litige coûteux et complexe, le tribunal doit examiner la question de savoir si le barème par défaut du tarif serait injuste parce qu’il ferait en sorte que la partie ayant obtenu gain de cause ne serait pas suffisamment indemnisée (Crocs Canada Inc. c Holey Soles Holdings Ltd., 2008 CF 384 au para 2).
[31] Dans l’arrêt Nova, la CAF reconnaît l’existence d’une tendance de la part des tribunaux à adjuger une somme globale calculée selon un pourcentage des frais qui ont été raisonnablement engagés, citant Philip Morris; H‑D U.S.A., LLC c Berrada, 2015 CF 189; Eli Lilly and Company c Apotex Inc., 2011 CF 1143.
[32] Au paragraphe 15 de l’arrêt Nova, la CAF examine également les considérations en matière de preuve, mentionnant que « [l]’adjudication d’une somme globale au titre des dépens doit être justifiée au regard des circonstances de l’affaire et des objectifs qui sous‑tendent l’adjudication des dépens. Il ne s’agit pas d’en fixer le montant ou le pourcentage de façon arbitraire ».
La CAF examine ces considérations au regard des frais juridiques (Nova, aux para 16 à 19).
[33] En ce qui concerne le fardeau de la preuve, les parties devraient fournir à la fois un mémoire de frais et des éléments de preuve étayant les frais effectivement engagés (Nova, au para 18). « Ainsi, la preuve de la nature et de l’étendue des services fournis doit être suffisante pour permettre à la partie de prendre une décision éclairée quant au règlement des frais ou à leur contestation et à la Cour de conclure au caractère raisonnable des frais effectivement engagés et du pourcentage adjugé dans le cadre d’un litige »
(Nova, au para 18).
[34] Dans la décision Georgetown, la Cour a fait observer que « [d]ans ses observations du 4 septembre 2020 au sujet des dépens, Tetra Tech n’a produit aucun relevé détaillé de ses frais juridiques ni de copies de factures pour démontrer la nécessité ou le caractère raisonnable de ses débours. Elle n’a soumis que des tableaux indiquant les montants en question »
(Georgetown, au para 18. Voir également le paragraphe 28 portant sur les éléments de preuve insuffisants produits). Dans la décision Teva Canada Limited c Janssen Inc., 2018 CF 1175 [Bortezomib], le juge Locke a fait part de ses hésitations devant le fait que, même si Teva a fourni des données au sujet des honoraires facturés par ses avocats, il était difficile d’apprécier leur caractère raisonnable.
[35] En ce qui concerne les débours, « [l]orsque l’avocat ne connaît pas le montant des débours, il convient généralement de fournir par affidavit à la Cour la preuve qu’ils ont effectivement été engagés et qu’ils étaient raisonnablement requis »
(Nova, au para 20). Conformément à ce qui est indiqué au paragraphe 1(4) du tarif B, aucun débours n’est taxé ou accepté aux termes du tarif B à moins qu’il ne soit raisonnable et que la preuve qu’il a été engagé par la partie ou est payable par elle n’est fournie par affidavit ou par l’avocat qui comparaît lors de la taxation. La CAF a réitéré ce principe, affirmant qu’une partie est autorisée à recouvrer les débours lorsque ceux‑ci sont raisonnables et nécessaires au déroulement de l’instruction (Exeter c Canada (Procureur général), 2012 CAF 153 au para 13, citant Merck & Co. c Apotex Inc., 2006 CF 631).
[36] En outre, la CAF précise que les débours ne peuvent être accordés sans preuve concrète : « [s]ans autre preuve que le fait que ces frais doivent être engagés normalement dans le cadre d’une action en justice, il m’est difficile de juger de la nécessité et du caractère raisonnable des déboursés demandés »
(Bell c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2000 CanLII 15565 (CAF) au para 5). La CAF affirme également que « [l]a taxation permettant de déterminer si une réclamation au titre des débours était admissible, effectivement dépensée et raisonnable ne peut être sacrifiée au nom de la simplicité »
(Apotex Inc. c Shire LLC, 2021 CAF 54 au para 28 [Shire]). Citant le paragraphe 20 de l’arrêt Nova, la CAF réitère qu’une réclamation au titre des débours devrait être étayée par des éléments de preuve sous la forme d’un affidavit (Shire, au para 28).
IV. Application aux faits de l’espèce
A. Requête pour directives
[37] Je fais remarquer d’emblée que les parties sont d’avis que la requête pour directives, présentée en vertu de l’article 403 des Règles, est appropriée. Compte tenu des circonstances de l’affaire et à la lumière de la jurisprudence pertinente (voir par exemple Consorzio del Prosciutto di Parma c Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417 [Consorzio del Prosciutto]; Apotex Inc. c Bayer AG, 2005 CAF 128; Maytag Corp. c Whirlpool Corp., 2001 CAF 250), je conviens qu’elle est appropriée.
B. Dépens pour chaque défenderesse
[38] Je ne suis pas convaincue que les défenderesses ont eu tort de se fonder sur la décision Packers de la Cour et je suis d’avis que chaque défenderesse a droit à l’adjudication de ses dépens. Je fais remarquer tout d’abord que la preuve présentée par Lilly dans la pièce A jointe à l’affidavit Paterson mentionnait une tentative de la part de toutes les défenderesses de recourir aux mêmes témoins et rapports d’experts – et non à un engagement ferme à cet égard.
[39] Dans la décision Packers, même si les actions avaient été regroupées, le juge a conclu que les défenderesses devraient recevoir des sommes globales individuelles équivalant à 40 % des frais, plus des débours raisonnables (Packers, au para 3). La Cour a d’abord examiné la question de savoir si les défenderesses devaient se voir adjuger des dépens individuels (Packers, au para 3). Dans cette affaire, les demanderesses, ou défenderesses reconventionnelles, [désignées collectivement sous le nom de Packers] ont fait valoir que « […] les défenderesses devraient se voir attribuer un montant collectif pour les dépens, compte tenu des intérêts partagés entre elles et des gains d’efficacité qui ont résulté de la tenue d’un procès conjoint »
(Packers, au para 3). Packers a également soutenu que les intérêts des défenderesses étaient convergents et qu’il n’y avait aucun risque de conflit entre elles, de sorte qu’elles auraient toutes pu être représentées par le même avocat. Selon Packers, il serait inapproprié de compenser des frais qui se chevauchent (Packers, au para 4).
[40] La Cour n’était pas d’accord avec Packers et a conclu que les défenderesses avaient droit à une adjudication de dépens distincte (Packers, au para 4). La Cour a souligné que l’ordonnance portant réunion des instances a simplement permis de fusionner les questions de validité, et les coûts associés, afin que ces questions puissent être plaidées ensemble. L’ordonnance ne prévoit nulle part qu’il doit y avoir un seul mémoire de frais (Packers, au para 4). En ce qui concerne l’argument de Packers selon lequel les intérêts des défenderesses étaient convergents, la Cour n’était pas du même avis (Packers, au para 4). Le juge a conclu qu’une somme globale était plus appropriée, étant donné la nature complexe de l’affaire (Packers, au para 5). La Cour a également déclaré que cette « […] approche mènerait à une réduction arbitraire des frais des défenderesses et ne permettrait le remboursement que de 10 % de leurs frais taxables »
(Packers, au para 5).
[41] En l’espèce, étant donné les éléments de preuve et les faits en cause, je suis convaincue, tout le juge dans l’affaire Packers, que chaque défenderesse a droit à l’adjudication de ses dépens.
C. Caviardage des renseignements protégés
[42] L’affidavit de M. Howes indique que des parties du contenu des dossiers qui sont protégées ou qui ne sont pas invoquées dans le cadre de la présente requête ont été caviardées. Plus particulièrement, Mylan présente plus de 2 500 inscriptions au dossier, dont 610 ont été retirées de la taxation et 368 dossiers ont été caviardés en partie afin d’inclure seulement les parties de l’inscription au dossier pour lesquelles des dépens sont demandés.
[43] Je suis d’avis que le caviardage effectué est justifié. Je suis également d’avis que les renseignements qui restent sont suffisamment détaillés et que le secret professionnel de l’avocat justifie le caviardage. Mylan a fourni une preuve exhaustive de la nature et de l’ampleur des frais juridiques qu’elle réclame à l’égard de la présente requête. Cette preuve comprend des factures indiquant les dossiers de l’avocat de Mylan, qui contiennent, pour chaque inscription au dossier, une description du travail effectué, les heures consacrées à ce travail et le montant facturé.
[44] De plus, Lilly n’a invoqué aucun précédent à l’appui de sa prétention selon laquelle les dossiers destinés à un client ne contiennent pas, ne peuvent pas contenir ou ne devraient pas contenir de renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dont bénéficie le client. De plus, la décision Stevens c Canada (Premier ministre), [1997] 2 CF 759 (conf par Stevens c Canada (Premier ministre), [1998] 4 CF 89 (CAF)), confirme que des parties des relevés de services d’avocats peuvent être assujetties au secret professionnel de l’avocat. Rien n’indique que Mylan ait renoncé expressément ou implicitement au secret professionnel et elle a par conséquent droit de s’en prévaloir.
[45] Je souligne également l’ordonnance du juge adjoint Aalto, datée du 19 mai 2021, dans les dossiers T‑1569‑15, T‑1741‑13 et T‑1728‑15, dans laquelle la Cour déclare, au paragraphe 2, que le dossier caviardé constitue un facteur dont il faut tenir compte. En ce qui a trait au caviardage relatif au secret professionnel de l’avocat, la Cour conclut que [traduction] « […] ces dossiers sont relativement modestes et [qu’]il est réaliste qu’un certain secret professionnel de l’avocat s’applique à certaines inscriptions »
. L’ordonnance du juge adjoint Aalto datée du 19 mai 2021 a depuis été confirmée en appel dans la décision Packers Plus Energy Services Inc. c Essential Energy Services Ltd, 2021 CF 986.
[46] Je suis convaincue que les éléments de preuve présentés par Mylan permettent une taxation au regard des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles. De plus, le caviardage partiel des dossiers afin de protéger des renseignements protégés ne m’empêche pas d’évaluer les critères énoncés au paragraphe 400(3) des Règles.
D. Preuve concernant les dépens liés à l’action relative au brevet 684
[47] Par suite d’une entente entre les parties visant à régler toutes les questions liées aux dépens relatifs aux brevets 540 et 948, seuls les frais liés au brevet 684 de Mylan peuvent faire l’objet d’une indemnisation à l’heure actuelle.
[48] Toutefois, Lilly fait valoir que Mylan a présenté des dossiers pour lesquels la nature du travail effectué n’est, au mieux, pas claire et/ou se rapporte à des questions pour lesquelles les parties ont convenu qu’il n’y aurait aucuns dépens (p. ex., pièce PP de l’affidavit Paterson). Citant les paragraphes 22 et 23 de la décision Bristol‑Myers Squibb Co, Lilly est d’avis que Mylan ne s’acquitte pas de son fardeau d’établir que les dépens sont liés uniquement au brevet 684. Plus particulièrement, Lilly est d’avis qu’aucun poids ne devrait être accordé à la preuve par affidavit de Mylan parce que : (1) le déposant de Mylan n’a aucune connaissance personnelle puisqu’il a été embauché en août 2020, après la fin du procès, et il ne divulgue pas la source des renseignements; (2) Mylan n’a pas recouru aux personnes qui ont une véritable connaissance de ces inscriptions aux dossiers. Lilly renvoie notamment à l’un des avocats de Mylan (Y. Konarski) qui a facturé 364 226,00 $, avant taxe, et qui a quitté le cabinet d’avocats de Mylan avant le procès sur le brevet 684.
[49] Selon le paragraphe 81(2) des Règles, le fait pour une partie de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits peut donner lieu à des conclusions défavorables. Les affidavits qui contiennent des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant devraient expliquer pourquoi la meilleure preuve n’est pas offerte, à moins que la raison ne soit évidente (Kootenhayoo c Première Nation d’Alexis (Conseil), 2003 CF 1128). Toutefois, une preuve n’est pas irrecevable simplement parce qu’il ne s’agit pas de la meilleure preuve qui aurait pu être produite (Première Nation Crie de Tataskweyak c Sinclair, 2007 CF 1107 au para 26).
[50] M. Howes déclare ceci : [traduction] « Lorsque je n’ai pas une connaissance directe des questions contenues dans le présent affidavit, j’ai souligné la source des renseignements et je crois qu’ils sont véridiques »
. M. Howes confirme dans son affidavit que les frais juridiques de Mylan ont été révisés à la baisse pour ne tenir compte que des frais engagés relativement au brevet 684 (affidavit Howes au para 51). Il affirme que l’examen d’environ 2 500 dossiers a été effectué comme suit :
[traduction]
a) Les dossiers relatifs à des activités qui concernent uniquement le brevet 948 et le brevet 540 ont été exclus de la taxation, à moins que les dossiers ne portaient sur le travail nécessaire relativement au brevet 684 ou à l’ensemble de l’instance, auquel cas les dossiers ont été inclus dans la taxation avec les déductions jugées raisonnables;
i) Les déductions ont été effectuées sous la forme d’un pourcentage réclamé;
ii) Le pourcentage réclamé reflète la tentative des avocats de Mylan, agissant de bonne foi, de déterminer, selon la description de chaque dossier et le souvenir indépendant de ces avocats, quelle partie du dossier portait sur des événements qui étaient liés à la défense et demande reconventionnelle de Mylan contre les revendications du brevet 684 de Lilly ou à la défense générale dans le cadre de l’instance qui était autrement requise, et devrait donc être incluse;
a) Tous les dossiers relatifs aux activités associées au brevet 784 ont été exclus de la taxation, et le partage des dossiers a été effectué d’une manière semblable à celle qui est décrite à l’alinéa a) ci‑dessus, au besoin;
b) Tous les dossiers portant sur du travail effectué en lien avec des allégations relatives à des questions de droit d’auteur et de marques de commerce, retirés au début de l’instance étant donné qu’il a été convenu qu’aucuns dépens ne devaient être adjugés relativement à ces questions, ont été exclus de la taxation;
c) Tous les dossiers liés à des requêtes contestées ont été exclus de la taxation, à l’exception des requêtes relatives aux procès, qui ont été incluses.
[51] Je suis convaincue que la preuve, même si elle n’est pas parfaite, est suffisamment fiable pour établir les frais juridiques réellement engagés dans le cadre du litige concernant le brevet 684.
E. Somme globale
[52] Après avoir examiné les circonstances de l’affaire, je suis convaincue qu’une adjudication de dépens sous la forme d’une somme globale est justifiée. L’adjudication d’une somme globale au titre des dépens est particulièrement indiquée dans les instances complexes opposant des plaideurs expérimentés et dans le contexte d’un litige commercial : SNF Inc. c Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited, 2018 CF 245 au para 3). De plus, comme l’a souligné la CAF au paragraphe 11 de l’arrêt Nova, le tribunal évitera ainsi des analyses détaillées et un exercice de comptabilité.
F. Adjudication de dépens plus élevés que ce que prévoit le tarif
[53] Je suis également convaincue qu’il est raisonnable et approprié en l’espèce d’accorder des dépens élevés, c’est‑à‑dire supérieurs au tarif, et de calculer le montant de ces dépens en fonction d’un pourcentage des frais juridiques réellement engagés par Mylan, montant qui sera versé sous la forme d’une somme globale. Des dépens élevés sont justifiés en l’espèce, compte tenu de l’importance et de la complexité des questions et de la charge de travail. Il s’agissait d’une instance complexe portant sur des brevets de médicaments, les parties sont expérimentées, leurs frais juridiques dépassaient largement les montants prévus au tarif B, et elles « peuvent répondre aux mesures incitatives qu’offrent les dépens »
: (Allergan, au para 38, citant Bauer, au para 22).
[54] Mylan a obtenu gain de cause relativement au brevet 684 dans sa demande reconventionnelle fondée sur l’évidence et l’antériorité. Comme je l’ai mentionné plus tôt, le fait qu’elle n’ait pas obtenu gain de cause relativement à tous les motifs d’invalidité qu’elle a soulevés ne constitue pas un « succès partagé »
ni un « succès partiel »
justifiant une réduction des dépens, comme l’a expliqué le juge en chef Crampton dans Allergan au paragraphe 31. J’estime également que je suis liée par les arrêts de la CAF portant sur cette question.
[55] La charge de travail était considérable. L’action a été intentée le 28 septembre 2016, plus de trois ans avant le début du procès. Elle a donné lieu à un procès commun de 14 jours relativement au brevet 684, qui a commencé le 5 décembre 2019. Le procès a porté sur de nombreuses questions complexes en matière de droit des brevets, concernant notamment l’interprétation des revendications, les connaissances générales courantes, l’évidence, l’antériorité, la méthode de traitement médical et la contrefaçon. Même si d’autres questions comme l’inutilité et la divulgation insuffisante n’ont pas été abordées dans la plaidoirie finale, elles sont demeurées des questions en litige tout au long de l’action et du procès parce que Lilly n’avait pas adopté précédemment de position claire quant à l’interprétation du brevet 684 et des revendications. Les observations finales écrites des parties comptaient 75 pages et comportaient de nombreuses citations et un recueil y était annexé. Lilly a présenté un document supplémentaire portant sur l’un des témoignages d’expert.
[56] Comme notre Cour l’a fait observer, « [h]abituellement, un litige portant sur un brevet est complexe; en outre, la question de l’évidence figure habituellement parmi les questions juridiques les plus complexes qui sont soulevées dans un litige en matière de brevets »
(Bortezomib, au para 14). Je suis convaincue que les questions entendues et tranchées entre décembre 2019 et décembre 2020 relativement au brevet de médicament étaient complexes.
[57] Chacune des parties reproche à son adversaire certains comportements. Vu l’objectif de l’adjudication d’une somme globale et afin d’éviter un examen détaillé des circonstances, j’accorderai un poids neutre à ce facteur. Il y a de part et d’autre diverses allégations de fausses déclarations et d’accusations de retards, et je ne peux pas récompenser une partie au détriment de l’autre ou sanctionner l’une d’elles dans ces circonstances. Par conséquent, je ne tiens compte d’aucune de ces allégations. Chacune des parties a défendu vigoureusement l’intérêt de son client selon les moyens qu’elle avait, ou parfois n’avait pas, à sa disposition. Ainsi, je ne réduirai pas les montants de 40 % comme l’a proposé Lilly.
[58] Je conclus que, dans ces circonstances, les dépens, même calculés en fonction de l’échelon supérieur de la colonne V du tarif B, ont peu à voir avec l’objectif de la contribution raisonnable au coût du litige (Nova, au para 13).
[59] Après examen de la preuve et déduction des dépens de Lilly relativement à la requête en radiation (9 783,26 $) et des autres dépens jugés non admissibles en fonction de la pièce KKK de Lilly (sauf les inscriptions caviardées), je conclus que les frais raisonnables payés par Mylan s’apparentent davantage à un montant net de 2 241 814 $.
[60] J’accorderai à Mylan 30 % de ces frais juridiques.
G. Débours
[61] Mylan sollicite des débours totaux de 141 888 $, taxe comprise.
[62] En ce qui concerne les débours, la Cour doit se prononcer sur quatre points, car Lilly s’oppose (1) aux coûts de livres, d’articles, de bases de données en ligne, (2) aux indemnités de témoin pour le Dr Porst (4 312,50 $), (3) aux frais de comparution et des interrogatoires préalables et (4) aux frais de déplacement et d’hébergement. Lilly préconise ainsi un montant total de 118 583,79 $ au titre des débours, taxe comprise.
[63] Je suis d’avis que les arguments de Lilly sont convaincants et que les débours qu’elle met en évidence ne sont pas raisonnables. Le montant autorisé au titre des débours est donc réduit à 118 583,79 $, taxe comprise.
H. Intérêts après jugement
[64] Lilly s’oppose à ce que des intérêts soient accordés, faisant valoir que Mylan n’a pas demandé cette réparation dans son avis de requête pour directives fondé sur l’article 403 des Règles, ce qui, selon Lilly, constitue une lacune fatale. Lilly ajoute que les intérêts après jugement sont inclus dans les sommes globales (voir Seedlings, au para 33, aux paragraphes 57 à 61 de Bortezomib et au paragraphe 19 de Safe Gaming System Inc. c Société des loteries de l’Atlantique, 2018 CF 871).
[65] Selon le paragraphe 4 de l’arrêt Rahman c Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117 [Rhaman], l’objectif d’un avis de requête est de fournir au destinataire un avis suffisant de l’ordonnance sollicitée et des motifs sur lesquels repose la demande et de dire avec exactitude à la Cour ce que l’on réclame et pourquoi. Dans cette affaire, la requête n’a pas été rejetée parce que le demandeur n’avait subi aucun préjudice et qu’il y avait intérêt à trancher l’affaire efficacement et rapidement (Rhaman, au para 5). Lilly n’a présenté aucune preuve d’un préjudice subi. Dans son avis de requête pour directives, Mylan a demandé [traduction] « toute autre mesure d’indemnisation que la Cour peut juger juste »
, ce qui, de toute façon, permet à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour ordonner des intérêts malgré le fait que Mylan n’a pas demandé cette réparation particulière dans sa requête.
V. Conclusion
[66] Pour les motifs exposés précédemment, j’accorderai donc à Mylan des dépens totaux de 878 218 $, comprenant frais, débours et taxe, ainsi que des intérêts après jugement au taux de 2 % à compter de la date de la présente ordonnance.
ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‑1627‑16
LA COUR ORDONNE que :
1. Mylan a droit à des dépens totaux de 878 218 $, comprenant frais, débours et taxe, ainsi qu’à des intérêts après jugement au taux de 2 % à compter de la date de la présente ordonnance.
2. Aucuns dépens ne sont adjugés à l’égard de la présente requête.
« Martine St‑Louis »
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo
ANNEXE
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Dossier :
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T‑1627‑16
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INTITULÉ :
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ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION et MYLAN PHARMACEUTICALS ULC.
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LEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 18 OCTOBRE 2021
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ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS
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LA JUGE ST‑LOUIS
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DATE DES MOTIFS :
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LE 6 JANVIER 2023
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COMPARUTIONS :
Mme Chantal Saunders
Mme Beverley Moore
M. Adrian Howard
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Pour les demanderesses/défenderesses reconventionnelles
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M. Bradley White
M. Nathaniel Lipkus
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Pour les défenderesses/demanderesses reconventionnelles
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.
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Pour les demanderesses/défenderesses reconventionnelles
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Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.
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Pour les défenderesses/demanderesses reconventionnelles
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