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Date : 20230908


Dossier : IMM-3482-22

Référence : 2023 CF 1216

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

GURMEET KUMAR MADAAN

GEETA MADAAN

SHAGUN MADAAN (REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, GURMEET KUMAR MADAAN)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Résumé

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 21 mars 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) et a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La SAR a conclu que la question déterminante concernait l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans les villes indiennes de Delhi, de Mumbai, de Kolkata et de Bengaluru.

[2] Les demandeurs soutiennent que la SAR a évalué de manière déraisonnable le dossier de preuve et la question de l’existence d’une PRI, ce qui rend la décision déraisonnable.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Faits

A. Demandeurs

[4] Gurmeet Kumar Madaan (le demandeur principal), son épouse, Geeta Madaan (la demanderesse associée), et leur fille (la demanderesse mineure) sont des citoyens indiens. Le demandeur principal et la demanderesse associée ont deux autres enfants, qui résident en Inde chez des membres de la famille.

[5] Le demandeur principal affirme qu’il a aidé son père à gérer le magasin général de ce dernier dans le village de Bhunna, situé dans l’État de l’Haryana en Inde. Comme son père prend de l’âge et avait besoin davantage d’aide pour s’occuper du magasin, le demandeur principal a embauché un travailleur provenant d’un village voisin, Balbir Singh (M. Singh). M. Singh se serait occupé du commerce en l’absence du demandeur principal.

[6] Le demandeur principal aurait appris que, durant ses absences, M. Singh utilisait le magasin général comme lieu pour rencontrer ses connaissances. Le demandeur principal aurait demandé à M. Singh de ne plus inviter ses amis au magasin. M. Singh a cessé de travailler au magasin général en décembre 2015.

[7] Le demandeur principal prétend que, le 24 février 2016, des agents de la police locale ont perquisitionné à son domicile et l’ont arrêté. Au poste de police, les agents ont interrogé le demandeur principal au sujet de M. Singh, qualifiant ce dernier d’activiste. Le demandeur principal affirme que la police l’a torturé pendant qu’elle l’interrogeait sur les allées et venues, les activités et les connaissances de M. Singh. La police aurait accusé le demandeur principal d’être complice des activistes en leur fournissant un refuge, une aide financière et un lieu de rencontre.

[8] Le demandeur principal affirme que la police l’a libéré quatre jours plus tard, le 28 février 2016. Il prétend que sa famille a versé à la police un pot-de-vin de 80 000 roupies afin d’obtenir sa libération, et que la police l’a libéré à condition qu’il retrouve M. Singh et qu’il transmette tous les mois à la police des renseignements sur les activistes. Le demandeur principal affirme que des policiers sont venus deux fois au magasin général après sa libération.

[9] Le demandeur principal soutient que, lorsque le moment est venu de communiquer à la police des renseignements sur les activistes, conformément à ses conditions de libération, il ne disposait d’aucun nouveau renseignement et craignait pour sa sécurité. Il affirme que la police a fait une descente chez lui le 28 mars 2016. Il soutient qu’il n’était pas chez lui lorsque des policiers ont menacé des membres de sa famille et les ont physiquement maltraités. La police aurait menacé les membres de la famille du demandeur principal de les tuer si ce dernier ne se présentait pas au poste de police.

[10] Alors qu’il se cachait dans le village d’Alampur, situé dans le district d’Agra, le demandeur principal a appris que son père était décédé le 7 avril 2016 des suites des blessures qu’il avait subies lors de la prétendue attaque policière en mars 2016. Le demandeur principal affirme qu’il n’a pas assisté aux derniers rites de son père, par crainte d’être persécuté par la police. Il affirme que sa mère est décédée le 10 juillet 2016 et qu’il n’a pas pu non plus assister aux derniers rites.

[11] Les demandeurs soutiennent que, le 20 juillet 2016, deux jours seulement après que la demanderesse associée a consulté un avocat au sujet de leurs problèmes avec la police, la demanderesse associée a été arrêtée et emmenée au poste de police, où elle aurait été maltraitée, menacée et violée par des agents. La demanderesse associée aurait révélé aux policiers où se trouvait le demandeur principal, après quoi ils seraient partis à la recherche de ce dernier à Alampur. Le demandeur principal affirme qu’il s’est enfui avant que la police ne puisse le trouver parce qu’il avait été informé de l’arrestation de sa femme. La demanderesse associée a été libérée deux jours après son arrestation, le 22 juillet 2016, après que des membres du conseil du village et des voisins ont payé un pot-de-vin.

[12] Le demandeur principal se serait caché à Delhi avec l’aide d’un agent. La demanderesse associée et la demanderesse mineure l’ont rejoint plus tard. Tous trois sont restés cachés. L’agent aurait obtenu des visas canadiens et organisé le voyage au Canada pour le demandeur principal, la demanderesse associée et leur plus jeune enfant, lesquels ont quitté l’Inde en octobre 2016. Les deux autres enfants du demandeur principal et de la demanderesse associée sont restés en Inde, chez des membres de la famille.

[13] En février 2018, les demandeurs ont présenté des demandes d’asile au motif qu’ils craignaient d’être persécutés par la police indienne.

B. Décision de la SPR

[14] Dans sa décision du 14 octobre 2021, la SPR a rejeté les demandes d’asile et a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La SPR a conclu que la question déterminante concernait l’existence d’une PRI à Delhi, à Mumbai, à Kolkata et à Bengaluru.

[15] Le critère servant à établir l’existence d’une PRI viable comporte deux exigences : 1) il ne doit pas y avoir de possibilité sérieuse de persécution ou de risque de préjudice dans la PRI envisagée, et 2) il doit être raisonnable pour le demandeur, compte tenu de sa situation, de s’installer dans l’endroit désigné comme PRI (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1992] 1 CF 706). Le deuxième volet du critère impose au demandeur un lourd fardeau de preuve, soit de démontrer que l’installation dans l’endroit désigné comme PRI serait déraisonnable (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1367).

[16] En ce qui concerne le premier volet, la SPR a conclu que les éléments de preuve au dossier ne permettaient pas d’établir que la police du village des demandeurs aurait la motivation de poursuivre ces derniers dans les endroits désignés comme PRI. Compte tenu du fait que les policiers avaient libéré le demandeur principal et la demanderesse associée après le paiement de pots-de-vin, la SPR a jugé que les éléments de preuve démontraient que la motivation de la police reposait sur des considérations financières, et non sur un désir de poursuivre un activiste présumé. La SPR a précisé que les demandeurs n’avaient pas fourni de renseignements sur les tentatives de la police pour les retrouver après leur arrivée au Canada. Elle a conclu qu’il n’existait aucune preuve démontrant que la police continuerait à poursuivre les demandeurs à des fins d’extorsion cinq ans après leur départ de l’Inde ni que le corps policier de l’un des lieux désignés comme PRI participerait à ce stratagème d’extorsion.

[17] En ce qui concerne les moyens dont dispose la police pour retrouver les demandeurs dans les lieux désignés comme PRI, la SPR a indiqué que le témoignage des demandeurs selon lequel la recherche d’un logement dans un nouvel endroit obligerait ces derniers à présenter leur carte d’identité nationale (la « carte aadhaar »), ce qui déclencherait un processus de vérification et permettrait à la police du village d’où proviennent les demandeurs de découvrir où ils se trouvent. Le SPR a fait référence au cartable national de documentation (le CND) pour l’Inde, indiquant qu’il existe des lois pour empêcher l’utilisation des données biométriques de la carte aadhaar dans le cadre d’enquêtes criminelles, et que la police ne dispose d’aucun accès légal aux données de la carte aadhaar dans ses bases de données. La SPR a estimé que l’utilisation de la carte aadhaar ne permettait pas en soi d’établir que la police serait en mesure de retrouver les demandeurs dans les endroits désignés comme PRI.

[18] La SPR a souligné que, bien que le processus de vérification des locataires requiert généralement une vérification des antécédents criminels, le CND indique que, dans la pratique, les propriétaires n’effectuent pas régulièrement cette vérification et que la police n’est pas équipée pour mener à bien ce processus. Par conséquent, la SPR a estimé qu’il n’y avait aucune preuve démontrant que les demandeurs avaient été accusés d’un crime ou que leurs renseignements figuraient dans la base de données sur les criminels, et donc que le processus de vérification des locataires donnerait lieu à des communications interétatiques entre services de police. La SPR a aussi jugé que, au vu des éléments de preuve objectifs, l’Inde ne disposait d’aucune base de données centralisée sur les criminels qui pourrait être utilisée pour retracer les demandeurs dans les endroits désignés comme PRI et, bien que le Réseau de suivi des crimes et des criminels (le CCTNS) tendait à mettre en place un tel système à l’échelle nationale, des différences considérables subsistaient entre les États, rendant difficile le repérage des personnes en Inde au moyen du CCTNS. Constatant que le demandeur principal et la demanderesse associée avaient été libérés après le paiement de pots-de-vin, ce qui laissait penser que leurs arrestations étaient extrajudiciaires, la SPR a estimé que les éléments de preuve objectifs indiquaient que ces arrestations extrajudiciaires n’étaient pas consignées dans le CCTNS.

[19] En ce qui concerne le second volet du critère d’évaluation d’une PRI, la SPR a tenu compte du témoignage des demandeurs eu égard aux difficultés qu’ils rencontreraient en se réinstallant dans l’un des endroits désignés comme PRI pour ce qui est de l’emploi, des différences linguistiques et culturelles, et de l’insécurité et de la criminalité en général. La SPR a conclu que les facteurs mentionnés ne satisfaisaient pas au critère élevé à remplir pour établir qu’une installation dans l’un des endroits désignés comme PRI serait déraisonnable compte tenu de la situation des demandeurs. Même si la demanderesse associée ne trouvait pas de travail en Inde, le demandeur principal, grâce à sa scolarité, ses compétences entrepreneuriales et son expérience professionnelle au Canada, serait en mesure de trouver un emploi et de subvenir aux besoins de sa famille. La SPR a également constaté que les demandeurs n’avaient fourni aucun élément de preuve propre aux différences culturelles ou linguistiques existant dans les endroits désignés comme PRI qui permettrait de démontrer que les difficultés qui en résulteraient rendraient déraisonnable l’installation dans un nouvel endroit, et qu’ils n’avaient pas présenté d’éléments de preuve indiquant qu’ils seraient confrontés à un risque accru en matière de violence ou de criminalité dans les endroits désignés comme PRI.

[20] Pour les motifs qui précèdent, la SPR a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

C. Décision faisant l’objet du contrôle

[21] Dans une décision du 21 mars 2022, la SAR a rejeté l’appel des demandeurs et a confirmé la conclusion selon laquelle les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, au motif qu’ils disposaient d’une PRI viable.

[22] En ce qui concerne le premier volet du critère relatif à la PRI, la SAR a indiqué que les services de police en Inde étaient organisés par État et que l’agent de persécution présumé était la police de l’Haryana. La SAR a estimé que les éléments de preuve ne suffisaient pas à démontrer que la police de l’Haryana avait les moyens ou la motivation de poursuivre les demandeurs dans les endroits désignés comme PRI. Selon toute vraisemblance, la police s’intéressait aux demandeurs parce qu’elle était à la recherche de M. Singh, et non parce qu’elle craignait une participation du demandeur principal à des activités militantes. Eu égard aux éléments de preuve provenant du CND et démontrant que la police pouvait déployer des efforts interétatiques pour retrouver des personnes en cas de terrorisme, la SAR a estimé que cela ne s’appliquait pas au demandeur principal.

[23] En appel, les demandeurs ont soutenu que la SPR avait commis une erreur dans son évaluation de la motivation de la police à les poursuivre, et que, après leur départ de l’Inde, la police avait démontré sa motivation par les visites qu’elle avait rendues aux domiciles des membres de la famille des demandeurs dans l’Uttar Pradesh et dans l’Haryana. Toutefois, la SAR a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir que ces visites avaient eu lieu et que la police s’était renseignée au sujet des allées et venues des demandeurs depuis que ceux-ci avaient quitté l’Inde.

[24] En ce qui concerne les moyens à la disposition de la police pour retrouver les demandeurs dans les endroits désignés comme PRI, la SAR a fait remarquer que les éléments de preuve du CND indiquaient qu’il y avait généralement peu de communications interétatiques entre les services de police en Inde et que les postes de police du pays travaillaient pratiquement de manière isolée en ce qui concerne le suivi de la criminalité et le stockage des données. La SAR a également souligné que, bien que les demandeurs aient prétendu que les policiers avaient pu retrouver le demandeur principal dans l’Uttar Pradesh lorsqu’il s’y cachait, la police avait réussi à retracer ce dernier parce que la demanderesse associée lui aurait révélé où il se trouvait. La SAR a estimé que la police ne serait plus en mesure de retrouver le demandeur principal par l’intermédiaire de la demanderesse associée.

[25] La SAR a également jugé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que les demandeurs avaient été inscrits dans le CCTNS et qu’ils pourraient donc être retrouvés dans l’un des endroits désignés comme PRI, et ce, malgré le témoignage des demandeurs selon lequel la police avait pris leur signature, leur photo et leurs empreintes digitales lors de leur arrestation. Elle a constaté qu’il n’y avait ni mandat, ni premier rapport d’information, ni accusations contre les demandeurs, ce qui donnait à penser que leur détention était extrajudiciaire et que les renseignements s’y rapportant n’avaient donc pas été consignés dans le CCTNS. La SAR a fait remarquer que, selon les éléments de preuve du CND, aucun document officiel sur les arrestations non officielles n’est conservé, y compris dans le CCTNS, le Bureau national des dossiers judiciaires ne recueille pas de données sur les détentions préventives et les renseignements sur les « personnes d’intérêt » ne sont pas non plus consignés dans le CCTNS. La SAR a conclu que les autres cas où la police pourrait retrouver des personnes d’intérêt ne s’appliquaient pas à la situation des demandeurs ni à leurs allégations.

[26] Compte tenu du témoignage des demandeurs selon lequel la procédure de vérification des locataires sur papier permettrait à la police de l’Haryana de les retrouver, la SAR a renvoyé aux éléments de preuve du CND indiquant que les policiers n’étaient pas en mesure de procéder à la vérification des locataires et que la mise en œuvre de la procédure était lacunaire.

[27] En ce qui concerne le second volet du critère relatif à la PRI, la SAR a admis le témoignage des demandeurs selon lequel ceux-ci ne disposaient pas d’un réseau de soutien dans les endroits désignés comme PRI, ne parlaient pas les langues locales et ne maîtrisaient pas l’anglais, et selon lequel le demandeur principal était peu instruit et n’avait pas suffisamment d’argent pour démarrer une entreprise ou trouver un logement en cas d’installation dans un nouvel endroit. La SAR a estimé que les éléments de preuve ne suffisaient pas à démontrer que les difficultés rencontrées lors de l’installation dans un nouvel endroit rendraient celle-ci déraisonnable et atteindraient le seuil élevé du second volet du critère relatif à la PRI. La SAR a finalement conclu que l’installation dans l’un des endroits désignés comme PRI ne serait pas objectivement déraisonnable au vu de la situation des demandeurs.

[28] En appel, les demandeurs ont également fait valoir que la SPR avait fait abstraction des éléments de preuve contenus dans le CND selon lesquels les droits de la personne n’étaient pas nécessairement respectés par la police. La SAR a pris acte de ces éléments de preuve, mais a finalement estimé que, puisque les demandeurs semblaient les invoquer pour laisser entendre qu’ils n’avaient pas accès à la protection de l’État en Inde, ils n’étaient pas pertinents, car l’existence d’une PRI viable était déterminante dans l’appel. La SAR a admis que la police de l’Haryana pouvait faire fi des droits de la personne, mais a jugé que cela n’avait pas d’incidence sur sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient pas établi que la police de l’Haryana aurait les moyens ou la motivation nécessaires pour les poursuivre dans l’un des endroits désignés comme PRI, conformément au premier volet du critère relatif à la PRI.

[29] Pour les motifs qui précèdent, la SAR a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution ou à une menace à leur vie dans les endroits désignés comme PRI, et qu’il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs de s’y installer compte tenu de leur situation. La SAR a donc rejeté l’appel des demandeurs, jugeant que ces derniers n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[30] La présente demande soulève une seule question, soit celle de savoir si la décision de la SAR était raisonnable. Bien que, dans leurs documents écrits, les demandeurs affirment brièvement que la SAR a également manqué à l’équité procédurale, les observations à cet effet sont laconiques et non fondées en l’espèce. Par conséquent, je me concentrerai sur la question du caractère raisonnable de la décision.

[31] La norme de contrôle applicable n’est pas contestée. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16-17, 23-25). Je suis du même avis.

[32] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable appelle la retenue judiciaire, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12-13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le raisonnement suivi et le résultat obtenu (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont est saisi le décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes visées par celle-ci (Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135).

[33] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle comporte une lacune suffisamment capitale ou importante (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle suscite ne justifient pas toutes une intervention. Les cours de révision doivent également s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elles ne doivent pas modifier les conclusions de fait tirées par celui-ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ou constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

IV. Analyse

[34] Bien que les demandeurs soulèvent plusieurs erreurs susceptibles de contrôle dans la décision de la SAR, ils allèguent essentiellement que la SAR n’a pas correctement évalué leur dossier de preuve et a procédé à une évaluation déraisonnable du critère relatif à la PRI compte tenu de leur situation. Selon moi, les demandeurs n’ont soulevé aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR qui justifierait l’intervention de la Cour.

[35] Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve essentiels démontrant qu’ils ne pourraient pas raisonnablement s’installer dans l’un ou l’autre des endroits désignés comme PRI et qu’ils seraient exposés à un risque de persécution par la police s’ils s’y installaient. Ils réitèrent plusieurs des arguments présentés à la SAR pour étayer leur position, à savoir que le demandeur principal est peu instruit et qu’il aurait donc des difficultés à trouver un emploi; qu’ils pourraient être retrouvés dans les endroits désignés comme PRI grâce au système de vérification des locataires; et que les différences culturelles et linguistiques constitueraient un obstacle à leur réinstallation.

[36] Les demandeurs ont également fait valoir que la SAR avait fait plusieurs suppositions déraisonnables au sujet de l’agent de persécution, sans tenir compte du dossier de preuve. La SAR supposait notamment que la police ne déploierait pas d’efforts interétatiques pour retrouver le demandeur principal parce que ce dernier ne présentait pas le profil type d’une personne poursuivie d’un État à l’autre, que le CCTNS n’était pas un outil efficace pour retrouver des individus à travers le pays, et que la police ne pouvait pas raisonnablement savoir que les demandeurs étaient revenus en Inde.

[37] Le défendeur soutient que la SAR a examiné les éléments de preuve de façon adéquate et indépendante, et que les demandeurs n’ont pas démontré que l’appréciation globale de la SAR était déraisonnable. Il affirme que, en ce qui concerne l’examen de la question relative à la PRI, les motifs de la SAR dénotent une analyse approfondie de chaque volet du critère relatif à la PRI, qui tient compte des témoignages et des éléments de preuve des demandeurs. Il fait remarquer que la SAR doit examiner si les éléments de preuve présentés par les demandeurs permettent de démontrer que l’agent de persécution a un intérêt, une quelconque motivation, les moyens ou les ressources nécessaires pour poursuivre les demandeurs dans les endroits désignés comme PRI, et qu’il incombe aux demandeurs de fournir une preuve suffisante à cet effet. Le défendeur est d’avis que la SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de ce fardeau de preuve pour les deux volets du critère relatif à la PRI.

[38] Je remarque d’emblée qu’une grande partie des observations des demandeurs semble avoir pour but de contester l’appréciation par la SAR du dossier de preuve. Sous le couvert de l’allégation selon laquelle la SAR a ignoré des éléments de preuve essentiels, les demandeurs, dans leurs observations, demandent en fait à la Cour d’apprécier à nouveau ces éléments de preuve pour parvenir à une conclusion différente. Or, ce n’est pas là le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, au para 125).

[39] Les documents écrits présentés par les demandeurs font état d’une série d’erreurs qui ne peuvent pas être traitées globalement en l’espèce, puisque certaines de ces erreurs sont brièvement expliquées et d’autres ne sont pas étayées par des renvois à la décision ou au dossier. Bon nombre des observations présentées par les demandeurs pour contester l’évaluation qu’a faite la SAR de la question relative à la PRI ne sont que des répétitions des observations présentées en appel devant la SAR. Dans leurs observations, les demandeurs se livrent à « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » dans les motifs de la SAR et semblent demander à la Cour de faire de même dans la présente demande de contrôle (Vavilov, au para 102). Ce n’est pas non plus le rôle de la Cour dans le contexte du contrôle judiciaire.

[40] En définitive, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les motifs de la SAR démontrent que cette dernière a effectué une évaluation justifiée, transparente et intelligible des allégations des demandeurs, en tenant compte du dossier de preuve et des contraintes factuelles (Vavilov, aux para 99, 125). La SAR a examiné en profondeur chacun des aspects de la preuve et des témoignages des demandeurs avant d’arriver à la conclusion que les éléments de preuve ne permettaient pas de démontrer que les demandeurs seraient exposés à une menace à leur vie émanant de la police de l’Haryana dans l’un ou l’autre des endroits désignés comme PRI, ou que l’installation dans l’un de ceux-ci serait déraisonnable compte tenu de la situation des demandeurs.

[41] En ce qui concerne le premier volet du critère, la SAR a pris en compte le témoignage des demandeurs et a pris acte des éléments de preuve du CND indiquant que la police pouvait poursuivre des individus d’un État à l’autre dans certains cas, mais elle a raisonnablement estimé que les demandeurs n’avaient pas fourni d’éléments de preuve démontrant que le demandeur principal présentait un tel profil ni que le demandeur principal avait déjà été poursuivi dans l’Uttar Pradesh parce que la police l’avait retrouvé de sa propre initiative. Dans le cadre du second volet, la SAR a reconnu les difficultés générales liées à l’installation dans un nouvel endroit invoquées par les demandeurs, telles que les différences linguistiques et les obstacles à l’établissement dus au faible niveau d’éducation du demandeur principal, mais elle a raisonnablement estimé que ces difficultés n’atteignaient pas un niveau excessif qui rendrait l’installation déraisonnable et permettrait aux demandeurs de s’acquitter du lourd fardeau de preuve imposé par le second volet du critère relatif à la PRI. La décision de la SAR fait état d’un mode d’analyse clair établissant un lien entre les éléments de preuve des demandeurs et la conclusion ultime selon laquelle les demandeurs disposent d’une PRI viable (Vavilov, au para 102).

V. Conclusion

[42] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La décision de la SAR était raisonnable compte tenu du dossier de preuve. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3482-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad S. Ahmed »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3482-22

 

INTITULÉ :

GURMEET KUMAR MADAAN, GEETA MADAAN ET SHAGUN MADAAN (REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, GURMEET KUMAR MADAAN) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 MAI 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 SEPTEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Tahir Majeed

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jazmeen Fix

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

TM Law Professional Corporation

Avocats

Brampton (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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