Date: 20010119
Dossier: T-1868-97
MONTRÉAL (QUÉBEC), CE 19e JOUR DE JANVIER 2001
PRÉSENT: ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE
Entre:
MARTIN BEAUDRY
et
JEAN-MARCEL RAYMOND
Demandeurs
ET
JEAN-JACQUES GOLDMAN,
SONY MUSIC ENTERTAINMENT (CANADA) INC.,
CÉLINE DION,
RENÉ ANGÉLIL
et
BEN KAYE
Défendeurs conjoints et solidaires
ET
SOCIÉTÉ DU DROIT DE REPRODUCTION DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE AU CANADA (SODRAC) INC., |
SOCIÉTÉ DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE AU CANADA (SOCAN), |
LA SOCIÉTÉ DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE |
et
LA SOCIÉTÉ POUR L'ADMINISTRATION DU DROIT DE REPRODUCTION MÉCANIQUE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ÉDITEURS (SACEM/SDRM) |
Mises en cause
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:
[1] Il s'agit en l'espèce d'une requête des défendeurs Jean-Jacques Goldman, Céline Dion, René Angélil et Ben Kaye (les défendeurs) pour faire trancher tout près de 225 objections soulevées par les demandeurs lors de l'interrogatoire au préalable de ces derniers.
Contexte
[2] Les demandeurs poursuivent les défendeurs en cette cause pour violation de leurs droits. Les demandeurs soumettent qu'une partie importante de l'oeuvre "Tes lèvres mauves" créée par le demandeur, Martin Beaudry, est reprise dans l'oeuvre "Prière païenne", laquelle est reproduite sur divers supports et exploitée dans le marché. Ils soumettent que l'oeuvre de Beaudry a fait l'objet de diffusions sur les ondes de diverses stations de radio et à une station de télévision, préalablement à la création et l'exploitation de l'oeuvre "Prière païenne".
[3] Dans leurs plaidoyers déposés à l'encontre de l'action intentée contre eux, les défendeurs allèguent ce qui suit.
[4] Quant au défendeur Jean-Jacques Goldman, il se prétend auteur et compositeur de l'oeuvre "Prière païenne", allègue qu'il n'a eu connaissance de l'oeuvre "Tes lèvres mauves" que lorsque la co-défenderesse Sony Music Entertainment (Canada) Inc. (ci-après Sony) l'a informé de la réception d'une mise en demeure, vers le 23 mai 1996.
[5] Goldman soutient qu'il n'a pas eu connaissance des diffusions de l'oeuvre de Beaudry (Tes lèvres mauves) et qu'il n'aurait pas entendu l'oeuvre de Beaudry lors desdites diffusions. Il affirme qu'il n'existe pas de similitudes "significatives" entre l'oeuvre de Beaudry (Tes lèvres mauves) et l'oeuvre "Prière païenne", que la dernière ne reprend conséquemment pas une partie importante de la première, et que les deux oeuvres sont très différentes l'une de l'autre. Enfin il allègue qu'il tiendra responsables les demandeurs des troubles et inconvénients qu'il prétend avoir subis du fait de l'existence du litige. Il prétend que les demandeurs ont « ... profité du fait que les défendeurs soient des personnalités publiques afin de faire pression sur eux en utilisant la menace du battage médiatique qu'ils allaient créer pour leur soutirer des sommes d'argent ... » .
[6] Au surplus, Goldman allègue qu'il est un auteur-compositeur et interprète de talent et qu'il a connu un grand succès, qu'il est influencé par la musique dite gospel et qu'il aurait créé l'oeuvre "Prière païenne" à partir d'une autre oeuvre qu'il aurait créée en 1984, et, enfin, que les dommages réclamés par les demandeurs sont exagérés et que ceux-ci n'ont pas tenté de les minimiser.
[7] Pour leur part, les défendeurs Céline Dion, René Angélil et Ben Kaye allèguent avoir eu connaissance de l'oeuvre de Beaudry pour la première fois lorsque Sony les a informés d'une mise en demeure des demandeurs, en mai 1996. Ils allèguent qu'ils n'ont pas eu connaissance des diverses diffusions de l'oeuvre de Beaudry, à cause de leur emploi du temps.
[8] Dion, Angélil et Kaye allèguent que Goldman s'est représenté comme l'auteur et le compositeur de l'oeuvre "Prière païenne", qu'il n'existe pas de "grandes" similitudes entre l'oeuvre de Beaudry (Tes lèvres mauves) et "Prière païenne", que la dernière ne reprendrait conséquemment pas une partie importante de l'oeuvre de Beaudry, pour ainsi nier toute responsabilité.
[9] Les défendeurs Dion et Angélil allèguent leur relation professionnelle, leurs accomplissements et les succès de la défenderesse Dion, de même que leurs réputations respectives, et soumettent qu'il serait « incongru de songer que Céline Dion et René Angélil compromettent ou entachent cette très belle et jeune carrière de vedette internationale de la chanson en s'associant ou en participant à quelconque plagiat de "Tes lèvres mauves" ... »
[10] De plus, Dion, Angélil et Kaye affirment que les dommages réclamés par les demandeurs sont exagérés et qu'ils n'ont pas tenté de les minimiser.
[11] Enfin, lesdits défendeurs soumettent qu'ils ont subi des troubles et inconvénients du fait des prétentions des demandeurs, et qu'ils entendent tenir ceux-ci responsables.
État du droit relativement aux questions posées lors de l'interrogatoire préalable
[12] Comme l'a dit M. le juge MacKay dans l'affaire Sydney Steel Corp. c. Omisalj (Le), [1992] 2 C.F. 193, à la page 197:
[...] [L]e critère relatif au bien-fondé d'une question posée dans le cadre d'un interrogatoire préalable [...] qu'il convient d'appliquer est de savoir si les renseignements sollicités par une question peuvent être pertinents aux points qui, au stade de l'interrogatoire préalable, sont litigieux dans les actes de procédure déposés par les parties. |
[13] En dépit de ce large énoncé de principe, toutefois, il est des limites à la portée d'un interrogatoire préalable, notamment celle selon laquelle il n'y a pas lieu de permettre des questions de grande portée tenant de la nature d'un interrogatoire à l'aveuglette (voir la décision Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp. (1988), 24 C.P.R. (3d) 66 (C.F. 1re inst.), à la page 72).
[14] Les "expéditions de pêche" sont donc à proscrire d'autant plus lorsque des questions posées se rattachent très difficilement à ce que les défendeurs qualifient en l'espèce de "coeur du litige", soit la présence, la teneur et le degré de similitudes entre les oeuvres des parties (voir mémoire des défendeurs, page 4 en haut). L'accès des défendeurs à l'oeuvre "Tes lèvres mauves" ainsi que l'originalité de cette oeuvre sont aussi des éléments pertinents au présent litige.
[15] Malheureusement pour les défendeurs, un très grand nombre d'objections qu'ils amènent à trancher sont fondées puisque les questions sous-jacentes à ces objections ne portent pas véritablement sur ces éléments pertinents. Les défendeurs se sont permis de poser une foule de questions du simple fait qu'ils pouvaient les rattacher à un libellé de la déclaration d'action des demandeurs ou de leur défense sans pour autant que ce libellé porte sur les éléments pertinents du litige.
[16] Avec ces remarques en tête, il y a lieu d'aborder maintenant les catégories de questions suivies par les parties pour les fins d'adjudication sur la présente requête.
Catégorie A: Les influences musicales du demandeur Martin Beaudry
[17] Pour les raisons exprimées par les demandeurs dans leurs représentations écrites sous chacune des questions (les représentations des demandeurs), aucune question sous cette catégorie n'aura à être répondue. Le même raisonnement s'applique mutatis mutandis pour les catégories B et F.
Catégorie C: Les activités du demandeur Martin Beaudry
[18] Sous cette catégorie, seules les questions 20, 23, 25 et 30 devront recevoir réponse, les autres questions étant rejetées sur la base des représentations des demandeurs.
Catégorie D: Les activités du demandeur Jean-Marcel Raymond
[19] La question 66 devra recevoir réponse.
[20] La question 67 devra également recevoir réponse vu que le témoin a lui-même abordé le sujet en interrogatoire et que son profil professionnel lui permet d'aborder les aspects plus techniques de cette question (voir l'arrêt Foseco Trading A.G. c. Canadian Ferro Hot Metal Specialties, Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 35, page 52).
[21] Sur la base des représentations des demandeurs, les autres questions n'ont pas à recevoir réponse.
Catégorie E: La diffusion des oeuvres de Martin Beaudry
[22] La question 70 - restreinte à l'oeuvre "Tes lèvres mauves" - devra recevoir réponse. Sur la base des représentations des demandeurs, les autres questions n'ont pas à recevoir réponse.
Catégorie G: Les circonstances entourant la création par Martin Beaudry de l'oeuvre "Tes lèvres mauves"
[23] Quant à la question 87, elle devra être répondue dans le cadre suivant, le tout tel que discuté en Cour: l'ouverture de chaque enveloppe et la reproduction de son contenu devront se faire sous la supervision d'un huissier et en la présence des procureurs des parties et suivant les modalités propres à éviter tout préjudice aux demandeurs et, notamment, le préjudice identifié au paragraphe 59.2 des représentations des demandeurs. Les parties doivent s'entendre sur les autres détails de cette opération.
[24] Les questions 89, 91 et 92 devront recevoir réponse.
[25] Sur la base des représentations des demandeurs, les autres questions n'ont pas à recevoir réponse.
Catégorie H: La diffusion de l'oeuvre "Tes lèvres mauves"
[26] Les questions 99, 100, 101, 110, 111, 112 et 113 devront recevoir réponse.
[27] Sur la base des représentations des demandeurs, les autres questions n'ont pas à recevoir réponse.
Catégorie I: Les circonstances dans lesquelles a été diffusée l'oeuvre "Tes lèvres mauves"
[28] Les questions 136, 137 et 145 devront recevoir réponse.
[29] Sur la base des représentations des demandeurs, les autres questions n'ont pas à recevoir réponse.
Catégorie J: Les circonstances entourant l'écoute de l'oeuvre "Prière païenne"
[30] Les questions 155, 156, 161, 162, 163, 169, 170 et 175 devront recevoir réponse.
[31] Sur la base des représentations des demandeurs, les autres questions n'ont pas à recevoir réponse.
Catégorie K: La justification de la prétendue similitude entre l'oeuvre "Tes lèvres mauves" et l'oeuvre "Prière païenne"
[32] Les questions 186 et 189 à 191 devront recevoir réponse.
[33] Sur la base des représentations des demandeurs, les autres questions n'ont pas à recevoir réponse.
Catégorie L: Les démarches entreprises par les demandeurs pour obtenir réparation
[34] Les questions 232 à 234 devront recevoir réponse.
[35] Sur la base des représentations des demandeurs, les autres questions n'ont pas à recevoir réponse.
[36] Vu le très grand nombre d'objections maintenues et le travail fait par les demandeurs pour bien situer le contexte des questions, les dépens sur la présente requête sont accordés aux demandeurs.
[37] Les procureurs des parties devront, dans les vingt (20) jours de la date de la présente ordonnance, soumettre à la Cour - de façon conjointe à moins d'impossibilité - un échéancier visant les mesures à entreprendre subséquemment dans l'instance, y inclus la poursuite des interrogatoires des demandeurs par suite de la présente ordonnance. Tout échéancier proposé par les parties devra se limiter aux mesures essentielles à entreprendre et faire preuve d'un souci de célérité.
Richard Morneau
protonotaire
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU DOSSIER DE LA COUR: INTITULÉ DE LA CAUSE: |
T-1868-97 |
MARTIN BEAUDRY et JEAN-MARCEL RAYMOND |
Demandeurs
ET
JEAN-JACQUES GOLDMAN, |
SONY MUSIC ENTERTAINMENT (CANADA) INC., |
CÉLINE DION, RENÉ ANGÉLIL et BEN KAYE |
Défendeurs conjoints et solidaires
ET
SOCIÉTÉ DU DROIT DE REPRODUCTION DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE AU CANADA (SODRAC) INC., |
SOCIÉTÉ DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE AU CANADA (SOCAN), |
LA SOCIÉTÉ DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE et |
LA SOCIÉTÉ POUR L'ADMINISTRATION DU DROIT DE REPRODUCTION MÉCANIQUE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ÉDITEURS (SACEM/SDRM) |
Mises en cause
LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE:le 20 décembre 2000
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE
DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 19 janvier 2001
ONT COMPARU:
Me Éric P. Goyette |
pour les demandeurs |
Me Paul-André Martel |
pour les défendeurs Goldman, Dion, Angélil et Kaye |
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:
Tamaro, Goyette Montréal (Québec) |
pour les demandeurs |
Dunton Rainville Montréal (Québec) |
pour les défendeurs Goldman, Dion, Angélil et Kaye |
McCarthy Tétrault Montréal (Québec) |
pour la défenderesse Sony Music Entertainment (Canada) Inc. |