Ottawa (Ontario), le 29 juin 2006
En présence de Monsieur le juge Shore
PERPARIM METUKU
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
INTRODUCTION
[1] Les questions de poids et d'appréciation de la preuve sont clairement du ressort du tribunal. Ce que le demandeur demande à cette Cour, c'est de faire ce qu'elle ne peut faire dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, soit de soupeser et de réévaluer la preuve qui était devant le tribunal :
Après un examen attentif de la preuve et de la décision de la Section du statut, je ne peux nullement conclure, comme le voudrait l'appelant, que certaines conclusions de fait de la Section du statut ont été tirées de façon abusive, arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve. Je partage entièrement l'opinion de la juge que la preuve pouvait raisonnablement servir de fondement aux conclusions de fait de la Section du statut. Ce que l'appelant nous demande, en réalité, c'est de faire ce que nous ne pouvons faire dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, soit de réévaluer la preuve qui était devant la Section du statut.
comme le soulignait récemment
(Comme spécifié par M. le juge Pierre Blais dans l'affaire Komenan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1342, [2005] A.C.F. no 1641 (QL), au paragraphe 17.)
NATURE DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE
[2] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi), à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 24 octobre 2005, selon laquelle le demandeur n'a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.
FAITS
[3] Il s'agit d'une décision où une grande quantité de détails sont inclus à cause de la situation exceptionnelle concernant le demandeur qui fut représenté par plus d'un avocat aux différentes périodes du déroulement de ce dossier - pour la préparation du dossier et lors de la première et de la deuxième séance devant la Commission. Il est également nécessaire d'inclure des explications concernant la situation d'un des avocats pour démontrer la séparation entre la situation de l'avocat et la préparation de celui-ci à l'égard de son client (le demandeur). Il est important de s'assurer que tous les détails concernant la situation soient compris pour distinguer entre ce qui a été fait à l'égard du demandeur et les conséquences pour la cause devant la Commission s'il y en avait.
[4] Le demandeur, M. Perparim Metuku, un citoyen de l'Albanie, allègue être un réfugié au sens de la Convention en vertu de l'article 96 de la Loi et avoir qualité de personne à protéger, conformément à l'article 97 de la Loi, parce qu'il risquerait d'être exposé à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.
[5] M. Metuku revendique le statut de réfugié parce qu'il allègue que sa famille est impliquée dans une vendetta avec la famille Frangu qui habite le même village.
[6] La vendetta aurait débuté en 1946 alors que les deux familles avaient perdu des terres lors de l'accession au pouvoir du régime communiste. Destan Frangu aurait tué sans raison valable le grand-père paternel de M. Metuku, Hasan Metuku, qui avait perdu lui aussi ses terres aux mains des communistes.
[7] En 1997, suite à plusieurs meurtres dans les deux familles, les parents de M. Metuku auraient demandé l'aide des autorités. Les policiers leur auraient dit qu'ils ne pouvaient rien faire pour eux et de régler la vendetta selon le Kanun, le droit coutumier de la région.
[8] En juillet 2001, avec l'intervention de l'Association de réconciliation et des sages du village, les deux familles auraient échangé entre elles leur parole d'honneur (la Besa) de non-agression. Cet engagement est renouvelable annuellement. Suite à cette entente, M. Metuku et son jeune frère auraient acheté, le 15 août 2001, un comptoir au marché de Tirana qu'ils auraient transformé en petite épicerie.
[9] Le 1er janvier 2004, la Besa n'aurait pas été renouvelée et les deux familles se seraient enfermées chacune chez elle pour se protéger l'une de l'autre. En février 2004, les deux frères Frangu auraient tenté de tuer M. Metuku et son jeune frère, Gazmir. Les parents de M. Metuku seraient allés au poste de police numéro 2 de Tirana pour déposer une plainte officielle de tentative de meurtre contre les frères Albert et Kasem Frangu. Les autorités leur auraient répondu ne pas être en mesure d'intervenir lorsqu'il s'agit d'une vendetta.
[10] Le premier dimanche de septembre 2004, M. Metuku aurait demandé à l'Association de réconciliation et aux sages du village de déclarer publiquement qu'il ne voulait pas faire partie de la vendetta car il refusait de tuer et craignait d'être tué. Son père se serait alors levé et aurait frappé M. Metuku à la figure devant l'assemblée.
[11] Le même soir, M. Metuku aurait débuté ses démarches pour quitter l'Albanie. M. Metuku a quitté son pays par bateau le 13 novembre 2004. Il est arrivé au Canada le 15 novembre 2004 et a demandé le statut de réfugié le lendemain.
La conférence préparatoire du 16 juin 2005
[12] Dans le cadre de sa demande d'asile, M. Metuku était représenté par Me Jeffrey Nadler et s'est présenté avec ce dernier le 16 juin 2005 en vue de son audience devant la Commission.
[13] Or, le 9 juin 2005, Me Nadler ainsi que cinq acolytes avaient formellement été inculpés par la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) pour fausses représentations et production de faux documents au soutien de demandes d'asile au Canada. Le Communiqué de la GRC faisant état de ces inculpations a été déposé en preuve devant la Commission par l'agent de protection des réfugiés Me Christian Jadue et communiqué par courrier à M. Metuku préalablement au 16 juin 2005.
[14] Le 16 juin 2005, eu égard à la nature très sérieuse des informations contenues dans le Communiqué de la GRC déposé en preuve, la commissaire a jugé nécessaire de débuter par une conférence préparatoire afin de s'enquérir des intentions de Me Nadler et de l'informer de la marche à suivre qu'elle entendait prendre.
[15] Lors de cette conférence préparatoire, en présence uniquement de Mes Nadler et Jadu - mais après l'introduction en preuve des pièces de M. Metuku en sa présence - la commissaire a informé Me Nadler que la Commission allait, d'une part offrir la possibilité au Ministre d'intervenir et, d'autre part, demander à celui-ci de procéder à l'expertise des documents de M. Metuku afin d'en vérifier l'authenticité. C'est alors que Me Nadler a fait part de ses préoccupations et décidé de suggérer à son client de procéder avec un autre avocat.
BY PRESIDING MEMBER(addressing Counsel)
[...]
A No, no, no. There is more than... to it. I was... It said I was arrested, it says that... other things about forgery documents and stuff. I have nothing to do with that. They lumped me and that's my position and that I will maintain it, and I know that, because I know what... I know how I practice. But the press did their own thing. But regardless, it's not about me, it's about him. And one of the concerns I had was... Well, I had the obligation, I performed my obligation, but if his documents are going to be expertised at the CIC, or inviting CIC to make... then it's not fair for my clients, because I don't think they've... with all frankness, I don't think that they'd be getting the same treatment with another Counsel. They wouldn't be going through the same thing with another... with alternate Counsel. And I think it's incumbent upon me to ask him to seek alternate Counsel. It really is, because it's not his fault.
- It's not... it's not my objective here today at all. I think CIC will most likely proceed with verification of those documents.
A. But if...
- I'm just trying to save time.
A. Right, I understand that. But if it... if I wasn't... see, the thing is, if I wasn't Counsel today... if I wasn't Counsel today, you would not proceed with that because A-6 would not have been produced.
- Maybe, maybe not. I mean...
A. Well...
- ... there's other cases that... where we proceed with verification of documents. I mean...
A. I've no... okay, but...
- ... Me Jadue is... is (inaudible) to corroborate that. It's not just...
A. I understand, Ms. Panagakos, but I feel that I'm going to ask him to seek alternate Counsel. I don't feel I'm effective anymore at this time until I clear myself [...]
[16] Or, tel que l'a indiqué la commissaire, elle a jugé utile de faire expertiser les documents préalablement à son audience afin d'économiser du temps et alors que cette procédure est usuelle.
[17] Qui plus est, l'agent de protection des réfugiés a indiqué qu'avant même que ne soit publié le Communiqué de presse de la GRC, il avait l'intention de demander au tribunal de faire expertiser certains documents. En effet, Me Jadu déclara ce qui suit lors de la conférence préparatoire :
BY PRESIDING MEMBER(addressing Refugee Protection Officer)
Q. Me Jadue, do you have any observations on this issue?
A. Before the... the issues of A-6, I had the intention to proceed with a verification of P-6, I think, the letter from the Nationwide Reconciliation Committee. It seems that Ottawa might have a letter of that president, and I just want to verify the... the city of the signature. That was one of my intentions, not regarding what happened with Me Nadler. I've seen in one Ref Info that they have a letter as a reference attached... not an attachment, but reference to the Ref Info that they might have a letter from this president, so I would probably ask them to verify P-6, with your permission, of course. That will be... I would have suggested that to the Panel even if we had Me Nadler or not. This is...
[18] En fait, le dossier physique de la Commission révèle qu'une fiche d'information datée du 13 janvier 2005 identifiait comme question la fiabilité des documents.
[19] Finalement, après avoir entendu l'argumentation respective de Mes Nadler et Jadue, la commissaire décida d'ordonner l'expertise des documents de M. Metuku par l'Agence des services frontaliers du Canada et l'envoi d'un avis au Ministre afin de lui permettre d'intervenir dans le dossier. La commissaire a mis fin à la conférence préparatoire en demandant à Me Nadler de faire entrer à nouveau son client en salle d'audience tout en l'informant au prélable de sa décision de lui conseiller de trouver un autre avocat pour le représenter.
[20] La transcription démontre que Me Nadler a décidé de cesser d'occuper dans le dossier de son client et que M. Metuku a dûment été informé de la décision de la Commission de faire expertiser ses pièces et ce dernier a fait part de son entier accord avec la décision de la Commission.
[21] La commissaire a mis fin à la conférence préparatoire du 16 juin 2005 en ajournant la cause sine die, et ce sans que M. Metuku n'ait témoigné quant au mérite de sa demande d'asile. Ainsi, la commissaire a indiqué le 16 juin 2005 au procès-verbal de la conférence préparatoire qu'elle ne s'était pas saisie du dossier et que la cause était ajournée jusqu'à la réception des expertises de CIC.
L'audience au mérite du 24 octobre 2005
[22] L'audience quant au mérite de la demande d'asile de M. Metuku s'est déroulée le 24 octobre 2005, alors que M. Metuku était désormais représenté par Me Céline Bouchard.
[23] Dès le début de l'audience - soit durant la revue usuelle de la liste des pièces déposées à l'audience - la procureure de M. Metuku a indiqué avoir une demande à formuler, requête à laquelle le commissaire a demandé d'attendre après la revue de la preuve matérielle déposée :
PAR LE COMMISSAIRE (s'adressant à la conseillère)
Q. Ça, est-ce que ce sont vos documents à vous ou les documents de maître Nadler?
R. Maître Nadler.
- Bon. Alors c'était P-1 à P-5.
R. C'est en plein ça.
[...]
PAR LA CONSEILLÈRE (s'adressant au commissaire)
- Bien, c'est par ce qu'il y a une autre... je veux soulever un autre point par rapport à ça.
R. Bien, vous le ferez après.
- O.K., parfait.
R. Quand on aura fini, notez tous vos points là.
- Oui, oui, tout est noté.
R. O.K., good.
[24] Suite à la revue des pièces matérielles déposées en preuve, la procureure de M. Metuku a indiqué avoir une demande préliminaire, à savoir l'ajournement sine die de l'audience de M. Metuku jusqu'à ce que le procès criminel de Me Nadler soit complété. Me Bouchard alléguait à ce sujet qu' « ...il se peut fort bien que le tribunal aujourd'hui arrive à une conclusion qui, dans six mois... soit contraire » concernant les documents déposés par M. Metuku et envoyés pour expertise par la Commission.
[25] Or, avant de rendre sa décision, le commissaire s'est interrogé ouvertement quant à deux éléments en ce qui a trait au bien-fondé de la demande d'ajournement et auquel questionnement le commissaire a invité l'avocate à répondre.
[26] Dans un premier temps, le commissaire a questionné la procureure de M. Metuku au sujet de la certitude qu'elle disait avoir que les pièces personnelles de M. Metuku, qui furent expertisés par l'Agence des services frontaliers du Canada, faisaient bel et bien partie du procès de Me Nadler :
PAR LE COMMISSAIRE (s'adressant à la conseillère)
Q. Je vous remercie. O.K. Premièrement, êtes-vous sûre que les documents dont on parle aujourd'hui ont été soumis au procès de maître Nadler?
R. Je... à ceci, je ne pourrais répondre, mais je pourrais pas répondre ni par l'affirmative ni par la négative parce que je ne le sais pas.
- Sait pas, O.K.
R. Je prends pour acquis cependant que si maître Nadler a été arrêté, c'est qu'ils ont fouillé dans ses dossiers, faut qu'ils aillent chercher de la preuve en...
- Ça se comprend, là, mais...
R. Je pense que oui et...
- Maître Nadler avait beaucoup de causes et on n'a pas la certitude que le dossier pour lequel vous faites votre demande de remise fasse partie de la cause.
R. O.K.
[27] Dans un deuxième temps, le commissaire a rappelé à la procureure de M. Metuku que ce dernier a témoigné sans équivoque sous serment que toutes ses pièces lui étaient parvenues directement d'Albanie par sa mère via le courrier postal et qu'il n'y a pas de motif pour douter de ses déclarations :
- Ça c'est un. Deuxièmement...
R. D'accord.
- ... on a demandé sous serment à votre client...
R. Um, hum.
- ... si les pièces qu'il a soumis étaient correctes, Monsieur dit : « C'est ma mère qui est allée les chercher et en ce qui me concerne, ces pièces là sont authentiques.
R. O.K.
- Bien là, si ces pièces là sont authentiques et que votre client vous le déclare, je ne vois pas quelles sont vos inquiétudes.
[28] En effet, le commissaire réfère directement aux déclarations suivantes de M. Metuku en début d'audience :
PAR LE COMMISSAIRE (s'adressant au revendicateur)
Q. Dernière chose, en ce qui a trait aux pièces qui ont été déposées, Monsieur, est-ce que ce sont des... c'est vous qui les avez déposées les pièces?
R. Oui.
Q. Oui? Est-ce que ce sont des pièces véridiques?
R. C'est sa mère qui les a amenées.
- Oui, oui, les pièces, là, qui sont là, là.
R. Oui.
[...]
Q. Bon, est-ce que c'est des pièces véridiques? Est-ce que ce sont de bonnes pièces? Est-ce que ce sont des vraies pièces ou est-ce que ce sont... ce sont des pièces fabriquées?
R. Lui, il... moi, je connais qu'ils sont vrais à 100%.
- Bon, voilà.
[...]
PAR L'ACR (s'adressant au revendicateur)
Q. Quelle est la fondation ou la base de votre connaissance?
R. Il sait, sa connaissance est que sa mère est allée dans les bureaux, elle a demandé. C'est ça sa connaissance, mais il sait pas plus que ça.
[...]
Q. Donc, vous l'avez demandé à votre mère d'aller au bureau pour obtenir les documents authentiques. C'est ça?
R. C'est juste ma mère qui pourrait faire.
- O.K. Donc... pardon?
R. C'était juste sa mère...
- O.K.
R. ... qui pourrait faire la demande.
Q. Donc à part de votre mère, il n'y avait pas d'autres intermédiaires avant que vous le receviez. C'est bien ça?
R. Non, juste la maman.
Q. O.K. Donc, quand vous l'avez reçu, c'était remis à l'avocat pour traduction seulement?
R. Il l'a fait traduire par monsieur Sherefi (phonétique) et l'a amené au... l'avocat traduisait.
Q. O.K. Puis, il y a rien qui a été changé dans les documents que vous avez reçus de votre mère?
R. C'est sûr à 100% que c'était sa mère qui l'a envoyé.
- Parfait, c'est... c'est ça qu'on voulait savoir.
[29] L'agent de protection des réfugiés a souligné qu'il n'y avait aucune raison pour la Commission d'attendre la fin du déroulement du procès criminel de Me Nadler puisque l'absence de manipulation des documents de M. Metuku par son ex-procureur n'est nullement remise en cause. De plus, il a noté que puisque la Commission doit agir avec célérité et de façon informelle en autant que cela respecte l'équité et la justice naturelle (paragraphe 162(2) de la Loi), il ne serait pas juste envers M. Metuku d'attendre la fin du procès de Me Nadler alors qu'il ne semble pas que cela aura un effet sur la demande d'asile de M. Metuku.
[30] Alors que la procureure de M. Metuku a indiqué clairement en début d'audience avoir une demande préliminaire, celle-ci en présenta une seconde dans sa réplique aux propos de l'agent de protection des réfugiés. La transcription de l'audience révèle que la deuxième demande préliminaire de la procureure de M. Metuku se présentait sous forme de plusieurs questions dirigées à l'endroit du commissaire et remettant en cause les pratiques employées par la Commission concernant l'expertise des documents et le fait pour un commissaire d'être saisi d'un dossier.
[31] La Commission a tenté de faire comprendre à la procureure de M. Metuku que l'audition de M. Metuku se déroulait en présence du second commissaire et non sous la présidence de la première commissaire puisque cette dernière n'avait jamais été saisie du dossier, étant donné que M. Metuku n'avait pas témoigné et que conséquemment, l'audience n'avait pas procédé le 16 juin 2005.
[32] Qui plus est, la transcription de l'audience révèle qu'immédiatement après que le commissaire eut rejeté les deux demandes préliminaires de la procureure de M. Metuku, celle-ci, de façon impromptue, en opposa une troisième, et ce après son argumentation en réplique sous forme de questions. C'est ce qui provoqua l'exaspération du commissaire, tel qu'en font foi la transcription de l'audience :
PAR LA CONSEILLÈRE (s'adressant au commissaire)
- Non, mais je m'excuse, mais j'ai une troisième demande à faire.
R. Non, ça va là, écoutez, ça vient de l'obstruction.
- Non, mais...
R. Je viens de vous donner...
- Non, c'est pas de l'obstruction.
R. Excusez-moi, je viens de vous donner ma décision.
- Monsieur le Commissaire, je pense que je suis en droit de vous faire une troisième demande.
R. Oui, oui, mais là, écoutez, procédez.
- Mais écoutez...
Q. Allez-y.
Q. S'il vous plaît est-ce que vous me laissez ma troisième demande?
R. Quelle est votre troisième demande, là? Les deux premières ont été refusées.
[...]
- La troisième demande, c'est pour déposer des documents. Je sais... c'est documents... laissez-moi... vous me direz non si...
R. Oui, je... je vous laisse faire.
- ... ce sont des documents qui sont...
R. C'est des documents qui ont pas été déposés dans les temps donnés.
Q. Oui, mais ce sont des documents qui émanent de votre... de votre Service. Ça dérange pas? Parfait, c'est beau. Alors, la réponse c'est non?
R. C'est ça.
- Parfait, merci.
R. Merci beaucoup.
[33] Ainsi, le commissaire a rejeté la troisième demande préliminaire de la procureure de M. Metuku à être autorisée à produire en preuve le matin même des pièces supplémentaires étant donné que les délais imposés par les Règles de la Commission n'avaient pas été respectées.
DÉCISION CONTESTÉE
[34] À l'issue de l'audience, la Commission a rejeté la demande d'asile de M. Metuku en raison des importants problèmes décelés dans les pièces qu'il a déposées au soutien de sa demande d'asile et du manque de crédibilité de M. Metuku. De plus, la Commission a conclu à l'absence de minimum de fondement.
QUESTIONS EN LITIGE
[35] En l'espèce, il y a trois questions en litige :
1. La Commission a-t-elle violé l'équité procédurale ou la justice naturelle en rejetant les objections préliminaires de la procureure de M. Metuku lors de l'audience?
2. La Commission a-t-elle erré dans son appréciation de la crédibilité et de la preuve présentée par M. Metuku?
3. La Commission a-t-elle erré dans sa conclusion d'absence de minimum de fondement?
ANALYSE
Cadre législatif
[36] Selon l'article 96 de la Loi, une personne est un réfugié si elle craint d'être persécutée en raison de sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un groupe social ou ses opinions politiques :
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner. |
96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or
(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country. |
[37] Le paragraphe 97(1) de la Loi se lit comme suit :
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. |
97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or
(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,
(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,
(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and
(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care. |
[38] Le paragraphe 107(2) de la Loi énonce que la Commission doit indiquer dans la décision qu'il y a absence de minimum de fondement lorsqu'elle détermine qu'aucun élément de preuve crédible pouvant supporter une décision favorable au revendicateur ne lui a été présenté :
107. (1) La Section de la protection des réfugiés accepte ou rejette la demande d'asile selon que le demandeur a ou non la qualité de réfugié ou de personne à protéger.
(2) Si elle estime, en cas de rejet, qu'il n'a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l'absence de minimum de fondement de la demande. |
107. (1) The Refugee Protection Division shall accept a claim for refugee protection if it determines that the claimant is a Convention refugee or person in need of protection, and shall otherwise reject the claim.
(2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim. |
Norme de contrôle
[39] Lorsqu'il s'agit de questions de violation d'équité procédurale ou de justice naturelle, cette Cour doit examiner les circonstances particulières afin de déterminer si le tribunal a respecté l'équité procédurale et la justice naturelle. Si elle décide qu'il y a eu une violation, la Cour doit retourner la décision au tribunal en question. (Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 16, [2006] A.C.F. no 8 (QL), au paragraphe 15; Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1284, [2005] A.C.F. no 1560 (QL), au paragraphe 5; Trujillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 414, [2006] A.C.F. no 595 (QL), au paragraphe 11; Bankole c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1581, [2005] A.C.F. no 1942 (QL), au paragraphe 7.)
[40] Pour ce qui est des questions de crédibilité ou d'appréciation de la preuve, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable. (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (F.C.A.), [1993] A.C.F. no 732, au paragraphe 4; Thamotharem, précité, au paragraphe 16; Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 25, [2004] A.C.F. no 17 (QL), au paragraphe 31; Kathirgamu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 300, [2005] A.C.F. no 370 (QL), au paragraphe 41; Trujillo, précité, au paragraphe 12; Chowdhury c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 139, [2006] A.C.F. no 187 (QL), au paragraphe 12; N'Sungani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1759, [2004] A.C.F. no 2142 (QL), aux paragraphes 6 et 12; Bankole, précité, au paragraphe 6.)
Le bien-fondé du rejet des objections préliminaire de M. Metuku
[41] En somme, le relevé des faits tiré à même la transcription de l'audience et rapporté dans le mémoire du défendeur permet de constater que l'entièreté des allégations de M. Metuku est inexacte et devrait être rejetée.
[42] La commissaire, lors de la conférence préparatoire, ne s'est pas désistée du dossier de M. Metuku. Le procès-verbal de la conférence préliminaire du 16 juin 2005 et les commentaires du commissaire et de l'agent de protection des réfugiés lors de l'audience du 24 octobre 2005 sont clairs à cet effet.
[43] Il n'est pas exact de prétendre, tel que le fait M. Metuku, que « sans avoir parlé au revendicateur, madame Panagakos a décidé d'envoyer les documents du dossier du demandeur à Immigration Canada pour expertise » . La transcription de la rencontre le 16 juin 2005 révèle plutôt que la commissaire a personnellement informé le demandeur de sa décision à la fin de la conférence préliminaire et celui-ci semblait d'accord avec cette décision.
[44] Dans son mémoire, M. Metuku affirme que « le tribunal, tenant compte que l'avocat du demandeur était Me Jeffrey Nadler, a pris pour acquis que l'ensemble des documents... et finalement la revendication elle-même n'avait pas de crédibilité » . Ceci est faux puisque le tribunal a expressément indiqué ne pas remettre en question le témoignage sous serment de M. Metuku lors duquel il a déclaré avoir reçu directement de sa mère par courrier tous ses documents, et ce, sans aucune manipulation de la part de Me Nadler. Les commentaires du commissaire lors de l'audience révèlent plutôt que sa décision négative découle directement de l'expertise de l'Agence des services frontaliers du Canada, sans égard à la représentation antérieure de Me Nadler. En outre, la transcription de la conférence préliminaire et les données préparatoires à l'audience révèlent que la Commission avait déjà des doutes quant à l'authenticité des documents de M. Metuku avant même que des accusations criminelles soient déposées contre Me Nadler.
[45] M. Metuku allègue dans son mémoire qu'en début d'audience « Me Bouchard a interrompu le commissaire et a demandé la parole pour faire des objections. Le Commissaire Prévost était contrarié par cette requête préliminaire se disant prêt à procéder sur le champ » . Or, la transcription de l'audience révèle plutôt que le commissaire a plutôt indiqué avec courtoisie à la procureure de M. Metuku de faire la liste de ses demandes afin de les présenter tout juste après l'ouverture de l'audience. Par la suite, après le début de l'audience, la procureure de M. Metuku a été autorisée à présenter ce qu'elle a qualifié constituer une demande. Or, sa demande s'est transformée en une seconde demande impromptue sous forme de questionnements sur les pratiques de la Commission et enfin en une troisième demande après qu'on eu rejeté les deux demandes préliminaires. C'est dans ce contexte concret que le commissaire a affirmé que le comportement de la procureure s'apparentait à de l'obstruction.
[46] Dans son mémoire, M. Metuku fait valoir que les trois objections faites par sa procureure étaient valables. Par contre, il apparaît selon les faits que lesdites objections n'étaient pas fondées et il était donc raisonnable pour la Commission de les rejeter.
[47] Quant à la première objection, il n'y a pas lieu de reporter sine die l'audience de M. Metuku jusqu'à la fin du procès criminel de Me Nadler alors que M. Metuku a témoigné sous serment - et la Commission l'a cru - à l'effet que ses preuves n'avaient pas été manipulées, voire falsifiées par Me Nadler. En outre, ce qui est plus important encore est le fait que la procureure de M. Metuku n'était pas en mesure de dire si les documents de M. Metuku faisaient effectivement partie des documents à l'origine de l'inculpation de Me Nadler et déposés au procès.
[48] Pour ce qui est de la deuxième objection, il n'y avait aucun vice procédural du fait que l'audience de M. Metuku devant la Commission soit en présence du second commissaire puisque la première commissaire n'avait pas été saisie du dossier.
[49] Quant à la troisième et dernière objection, la Commission était en droit de ne pas admettre en preuve le matin même de l'audience des documents n'ayant pas été produits dans les délais requis.
[50] À la lumière de tout ce qui précède, M. Metuku a eu une audience juste et équitable. La Commission n'a pas fait preuve de partialité à l'endroit de sa demande d'asile.
[51] En effet, le critère d'appréciation de l'impartialité est celui d'une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Les motifs de crainte de partialité doivent être sérieux, particulièrement lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, d'un tribunal administratif. Une allégation sérieuse ne saurait reposer sur de simples soupçons. (Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, aux paragraphes 40-41 (dissidence de M. le juge Louis-Philippe de Grandpré); R. c. Valente, [1985] 2 R.C.S. 673, aux paragraphes 11-12.)
L'appréciation de la preuve de M. Metuku par la Commission
[52] Quant à l'appréciation de la preuve déposée par M. Metuku et les défaillances qui y sont reliées, les motifs tournent autour de deux axes. Tout d'abord, la pièce M-1 (les résultats de l'expertise des documents), déposée au dossier le 21 août 2005, informe que plusieurs pièces-clés à la revendication portent des caractéristiques reliées à la contrefaçon. Les autres documents s'avèrent peu concluants en l'absence de spécimens de comparaison. (Motifs de la décision, à la page 2)
[53] En second lieu, en ce qui a trait à l'article déposé en P-13, daté du samedi 19 mars 2005, la Commission est d'avis qu'un faux article a été placé en page 11 puis reproduit sur la page par caméra vidéo et transféré sur papier journal. La mauvaise reproduction des photos aux pages 11, 13 et 14 démontre qu'il s'agit d'une deuxième génération de photos qui sont marquées par des points diffus de grosseur exagérée, donnant une pauvre qualité des images. Ceci prouve que la reproduction a été faite à partir de photos de ce journal et qu'il ne s'agit pas d'originaux. (Motifs de la décision, à la page 2)
[54] M. Metuku conteste un peu tard le résultat de l'expertise de l'Agence des services frontaliers du Canada. Lorsqu'il a reçu le résultat de l'expertise préalablement à son audience, M. Metuku n'a pas jugé utile de faire ré-expertiser ses documents. En somme, ce qu'il tente d'obtenir de cette Cour c'est qu'elle substitue son opinion à celle d'une agence gouvernementale ayant l'expertise requise.
[55] Rappelons que les conclusions de l'Agence des services frontaliers du Canada selon laquelle certains documents de M. Metuku possèdent des caractéristiques généralement associées à la contre-façon ne l'était pas quant à n'importe quel document incident, mais bien en rapport à plusieurs pièces-clés de la demande d'asile de M. Metuku.
[56] Rappelons également que la règle 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés prévoit expressément qu'un demandeur d'asile doit transmettre à la Commission des documents acceptables pour établir son identité ainsi que tous les autres éléments de sa demande d'asile. En l'espèce, il est manifeste que la Commission a jugé que plusieurs des documents soumis par M. Metuku n'étaient pas acceptables, ce qui pouvait l'amener à tirer une inférence négative quant à la demande d'asile de M. Metuku.
[57] Qui plus est, soulignons encore que l'inférence négative que se devait de tirer la Commission à l'égard des pièces de M. Metuku ne l'était pas en rapport à un élément secondaire puisque celle-ci rapporte dans ses motifs que les défaillances décelées l'étaient quant à plusieurs pièces-clés de la demande de M. Metuku.
[58] Tel que le faisait remarquer M. le juge Yvon Pinard dans l'affaire Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1329 (QL), au paragraphe 3, lorsqu'un revendicateur n'est pas jugé crédible quant à un élément central de sa revendication, ce simple fait peut mener au rejet de celle-ci puisqu'il n'existe aucun élément crédible suffisant pour justifier sa revendication de statut de réfugié :
[...] On sait qu'en matière de crédibilité et d'appréciation des faits, il n'appartient pas à cette Cour de se substituer à un tribunal tel la Section du statut de réfugié, d'autant plus qu'il s'agit d'un tribunal spécialisé, lorsque le requérant, comme dans le présent cas, fait défaut de prouver que ce tribunal a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments disponibles. Comme l'a indiqué la Cour d'appel fédérale dans Sheikh c. Canada, [1990] 3 C.F. 238, à la page 244, la perception qu'un requérant n'est pas crédible sur un élément fondamental de sa revendication équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible suffisant pour justifier la revendication du statut de réfugié en cause.
(Voir également : Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.), [1990] A.C.F. no 604 (QL), aux paragraphes 7-9; Rez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 618 (QL), au paragraphe 9; Bessekri c. Canada Mministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 45 (QL), au paragraphe 3; Kondratiev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1376 (QL), au paragraphe 6; Tsafack c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 506 (QL), au paragraphe 3.)
[59] Enfin, quant à l'appréciation de l'article de journal déposé en P-13, il est manifeste que M. Metuku tente d'obtenir de cette Cour une réappréciation de la pièce en question alors que la Commission avait le document original devant elle.
[60] Or, l'insatisfaction exprimée par M. Metuku à l'encontre de l'appréciation de la preuve faite par la Commission ne saurait justifier l'intervention de cette Cour. En effet, comme le soulignait récemment M. le juge Pierre Blais dans l'affaire Komenan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1342, [2005] A.C.F. no 1641 (QL), au paragraphe 17:
Les questions de poids et d'appréciation de la preuve sont clairement du ressort du tribunal. Ce que le demandeur demande à cette Cour, c'est de faire ce qu'elle ne peut faire dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, soit de soupeser et de réévaluer la preuve qui était devant le tribunal :
Après un examen attentif de la preuve et de la décision de la Section du statut, je ne peux nullement conclure, comme le voudrait l'appelant, que certaines conclusions de fait de la Section du statut ont été tirées de façon abusive, arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve. Je partage entièrement l'opinion de la juge que la preuve pouvait raisonnablement servir de fondement aux conclusions de fait de la Section du statut. Ce que l'appelant nous demande, en réalité, c'est de faire ce que nous ne pouvons faire dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, soit de réévaluer la preuve qui était devant la Section du statut.
[61] Quant à la preuve documentaire objective concernant la vendetta à laquelle se réfère M. Metuku dans son mémoire, puisqu'il n'a pas été jugé crédible, la preuve documentaire objective ne lui est d'aucun secours en l'espèce. En effet, il est pertinent de se référer aux récents propos de M. le juge Yves de Montigny dans l'affaire Kazadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 292, [2005] A.C.F. no 349 (QL), au paragraphe 20 :
Enfin, je ne saurais mettre un terme à ces motifs sans dire un mot de la preuve documentaire sur la situation en République Démocratique du Congo qu'a soumise le procureur du demandeur, et sur laquelle il a longuement insisté lors de l'audition. Cette preuve ne peut, à elle seule, être d'aucun secours au demandeur. Même si la situation dans un pays donné peut être particulièrement pénible, surtout au chapitre des droits de la personne ou de la sécurité en général, encore faut-il que la situation personnelle du demandeur soit telle qu'il puisse craindre (objectivement et subjectivement) d'être persécuté, torturé, ou menacé. Or, c'est justement ce lien entre la situation générale en RDC et le demandeur qui fait défaut, compte tenu du peu de crédibilité que la Commission a accordé à son récit (Rahaman c. M.C.I., [2002] 3 C.F. 537 (C.A.F.); Canada (Secrétaire d'État) c. Jules, [1994] A.C.F. no 835 (C.F.) (QL)).
[62] Ces propos en outre rejoignent ceux de M. le juge Michel Beaudry dans Sahiti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 364, [2005] A.C.F. no 450 (QL), aux paragraphes 19-20 :
L'application de ces deux critères s'explique très bien par les propos du juge Rouleau dans Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 995 (1ère inst.) (QL) au paragraphe 22 :
Ainsi l'appréciation de la crainte chez le défendeur doit se faire in concreto, plutôt que dans une perspective abstraite et générale. Le fait que la preuve documentaire illustre de façon inéquivoque la violation systématique et généralisée des droits humains au Pakistan ne suffit absolument pas pour établir la crainte de persecution spécifique et individualisée chez le défendeur en particulier. En l'absence de la moindre preuve pouvant lier la preuve documentaire générale à la situation spécifique du demandeur, je conclus que la Commission n'a pas erré dans sa façon d'analyser la revendication du demandeur sous l'article 97. [Je souligne]
Ceci dit, même si la situation qui existe au Kosovo n'offre pas une protection parfaite, cela n'est pas suffisant pour démontrer une crainte bien-fondée de persécution. En fait, la preuve objective doit être reliée à la situation spécifique des demandeurs. En l'espèce, les demandeurs allèguent craindre le groupe militaire UCK en raison de leur refus de se joindre à leur rang durant la guerre. Le tribunal a analysé l'effet de ces changements par rapport à la situation particulière des demandeurs. La documentation indépendante indique expressément que cette organisation a été dissoute depuis 1998. Puisque la guerre ne sévit plus et que le Kosovo est dirigé par une administration internationale, le tribunal est d'avis que les choses ont grandement changé au Kosovo et que la situation est telle que les motifs de crainte des demandeurs n'existent plus. En outre, la décideure a constaté que l'ethnie albanaise à laquelle appartiennent les demandeurs est présentement l'ethnie majoritaire au Kosovo. [...]
La conclusion d'absence de minimum de fondement
[63] Finalement, en ce qui a trait à la conclusion d'absence de minimum de fondement aux termes du paragraphe 107(2) de la Loi, à supposer que M. Metuku ait effectivement déposé devant la Commission certains documents pouvant être valables, ceci ne rend pas déraisonnable une conclusion d'absence de minimum de fondement. Au soutien de cette prétention, il faut rappeler les propos suivants de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 3 C.F. 537, 2002 CAF 89, [2002] A.C.F. no 302 (QL), aux paragraphes 29-30 :
Cependant, comme le juge MacGuigan l'a reconnu dans l'arrêt Sheikh, précité, le témoignage du revendicateur sera souvent le seul élément de preuve reliant ce dernier à la persécution qu'il allègue. Dans de tels cas, si la Commission ne considère pas que le revendicateur est crédible, il n'y aura aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour étayer la revendication. Comme ils ne traitent pas de la situation du revendicateur en particulier, les rapports sur les pays seuls ne constituent généralement pas un fondement suffisant sur lequel la Commission peut s'appuyer pour reconnaître le statut de réfugié.
Par contre, l'existence de certains éléments de preuve crédibles ou dignes de foi n'empêchera pas une conclusion d'"absence de minimum de fondement" si ces éléments de preuve sont insuffisants en droit pour que le statut de réfugié soit reconnu au revendicateur. D'ailleurs, dans la décision faisant l'objet du présent appel, le juge Teitelbaum a confirmé la conclusion d'"absence de minimum de fondement", même s'il a conclu, contrairement à la Commission, que le témoignage du revendicateur concernant la possibilité d'obtenir parfois la protection de la police était crédible à la lumière de la preuve documentaire. La preuve du revendicateur sur cette question n'a cependant pas joué un rôle déterminant dans la décision de la Commission de rejeter sa revendication. [...]
[64] Ce dernier paragraphe ci-haut démontre sans conteste qu'est erronée la prétention de M. Metuku selon laquelle « il suffit de prendre connaissance de la liste des pièces, de la preuve du cartable de la Commission sur l'Albanie (les vendettas) et de tenir compte du témoignage du demandeur pour constater que le revendicateur avait un dossier solide au soutien de sa demande » .
CONCLUSION
[65] En l'espèce, la Commission n'a pas violé l'équité procédurale ou la justice naturelle en refusant les demandes préliminaires de la procureure de M. Metuku. Ces demandes ont été considérées de façon adéquate par le commissaire qui était justifié de les refuser de la façon qu'il l'a fait.
[66] De plus, la conclusion de la Commission par rapport à la crédibilité de M. Metuku et des documents qu'il a présentés en preuve était raisonnable. Il appartient à la Commission de déterminer la crédibilité des témoignages et de la preuve soumise au soutien de la demande d'asile. Cette Cour n'interviendra pas dans cette décision.
JUGEMENT
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
2. Aucune question grave de portée générale est certifiée.
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6935-05
INTITULÉ : PERPARIM METUKU c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL, QUÉBEC
DATE DE L'AUDIENCE : le 21 juin 2006
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE SHORE
DATE DES MOTIFS : le 29 juin 2006
COMPARUTIONS:
Me Éveline Fiset
|
POUR LE DEMANDEUR |
Me Mario Blanchard
|
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
ÉVELINE FISET Montréal (Québec)
|
POUR LE DEMANDEUR |
JOHN H. SIMS C.R. POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE Sous-procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR |