Ottawa (Ontario), le 29 août 2005
EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER
ENTRE :
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETE ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l'encontre d'une décision rendue le 4 novembre 2003 par l'agent des visas, M. Kivuvani, du Haut-Commissariat à Nairobi, au Kenya, rejetant la demande comme personnes à charge de ses deux frères, Abdi et Kahin, inclus dans la demande de parrainage de la mère du demandeur.
LE CONTEXTE FACTUEL
[2] Le demandeur, un résident permanent, a déposé une demande pour parrainer sa mère, Hasno Duale Dowel, ainsi que ses deux enfants (c.-à-d. les deux frères du demandeur), Abdi et Kahin, en tant que personnes à charge, lesquels étaient tous des citoyens de la Somalie. Les deux fils étaient prétendument âgés de 16 et 18 ans au moment de la demande de parrainage. Des certificats de naissance somaliens ont été présentés comme preuve de leur âge.
[3] On a demandé à Mme Dowel et à ses deux fils de subir une série d'examens médicaux. En particulier, le Haut-Commissariat du Canada à Nairobi a écrit au Dr N. Georgialis le 13 janvier 2005 pour lui demander ce qui suit : (1) un stade du développement de Tanner (comprenant un historique de l'apparition des premières règles et du cycle pour les demanderesses); (2) âge dentaire par éruption ou non de la troisième molaire maxillaire et mandibulaire; (3) âge osseux en utilisant a) le genou pour l'évaluation du début et de l'achèvement de la fusion de la tubérosité tibiale antérieure, b) la clavicule pour l'évaluation du début et de l'achèvement de la fusion de la clavicule; (4) hématocrite (pourcentage) pour les demandeurs de sexe masculin seulement; (5) phosphatase alcaline sérique (UI/L); (6) examen des antécédents maternels et obstétricaux; (7) examen physique du demandeur : quelle est votre impression générale de l'âge du demandeur?
[4] Par la suite, la mère du demandeur s'est vue accorder un visa de résidente permanente. Toutefois, l'agent des visas a décidé que les deux fils n'appartenaient pas à la catégorie du regroupement familial. Du fait que les résultats des examens relatifs à l'âge osseux indiquaient qu'ils avaient [traduction] « plus de » 25 ans, ils ne pouvaient pas être considérés comme des enfants à charge, lesquels sont définis comme ayant moins de 22 ans.
LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE
[5] En se basant sur les examens relatifs à l'âge osseux, l'agent des visas a décidé que les frères du demandeur n'avaient pas moins de 22 ans et qu'ils n'étaient pas visés par les catégories de la définition d'un « enfant à charge » [1]. Par conséquent, en conformité avec le paragraphe 117(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement)[2], l'agent des visas a conclu que les deux frères du demandeur ne pouvaient pas être considérés comme appartenant à la catégorie du regroupement familial.
[6] La norme de contrôle applicable à la décision de l'agent des visas est, à mon avis, celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans la décision Sharief c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 386 (1re inst.), la juge Dawson a appliqué cette norme alors que, précisément comme en l'espèce, l'âge des enfants à charge putatifs était en cause. Elle s'est appuyée sur l'arrêt Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1575 (C.A.), dans lequel le juge Malone a déclaré :
12 Les demandes d'admission au Canada à titre d'immigrant sont assujetties à la décision discrétionnaire d'un agent des visas qui doit tenir compte de certains critères prévus par la loi pour prendre sa décision. Lorsque ce pouvoir conféré par la loi a été exercé de bonne foi et conformément aux principes de justice naturelle et que la décision n'a pas été fondée sur des considérations non pertinentes ou étrangères à l'objet de la législation, les tribunaux ne devraient pas intervenir (Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, pages 7 et 8; To c. Canada, [1996] A.C.F. no 696 (C.A.F.)).
[7] De même, dans une autre décision où les circonstances reflétaient étroitement celles de l'espèce - l'âge de deux fils (établi par les examens relatifs à l'âge osseux) était en cause - le juge O'Reilly a décidé qu'il s'agissait de la norme de la décision manifestement déraisonnable : voir Baseer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2004] A.C.F. no 1239.
LA DÉCISION DE L'AGENT DES VISAS ÉTAIT-ELLE MANIFESTEMENT DÉRAISONNABLE?
[8] Le demandeur soutient que l'agent des visas a commis une erreur en refusant de reconnaître la validité des certificats de naissance somaliens déposés en preuve relativement à l'âge de ses frères.
[9] Dans la décision Sharief, précitée, la Cour a conclu que l'agente des visas n'avait pas commis d'erreur susceptible de révision en préférant, quant à la preuve de l'âge, les avis de médecins qualifiés aux cartes d'identité iraquiennes en raison du fait qu'on ne connaissait pas la fiabilité de la documentation iraquienne.
[10] En l'espèce, la décision de l'agent de s'appuyer sur la preuve médicale plutôt que sur les certificats de naissance somaliens n'était pas simplement une question de préférence mais de pratique puisque les autorités de l'immigration canadienne considère la fiabilité des documents somaliens comme étant contestable en raison de l'absence d'un gouvernement centralisé dans ce pays. Par conséquent, le fait d'écarter les certificats de naissance somaliens ne peut, à mon avis, équivaloir à une erreur susceptible de révision.
[11] Il est vrai que l'agent des visas ne disposait d'aucun renseignement sur la précision relative des examens relatifs à l'âge osseux lorsque la décision fut rendue. Cette absence de renseignements a troublé le juge O'Reilly dans la décision Baseer, précitée, dans laquelle il fut conclu que la décision de l'agent des visas était manifestement déraisonnable.
[12] Toutefois, je crois que les circonstances factuelles particulières de cette affaire sont différentes des faits de l'espèce. Dans la décision Baseer, précitée, les enfants à charge en question étaient prétendument âgés de 17,5 et de 16 ans alors que les examens relatifs à l'âge osseux concluaient qu'ils étaient âgés de 18 ans ou plus. L'agent des visas a néanmoins rejeté leur demande de résidence permanente à titre de membres de la catégorie du regroupement familial pour avoir fait une fausse déclaration importante, contrairement à l'alinéa 40(1)a) de la Loi. Évidemment, cette différence aurait pu s'expliquer par un pourcentage d'erreur pouvant être inhérent dans les examens relatifs à l'âge osseux. Et, de toute façon, les deux enfants dans la décision Baseer, précitée, auraient pu être admissibles en raison du fait qu'ils avaient moins de 22 ans, comme l'a fait remarquer le juge O'Reilly, n'eut été cette conclusion selon laquelle une fausse déclaration importante avait été faite.
[13] Par contre, la différence entre l'âge allégué des enfants à charge putatifs en l'espèce et leur âge selon les examens relatifs à l'âge osseux estbeaucoup plus grande. Les garçons auraient 16 et 18 ans alors que les examens relatifs à l'âge osseux indiquaient que les deux avaient plus de 25 ans.
[14] En résumé, l'agent des visas semble avoir fondé sa décision sur la meilleure preuve disponible concernant l'âge des deux enfants à charge putatifs. Ainsi, je ne suis pas convaincue que la décision de l'agent des visas en l'espèce était manifestement déraisonnable, qu'elle était, autrement dit, « clairement irrationnelle » ou « à ce point viciée qu'aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir » : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 52.
LES EXIGENCES DE L'ÉQUITÉ PROCÉDURALE ONT-ELLES ÉTÉ SATISFAITES?
[15] Après avoir conclu que la décision de l'agent des visas ne contrevenait pas à la norme de contrôle applicable, la seule question en litige qui demeure a trait à la justice naturelle. À cet égard, aucune norme de contrôle n'entre en jeu; l'équité procédurale, littéralement, concerne le processus suivi pour en arriver à une décision par rapport à la décision elle-même : S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, et Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249.
[16] Le demandeur prétend qu'il n'a pas été avisé clairement que les certificats de naissance somaliens ne constituaient pas une preuve suffisante de l'âge de ses frères, ce qui constitue un déni de justice naturelle.
[17] Cet argument va à l'encontre des faits de l'espèce. D'abord, dans une lettre du Haut-Commissariat du Canada datée du 29 août 2003 adressée au demandeur et à sa mère, il est indiqué clairement que les documents de naissance soumis ne sont pas satisfaisants pour établir l'existence d'un lien de sang. De plus, une autre lettre du Haut-Commissariat du Canada datée du 13 janvier 2003, requiert un examen médical des deux frères avec une demande d'examination d'âge. Il est difficile de comprendre quelle autre explication pouvait donner le Haut-Commissariat. Le demandeur ne peut prétendre avoir été pris par surprise puisqu'il était clair de la correspondance que l'examen médical était requis pour déterminer l'âge de ses deux frères.
[18] Le demandeur soutient également que l'agent des visas n'a pas respecté l'équité procédurale parce que les résultats négatifs des tests de masse osseuse furent communiqués à M. Miele du bureau de l'honorable Stéphane Dion, (lequel avait été mandaté par le demandeur pour effectuer le suivi) sans mentionner qu'il s'agissait d'une décision finale et lui accorder un délai pour soumettre d'autre documentation. Le demandeur reconnaît cependant avoir été informé verbalement par M. Miele le 9 septembre 2003. Or, il s'est écoulé deux mois avant que l'agent des visas rende sa décision finale; ce délai était amplement suffisant pour permettre au demandeur de contester les résultats des examens relatifs à l'âge osseux et/ou de présenter d'autres éléments de preuve pour démontrer que les garçons avaient, en fait, moins de 22 ans, ce qu'il n'a pas fait.
[19] Je ne peux accepter la proposition selon laquelle les exigences de l'équité procédurale n'ont pas été satisfaites.
[20] La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.
[21] La procureure du demandeur a demandé que la question suivante soit certifiée :
Est-ce que la correspondance intergouvernementale entre le Haut-Commissariat et un député peut-être considérée comme un avis d'intention négatif si la correspondance n'indique pas qu'il ne s'agit pas d'une décision finale et ne donne pas de délai pour y répondre et qu'au surplus, le demandeur n'est autorisé à en recevoir copie?
[22] Cette question ne porte que sur la présente affaire. Elle ne transcende pas les intérêts des parties en litige. Il ne s'agit donc pas d'une question grave de portée générale. La question ne sera pas certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
JUGE
Annexe A
L'article 2 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés définit un « enfant à charge » comme suit :
« enfant à charge » L'enfant qui : a) d'une part, par rapport à l'un ou l'autre de ses parents : (i) soit en est l'enfant biologique et n'a pas été adopté par une personne autre que son époux ou conjoint de fait, (ii) soit en est l'enfant adoptif; b) d'autre part, remplit l'une des conditions suivantes : (i) il est âgé de moins de vingt-deux ans et n'est pas un époux ou conjoint de fait, (ii) il est un étudiant âgé qui n'a pas cessé de dépendre, pour l'essentiel, du soutien financier de l'un ou l'autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l'âge de vingt-deux ans ou est devenu, avant cet âge, un époux ou conjoint de fait et qui, à la fois : (A) n'a pas cessé d'être inscrit à un établissement d'enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui-ci, (B) y suit activement à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle, (iii) il est âgé de vingt-deux ans ou plus, n'a pas cessé de dépendre, pour l'essentiel, du soutien financier de l'un ou l'autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l'âge de vingt-deux ans et ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental.
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"dependent child", in respect of a parent, means a child who (a) has one of the following relationships with the parent, namely, (i) is the biological child of the parent, if the child has not been adopted by a person other than the spouse or common-law partner of the parent, or (ii) is the adopted child of the parent; and (b) is in one of the following situations of dependency, namely, (i) is less than 22 years of age and not a spouse or common-law partner, (ii) has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 -- or if the child became a spouse or common-law partner before the age of 22, since becoming a spouse or common-law partner -- and, since before the age of 22 or since becoming a spouse or common-law partner, as the case may be, has been a student(A) continuously enrolled in and attending a post-secondary institution that is accredited by the relevant government authority, and (B) actively pursuing a course of academic, professional or vocational training on a full-time basis, or (iii) is 22 years of age or older and has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 and is unable to be financially self-supporting due to a physical or mental condition.
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La section pertinente du paragraphe 117(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés se lit comme suit :
117. (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu'ils ont avec le répondant les étrangers suivants : [¼] e) la personne qui satisfait à l'une des conditions prévues aux sous-alinéas b)(i), (ii) ou (iii) de la définition de « enfant à charge » à l'article 2 et dont le répondant est devenu tuteur alors qu'elle était âgée de moins de dix-huit ans, si les conditions suivantes sont réunies : (i) ses parents sont décédés ou elle a été déclarée abandonnée par les autorités compétentes du pays où elle réside, (ii) elle ne peut être adoptée dans le pays où elle réside, (iii) les autorités compétentes du pays où elle réside l'ont autorisée par écrit à quitter celui-ci en compagnie du répondant ou de la personne autorisée par ce dernier, (iv) le répondant résidait au Canada au moment où il est devenu tuteur de la personne et les autorités compétentes de la province de destination ont déclaré par écrit qu'elles ne s'opposaient pas à la tutelle et qu'elles reconnaissaient celle-ci pour l'application du droit provincial; [¼]
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117. (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is [¼] (e) a person described in subparagraph (b)(i), (ii) or (iii) of the definition "dependent child" in section 2 and in respect of whom the sponsor became the guardian while the person was under the age of 18, if (i) the person's parents are deceased or the person has been declared, by a competent authority in the country where the person resides, to be abandoned, (ii) it is not possible for the person to be adopted in the country where they reside, (iii) the competent authority of the country where the person resides has authorized the person in writing to leave the country in the company of the sponsor or a person authorized by the sponsor, and (iv) the sponsor resided in Canada at the time they became the person's guardian and the competent authority of the person's province of intended destination has issued a written statement confirming that it does not oppose the guardianship and that the guardianship will be recognized for the purposes of provincial law; [¼] |
COUR FIDIRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-752-05
INTITULI: SULEIMAN DUALE ABDILAHI
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETIET DE L MMIGRATION
LIEU DE L UDIENCE : Montr l (Qu ec)
DATE DE L UDIENCE : Le 23 ao 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Madame le juge Tremblay-Lamer
DATE DES MOTIFS : Le 29 ao 2005
COMPARUTIONS:
Me Claudia Andrea Molina POUR DEMANDERESSE
Me Diane Lemery POUR DIFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Me Claudia Andrea Molina
1434, rue Ste-Catherine ouest
Bureau 200
Montr l (Qu ec)
H3G 1R4 POUR DEMANDERESSE
John H. Sims, c.r.
Sous-procureur g al du Canada
Montr l (Qu ec) POUR DIFENDERESSE