IMM-4674-96
OTTAWA (ONTARIO), le mardi 30 septembre 1997
EN PRÉSENCE DE : Le juge suppléant Darrel V. Heald
ENTRE
NASRIN MOUSAVI-SAMANI,
MONA KHALAJ,
ARSHIA KHALAJ et
RABIOLAH KHALAJ,
requérants,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Darrel V. Heald
Juge suppléant
Traduction certifiée conforme
Tan Trinh-viet
IMM-4674-96
ENTRE
NASRIN MOUSAVI-SAMANI,
MONA KHALAJ,
ARSHIA KHALAJ et
RABIOLAH KHALAJ,
requérants,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE SUPPLÉANT HEALD
Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 20 novembre 1996 dans laquelle la section du statut de réfugié, de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a conclu que les requérants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.
LES FAITS
Les requérants sont citoyens iraniens et il sont quatre, à savoir Nasrin (la revendicatrice), son conjoint Rabiolah (le revendicateur) et leurs enfants Mona et Arshia (les revendicateurs mineurs). Ils prétendent être persécutés du fait de leurs opinions politiques et/ou de l'appartenance à un groupe social. La requérante travaille pour la Bank of Saderat en Iran. En août 1993, elle s'est rendu compte d'une fraude commise à la banque par plusieurs agents gouvernementaux bien en vue de la fondation Devotees and Deprived (Pratiquants et Déshérités), un organisme gouvernemental bien connu dont le mandat était de surveiller et d'assister les anciens combattants invalides/handicapés. Cette fraude a été commise en prenant des chèques appartenant aux comptes des agents et en les certifiant même s'il n'existait pas suffisamment de fonds en vue d'une certification légitime.
La requérante a fait part au directeur de la banque de ses inquiétudes. Ce dernier a avisé la requérante que la situation ne relevait pas de ses responsabilités. Il a également dit qu'il s'agissait d'une affaire confidentielle. Elle se préoccupait d'être impliquée dans ce plan. Elle s'est adressée à son ancien superviseur en vue d'obtenir son assistance. En avril 1995, ce dernier a été tué à coups de couteau. Des agents gouvernementaux ont prétendu que cet ancien superviseur avait été tué dans une tentative de vol qualifié.
En avril 1995, la requérante et son mari ont rédigé un document donnant des détails sur la fraude alléguée, et ils l'ont envoyé à des journaux. La publicité qui s'est ensuivie a entraîné l'arrestation et la condamnation de la plupart des participants à la fraude.
La requérante a appris qu'elle-même et son mari faisaient l'objet d'une enquête. Elle pensait qu'il était probable qu'ils soient également poursuivis pour la fraude. Elle craignait qu'une personne particulière qui avait participé à la fraude mais qui n'avait pas été poursuivie userait de représailles envers eux (Mohsen Rafigh - Doost).
LA DÉCISION DE LA COMMISSION
La Commission a tiré des conclusions favorables quant à la crédibilité du récit de la revendicatrice1. Elle a également relevé deux principales questions : a) La crainte de vengeance des requérants équivaut-elle à de la persécution? et b) Existait-il un lien avec un motif énuméré dans la Convention?
a) Crainte de vengeance
La Commission a conclu que le fait pour le gouvernement d'avoir arrêté, déclaré coupables les participants à la fraude et de les avoir condamnés à des peines démontrait clairement que le gouvernement ne tolérait pas un tel acte. Après avoir observé que l'Iran est notoire pour l'absence des voies de droit régulières, la Commission a conclu que cela indiquait seulement que les requérants avaient besoin d'être protégés, mais n'établissait pas qu'ils étaient persécutés. La crainte de poursuite des requérants est due à la perception qu'ils participent à des activités criminelles et non à leurs opinions politiques.
b) Lien avec un motif énuméré dans la Convention
À ce sujet, la Commission a examiné si le compte rendu par les requérants de la fraude équivalait à la contestation du pouvoir du régime de gouverner, ce qui constituait l'expression des opinions politiques. La Commission a conclu que puisque d'énergiques mesures avaient été prises par l'État contre certains des agents corrompus, dénoncer la corruption ne pouvait être perçu comme une contestation du pouvoir du régime. Le simple fait que des agents gouvernementaux soient impliqués dans ce mal craint par les requérants ne fournit pas un lien avec la Convention du fait des opinions politiques.
c) Groupe social
La Commission a également conclu que les informateurs agissant contre les criminels, les agents corrompus ne sauraient être considérés comme constituant un groupe social. Faisant état de l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward2, la Commission a conclu que la crainte des requérants étant la crainte d'être la cible d'une forme hautement individualisée de persécution, ils ne craignent pas d'être persécutés du fait des caractéristiques de leur groupe.
ANALYSE
1. Crainte de vengeance
À mon avis, il était raisonnable pour la Commission de conclure que la vendetta personnelle crainte par les requérants ne constituait pas de la persécution compte tenu de la définition de réfugié au sens de la Convention. Ce point de vue est étayé pas la décision Marincas c. M.E.I.3, où le juge Tremblay-Lamer s'est exprimée en ces termes : "La crainte d'une vengeance personnelle ne constitue pas la crainte de persécution." La décision rendue par le juge Gibson dans l'affaire Rawji c. M.E.I.4 abonde dans le même sens. Même si la vengeance personnelle en l'espèce était le fait d'un agent gouvernemental, il était raisonnable pour la Commission de conclure, comme elle l'a fait, que ce fait en soi ne changeait pas la nature de ces actes pour en faire des actes de persécution. Il n'existe pas de preuve que l'auteur du délit agissait en tant qu'agent gouvernemental.
2. Lien avec un motif énuméré dans la Convention
À mon avis, il était également raisonnable pour la Commission de conclure que les requérants n'avaient pas établi l'existence d'un lien avec un motif énuméré dans la Convention. La conclusion de la Commission selon laquelle les actes des requérants ne constituaient pas la contestation du pouvoir du régime iranien de gouverner était une conclusion raisonnable compte tenu du dossier. Telle est aussi ma conclusion parce que celle de la Commission reposait sur ses conclusions de fait selon lesquelles l'État avait pris d'énergiques mesures contre certains des agents corrompus, dénonçant ainsi publiquement la corruption.
3. Groupe social
À mon avis, l'analyse de la Commission à ce sujet est étayée par les principes énoncés dans l'arrêt Ward supra. La Commission a conclu que la crainte de poursuite des requérants exigeaient peut-être qu'ils soient protégés, mais qu'une telle protection ne se rapportait à aucun des motifs énumérés dans la Convention. En conséquence, il ne s'agit pas d'une protection visée à la définition. Leur crainte de poursuite est due à une participation suspecte à des activités criminelles et ne repose pas sur un motif énuméré dans la Convention. Puisque la Commission avait déjà conclu que les requérants n'étaient pas visés à cause de leurs opinions politiques, il lui était raisonnablement loisible de conclure que la poursuite possible des requérants pour fraude était due à une participation soupçonnée au crime et non à des représailles de la dénonciation de la corruption de l'État.
CONCLUSION
Par tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
CERTIFICATION
L'avocat des requérants a proposé la certification de trois questions graves de portée générale en application de l'article 83 de la Loi sur l'immigration. Ces questions sont ainsi rédigées :
[TRADUCTION] |
1. La dénonciation de la corruption des agents gouvernementaux équivaut-elle à l'expression d'opinions politiques? |
2. Le rouage gouvernemental doit-il être engagé pour que celui qui dénonce la corruption de l'État soit considéré comme faisant l'objet de persécution? |
3. Avoir connaissance de la corruption au sein du rouage gouvernemental équivaut-il à l'appartenance à un groupe social? |
L'avocate de l'intimé s'est opposée à la demande de certification. Selon elle, le résultat de la présente demande dépend dans une grande mesure des conclusions de fait. Je suis d'accord avec l'avocate de l'intimé. Le point saillant en l'espèce est de savoir si, dans leurs actes, les requérants adultes agissaient au nom de l'État. La Commission, en tant que juge des faits, a conclu à l'encontre des requérants sur ce point. En conséquence, les réponses de la Cour d'appel à ces questions ne pourraient influer sur l'issue de la présente demande de contrôle judiciaire. Par ces motifs, les questions
proposées en l'espèce ne devraient pas être certifiées5.
Darrel V. Heald
Juge suppléant
Ottawa (Ontario)
Le 30 septembre 1997
Traduction certifiée conforme
Tan Trinh-viet
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-4674-96 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : Nasrin Mousavi-Samani et autres c. MCI |
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario) |
DATE DE L'AUDIENCE : Le 26 septembre 1997 |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE HEALD
EN DATE DU 30 septembre 1997 |
ONT COMPARU :
Kirk J. Cooper pour le requérant
Sally Thomas pour l'intimé
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Kirk J. Cooper pour le requérant
Toronto (Ontario)
George Thomson
Sous-procureur général du Canada
pour l'intimé
__________________
1 Dossier de demande de la requérante, page 8.
4 IMM-5929-93, 25 novembre 1994.
5 Comparer Malouf c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995) 190 N.R. 230.