Date : 20230802
Dossier : IMM‑8343‑22
Référence : 2023 CF 1057
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 2 août 2023
En présence de monsieur le juge Régimbald
ENTRE : |
ZAHRA HAMZEI
MOHAMMAD SINA ESFAHANIAN
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demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Résumé
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 14 juin 2022 [la décision] par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente présentée par les demandeurs au titre de la Politique d’intérêt public visant à faciliter l’octroi de la résidence permanente aux membres de la famille se trouvant au Canada des victimes canadiennes de catastrophes aériennes récentes [la Politique], établie conformément à l’article 25.2 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
[2] Les demandeurs affirment que leurs observations font valoir des motifs d’ordre humanitaire convaincants et que l’agent a commis une erreur en n’utilisant pas son pouvoir discrétionnaire pour examiner la possibilité d’accorder la résidence permanente aux demandeurs en fonction de ces motifs.
[3] À mon avis, les demandeurs n’ont pas démontré que la décision contenait une erreur susceptible de révision et, par conséquent, la demande sera rejetée.
II. Régime législatif applicable
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III. Contexte factuel
[4] Le 8 janvier 2020, Sara Hamzei, la sœur de la demanderesse principale et tante du codemandeur, a péri sur le vol 752 d’Ukraine International Airlines à son retour au Canada après des vacances en Iran. L’avion a été frappé par un missile iranien après son décollage de Téhéran. Sara Hamzei était résidente permanente du Canada.
[5] À la suite de cette catastrophe et de l’écrasement d’un vol d’Ethiopian Airlines à Addis‑Abeba le 10 mars 2019, le gouvernement canadien a adopté le 12 mai 2021 une politique en vertu du paragraphe 25.2(1) de la LIPR, afin de venir en aide aux familles des victimes de ces deux écrasements d’avion. La Politique accordait la possibilité aux membres admissibles de la famille des victimes de l’un ou l’autre écrasement d’obtenir la résidence permanente lorsque les victimes étaient citoyens canadiens, résidents permanents ou avaient été jugées admissibles à la résidence permanente à la date de leur décès. Autrement dit, comme Sara Hamzei était résidente permanente du Canada au moment de l’écrasement, les membres de sa famille pouvaient demander la résidence permanente au Canada s’ils remplissaient une condition prévue dans la Politique.
[6] Le 19 avril 2022, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente au titre de la Politique. Le conseil des demandeurs a joint à la demande une lettre d’accompagnement d’une page qui décrit les difficultés de Mme Hamzei après la perte de ses proches et mentionne qu’elle reçoit de l’aide psychologique.
IV. La décision
[7] L’agent a rendu sa décision le 14 juin 2022. Il a conclu que les demandeurs avaient démontré qu’ils avaient un lien de parenté admissible avec une victime de l’un des accidents. Toutefois, l’agent n’était pas convaincu que les demandeurs résidaient au Canada conformément à un statut d’immigration admissible au titre de la Politique, à savoir que les demandeurs :
A. se trouvaient au Canada en vertu d’un statut de résident temporaire valide quand le membre de leur famille en question est décédé dans l’écrasement des vols ET302 ou PS752; ou
B. avaient obtenu la résidence temporaire ou un permis de séjour temporaire après le décès du membre de leur famille dans l’écrasement des vols ET302 ou PS752, s’ils avaient demandé le statut de résidence temporaire au Canada avant la date de signature de la présente politique; ou
C. avaient présenté une demande d’asile au Canada à la date du décès du membre de leur famille dans l’écrasement des vols ET302 ou PS752 ou après; ou
D. avaient bénéficié de la politique d’intérêt public visant à faciliter l’octroi de la résidence temporaire concernant les familles des victimes du vol PS752 de 2020 ou de 2021;
[8] En fait, et les demandeurs ne contestent pas la conclusion qui précède, ils n’étaient pas admissibles au titre de la Politique et l’agent a rejeté leur demande.
[9] Le 17 juin 2022, le conseil des demandeurs a envoyé un courriel à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour demander le réexamen de la demande présentée par les demandeurs. Le 10 août 2022, n’ayant pas reçu de réponse, le conseil des demandeurs a de nouveau envoyé une demande de réexamen. La demande subséquente comprenait le paragraphe suivant :
[traduction]
Je vous demanderais de bien vouloir me donner votre avis sur l’affaire, s’il y a des mesures que nos clients peuvent prendre. La famille a éprouvé énormément de douleur et de chagrin et s’il y a un moyen de réexaminer la décision et de leur donner de bonnes nouvelles, ce serait très apprécié.
[10] Le 12 août 2022, l’agent a répondu qu’il avait examiné les documents à l’appui et la demande de réexamen au regard des critères de la politique et qu’il maintenait la décision précédente.
[11] Trois autres membres de la famille des victimes ont également présenté une demande au titre de la Politique. Le rejet de leur demande a été contesté dans deux demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire qui ont été rejetées (IMM‑8336‑22 et IMM‑8344‑22).
[12] Lors de l’audience, les demandeurs ont admis qu’ils ne répondaient pas aux critères d’admissibilité de la Politique. Toutefois, les demandeurs soutiennent que dans leur demande de réexamen de la demande de résidence permanente qu’ils ont présentée au titre de la Politique, ils ont également demandé une dispense relativement à la Politique au titre de l’article 25 de la LIPR en raison de circonstances particulières impérieuses et pour des motifs d’ordre humanitaire.
V. Questions en litige
[13] La principale question en litige est la suivante :
L’agent a‑t‑il commis une erreur en omettant d’examiner si la demande de résidence permanente des demandeurs fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée au titre de l’article 25 de la LIPR l’emportait sur l’irrecevabilité de leur demande présentée au titre de la Politique?
VI. Norme de contrôle
[14] La décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
[15] Une décision raisonnable doit « être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
. Par conséquent, la Cour ne devrait intervenir que si la décision de l’agent ne satisfait pas aux critères de la transparence, de l’intelligibilité et de la justification (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 15‑17, 25, 85‑86, 99).
[16] Lorsqu’elle effectue un contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable, la cour doit tenir compte à la fois du résultat de la décision et du raisonnement à l’origine de ce résultat (Vavilov, au para 87). Une décision raisonnable doit être « justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »
(Vavilov, au para 99). Toutefois, une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125). Si les motifs du décideur permettent à la cour de révision de comprendre pourquoi la décision a été rendue et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la décision sera jugée raisonnable (Vavilov, aux para 85‑86).
VII. Thèse des parties
A. Thèse des demandeurs
[17] Les demandeurs affirment que dans la demande qu’ils ont présentée au titre de la Politique, ils ont également demandé, à titre subsidiaire, d’être autorisés à demeurer au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Dans les observations qu’ils ont présentées à l’agent, les demandeurs ont expliqué que leurs proches leur avaient rendu visite en Iran avant l’écrasement et que ce qui s’était passé par la suite leur avait causé un traumatisme émotionnel.
[18] Les demandeurs soutiennent que l’agent chargé d’examiner une demande a le pouvoir discrétionnaire d’exempter un demandeur des obligations prévues dans toute disposition de la LIPR ou son règlement d’application, conformément à l’article 25 de la LIPR. Les demandeurs soutiennent qu’ils ont demandé à l’agent de tenir compte de leur situation personnelle et que l’agent a commis une erreur en n’envisageant pas d’accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.
[19] Dans les observations qu’ils ont présentées en réplique, les demandeurs estiment que la demande suivante constituait une demande d’examen pour des motifs d’ordre humanitaire :
[traduction]
Je vous demanderais de bien vouloir me donner votre avis sur l’affaire, s’il y a des mesures que nos clients peuvent prendre. La famille a éprouvé énormément de douleur et de chagrin et s’il y a un moyen de réexaminer la décision et de leur donner de bonnes nouvelles, ce serait très apprécié.
[20] Il s’agit du seul paragraphe invoqué par les demandeurs pour justifier leur prétendue demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire. Aucun élément de preuve ou argument n’a été présenté à l’agent pour étayer leur affirmation.
[21] Les demandeurs s’appuient sur la décision Khandaker c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 985 [Khandaker], qui, selon eux, fait autorité à l’égard du principe selon lequel l’agent avait le pouvoir discrétionnaire de tenir compte des motifs d’ordre humanitaire dans la demande et d’accorder une dispense relativement aux critères du statut d’immigrant énoncés dans la Politique.
B. Thèse du défendeur
[22] Le défendeur soutient que l’agent a raisonnablement conclu que les demandeurs ne répondaient pas aux critères d’admissibilité de la Politique.
[23] Le défendeur affirme que les demandeurs n’ont pas formulé de demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire dans leurs observations ni dans leur demande de réexamen. Il soutient qu’en l’absence d’une telle demande, les observations présentées par les demandeurs ne peuvent pas équivaloir à une demande de facto, car ce serait contraire à la jurisprudence selon laquelle c’est à la partie demanderesse qu’il incombe de démontrer qu’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire est justifiée (Alrebeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1389 au para 36). De plus, l’agent n’est pas tenu d’inférer l’existence d’une demande qui n’a pas été énoncée clairement et étayée, et on ne peut pas reprocher à l’agent de ne pas avoir tenu compte d’une demande qui ne lui a jamais été présentée.
[24] En outre, le défendeur soutient que l’argument des demandeurs est contraire au libellé du paragraphe 25.2(1) de la LIPR, qui prévoit qu’un étranger doit remplir toute condition fixée par le ministre, si celui‑ci estime que l’intérêt public le justifie. Il affirme également que le paragraphe 25.2(1) confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de « lever tout ou partie des critères et obligations applicables [de la Loi] »
[non souligné dans l’original]. Selon le paragraphe 2(2), toute mention de la présente loi vaut également mention de ses règlements et des instructions données en vertu du paragraphe 14.1(1). Le défendeur affirme que la Politique n’est adoptée au titre d’aucune de ces dispositions et que, par conséquent, l’article 25 de la LIPR n’autorise pas l’agent à accorder une dispense de l’application des critères de la Politique, même si une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été présentée.
VIII. Analyse
[25] Les demandeurs s’appuient sur la décision Khandaker et soutiennent qu’ils pouvaient invoquer l’article 25 de la LIPR. Dans la décision Khandaker, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente, mais son épouse n’a pas pu le parrainer au titre du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. Dans sa demande, le demandeur avait explicitement sollicité une dispense de la disposition relative à la qualité de répondant pour des motifs d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la LIPR (Khandaker, aux para 6‑7). La Cour a conclu que la portée de l’article 25 était telle qu’elle permettait au demandeur de solliciter la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire et que l’agent avait commis une erreur en n’examinant pas la demande (Khandaker, aux para 73‑76).
[26] Les demandeurs affirment donc que, au vu de la décision Khandaker, l’agent avait le pouvoir discrétionnaire d’envisager une dispense des critères relatifs au statut d’immigrant énoncés dans la Politique et que le défaut pour l’agent d’examiner la possibilité constituait une erreur susceptible de contrôle.
[27] Le défendeur établit une distinction entre le cas qui nous occupe et la décision Khandaker au motif que dans cette affaire, la demande présentée au titre de l’article 25 de la LIPR était exigée par le Règlement (un répondant admissible) et que, par conséquent, l’article 25 s’appliquait parce qu’il donnait à l’agent le pouvoir d’accorder une dispense de l’application d’un règlement, ce qui correspond à la définition de l’expression « la présente loi »
au paragraphe 2(2) de la LIPR. En l’espèce, le défendeur affirme que la demande porte sur une dispense relative à une politique, et que le terme « politique »
ne figure pas dans la définition de l’expression « la présente loi »
au sens du paragraphe 2(2) de la LIPR.
[28] Je n’ai pas à trancher la question de savoir si l’agent avait le pouvoir d’accorder une dispense en vertu de l’article 25 concernant une exigence prévue dans une politique prise au titre du paragraphe 25.2(1) et si les exigences d’une politique sont comprises dans le sens de l’expression « la présente loi »
qui figure au paragraphe 2(2) de la LIPR. Si c’était le cas, l’agent aurait le pouvoir, au titre de l’article 25 de la LIPR, d’accorder une dispense d’une exigence prévue dans une politique pour des motifs d’ordre humanitaire.
[29] En l’espèce, je suis convaincu que, comme le souligne le défendeur, aucune demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’a été présentée, que ce soit dans la demande initiale de contrôle judiciaire des demandeurs ou dans leur demande de réexamen. Les demandeurs n’ont présenté dans leur demande initiale que de brèves observations sur le deuil de Mme Hamzei. Dans la demande de réexamen, le conseil des demandeurs a demandé des conseils et a souligné l’importance pour les demandeurs qu’aurait l’obtention d’un résultat favorable à leur demande de réexamen. Il convient de noter que, dans la décision Khandaker, sur laquelle les demandeurs s’appuient, le demandeur avait présenté explicitement une demande de dispense au titre de l’article 25 de la LIPR. Ce n’est pas le cas en l’espèce.
[30] Les demandeurs n’ont présenté aucune source qui indique qu’un agent doit examiner la possibilité de dispenser un demandeur de critères auxquels il ne satisfait pas, même en l’absence d’une demande en ce sens. En effet, selon le Guide 5291– Considérations d’ordre humanitaire, la partie qui demande la résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire doit présenter une demande « en bonne et due forme »
et des éléments de preuve à l’appui. Il incombe au demandeur de prouver l’existence de considérations d’ordre humanitaire (voir, par exemple, Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 au para 5).
[31] À mon avis, les demandeurs n’ont pas établi que la décision contenait une erreur susceptible de contrôle. Il n’est pas possible d’affirmer que la décision est déraisonnable parce que l’agent n’a pas envisagé d’accorder une dispense qui n’avait pas été dûment demandée pour des motifs d’ordre humanitaire.
IX. Conclusion
[32] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de la certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑8343‑22
LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :
La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Guy Régimbald »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑8343‑22 |
INTITULÉ :
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ZAHRA HAMZEI, MOHAMMAD SINA ESFAHANIAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE |
DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 6 JUIN 2023 |
JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE RÉGIMBALD |
DATE DES MOTIFS :
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LE 2 AOÛT 2023 |
COMPARUTIONS :
Lorne Waldman |
POUR LES DEMANDEURS |
Monmi Goswami |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waldman & Associates
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |