Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230724


Dossier : T-2731-22

T-2732-22

Référence : 2023 CF 1011

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2023

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

SILVIA DUMBRAVA

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Mme Silvia Dumbrava présente la présente demande de contrôle judiciaire de deux décisions [les décisions] datées du 30 novembre 2022 dans lesquelles ses demandes de Prestation canadienne d’urgence [PCU] et de Prestation canadienne de la relance économique [PCRE] ont été refusées.

[2] Le décideur a conclu que la demanderesse n’était pas admissible à la PCU et à la PCRE parce qu’elle ne satisfaisait pas à l’exigence de revenu minimum d’au moins 5 000 $ (avant impôt) provenant d’un emploi ou d’un travail qu’elle a exécuté pour son compte en 2019, en 2020 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle a présenté sa demande.

[3] Pour les motifs exposés ci-après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[4] La Cour n’est pas convaincue que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 100). D’après les motifs invoqués, la preuve et le dossier dont je dispose, je ne suis pas convaincu que la demanderesse s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que la décision était déraisonnable. Les décisions de l’Agence de revenu du Canada [ARC] selon lesquelles la demanderesse n’était pas admissible à la PCU et à la PCRE sont raisonnables.

II. Contexte

[5] Mme Dumbrava était étudiante à l’Université Concordia au moment où elle a présenté une demande pour recevoir la PCU et la PCRE. Elle travaillait également pour son père, qui est agent immobilier à Dorval, au Québec.

[6] Elle a demandé la PCU pour sept périodes de quatre semaines entre le 15 mars 2020 et le 26 septembre 2020. La demanderesse a également demandé la PCRE pour 16 périodes de deux semaines entre le 27 septembre 2020 et le 25 septembre 2021, et 15 paiements ont été émis.

[7] Le 8 septembre 2022 ou vers cette date, l’ARC a sélectionné les demandes de PCU et de PCRE de la demanderesse aux fins d’examen de l’admissibilité [le premier examen].

[8] Le 25 octobre 2022, après avoir examiné les documents fournis par la demanderesse, l’agent qui a fait le premier examen a conclu que la demanderesse n’était pas admissible à la PCU et à la PCRE, car elle n’avait pas démontré qu’elle satisfaisait à tous les critères d’admissibilité cumulatifs de ces programmes. La demanderesse n’avait pas fourni de preuve tangible qu’elle avait gagné un revenu d’au moins 5 000 $, et elle n’avait pas démontré qu’elle avait cessé de travailler en raison de la COVID-19 ni qu’elle avait subi une réduction de 50 % de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19.

[9] Le 7 novembre 2022, la demanderesse a demandé que les décisions rendues à la suite du premier examen soient examinées par un autre agent de l’ARC.

[10] Dans le cadre de ce deuxième examen, la demanderesse a présenté ce qui suit :

  1. Une facture de 1 000 $ préparée par la demanderesse et datée du 31 mars 2019;

  2. Une facture de 500 $ préparée par la demanderesse et datée du 30 juin 2019;

  3. Une facture de 2 000$ préparée par la demanderesse et datée du 30 septembre 2019;

  4. Une facture de 1 500 $ préparée par la demanderesse et datée du 30 décembre 2019;

  5. Un feuillet T4A émis par M. Viorel Tiberiu Dumbrava, le père de la demanderesse, pour l’année d’imposition 2019.

[11] En effectuant ce deuxième examen, l’agent de l’ARC a également tenu compte des éléments suivants :

  • a)Les notes prises par les agents de l’ARC pour documenter leur participation antérieure à la tentative de validation des demandes;

  • b)Les renseignements qui se trouvent dans les systèmes informatiques de l’ARC en ce qui concerne le revenu de la demanderesse pour les années d’imposition 2019, 2020 et 2021;

  • c)Le fait que la demanderesse a modifié sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2019 le 10 novembre 2022 après la prise des décisions relatives au premier examen, afin de déclarer un revenu de commission net de 5 000 $ au lieu de 0 $, comme il avait été déclaré précédemment;

  • d)Le résumé des cotisations fiscales de la demanderesse pour les années d’imposition 2019, 2020 et 2021.

[12] Au cours d’une discussion orale dans le cadre du deuxième examen tenue le 28 novembre 2022, la demanderesse a indiqué qu’elle avait travaillé comme assistante pour son père, Tiberiu Dumbrava, un courtier immobilier, qu’elle avait été payée en espèces, qu’elle avait cessé de travailler en mars 2020 en raison de la pandémie et qu’elle n’était pas retournée au travail depuis ce temps.

[13] Dans une lettre datée du 30 novembre 2022, le décideur a fourni à la demanderesse les décisions dans lesquelles l’ARC rejetait sa demande du 7 novembre 2022 visant à obtenir un deuxième examen de ses demandes de PCU et de PCRE [la deuxième décision].

[14] Selon les notes du décideur, la demanderesse a été invitée à fournir d’autres éléments de preuve pour démontrer qu’elle avait gagné le montant présumé de 5 000 $ en 2019 parce que les factures qu’elle avait fournies se rapportaient à un paiement qui avait été fait par un membre de sa famille proche. Le décideur a également demandé à la demanderesse de fournir une preuve du dépôt de ce montant dans un compte bancaire pour démontrer qu’elle l’avait effectivement reçu. La demanderesse n’a pas été en mesure de démontrer que ces fonds avaient été déposés.

[15] L’agent a conclu que la demanderesse n’était donc pas admissible à la PCU ni à la PCRE parce qu’elle n’était pas en mesure de fournir une preuve fiable établissant qu’elle avait gagné au moins 5 000 $ (avant impôt) au titre d’un emploi ou d’un travail qu’elle a exécuté pour son compte en 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle a présenté sa première demande, ce qui constituait l’un des critères d’admissibilité cumulatifs.

III. Questions préliminaires : le dépôt de nouveaux affidavits

[16] Le jour de l’audience, la demanderesse a déposé deux affidavits qui n’ont pas été présentés au décideur chargé d’examiner le dossier. Le défendeur s’oppose à ces affidavits au motif qu’ils ont été déposés de façon inappropriée.

[17] Les affidavits sont les suivants :

  1. Le premier affidavit est signé par le père de la demanderesse, M. Viorel Tiberiu Dumbrava, courtier immobilier, qui affirme qu’en tant que travailleur autonome, il avait embauché la demanderesse en 2019 à titre de secrétaire sur une base contractuelle et que son revenu pour cette période avait été de 5 000 $.

  2. Le deuxième affidavit est signé par la comptable de la demanderesse, Mme Raluca Lapadat. Dans cet affidavit, Mme Lapadat affirme qu’en 2019, la demanderesse a reçu 1 963,11 $ du centre d’appels Numeris et 5 000 $ du courtier immobilier Tiberiu Dumbrava. Son revenu total pour 2019 était donc de 6 963,11 $. Elle déclare dans son affidavit que la somme de 5 000 $ provenant de son père a été inscrite « par erreur » à la ligne 13 000 du feuillet T4 de 2019 comme « autre revenu ». Cette erreur a par la suite été corrigée en « Commissions provenant d’un travail exécuté pour son compte » sur le feuillet T4A/020.

[18] Le dépôt d’affidavits est assujetti aux articles 306 et suivants des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles]. Il est également assujetti à une jurisprudence uniforme de la Cour d’appel : (Canada (Procureur général) c Canadian North Inc., 2007 CAF 42 aux para 3 à 5, 7 à 9 et 12; Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c Alberta, 2015 CAF 268 aux para 17 à 22; Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux para 92 à 100). Dans une demande de contrôle judiciaire, le rôle de la Cour consiste à examiner la légalité ou le caractère raisonnable de la décision du décideur administratif, dans le contexte juridique et factuel présenté au décideur. En règle générale, les documents dont le décideur ne disposait pas ne sont pas admissibles en contrôle judiciaire, et la Cour ne devrait pas en tenir compte (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency [Access Copyright], 2012 CAF 22 [Association des universités] au para 19).

[19] Néanmoins, la Cour d’appel fédérale a reconnu trois exceptions à cette règle générale : 1) les nouveaux éléments de preuve contiennent de l’information contextuelle générale; 2) les nouveaux éléments de preuve répondent à des questions d’équité procédurale; ou 3) les nouveaux éléments font ressortir l’absence totale de preuve devant le décideur administratif (Association des universités, aux paragraphes 19 et 20).

[20] Dans le contexte des contrôles judiciaires des décisions de l’ARC rendues au titre de la PCU et de la PCRE, la Cour a déjà statué qu’elle ne doit pas tenir compte des documents supplémentaires fournis dans un affidavit à l’appui de la demande et qui n’ont pas été présentés au décideur administratif (Datta c Canada, 2022 CF 973 aux para 29 et 30; Lussier c Canada, 2022 CF 935 au para 2, Maltais c Canada (Procureur général), 2022 CF 817 [Maltais] aux para 20 et 21).

[21] Les deux affidavits présentés par la demanderesse n’ont pas été présentés aux agents de l’ARC. De plus, la demanderesse n’a pas démontré que ces affidavits répondent à l’une ou l’autre des exceptions établies par la Cour d’appel fédérale.

[22] Par conséquent, je n’examinerai pas ces documents dans le cadre du contrôle judiciaire des décisions de l’agent. De toute façon, ces documents n’auraient eu aucune incidence sur ces décisions.

[23] Le fait que la demanderesse ait reçu 5 000 $ à titre d’« autres revenus » ou de « commission » ne change rien au fait qu’elle n’a pas été en mesure de fournir d’autres éléments de preuve pour établir la source de ce montant. Elle n’a pas non plus été en mesure de démontrer que cette somme avait été payée et déposée dans un compte bancaire, surtout compte tenu de la relation entre la demanderesse et son employeur, soit son père.

[24] De plus, l’affidavit du comptable de la demanderesse n’est pas important parce qu’il ne répond pas non plus à la question du décideur quant à savoir si les fonds ont effectivement été payés et déposés dans un compte bancaire.

[25] Les renseignements fournis dans les deux affidavits ne répondent donc pas aux questions du décideur concernant l’admissibilité de Mme Dumbrava à la PCU et à la PCRE.

IV. Questions à trancher et norme de contrôle

[26] La norme de contrôle applicable à une décision d’un agent de l’ARC est celle du caractère raisonnable (Vavilov, aux para 16 et 17; Maltais, aux para 18 et 19). Le rôle de la Cour consiste à examiner le raisonnement du décideur administratif et le résultat obtenu afin de déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Vavilov, au paragraphe 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100; voir aussi Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 [Aryan] au para 45; Hayat c Canada (Procureur général), 2022 CF 131 [Hayat] au para 14; Kleiman c. Canada (Procureur général), 2022 CF 762, au para 29).

V. Analyse

A. Les décisions sont raisonnables

[27] La PCU et la PCRE ont été instaurées par le gouvernement du Canada dans le cadre d’un ensemble de mesures en réponse aux conséquences causées par la pandémie de COVID-19.

[28] Pour recevoir la PCU, le résident canadien admissible devait présenter une demande pour toute période de quatre semaines comprise entre le 15 mars 2020 et le 26 septembre 2020. L’une des conditions d’admissibilité comprenait un revenu total d’au moins 5 000 $ provenant d’un emploi ou d’un travail exécuté pour son compte pour l’année d’imposition 2019 ou au cours de la période de douze mois précédant la date à laquelle la demande a été présentée.

[29] Par la suite, en octobre 2020, la PCRE est entrée en vigueur. Cette prestation était offerte afin de fournir un soutien du revenu pour toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021 aux salariés et aux travailleurs indépendants admissibles directement touchés par la pandémie de COVID-19.

[30] Comme pour les critères d’admissibilité à la PCU, les demandeurs admissibles devaient avoir un revenu total d’au moins 5 000 $ provenant d’un emploi ou d’un travail exécuté pour leur compte pour l’année d’imposition 2019 ou 2020 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle leur demande avait été présentée à l’égard d’une période de deux semaines commençant en 2020 ou en 2021.

[31] Comme l’a établi le juge Diner dans Ntuer c Canada (Procureur général), 2022 CF 1596 au para 24, les critères d’admissibilité à la PCU et à la PCRE sont cumulatifs. Le demandeur doit répondre à tous les critères pour être admissible aux prestations versées au titre de ces programmes.

[32] Pour recevoir l’une ou l’autre de ces prestations, la demanderesse devait démontrer à l’ARC qu’elle satisfaisait, selon la prépondérance des probabilités, à tous les critères établis dans le cadre de ces programmes. Pour ce faire, la demanderesse devait fournir suffisamment d’éléments de preuve pour étayer sa demande (Payette c Canada (Procureur général), 2023 CF 131 au para 35).

[33] Par exemple, dans un cas où le demandeur était payé en espèces, la juge Elliot a conclu qu’il est important « d’avoir des registres dans lesquels figurent tous les détails des transactions et de déposer les fonds reçus en même temps sur un compte dans une institution financière. » (Walker c Canada (Procureur général du Canada), 2022 CF 381 [Walker] au para 55).

[34] Dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, Mme Dumbrova a le fardeau de démontrer que les décisions de l’agent étaient déraisonnables. L’essentiel des observations de la demanderesse est qu’il est déraisonnable pour l’ARC de lui demander de rembourser l’argent qui lui a été versé au titre de la PCU et de la PCRE, car elle a démontré que son revenu était de 6 963,11 $ avant impôt en 2019 et qu’elle était donc admissible aux prestations. La demanderesse soutient qu’elle a fourni des documents prouvant qu’elle a reçu un revenu suffisant en 2019, ce qui lui a permis de « remplir » toutes les exigences du programme de prestations.

[35] Le défendeur soutient que les décisions de refuser les demandes de PCU et de PCRE sont raisonnables, car elles sont fondées sur une analyse uniforme et sont justifiées compte tenu de la preuve et des contraintes juridiques applicables au décideur. Le défendeur prétend en outre qu’il incombait à la demanderesse d’établir qu’elle satisfaisait aux exigences de la loi. Cependant, elle a soutenu qu’elle avait été payée en espèces et qu’elle n’avait pas suffisamment de documents qui reflétaient tous les détails des opérations bancaires en cause. Les fonds n’ont pas été déposés dans un compte d’une institution financière au moment où elle les a reçus.

[36] À mon avis, il ressort du dossier que l’agent a examiné tous les documents présentés par la demanderesse. Le rôle de l’agent consistait à valider les demandes de PCU et de PCRE de la demanderesse au nom du ministre de l’Emploi et du Développement social. Il est important de noter que le rapport relatif au deuxième examen (les notes de l’agent) fait partie des motifs de la décision de l’agent (Sedoh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1431 au para 36; Aryan, au para 22; Ezou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 251 au para 17; McClintock’s Ski School & Pro Shop Inc. c Canada (Procureur général), 2021 CF 471 au para 26; Vavilov, aux para 94 à 98).

[37] Le décideur a examiné attentivement les documents que la demanderesse a présentés à l’appui de sa demande et les observations de cette dernière pour en arriver à la conclusion qu’elle n’était pas admissible, car elle n’avait pas démontré de façon concluante et de manière à le convaincrequ’elle avait gagné 5 000 $ (avant impôts) au titre d’un revenu d’emploi d’un travail exécuté pour son compte en 2019, en 2020 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle est a présenté sa première demande. L’agent a tenu compte de ce qui suit :

  • a)La demanderesse a déclaré avoir été payée en espèces et n’avoir déposé aucun montant dans un compte bancaire;

  • b)La demanderesse n’avait que des factures qu’elle avait préparées elle-même comme preuve de revenus; ces factures ont également été envoyées à un membre de sa famille immédiate, soit son père;

  • c)La demanderesse a modifié sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2019 le 11 novembre 2022, après la première décision de l’ARC, de façon à y ajouter un revenu de commission net de 5 000 $;

  • d)Étant donné que la demanderesse a un lien de dépendance avec l’employeur, d’autres documents ont été demandés pour démontrer que le travail avait été exécuté et rémunéré;

  • e)Les documents fournis par la demanderesse sont insuffisants pour démontrer qu’elle répond au critère du revenu de 5 000 $.

[38] Le décideur a conclu que les reçus et les déclarations de revenus fournis par de la demanderesse n’étaient pas des éléments de preuve suffisants pour prouver le revenu qu’elle soutenait avoir eu, étant donné qu’elle avait un lien de dépendance avec l’employeur, qui est son père.

[39] Rien n’indique que le décideur a omis de tenir compte de tous les documents et de toutes les observations fournis par la demanderesse (Vavilov, aux para 126 et127). En fait, le rapport relatif au deuxième examen montre que le décideur a tenu compte des documents à l’appui et des observations de la demanderesse.

[40] Comme il est indiqué ci-dessus, le décideur a pris en compte, dans le cadre du deuxième examen, les observations de la demanderesse ainsi que les quatre factures et le feuillet T4A fournis pour l’année d’imposition 2019.

[41] En plus de ces documents, le décideur a également tenu compte des renseignements et des documents suivants :

La déclaration de revenus de la demanderesse pour l’année d’imposition modifiée le 10 novembre 2022 afin de déclarer un revenu net net de travailleur autonome de 5 000 $ au lieu de 0 $, comme il avait été déclaré précédemment.

Les renseignements contenus dans les déclarations de revenus de la demanderesse pour les années 2019, 2020 et 2021 indiquant que la demanderesse a déclaré les revenus suivants :

Une copie du résumé des cotisations fiscales de la demanderesse pour les années d’imposition 2019, 2020 et 2021.

Le journal de communications « Bloc-notes » des systèmes concernant le dossier de la demanderesse. Les entrées y ont été consignées par les agents de l’ARC de plusieurs secteurs de travail (ou de divers secteurs de travail (ou systèmes automatisés)) dans le cadre de leurs interactions avec la demanderesse relativement à divers sujets et programmes. Une copie des entrées du registre relatives aux demandes de PCU et de PCRE de la demanderesse.

Le journal de communication « Observations » dans les systèmes de l’ARC concernant les dossiers relatifs à la PCU et à la PCRE de la demanderesse. Les entrées ont été consignées dans ce registre par les agents de l’ARC (ou par des systèmes automatisés) dans le cadre de l’examen des demandes de PCU et de PCRE de la demanderesse.

[42] Dans le contexte de la situation de la demanderesse, exiger une preuve supplémentaire que le revenu a été gagné et reçu est conforme aux objectifs de la PCU et de la PCRE. Les articles 3 et 6 de la loi qui a établi la PCU prévoient explicitement que la demanderesse doit fournir au ministre de l’Emploi et du Développement social tout renseignement que ce dernier peut exiger relativement à la demande.

[43] Comme il a été établi dans la décision Walker, le demandeur doit être en mesure de fournir d’autres éléments de preuve s’il a été payé en espèces :

[37] La responsabilité de l’autocotisation s’accompagne d’une obligation, énoncée à l’article 6 de la LPCRE, de fournir tout renseignement que l’ARC peut exiger pour confirmer la conformité aux dispositions législatives. Selon cette exigence, un demandeur doit fournir les documents et les renseignements demandés par l’ARC ou expliquer pourquoi il n’est pas en mesure de répondre à la demande. Elle ne limite pas ce qu’un demandeur peut présenter à l’appui de sa demande.

[…]

[55] Ma conclusion ne signifie pas que je crois que la demanderesse essayait de quelque manière que ce soit de « tricher » ou encore de « déjouer » le système. Il s’agit seulement d’une conclusion selon laquelle la preuve présentée par la demanderesse et son mari à l’agente n’était pas suffisante pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la demande de PCRE répondait aux critères énoncés dans la LPCRE. Ma conclusion souligne également qu’il est important, lorsque des clients paient en espèces, d’avoir des registres dans lesquels figurent tous les détails des transactions et de déposer les fonds reçus en même temps sur un compte dans une institution financière.

[Non souligné dans l’original.]

[44] De plus, la Cour a déclaré ce qui suit dans la décision Cantin c. Canada (Procureur général), 2022 CF 939 :

[15] Même s’il n’est pas illégal de se faire payer en espèces, un contribuable qui choisit ce mode de paiement doit être d’autant plus soucieux de pouvoir prouver le paiement afin d’obtenir une prestation en vertu de la Loi. L’article 10 de la Loi prévoit que le ministre peut « à toute fin liée à la vérification du respect ou à la prévention du non-respect de la présente loi […] exiger d’une personne qu’elle fournisse des renseignements ou qu’elle produise des documents dans le délai raisonnable que précise l’avis. » Le fardeau incombe à celui qui formule une demande d’établir à l’office responsable de l’administration des prestations qu’il satisfait, selon la prépondérance des probabilités, les critères de la Loi (Walker c.. Canada [Procureur général du Canada], 2022 FC 381 au paragraphe 55).

[45] Produire une déclaration de revenus n’est pas suffisant pour prouver l’admissibilité à la PCU et à la PCRE, surtout lorsqu’une personne a été payée en espèces. Comme l’a déclaré le juge Diner dans la décision Ntuer :

[27] De plus, un avis de cotisation n’est pas suffisant pour établir qu’un demandeur a gagné un revenu net d’au moins 5 000 $ (Aryan au paragraphe 35). L’agent était tenu d’évaluer non seulement les avis de cotisation soumis par M. Ntuer, mais également les autres éléments de preuve au dossier, dont les factures et reçus de paiement de clients soumis par M. Ntuer, ainsi que les informations disponibles à travers les registres internes de l’ARC, pour vérifier que M. Ntuer avait bel et bien gagné un revenu net d’au moins 5000 $.

[46] De plus, comme l’a déclaré ma collègue, la juge Strickland, dans la décision Aryan :

[34] Par conséquent, il était loisible au premier agent de l’ARC de demander à la demanderesse de fournir des documents supplémentaires afin de prouver qu’elle avait gagné un revenu minimal de 5 000 $ au cours de la période pertinente, ce qui constitue un critère d’admissibilité à la PCRE. En outre, il ressort du dossier que les demandes formulées à la demanderesse en vue d’obtenir des documents à l’appui concordaient avec les demandes proposées dans les lignes directrices sur la PCRE et le [traduction] « script » des réponses aux questions fréquemment posées, qui se trouve dans le dossier certifié du tribunal.

Aucun élément de preuve n’appuie l’argument de la demanderesse selon lequel l’agente était tenue d’accepter sa cotisation d’impôt sur le revenu de 2020 comme seule et unique preuve faisant foi de son revenu. Bien que les cotisations d’impôt sur le revenu soient des documents permettant de fournir à l’ARC des renseignements sur le revenu en ce qui concerne l’admissibilité à la PCRE, ils ne « prouvent » pas que la demanderesse a réellement gagné le revenu indiqué dans sa déclaration de revenus ni que son revenu provenait d’une source admissible avant le 27 septembre 2020, en application des sous-alinéas 3(1)d)(i) à 3(1)d)(v) de la LPCRE.

[…]

À la question de savoir pourquoi l’agente a demandé une preuve de revenu à la demanderesse, l’agente a répondu qu’elle devait obtenir une preuve de revenu documentaire pour terminer la révision. L’agente s’est aussi fait demander si elle avait tenu compte, dans sa révision, du revenu et des déductions du revenu pour les années d’imposition 2017 à 2020, selon ce qui est inscrit dans le système informatique de l’ARC, puis sur quels motifs elle s’était appuyée pour tirer sa conclusion. L’agente a répondu qu’après avoir examiné les déclarations de revenus de la demanderesse pour ces années d’imposition (selon les documents du dossier certifié du tribunal, la demanderesse a déclaré un revenu d’emploi minime en 2017, en 2018 et en 2019 [31 $, 1 $ et 273 $, respectivement]), compte tenu du fait que la demanderesse ne pouvait pas fournir les documents appropriés (c.-à-d. des relevés bancaires accompagnés des factures ou des reçus correspondants) pour justifier son revenu de 2020, elle ne pouvait pas confirmer que la demanderesse avait réellement reçu cet argent en 2020. L’agente a répété que la décision ne s’appuyait pas uniquement sur la déclaration de revenus produite par la demanderesse. L’ARC avait besoin de documents justifiant le revenu déclaré pour respecter le processus de révision d’une demande de PCRE,.

[47] Comme la Cour l’a expliqué dans la décision Aryan, il était raisonnable pour l’agente de ne pas estimer qu’une déclaration de revenus établissait de manière concluante le revenu admissible et de tirer ses conclusions à partir d’autres éléments de preuve dont elle disposait. Par conséquent, la décision du deuxième agent concernant le critère du revenu admissible de 5 000 $ était raisonnable.

[48] En l’espèce, le décideur a conclu que les factures et la déclaration de revenus de la demanderesse ne constituaient pas des éléments de preuve suffisants pour prouver que la demanderesse avait effectivement gagné le revenu qu’elle soutenait avoir eu, compte tenu du fait que la demanderesse avait un lien de dépendance avec son employeur, qu’elle avait été payée en espèces, et qu’elle n’avait pas déposé l’argent dans un compte bancaire.

[49] Le décideur avait le droit de demander à la demanderesse d’autres éléments de preuve pour prouver son admissibilité à la PCU et à la PCRE. La demanderesse n’a pas été en mesure de convaincre le décideur et de fournir d’autres éléments de preuve documentaire pour prouver que ses revenus la rendaient admissible aux programmes (Hayat, au para 20).

VI. Conclusion

[50] Les décisions relatives à l’admissibilité de la demanderesse à la PCU et à la PCRE sont donc fondées sur une analyse cohérente et rationnelle. Dans ces circonstances, les décisions sont raisonnables. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[51] L’article 400 des Règles confère à la Cour « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer ». Après avoir examiné les facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles, ainsi que le calcul effectué par le défendeur et toutes les autres circonstances de l’affaire, je conclus qu’aucune adjudication de dépens n’est justifiée en l’espèce.


JUGEMENT dans les dossiers T-2731-22 et T-2732-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

« Guy Régimbald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-2731-22

T-2732-22

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

SILVIA DUMBRAVA c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 MAI 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JUILLET 2023

COMPARUTIONS :

Silvia Dumbrava

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Christophe Tassé-Breault

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.