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Date : 20230720


Dossier : IMM-2780-22

Référence : 2023 CF 994

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2023

En présence de madame la juge Tsimberis

ENTRE :

NADIA ANDREIA NOBREGA PEREIRA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Résumé

[1] Mme Nadia Andreia Nobrega Pereira (la demanderesse ou Mme Pereira) sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent des visas a rejeté sa demande de visa de résident temporaire. L’agent des visas a déclaré Mme Pereira interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] pendant une période de cinq ans, parce qu’elle a omis de divulguer les faits importants suivants : 1) son arrestation par la police de Hamilton; 2) le rejet de sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire; 3) les motifs de la mesure d’exclusion prise contre elle.

[2] De l’avis de la Cour, l’agent des visas a raisonnablement conclu que la demande de visa de résident temporaire présentée par Mme Pereira comportait au moins une des trois présentations erronées sur des faits importants mentionnés ci-dessus. En l’espèce, l’« exception relative à l’erreur de bonne foi » ne s’applique pas aux fausses déclarations faites par la demanderesse. Il n’était pas déraisonnable pour l’agent des visas de tirer une telle conclusion compte tenu de la preuve au dossier. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[3] Mme Pereira est une citoyenne du Portugal. Elle est arrivée au Canada avec sa mère ainsi que ses frères et sœurs en 2012.

[4] Le 28 février 2018, à la suite d’une descente dans un magasin de cannabis, la demanderesse a été placée en détention par la police de Hamilton pour une accusation de possession présumée de cannabis en vue d’en faire le trafic. Le même jour, la demanderesse a été transférée sous la garde de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) parce qu’elle était au Canada sans statut et qu’elle se soustrairait vraisemblablement au contrôle, comme le prévoit l’article 55 de la LIPR. Alors qu’elle était détenue par l’ASFC, la demanderesse a été interrogée, ses empreintes digitales ont été relevées et des photos d’elle ont été prises. Elle a ensuite été mise en liberté le même jour sous réserve de l’obligation de se présenter aux autorités.

[5] En décembre 2018, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[6] Le 13 juin 2019, la demanderesse a reçu signification d’une mesure d’exclusion parce qu’elle avait prolongé indûment sa période de séjour autorisée et qu’elle était au Canada sans statut. Le même jour, elle a reçu signification d’un ordre de se présenter pour son renvoi. Son renvoi vers le Portugal était prévu le 22 juin 2019.

[7] Le 22 juin 2019, la demanderesse a été renvoyée du Canada.

[8] Le 26 février 2020, la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse a été rejetée.

[9] Le 8 mai 2021, la demanderesse a demandé une autorisation de voyage électronique (la demande d’AVE) afin de venir au Canada pour rendre visite à son épouse. Le formulaire de demande comportait les questions suivantes, auxquelles la demanderesse a répondu comme suit :

Question

Réponse

Avez‑vous déjà commis une infraction criminelle dans tout pays ou territoire, ou vous a‑t‑on déjà arrêté pour une telle infraction, accusé d’une telle infraction ou reconnu coupable d’une telle infraction?

« NON »

Vous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée au Canada ou dans tout autre pays ou territoire ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire?

« OUI » [traduction] « Ordonnance de prorogation de délai remontant au 13 juin 2019. En raison de problèmes familiaux. Mon grand frère a reçu un diagnostic de SP à Hamilton, en Ontario, au milieu de 2019, et l’hôpital ne pouvait pas lui offrir les médicaments dont il avait besoin sans paiement. Nous sommes donc retournés pour qu’il soit traité et pour que je puisse prendre soin de lui. »

[10] En novembre 2021, une lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée à la demanderesse pour l’informer de la possibilité qu’elle soit déclarée interdite de territoire pour fausses déclarations parce qu’elle n’avait pas indiqué ce qui suit : 1) son arrestation en mars 2018; 2) le rejet de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire; 3) son renvoi par suite d’une mesure d’exclusion en 2019 parce qu’elle n’avait pas respecté les exigences de la LIPR.

[11] Le 3 janvier 2022, la demanderesse a répondu ce qui suit à la lettre relative à l’équité procédurale :
[traduction]

En ce qui concerne la question à laquelle j’ai répondu « non », qui était : « vous a-t-on déjà arrêté »?

J’ai répondu « non », non pas dans l’intention de mentir, mais simplement parce que j’ai été mise en état d’arrestation physique, mais que je n’ai pas été incarcérée, il n’y a eu aucune accusation et aucune date d’audience. Je devais simplement me présenter à chaque deuxième mardi du mois à l’Agence des services frontaliers du Canada à Hamilton, en Ontario, au Canada. Les agents m’ont également dit que ce ne serait pas dans mon dossier puisque j’étais simplement au mauvais endroit au mauvais moment.

[…]

Je vous envoie en pièce jointe tous les documents en ma possession qui concernent mon arrestation en 2018.

[Non souligné dans l’original.]

La question à laquelle j’ai répondu « Oui » était « Vous a‑t‑on déjà refusé un visa »?

 

Ma réponse est oui. En 2018, j’ai présenté pour la première fois une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Lorsque j’ai quitté le Canada en 2019 en raison d’une mesure d’exclusion, des agents canadiens de l’Agence des services frontaliers du Canada à Hamilton nous ont informés que retourner au Portugal serait le seul moyen d’obtenir un traitement pour mon frère et de faire avancer mon dossier plus rapidement, mais ils ne m’ont pas dit que si je partais, ma demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne serait plus valide. Huit mois après que j’ai quitté le pays et que je suis retournée au Portugal pour prendre soin de mon frère, j’ai reçu un courriel indiquant que ma demande avait été rejetée en raison de mon départ.

[…]

Je vous envoie en pièce jointe tous les documents en ma possession qui concernent […] ma demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, ainsi que mon affidavit et les documents de mon avocate, ma mesure d’exclusion de 2019, mon casier judiciaire du poste de police de Hamilton et mon certificat de mariage.

[Non souligné dans l’original.]

III. Décision

[12] Le 31 janvier 2022, l’agent des visas a conclu que la réponse de la demanderesse à la lettre relative à l’équité procédurale n’avait pas dissipé ses doutes selon lesquelles la demanderesse avait fait une présentation erronée sur les faits dans sa demande et il a indiqué ce qui suit :

[traduction] La demanderesse a reçu la [lettre relative à l’équité procédurale] LÉP L40 suivante :

Vous avez répondu OUI à la question : Vous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée au Canada ou dans tout autre pays ou territoire ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire?

Plus particulièrement, vous avez répondu : Ordonnance de prorogation de délai remontant au 13 juin 2019. En raison de problèmes familiaux. Mon grand frère a reçu un diagnostic de SP à Hamilton, en Ontario, au milieu de 2019, et l’hôpital ne pouvait pas lui offrir les médicaments dont il avait besoin sans paiement. Nous sommes donc retournés pour qu’il soit traité et que je puisse prendre soin de lui.

Vous avez répondu NON à la question : Avez‑vous déjà commis une infraction criminelle dans tout pays ou territoire, ou vous a‑t‑on déjà arrêté pour une telle infraction, accusé d’une telle infraction ou reconnu coupable d’une telle infraction?

Cependant, votre demande de résidence permanente a été rejetée en 2018, vous avez été renvoyée par suite d’une mesure d’exclusion en 2019 et, d’après votre dossier d’immigration, vous avez été arrêtée en mars 2018, ce que vous n’avez pas divulgué dans votre demande actuelle. Cette omission de divulguer des renseignements constitue une présentation erronée sur des faits importants qui risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. La demanderesse a répondu à cette LÉP en déclarant qu’elle n’avait pas divulgué sa mesure d’exclusion précisément parce qu’elle avait expliqué le contexte de son départ. Elle affirme ne pas avoir révélé qu’elle avait été arrêtée parce qu’elle croyait que l’arrestation ne comptait pas puisqu’elle n’avait jamais été incarcérée par la suite. Elle affirme qu’elle n’a pas fait l’objet d’accusations au criminel et qu’elle devait simplement se présenter à l’ASFC les mardis à la suite de son arrestation. La demanderesse a fourni un certificat de mariage des États-Unis, l’original de son avis de renvoi de l’ASFC, le bordereau de transport de son renvoi, sa mesure d’exclusion, des documents du service de police de Hamilton et les courriels de l’ASFC concernant son renvoi. La réponse de la demanderesse ne dissipe pas mes doutes, car il lui incombe de dire la vérité tout au long du processus de la demande. Les fausses déclarations de la demanderesse risquaient d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Recommandation de fausses déclarations au gestionnaire de l’unité pour une décision L40.

[Non souligné dans l’original.]

Pour ces motifs, l’agent des visas a recommandé que le gestionnaire de l’unité tire une conclusion de fausses déclarations.

[13] Le 4 mars 2022, le gestionnaire de l’unité a examiné tous les faits de l’affaire, y compris la lettre relative à l’équité procédurale qui a été envoyée et l’importance des fausses déclarations. De même, le gestionnaire de l’unité a conclu que la réponse de la demanderesse à la lettre relative à l’équité procédurale n’avait pas dissipé ses doutes parce qu’il incombe à celle‑ci de dire la vérité tout au long du processus de la demande et il a conclu que les fausses déclarations de la demanderesse risquaient d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Une lettre de refus a été envoyée le même jour, dans laquelle il était indiqué que la demanderesse avait été déclarée interdite de territoire au Canada.

IV. Questions en litige

[14] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La conclusion de l’agent des visas selon laquelle Mme Pereira était interdite de territoire pour fausses déclarations était-elle raisonnable au regard de la preuve?

  2. L’agent des visas a-t-il déraisonnablement omis d’examiner si Mme Pereira devait bénéficier de l’« exception relative à l’erreur de bonne foi »?

V. Analyse

[15] Avant d’examiner la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire, je vais me pencher sur la question préliminaire de savoir si la Cour peut examiner un nouvel élément de preuve présenté par la demanderesse dont ne disposait pas le décideur. Le nouvel élément de preuve consistait en une lettre du service de police de Hamilton, datée du 29 août 2022 (à la page 114 du dossier de la demanderesse), qui indiquait notamment : [traduction] « […] Je peux confirmer que, le 28 février 2018, un mandat a été exécuté contre un immeuble commercial et que tous les occupants, y compris Nadia Andreia Nobrega-Pereira, ont été placés en détention à ce moment‑là. Nadia Andreia Nobrega-Pereira n’a pas été inculpée et elle a été mise en liberté inconditionnelle sous la garde de l’Agence des services frontaliers du Canada. »

[16] Les parties n’ont invoqué aucune jurisprudence relativement à cette question préliminaire. Par conséquent, la Cour a donné une directive verbale invitant les parties à examiner les affaires suivantes qui pourraient s’appliquer et elle a demandé aux avocats d’être prêts à en discuter lors de l’audience ainsi que de toute autre affaire qui pourrait être pertinente à cet égard : Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 42, citant Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19; Tsleil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux para 97 et 98.

[17] La demanderesse soutient que la Cour devrait tenir compte du nouvel élément de preuve en raison de l’une ou l’autre des exceptions suivantes, ou des deux : a) pour démontrer les manquements à l’équité procédurale sur lesquels le dossier de preuve est muet; b) pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur lorsqu’il a tiré une certaine conclusion (Tsleil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au para 98).

[18] Le défendeur soutient que les exceptions énoncées dans l’arrêt Tsleil‑Waututh Nation ne s’appliquent pas et que la Cour devrait appliquer la règle générale selon laquelle seuls les éléments de preuve dont disposait le décideur sont admissibles lors du contrôle judiciaire (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 42).

[19] La Cour souscrit à l’opinion du défendeur. En effet, le nouvel élément de preuve ne démontre ni un manquement à l’équité procédurale ni l’absence totale de preuve à la disposition du décideur lorsqu’il a rendu sa décision selon laquelle la demanderesse avait fait des présentations erronées sur un fait important en ne divulguant pas son arrestation en 2018. Le dossier de preuve dont disposait l’agent des visas contenait certains éléments de preuve qui démontrent que Mme Pereira a été arrêtée – elle a admis avoir été mise en état d’[traduction] « arrestation physique ». De plus, étant donné que certains éléments de preuve démontrent déjà que Mme Pereira avait été arrêtée, il n’est pas nécessaire d’examiner le nouvel élément de preuve documentaire, lequel indique seulement qu’elle n’a pas été inculpée et reste muet sur son arrestation. L’interdiction de territoire pour fausses déclarations reposait sur la réticence à divulguer l’arrestation, non l’accusation au criminel.

[20] Invariablement, la Cour n’aurait pas changé sa décision même si elle avait accepté le nouvel élément de preuve.

[21] Quant à la norme de contrôle applicable, la conclusion de fausses déclarations tirée par un agent des visas au titre de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR constitue une décision discrétionnaire susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Singh c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 187 au para 7; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

A. La conclusion de l’agent des visas selon laquelle Mme Pereira était interdite de territoire pour fausses déclarations était-elle raisonnable au regard de la preuve?

[22] Une conclusion d’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR nécessite que l’agent des visas soit convaincu que l’étranger a, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important ou une réticence sur ce fait susceptible d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR (Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1441 au para 13).

[23] Mme Pereira fait valoir qu’elle n’a pas été arrêtée et que les autres fausses déclarations relèvent de l’exception relative à l’erreur de bonne foi, ce que l’agent a déraisonnablement omis de prendre en considération.

[24] Le défendeur soutient qu’il y a eu de fausses déclarations, que l’exception relative à l’erreur de bonne foi ne s’applique pas en l’espèce et que la décision de l’agent n’était pas déraisonnable.

[25] Il convient d’interpréter l’article 40 de la LIPR de manière large afin de faire ressortir l’objet sous-jacent qui consiste à dissuader les fausses déclarations et à préserver l’intégrité du processus d’immigration (Faisal Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 512 aux para 25 et 29). Le paragraphe 16(1) de la LIPR impose expressément aux demandeurs l’obligation de dire la vérité (Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942 aux para 33 et 36).

[26] Compte tenu de l’objectif mentionné ci-dessus de l’article 40 de prévenir les fausses déclarations et de préserver l’intégrité du processus d’immigration, il incombe à la demanderesse de s’assurer que sa demande est exacte (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368 [Wang] au para 15).

[27] Au paragraphe 20 de la décision Tuiran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 324 [Tuiran], le juge LeBlanc a déclaré que « [l]’objectif des dispositions concernant les fausses déclarations dans la [LIPR] est “de faire en sorte que les demandeurs fournissent des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada” (Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942 au para 36) […] ».

[28] Autrement dit, l’article 40 de la LIPR exige qu’il n’y ait aucune intention d’induire en erreur (Tuiran, au para 26). La demanderesse soutient qu’elle n’avait pas l'intention d’induire en erreur les autorités de l’immigration. Le défendeur n’est pas tenu de démontrer que les fausses déclarations d’un demandeur étaient intentionnelles, délibérées ou négligentes pour qu’il soit possible de tirer une conclusion fondée sur l’alinéa 40(1)a) (Tuiran, aux para 29 et 30).

[29] En l’espèce, la demanderesse ne s’est pas acquittée de son obligation de franchise et de fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques (Wang, au para 16). Même si la demanderesse ne croyait pas avoir été arrêtée ou n’était pas certaine de l’avoir été, elle aurait dû divulguer le fait d’avoir été placée en détention et les circonstances s’y rattachant. Au moment de sa mise en détention, la police a fait monter la demanderesse dans un véhicule de police, elle l’a amenée et détenue au poste de police, puis elle l’a transférée sous la garde de l’ASFC. Des agents de l’ASFC l’ont interrogé, ont pris ses empreintes digitales et des photos d’elle, puis l’ont remise en liberté selon des conditions de signalement de la présence. La demanderesse aurait dû divulguer ces circonstances, du moins en partie, d’une façon ou d’une autre, dans sa réponse initiale à la question pertinente du formulaire. Compte tenu de la réticence totale à divulguer des renseignements à cet égard, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de considérer qu’il s’agissait d’une présentation erronée sur un fait important.

[30] Même si les parties ne s’entendaient pas à savoir s’il y avait eu ou non arrestation et s’il y avait eu ou non une présentation erronée à cet égard, il ne s’agissait pas de la seule présentation erronée sur un fait important soulevée par l’agent. En l’espèce, la demanderesse n’a pas fait une présentation erronée, elle n’a pas non plus fait deux présentations erronées, mais bien trois présentations erronées sur des faits importants, à savoir : 1) elle a déclaré qu’elle n’avait jamais été arrêtée – après que l’agent l’a appris et l’a soulevé, elle a admis avoir été mise en état d’« arrestation physique »; 2) elle n’a pas divulgué le rejet de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire; 3) elle n’a pas expliqué les motifs de la mesure d’exclusion du Canada.

[31] À titre d’exemple de ce qui constitue une présentation erronée sur un fait important, la réticence à divulguer le refus d’un visa américain antérieur a été considérée comme un fait important par la Cour lorsqu’elle a confirmé la conclusion de l’agent relative à l’existence de fausses déclarations (Mohseni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 795 au para 39). Comme la Cour l’a conclu dans la décision Mohseni, la réticence à divulguer un refus de visa antérieur risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. La réticence d’un demandeur à divulguer des faits ne donne pas à l’agent des visas la possibilité de faire enquête sur un fait important. Lorsqu’un demandeur divulgue un refus de visa et qu’un agent est mis au courant, l’agent des visas peut alors s’informer pour déterminer les raisons de ce refus. En l’espèce, le refus d’un visa antérieur et, de même, les faits importants sur lesquels la demanderesse a potentiellement fait les présentations erronées qui sont mentionnées ci-dessus auraient, sans aucun doute, pu faire l’objet d’une enquête plus approfondie de la part de l’agent des visas s’ils avaient été divulgués. Cette conclusion aide à convaincre la Cour que les fausses déclarations soulevées par l’agent des visas en l’espèce étaient importantes.

[32] Compte tenu de la quantité et de la nature des fausses déclarations, de l’aveu d’avoir été mise en état d’« arrestation physique » fait au dossier par la demanderesse et du manque de franchise dans la présentation des circonstances s’y rapportant, la Cour estime que l’agent a raisonnablement conclu que la demande de visa de résident temporaire présentée par Mme Pereira contenait des présentations erronées sur des faits importants en contravention de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

B. L’agent des visas a-t-il déraisonnablement omis d’examiner si Mme Pereira devrait bénéficier de l’« exception relative à l’erreur de bonne foi »?

[33] La jurisprudence portant sur l’article 40 et l’exception relative à l’erreur de bonne foi est claire : elle ne s’applique que lorsque la connaissance de la fausse déclaration échappe à la volonté du demandeur, peu importe s’il a mal compris la question ou s’il avait ou non l’intention d’indiquer faussement sa situation; autrement dit, elle ne s’applique qu’aux situations vraiment exceptionnelles (Tuiran, aux para 29 et 30; Malik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1004 [Malik] au para 31).

[34] L’agent a donné à Mme Pereira l’occasion de dissiper ses doutes au sujet des fausses déclarations, et ces doutes étaient précis. L’agent a pris en considération les explications de la demanderesse. L’agent n’a pas accepté les explications de Mme Pereira selon lesquelles il s’agissait d’erreurs de bonne foi et, compte tenu de la nature des omissions, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. En conséquence, l’agent n’a pas omis de prendre en considération de l’exception relative à l’erreur de bonne foi.

[35] En effet, l’omission de divulguer l’arrestation ne pouvait pas être indépendante de la volonté de Mme Pereira, comme l’exige l’exception relative à l’erreur de bonne foi, puisqu’elle en avait connaissance et que, lorsqu’elle a été interrogée à ce sujet, elle a admis avoir été mise en état d’« arrestation physique ». De même, la Cour a conclu à maintes reprises que l’omission de révéler adéquatement ses antécédents en matière de visas n’est pas une circonstance indépendante de la volonté d’un demandeur (Malik). Par conséquent, il est inconcevable que la non‑divulgation de ces faits importants ait été indépendante de la volonté de la demanderesse.

[36] Même s’il est possible que la demanderesse ne savait pas subjectivement qu’elle avait été arrêtée, les agents des visas exercent un large pouvoir discrétionnaire quant aux conclusions de faits tirées et, pour les motifs exposés ci‑dessus, je ne suis pas prête à conclure que la décision contraire de l’agent était déraisonnable (Appiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1043 au para 19).

[37] La demanderesse soutient qu’elle croyait qu’elle n’avait pas à divulguer son arrestation parce qu’elle n’avait été ni incarcérée ni accusée. Cependant, la question « (…) vous a‑t‑on déjà arrêté (…) » dans son formulaire de demande d’AVE ne pourrait pas être plus claire ni prêter à interprétation. Pour reprendre les termes de la juge McDonald au paragraphe 14 de la décision Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1020 :

M. Smith soutient que l’agent a trop insisté sur la clarté de la question et n’a pas accepté son explication de l’erreur. Je conviens que, dans certains cas, un agent peut avoir l’obligation d’examiner les circonstances plus en détail, par exemple lorsque la question en litige se prête à diverses interprétations ou que les circonstances particulières ne sont pas une réponse à la question en litige. Dans ce cas‑ci cependant, je conviens avec l’agent que la question « Avez-vous déjà commis une infraction criminelle dans tout pays ou territoire, ou vous a‑t‑on déjà arrêté pour une telle infraction, accusé d’une telle infraction ou reconnu coupable d’une telle infraction » n’est ni vague ni trompeuse.

[38] En résumé, compte tenu de la non‑divulgation du rejet de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, des véritables motifs de la mesure d’exclusion de la demanderesse – soit le non‑respect des exigences de la LIPR, du nombre et de l’importance des fausses déclarations, de l’admission de la présentation erronée sur l’arrestation ainsi que de l’importance des omissions, la décision de l’agent était raisonnable. Les fausses déclarations ne relèvent pas de l’exception relative à l’erreur de bonne foi, et la Cour ne voit pas comment l’agent aurait pu raisonnablement tirer une autre conclusion dans les circonstances. Par conséquent, la Cour est convaincue que la décision de l’agent était raisonnable et qu’elle appartenait aux issues possibles et acceptables.

VI. Conclusion

[39] Malgré les observations de l’avocate de la demanderesse, la Cour n’est pas convaincue que la décision de l’agent des visas était déraisonnable.

[40] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2780-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ekaterina Tsimberis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-2780-22

 

INTITULÉ :

NADIA ANDREIA NOBREGA PEREIRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 mai 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE TSIMBERIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 JUILLET 2023

 

COMPARUTIONS :

Akada James

Pour la demanderesse

 

Rachel Hepburn Craig

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Akada James

North York (Ontario)

Pour la demanderesse

 

Sous-procureur général

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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