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Date : 20230710


Dossier : IMM-261-21

Référence : 2023 CF 938

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

JEAN FLAUBERT KAMDEM KAMMOGNE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur est un citoyen du Cameroun âgé de 24 ans. Ses demandes pour obtenir un permis d’études afin de poursuivre des études postsecondaires dans le programme de deux ans en technologie du génie du bâtiment au Collège communautaire du Nouveau-Brunswick (CCNB) ont été refusées à deux reprises. Après que le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire du premier refus (daté du 14 septembre 2020), le défendeur a convenu que l’affaire devait être réexaminée. Dans une décision datée du 12 janvier 2021, la demande de permis d’études a de nouveau été refusée. L’agent a déterminé que le demandeur n’avait pas réussi à établir que sa situation financière était suffisante pour assumer les frais du programme. Par conséquent, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée, comme l’exige l’alinéa 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

[2] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de ce deuxième refus au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[3] Les parties conviennent, tout comme moi, que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable. Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) au para 85). Il incombe au demandeur de démontrer que la décision de l’agent est déraisonnable. Afin de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[4] Pour les motifs qui suivent, je conviens avec le demandeur que la décision de l’agent était déraisonnable.

[5] Le demandeur, par lui-même, n’a pas les ressources financières pour couvrir les frais occasionnés par les études qu’il souhaite entreprendre au CCNB, qui s’élèveront à environ 25 000 $ par année. Au lieu de cela, dans sa demande de permis d’études, le demandeur a déclaré que son frère aîné et sa sœur aînée, qui sont tous deux citoyens canadiens naturalisés, sont prêts à couvrir ces frais conjointement. Le frère aîné du demandeur est ingénieur logiciel et sa sœur aînée est enseignante. La demande de permis d’études était accompagnée d’une déclaration commune du frère et de la sœur confirmant leur volonté de couvrir les frais du programme, y compris les droits de scolarité et les frais de subsistance. Ils ont déclaré que leurs salaires annuels bruts sont, respectivement, de 92 000 $ et de 99 934,90 $. Tous deux ont fourni la preuve de leur emploi ainsi que les relevés bancaires mensuels pour l’année 2020. Ni l’un ni l’autre n’a fourni de renseignements sur d’autres actifs ou passifs.

[6] Compte tenu de la situation financière divulguée dans les relevés bancaires et en l’absence de toute autre information sur les autres actifs et passifs, il peut être pertinent de se demander si le demandeur a fourni suffisamment d’informations pour étayer son affirmation selon laquelle son frère et sa sœur sont en mesure de couvrir les frais du programme d’études proposé, compte tenu des revenus et des dépenses inscrits dans ces relevés. Ce n’est toutefois pas la raison pour laquelle l’agent a rejeté la demande. Au lieu de cela, pour calculer les fonds disponibles, il a simplement additionné les soldes de clôture des comptes bancaires du frère du demandeur, d’un montant de 16 949,35 $ (en date du 11 décembre 2020), et de sa sœur, d’un montant de 1 312,43 $ (en date du 16 octobre 2020). La raison pour laquelle l’agent a choisi ces soldes n’est pas expliquée dans la décision. Je prends acte du fait qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agent de se demander si le solde de clôture du compte bancaire du frère du demandeur est révélateur de sa capacité à couvrir les frais du programme, étant donné que la somme provient en grande partie d’un virement bancaire inexpliqué de 15 000 $, effectué un mois plus tôt. D’autre part, il était déraisonnable pour l’agent de se concentrer uniquement sur ces soldes de clôture, étant donné la preuve démontrant que le frère et la sœur occupent des emplois stables et bien rémunérés.

[7] Je le répète, il était peut-être loisible à l’agent de conclure que le demandeur n’avait pas réussi à établir que son frère et sa sœur étaient en mesure de fournir le soutien financier dont il avait besoin pour suivre le programme d’études proposé. Cependant, l’agent a tiré cette conclusion à partir d’un exemple éphémère de la situation financière du frère et de la sœur du demandeur, pris à un moment qu’il a choisi arbitrairement, tout en omettant de tenir compte d’autres renseignements importants portant sur leur capacité à couvrir les frais du programme. L’analyse de l’agent contient donc une lacune fondamentale et remet en question le caractère raisonnable de la décision. Comme il est établi au paragraphe 98 de l’arrêt Vavilov : « Lorsque le décideur omet de justifier, dans les motifs, un élément essentiel de sa décision, et que cette justification ne saurait être déduite du dossier de l’instance, la décision ne satisfait pas, en règle générale, à la norme de justification, de transparence et d’intelligibilité ». C’est le cas en l’espèce.

[8] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie. La décision datée du 12 janvier 2021 rejetant la demande de permis d’études sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour nouvel examen. Compte tenu du temps écoulé depuis que la décision en question a été prise, le demandeur devrait bénéficier d’une occasion raisonnable de fournir des renseignements à jour à l’appui de sa demande de permis d’études, le cas échéant.

[9] Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-261-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision datée du 12 janvier 2021 rejetant la demande de permis d’études du demandeur est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvel examen.

  3. Le demandeur doit bénéficier d’une occasion raisonnable de fournir des renseignements à jour à l’appui de la demande de permis d’études, le cas échéant.

  4. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-261-21

INTITULÉ :

JEAN FLAUBERT KAMDEM KAMMOGNE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JANVIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE NORRIS

DATE DES MOTIFS :

LE 10 JUILLET 2023

COMPARUTIONS :

Ugochukwu Udogu

POUR LE DEMANDEUR

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ugochukwu Udogu

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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