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Date : 20230621

Dossier : IMM-3161-22

Référence : 2023 CF 874

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2023

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

MAHDI ARDESTANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 24 mars 2022 par laquelle un agent du bureau de Citoyenneté et Immigration Canada de l’ambassade du Canada à Ankara, en Turquie, a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères de délivrance d’un permis de travail énoncés au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2022-227 [le Règlement], et à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Le demandeur soutient que la décision de l’agent était déraisonnable et que celui-ci a porté atteinte à ses droits en matière d’équité procédurale.

[3] Pour les motifs exposés ci-après, je ne suis pas convaincue que le demandeur a démontré que l’intervention de la Cour était justifiée et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Le contexte

[4] Le demandeur est un citoyen de l’Iran qui a demandé un permis de travail dispensé de l’étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) au titre de la catégorie C11 applicable au Programme de mobilité internationale. Cette catégorie comprend les entrepreneurs et les travailleurs autonomes souhaitant exploiter une entreprise au Canada qui permet de créer ou de conserver des débouchés ou des avantages sociaux, culturels ou économiques pour les citoyens canadiens ou les résidents permanents, aux termes de l’alinéa 205a) du Règlement.

[5] Le demandeur a présenté sa demande de permis de travail le 4 août 2021. Il y faisait part de son intention de lancer une entreprise de services-conseils sur les animaux d’élevage dans la région métropolitaine de Vancouver et d’embaucher des employés à temps plein.

[6] Dans une lettre datée du 24 mars 2022, le demandeur a été informé que le permis de travail lui était refusé, et l’agent y précisait qu’il n’était pas convaincu que le demandeur [traduction] « quitter[ait] le Canada à la fin du séjour qui [lui] est applicable, comme l’exige l’alinéa 200(1)b) du Règlement, en raison de l’objet de [sa] visite ».

[7] Après l’introduction de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce, les notes de l’agent figurant dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] ont été transmises au demandeur. Les notes du SMGC, qui font partie des motifs de la décision, sont rédigées en ces termes :

[traduction]

L’emploi envisagé par le demandeur au Canada ne semble pas raisonnable, étant donné ce qui suit :

Le demandeur s’est présenté comme un entrepreneur proposant d’établir un cabinet de consultation sur les animaux d’élevage qui offrirait des services spécialisés dans le Grand Vancouver, notamment pour la gestion efficiente des rations, l’amélioration durable des troupeaux, le design efficace des installations agricoles, le service à la clientèle et la gestion des clients.

Selon le plan d’affaires, deux employés seraient embauchés la première année : un consultant en élevage et un technicien en santé animale. Les salaires projetés et les dépenses afférentes sont faibles.

Les projections de ventes figurant dans le plan d’affaires sont importantes, soit 260 000 $ dès la première année; elles sont toutefois basées sur la part de marché moyenne possible dans l’industrie calculée par le demandeur. Ce dernier n’explique pas comment l’entreprise s’y prendrait pour obtenir une part de marché complète au cours de la première année ou pour réaliser ce chiffre d’affaires.

Le plan d’affaires ne prévoit que 8 160 $ par année pour la location de bureaux, ce qui est peu pour la région métropolitaine de Vancouver. Le demandeur n’a présenté aucune convention de bail.

Les renseignements relatifs à l’emploi actuel du demandeur ne démontrent pas que ce dernier possède l’expérience de travail requise pour mettre sur pied une entreprise de services-conseils en matière d’amélioration des troupeaux par exemple. La demande ne donne aucune information sur les compétences linguistiques du demandeur.

Il n’est pas clair que le demandeur propose un projet commercial qui répond à un besoin du marché. Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que les critères permettant d’accorder une dispense de l’EIMT sont remplis ni que le demandeur a soumis un plan d’affaires viable qui créerait un avantage important pour le Canada.

Pondération des facteurs de la demande. Je ne suis pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable.

Pour les motifs susmentionnés, je rejette la demande de permis.

II. La question préliminaire

[8] Au début de l’audience, l’avocat du demandeur a informé la Cour qu’il s’appuierait sur ses observations écrites, mais il a demandé à l’avocat du défendeur de répondre à cinq questions relatives à l’affaire. Je lui ai expliqué que l’audience relative à un contrôle judiciaire n’était pas un interrogatoire préalable et que l’avocat du défendeur n’était absolument pas tenu de répondre à ses questions. De plus, il n’était pas loisible au demandeur de soulever de nouvelles questions lors du contrôle judiciaire.

[9] J’ai aussi mentionné à l’avocat du demandeur deux décisions rendues par notre Cour récemment, soit Raja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2023 CF 719, et Haghshenas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2023 CF 464, où les avocats des demandeurs avaient soulevé plusieurs des mêmes arguments que ceux qui sont avancés en l’espèce. Dans les deux affaires, ces arguments ont tous été rejetés par la Cour. J’ai demandé à l’avocat du demandeur s’il entendait continuer de faire valoir ces arguments, malgré les décisions rendues antérieurement par notre Cour, et il a répondu par l’affirmative.

[10] Je conclus que l’avocat du demandeur, en tentant de remettre ces questions en litige et de transformer l’audience en interrogatoire préalable, commet un abus de procédure de notre Cour.

[11] Néanmoins, je vais examiner le bien-fondé de la demande dont je suis saisie, telle qu’elle a été formulée par le demandeur dans le dossier de sa demande.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[12] La demande en l’espèce soulève les deux questions suivantes : (i) le demandeur a-t-il été brimé dans son droit à l’équité procédurale? et (ii) la décision par laquelle l’agent a refusé de délivrer un permis de travail au demandeur était-elle déraisonnable?

[13] En ce qui a trait à la première question, je rappelle que les manquements à l’équité procédurale dans le contexte administratif ont été considérés comme étant assujettis à la norme de la décision correcte ou à un « exercice de révision […] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » [voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique] au para 54]. L’obligation d’équité procédurale est « éminemment variable », intrinsèquement souple et tributaire du contexte. Elle doit être déterminée eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 77]. La cour qui analyse la question de l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances [voir Canadien Pacifique, au para 54].

[14] Toutefois, notre Cour a reconnu que, comme les demandes de permis de travail ne soulèvent pas de droits substantiels puisque les demandeurs de visa n’ont pas le droit absolu d’entrer au Canada, le niveau d’équité procédurale est faible [voir Baran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 463 au para 16].

[15] La Cour d’appel fédérale a souligné au paragraphe 31 de l’arrêt Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, que plusieurs facteurs expliquent ce devoir limité d’équité, notamment : (i) l’absence d’un droit reconnu par la loi d’obtenir un visa, (ii) l’obligation pour le demandeur de visa d’établir son admissibilité à un visa et (iii) les conséquences moins graves en général du refus d’un visa pour l’intéressé, contrairement à la suppression d’un avantage. La Cour d’appel fédérale a formulé ensuite une mise en garde pour éviter « d’imposer un niveau de formalité procédurale qui risque de nuire indûment à une bonne administration, étant donné le volume des demandes que les agents des visas doivent traiter ».

[16] En ce qui a trait à la deuxième question, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon cette norme, la Cour doit déterminer si la décision visée, aussi bien le raisonnement sous-jacent que son résultat, est transparente, intelligible et justifiée. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti [voir Vavilov, aux para 15, 85]. La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence [voir Adeniji-Adele c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 418 au para 11].

[17] Lorsqu’il évalue une demande de permis de travail temporaire, l’agent des visas doit pondérer de nombreux facteurs. Par conséquent, des décisions discrétionnaires de ce genre méritent une grande retenue, parce qu’elles se fondent habituellement sur des questions de fait et font appel à la spécialisation reconnue de l’agent des visas [voir Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 894 aux para 15–16; Portillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 866 au para 17; Ngalamulume c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1268 au para 16; Talpur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 25 au para 19].

[18] Même si l’obligation de l’agent des visas de motiver sa décision dans l’évaluation d’une demande de visa de statut de résident temporaire est minime, l’agent doit néanmoins fournir des motifs adéquats qui justifient sa décision [voir Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 621 au para 9].

IV. Analyse

[19] L’alinéa 200(1)b) du Règlement porte sur la délivrance des permis de travail et est libellé en ces termes :

Permis de travail — demande préalable à l’entrée au Canada

Work permits

200 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), et de l’article 87.3 de la Loi dans le cas de l’étranger qui fait la demande préalablement à son entrée au Canada, l’agent délivre un permis de travail à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci-après sont établis :

200(1) Subject to subsections (2) and (3) – and, in respect of a foreign national who makes an application for a work permit before entering Canada, subject to section 87.3 of the Act – an officer shall issue a work permit to a foreign national if, following an examination, it is established that

[...]

[...]

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

[20] Les articles 204 à 208 du Règlement autorisent la délivrance de permis de travail aux personnes qui n’ont pas d’abord obtenu une EIMT d’Emploi et Développement social Canada. En l’espèce, la disposition applicable est l’alinéa 205a) du Règlement :

Intérêts canadiens

Canadian interests

205 Un permis de travail peut être délivré à l’étranger en vertu de l’article 200 si le travail pour lequel le permis est demandé satisfait à l’une ou l’autre des conditions suivantes :

205 A work permit may be issued under section 200 to a foreign national who intends to perform work that

a) il permet de créer ou de conserver des débouchés ou des avantages sociaux, culturels ou économiques pour les citoyens canadiens ou les résidents permanents;

a) would create or maintain significant social, cultural or economic benefits or opportunities for Canadian citizens or permanent residents;

[...]

[...]

[21] Lorsqu’ils examinent une demande de permis de travail en fonction du critère des avantages importants pour la catégorie des entrepreneurs/travailleurs autonomes (qui est la catégorie pertinente en l’espèce), les agents ont pour instructions de se poser les questions suivantes pour établir si les exigences énoncées à l’alinéa 205a) sont remplies :

  • Le travail est-il susceptible de créer une entreprise viable qui profitera aux travailleurs canadiens ou aux résidents permanents ou aura des effets économiques positifs dans la région?

  • Le demandeur possède-t-il les compétences linguistiques nécessaires pour gérer l’entreprise?

  • Le demandeur a-t-il des compétences ou des antécédents particuliers qui amélioreront la viabilité de l’entreprise?

  • Existe-t-il un plan d’affaires qui montre clairement que le demandeur a pris des mesures pour lancer son entreprise?

  • Le demandeur a-t-il pris des mesures pour concrétiser son plan d’affaires (preuve de sa capacité financière de créer son entreprise et de payer les dépenses, location de locaux, plan de dotation en personnel, obtention d’un numéro d’entreprise, présentation de documents/conventions de propriété, etc.)?

  • L’entreprise est-elle de nature temporaire (par exemple, une entreprise saisonnière)?

  • L’étranger établit-il une entreprise à long terme qui exigera sa présence au pays pendant une période indéterminée (par exemple, un atelier de mécanique automobile)?

[22] Il est bien établi qu’il incombe au demandeur d’un permis de travail temporaire de fournir toutes les pièces justificatives pertinentes et suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour convaincre l’agent des visas qu’il peut satisfaire aux exigences de l’emploi. Autrement dit, le demandeur est tenu de présenter la meilleure preuve possible [voir Pacheco Silva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 733 au para 20].

A. Il n’y a pas eu d’atteinte aux droits à l’équité procédurale du demandeur

[23] Le demandeur soutient qu’il devait bénéficier d’un degré élevé d’équité procédurale, étant donné que la décision relative à son permis de travail est finale et qu’une issue défavorable a une incidence sur sa vie et ses activités professionnelles. Cet argument n’est pas acceptable parce qu’il est contraire à la jurisprudence de notre Cour et de la Cour d’appel fédérale, comme je le précise plus haut. De toute façon, le demandeur a encore la possibilité de présenter une autre demande de permis de travail dans la même catégorie.

[24] En outre, il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où l’agent a exprimé des doutes sur la crédibilité de la preuve soumise par le demandeur ou bien s’est fondé sur des éléments de preuve extrinsèques ne faisant pas partie de son expertise générale, sur de grandes généralisations ou des idées préconçues, ce qui justifierait une exception au critère minimal peu élevé applicable en matière d’équité procédurale [voir Salman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 877 au para 12; Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283 au para 24].

[25] Le demandeur fait valoir qu’il y a eu atteinte à son droit à l’équité procédurale du fait que le traitement de sa demande a nécessité plus de sept mois, alors que d’autres demandes examinées au cours de la même période ont été traitées beaucoup plus rapidement. Cet argument n’est pas fondé. Un long délai de traitement, en soi, ne donne pas droit à réparation lors du contrôle judiciaire. Qui plus est, le demandeur n’a pas démontré que le long délai de traitement était déraisonnable ou lui a porté préjudice d’une quelconque façon [voir Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 867 au para 23; Raja, aux para 36–38].

[26] Le demandeur souligne que sa demande de permis de travail a été traitée au moyen de l’outil Chinook, ce qui constitue en soi un manquement à l’équité procédurale. De plus, il affirme que l’utilisation de Chinook était inappropriée, étant donné l’importance et le degré de complexité de la décision en cause (qui concernait le programme d’immigration des gens d’affaires). Ces arguments ne sont pas fondés non plus. Je ne suis pas convaincue que l’utilisation de l’outil Chinook, en soi, porte atteinte à l’équité procédurale ou que la nature de la demande elle-même a une incidence sur l’opportunité de recourir ou non à cet outil. Il ressort de la preuve présentée à la Cour que la décision a été prise par un agent, avec l’aide de Chinook. L’existence d’un manquement à l’équité procédurale dépendra des faits, de la démarche qui a été suivie et des motifs de la décision [voir Haghshenas].

[27] Selon le demandeur, il y a eu déni d’équité procédurale envers lui puisqu’il n’a été informé des [traduction] « vrais » motifs sous-tendant la décision qu’au moment où il a reçu les notes du SMGC. Je ne suis pas de cet avis. Il est bien établi que le défendeur n’a aucunement l’obligation de fournir au demandeur les notes du SMGC avec la lettre de décision et que, si le demandeur n’est pas satisfait des motifs de la décision exposés dans la lettre, il lui incombe de demander plus de précisions au titre de l’article 9 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration [voir Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1696 au para 45].

[28] Le demandeur affirme également qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’on lui fasse part des préoccupations exprimées par l’agent afin qu’il puisse y répondre avant que sa demande de permis de travail soit rejetée. Cet argument est clairement contredit par de nombreuses décisions dans lesquelles notre Cour a conclu qu’un agent n’a aucune obligation d’aller chercher des explications ou de plus amples renseignements pour dissiper ses doutes quant à la demande de permis de travail [voir Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001 au para 37].

[29] Selon le demandeur, la conclusion de l’agent, soit qu’il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable, constitue une conclusion voilée au sujet de sa crédibilité, de sorte que l’agent avait l’obligation de lui fournir la possibilité de dissiper ces doutes quant à la crédibilité. Je ne suis pas de cet avis. Il ne faut pas oublier que, dans le cas d’une demande de permis de travail, c’est au demandeur qu’il incombe de réfuter la présomption selon laquelle il est un immigrant cherchant à demeurer au Canada et de convaincre l’agent qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable [voir Danioko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 479 au para 15; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 791, [2001] ACF no 1144 au para 35; Fakhri Adhari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 854 au para 29]. Si l’agent estime que la présomption n’a pas été réfutée, il n’en tire pas nécessairement une conclusion défavorable en matière de crédibilité, et il n’y a rien dans les motifs en l’espèce qui laisse croire que l’agent s’est prononcé sur la crédibilité dans le dossier, que ce soit de manière voilée ou non. Par conséquent, aucune obligation d’équité plus élevée n’entrait en jeu.

[30] Le demandeur s’appuie sur la décision Madadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 716, où le juge Zinn a déclaré ce qui suit :

La jurisprudence de la Cour en matière d’équité procédurale dans ce domaine est claire : lorsqu’un demandeur fournit des preuves suffisantes pour établir qu’il satisfait aux exigences de la Loi ou du Règlement, le cas échéant, et que l’agent met en doute « la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis » et qu’il souhaite rejeter la demande en fonction de ces doutes, l’obligation d’équité est invoquée […]

[31] Toutefois, contrairement à ce qui s’est passé dans la décision Madadi, le demandeur en l’espèce n’a pas présenté à l’agent des éléments de preuve suffisants pour établir qu’il satisfaisait aux exigences relatives au permis de travail demandé et l’agent n’a pas mis en doute la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements ou des documents fournis.

[32] Le demandeur allègue aussi une [traduction] « apparence de partialité » dans le refus de l’agent de lui délivrer un permis de travail. Cependant, cette allégation n’est absolument pas étayée.

B. La décision de l’agent était raisonnable

[33] Le demandeur soutient que les motifs de décision n’ont pas de lien avec la preuve, qu’ils sont arbitraires et fondés, à tort, sur des critères non pertinents et superflus. Plus exactement, la preuve portée à la connaissance de l’agent, selon le demandeur, ne permet pas de conclure que le but visé par ce dernier pour se rendre au Canada diffère de l’objectif énoncé dans la demande de permis. Le demandeur souligne que ses deux voyages en Turquie, de même que son retour subséquent en Iran, portent à croire qu’il n’y a aucune raison de conclure qu’il ne retournerait pas en Iran à la fin de la période de séjour autorisée par son permis. Je ne suis pas de cet avis. L’agent est présumé avoir tenu compte de toute la preuve qui lui a été présentée, y compris les antécédents de voyage du demandeur. Ayant déterminé que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères d’admissibilité relatifs au permis de travail demandé, il était raisonnable pour l’agent de conclure qu’il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable.

[34] Le demandeur estime également que l’utilisation de Chinook est [traduction] « préoccupante », laissant entendre ainsi qu’aucune décision fondée sur cet outil ne peut être raisonnable. J’estime que cette affirmation n’a aucun fondement. Il incombe au demandeur de démontrer que la décision manque de transparence, d’intelligibilité et/ou de justification, et des réflexions infondées sur le développement et le fonctionnement de Chinook ne respectent pas, en soi, ce critère minimal.

[35] En ce qui concerne les conclusions précises de l’agent au sujet du plan d’affaires présenté par le demandeur, ce dernier affirme que l’agent a commis des erreurs : a) lorsqu’il a souligné que les projections de salaires et de dépenses pour la première année d’activité de son entreprise étaient trop faibles; b) lorsqu’il a omis de reconnaître que son plan d’affaires décrivait des stratégies de mise en marché destinées à générer un chiffre d’affaires; c) lorsqu’il n’a pas tenu compte du fait que le demandeur n’a aucune raison de signer un bail avant d’entrer au Canada et qu’il a obtenu un bureau virtuel et attend l’autorisation d’entrer au Canada avant de signer un bail; d) lorsqu’il n’a pas donné au demandeur la possibilité de répondre aux préoccupations concernant son autre entreprise, par exemple en ne lui offrant pas la possibilité de présenter des documents à l’appui.

[36] Je rejette les affirmations du demandeur. Les supposées erreurs décrites aux points a) à c) ne sont simplement que l’expression du désaccord du demandeur face aux conclusions tirées par l’agent et reviennent à demander à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve pour parvenir à un résultat différent, ce qui n’est pas le rôle de la Cour en révision. La prétendue erreur signalée au point d) constitue en fait une allégation de manquement à l’équité procédurale et, comme je le souligne plus haut, l’agent n’avait pas l’obligation de donner au demandeur l’occasion de présenter d’autres documents relatifs à son entreprise. Je suis d’avis que les conclusions tirées par l’agent au sujet du plan d’affaires étaient raisonnables au regard de la preuve présentée par le demandeur.

V. Conclusion

[37] Comme le demandeur n’est pas parvenu à démontrer que ses droits en matière d’équité procédurale ont été brimés ou que la décision de l’agent était déraisonnable, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[38] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


 

JUGEMENT dans le dossier IMM-3161-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Mandy Aylen »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3161-22

 

INTITULÉ :

MAHDI ARDESTANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JUIN 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 21 JUIN 2023

 

COMPARUTIONS :

Afshin Yazdani

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Idorenyin Udoh-Orok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

YLG Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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