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Date : 20230502


Dossier : IMM-5145-22

Référence : 2023 CF 634

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2023

En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

AMEERULLAH MAJEEDULLAH SHAIKH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Shaikh, est un étranger. En octobre 2021, la Cour provinciale de la Colombie-Britannique l’a déclaré coupable de l’infraction prévue au paragraphe 320.16(1) du Code criminel (omission de s’arrêter à la suite d’un accident). Cette infraction est punissable par mise en accusation et est passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans. Un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a donc établi un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR], estimant que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité.

[2] Deux mois après l’établissement du rapport, un délégué du ministre a reçu le demandeur en entrevue pour déterminer si le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) était bien fondé. Le demandeur et son conseil ont demandé un ajournement de l’entrevue, qui leur a été refusé. À l’issue de l’entrevue, le délégué du ministre a informé le demandeur qu’il estimait le rapport bien fondé et a pris une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR.

[3] Le demandeur affirme à présent que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en estimant le rapport bien fondé sans ajourner l’entrevue ni lui donner véritablement la possibilité de présenter des observations.

II. Les faits

[4] Les parties ont des récits contradictoires quant à la façon dont la date de l’entrevue entre le délégué du ministre et le demandeur a été fixée, y compris la question de savoir si le demandeur s’est présenté ou non à une entrevue initialement prévue pour le 10 mai 2022. La différence est importante puisque les raisons invoquées par le délégué du ministre pour refuser les demandes d’ajournement de l’entrevue du 11 mai présentées par le demandeur portent à croire que l’absence du demandeur à la première entrevue a joué un rôle dans le refus de ses demandes.

[5] Selon les notes du délégué du ministre et sa déclaration solennelle, le demandeur ne s’est pas présenté pour une entrevue prévue pour le 10 mai 2022, et c’est l’ASFC qui a communiqué avec lui par la suite pour la fixer à une autre date :

[traduction]

M. Shaikh ne s’est pas présenté pour l’entrevue qui était prévue hier, le 10 mai 2022, ni n’a informé l’ASFC de son absence. M. Shaikh a donc été contacté hier, et l’entrevue d’aujourd’hui a été organisée.

[6] En revanche, dans son affidavit du 27 juin 2022, le demandeur affirme que c’est lui qui a appelé l’ASFC et a reporté son entrevue de manière préventive (il n’est pas fait mention d’une entrevue manquée) :

[traduction]

J’ai appelé au numéro indiqué dans la lettre et j’ai pu reporter mon entrevue au 11 mai 2022.

[Non souligné dans l’original.]

[7] Cependant, selon les notes du délégué du ministre, le demandeur a donné une réponse lors d’une entrevue qui semble contredire la déclaration figurant dans son affidavit :

[traduction]

J’aimerais clarifier une chose, lorsque vous m’avez appelé hier, au sujet de la question de savoir si je reçois le document par la poste

[Non souligné dans l’original.]

[8] Pris ensemble, les renseignements ci-dessus portent à croire que, selon toute vraisemblance, le demandeur a manqué son entrevue prévue pour le 10 mai 2022 et que celle‑ci n’avait été fixée à une nouvelle date qu’après que l’ASFC a fait un suivi auprès de lui.

[9] En ce qui concerne les circonstances de l’entrevue reportée du 11 mai 2022, l’affidavit du demandeur décrit le processus quelque peu complexe qui l’a amené à retenir les services d’un avocat pour cette entrevue. Le demandeur a d’abord appelé son consultant en immigration, puis un avocat qui lui a dit qu’il ne s’occupait pas des affaires d’immigration, puis un autre qui n’était pas disponible, mais qui l’a aiguillé vers un troisième avocat, qui l’a lui‑même adressé à un quatrième avocat, à savoir l’avocat actuel du demandeur. La période au cours de laquelle cela s’est produit n’est pas claire, bien que l’avocat du demandeur ait été engagé quelques heures seulement avant l’entrevue reportée du demandeur.

[10] L’entrevue avec le demandeur a eu lieu le 11 mai 2022, en début d’après‑midi. L’avocat actuel du demandeur ainsi que le troisième avocat qui avait été contacté ont assisté à l’entrevue, bien que seul l’avocat actuel du demandeur ait été désigné comme étant celui qui a été engagé par le demandeur.

[11] L’avocat du demandeur a présenté au moins trois demandes d’ajournement de l’entrevue : d’abord par messagerie vocale avant l’entrevue, puis en personne juste avant l’entrevue, et enfin, au moyen d’une « demande » pendant l’entrevue. L’avocat a justifié sa demande par le fait qu’il n’avait été engagé qu’une à deux heures avant l’entrevue et qu’il n’avait pas eu la possibilité d’obtenir des instructions appropriées ni de s’entretenir avec l’avocat criminaliste du demandeur. Le délégué du ministre a rejeté chacune des demandes d’ajournement.

[12] Lorsque le délégué du ministre lui a demandé s’il avait des déclarations ou des éléments de preuve à présenter, le demandeur a souhaité parler à son avocat. Le délégué du ministre a également rejeté cette demande en déclarant ceci : [traduction] « Vous avez déjà eu l’occasion de parler à votre avocat avant l’entrevue d’aujourd’hui. »

[13] Après une courte pause pendant l’entrevue, le délégué du ministre a rendu sa décision.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[14] La décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire est la conclusion du 11 mai 2022 du délégué du ministre selon laquelle le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) était bien fondé. La décision a entraîné la prise d’une mesure d’expulsion, et elle est consignée dans la déclaration solennelle du délégué du ministre décrivant l’entrevue.

[15] Le délégué du ministre a rejeté la demande de l’avocat d’ajourner l’entrevue, pour la raison suivante :

[traduction]

Avant d’aller plus loin, j’aimerais répondre à la demande de l’avocat d’ajourner l’entrevue d’aujourd’hui. J’ai décidé de rejeter la demande d’ajournement. L’entrevue se déroulera comme prévu. M. SHAIKH a eu deux semaines afin de se préparer pour l’entrevue d’aujourd’hui et a décidé de retenir les services d’un avocat à la dernière minute. La lettre informant M. SHAIKH de son entrevue lui a été envoyée par la poste le 26 avril 2022 et lui a été délivrée le 28 avril 2022. M. Shaikh ne s’est pas présenté pour l’entrevue qui était prévue hier, le 10 mai 2022, ni n’a informé l’ASFC de son absence. M. SHAIKH a donc été contacté hier, et l’entrevue d’aujourd’hui a été organisée. Mon rôle aujourd’hui se limite à déterminer si le rapport d’interdiction de territoire est fondé. Je mentionne que M. SHAIKH conservera le droit de porter en appel, à la Cour fédérale, toute décision rendue aujourd’hui.

[16] Le demandeur a ensuite donné une réponse dans laquelle il a expliqué en détail les démarches qu’il avait entreprises pour retenir les services d’un avocat, et a conclu en disant que le résultat était [traduction] « qu’il n’avait pas eu beaucoup d’occasions » de discuter de son affaire avec l’un ou l’autre de ses avocats. Le demandeur a demandé s’il pouvait disposer de plus de temps pour discuter de l’affaire avec eux, mais sa demande a été rejetée.

[17] Après une courte pause pendant l’entrevue, le délégué du ministre a rendu sa décision et en a exposé les motifs comme suit :

[traduction]

Je suis convaincu que vous êtes interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 36(1)a) de la Loi et j’estime que ce rapport est fondé. Je prends donc une mesure d’expulsion.

Je suis convaincu que vous n’êtes ni citoyen canadien ni résident permanent du Canada. Je suis convaincu que vous avez été déclaré coupable « [d’]omission de s’arrêter à la suite d’un accident », une infraction prévue au paragraphe 320.16(1) du Code criminel du Canada. Cette infraction est punissable d’un emprisonnement maximal de dix ans [...].

[18] Après que la décision a été rendue, le demandeur s’est fait demander s’il avait des questions concernant l’entrevue. Il a répondu ainsi : [traduction] « Non, je voudrais juste donner quelques renseignements sur mes antécédents. » Il a été interrompu par son avocat, qui lui a conseillé de ne rien dire.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[19] La seule question à trancher consiste à savoir s’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale à l’égard du demandeur.

[20] Les questions d’équité procédurale sont examinées selon une norme semblable à celle de la décision correcte, et la cour de révision doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54‑56).

V. Analyse

[21] Le demandeur affirme que le délégué du ministre a manqué à l’obligation d’équité procédurale lorsqu’il a refusé de faire droit à sa demande d’ajournement de l’entrevue.

[22] Le demandeur compare l’affaire qui le concerne avec l’affaire Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 319. Dans l’affaire Sharma, le demandeur – un résident permanent – a été invité à présenter des observations écrites sur diverses questions et a fourni des lettres de soutien. En revanche, le demandeur soutient qu’il n’a eu aucune possibilité de présenter des observations concernant la délivrance par l’agent du rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) ni concernant la décision du délégué du ministre selon laquelle le rapport était bien fondé, et que sa demande d’ajournement a été rejetée.

[23] Le demandeur affirme que, si le délégué du ministre avait accordé un ajournement de l’entrevue, son conseil aurait pu préparer des observations relativement à certains facteurs énumérés dans le Guide de l’immigration ENF 6 et mentionnés dans l’arrêt Sharma, dont la durée de la résidence, le degré d’établissement et la gravité de l’infraction commise [Sharma, au para 46].

[24] Le défendeur invoque deux arguments préliminaires. D’abord, il prétend que l’affidavit du demandeur contient des renseignements dont il ne faudrait pas tenir compte, car le décideur n’en disposait pas. Ensuite, il soutient que la demande de contrôle judiciaire du demandeur est axée sur la décision que le délégué du ministre a rendue le 11 mai. Le défendeur fait donc valoir que les arguments du demandeur concernant les manquements à l’équité procédurale qu’il y aurait eu pendant la préparation du rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) ne sont pas pertinents.

[25] Le défendeur présente trois principales observations quant aux arguments du demandeur concernant la préparation du rapport établi en vertu du paragraphe 44(1). Premièrement, il soutient que l’arrêt Sharma concerne la capacité du demandeur de présenter des observations avant qu’un rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) ne soit présenté sous sa forme définitive et que cet arrêt ne s’applique donc pas en l’espèce, puisque le contrôle judiciaire vise la décision de prendre une mesure d’expulsion au titre du paragraphe 44(2). Deuxièmement, il avance que le demandeur a renoncé à son droit de soulever la question des observations au titre du paragraphe 44(1) en ne le faisant pas lors de l’entrevue avec le délégué du ministre, au cours de laquelle il était représenté par deux avocats. Troisièmement, le défendeur s’appuie sur l’arrêt Cha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, pour soutenir que la responsabilité d’un agent ne consiste qu’à rechercher les faits et que la situation particulière de l’intéressé échappe à son examen.

[26] En ce qui concerne l’argument du demandeur selon lequel le délégué du ministre aurait dû ajourner l’entrevue, le défendeur fait valoir que les droits du demandeur ont été respectés. Il mentionne que les étrangers ont moins de droits en matière d’équité procédurale que les résidents permanents et les citoyens, et que le demandeur, qui n’était pas détenu, n’avait aucun droit absolu à la présence d’un avocat, et encore moins à un ajournement pour permettre à l’avocat de se préparer. En outre, il soutient que la brève consultation du demandeur avec ses avocats avant l’entrevue était suffisante, car les faits de l’espèce sont simples et incontestés; en ce sens, les avocats n’auraient rien pu soulever pour changer les faits.

[27] Enfin, le défendeur souligne, en citant l’arrêt Cha, que le renvoi de la décision pour qu’il soit procédé à un nouvel examen serait inutile, puisque les faits de l’espèce aboutiraient simplement à la prise d’une nouvelle mesure d’expulsion.

[28] Je souscris pour l’essentiel aux observations formulées par le défendeur. Selon la jurisprudence de la Cour, les agents et les délégués du ministre disposent d’un pouvoir discrétionnaire très limité, voire inexistant, dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions au titre de l’article 44.

[29] Lorsque, selon sa recherche des faits, l’agent estime que l’étranger ou le résident permanent est interdit de territoire pour grande criminalité, il a l’obligation d’établir un rapport (Cha, au para 35, cité dans Virani c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1083).

[30] De même, il a été établi que le rôle du délégué du ministre se limite à la prise d’une mesure d’expulsion s’il estime que le rapport est bien fondé, s’il n’y a pas eu de réadaptation au sens du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [le RIPR] (art 18 du RIPR) et si l’étranger est adulte et en mesure de comprendre la nature de la procédure (art 228(4) du RIPR; Cha, au para 34).

[31] En outre, la présente affaire se distingue de l’affaire Sharma et des autres affaires invoquées par le demandeur, puisque ces dernières concernaient des résidents permanents, et non des étrangers. La différence est importante en raison de la distinction prévue au paragraphe 44(2). Dans le cas des résidents permanents, le délégué du ministre décide s’il faut déférer le rapport d’interdiction de territoire à la Section de l’immigration [la SI]. Dans le cas des étrangers, le délégué du ministre décide s’il doit prendre lui‑même une mesure de renvoi.

[32] Les facteurs sur lesquels le demandeur aurait pu, à son avis, présenter des observations si l’entrevue avait été ajournée sont expressément mentionnés à la fois dans le Guide de l’immigration ENF 6 et dans l’arrêt Sharma comme se rapportant à des cas où la compétence pour prendre une mesure de renvoi relève de la SI, et non du délégué du ministre. Comme il est mentionné au paragraphe 46 de l’arrêt Sharma : « le Guide ENF 6 énumère les facteurs qui peuvent être pris en compte au moment de décider s’il convient de renvoyer un rapport à la SI » [non souligné dans l’original]. D’autres facteurs dont il aurait fallu tenir compte dans les guides ENF 5 et ENF 6 selon le demandeur sont eux aussi mentionnés comme se rapportant aux résidents permanents, et non pas aux étrangers.

[33] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, en ce qui concerne les étrangers, l’étendue du pouvoir discrétionnaire accordé aux délégués du ministre, ou l’absence de celui-ci, sont établies dans l’arrêt Cha, où le juge Robert Décary a souligné les différences de traitement que la LIPR réserve aux étrangers par rapport aux résidents permanents et a expressément fait observer que ses motifs ne s’appliquaient qu’aux premiers (Cha, au para 13). C’est dans ce contexte que la Cour a été saisie des questions certifiées suivantes, particulièrement pertinentes en ce qui concerne la question dont la Cour est actuellement saisie :

1. Quelle est la portée du pouvoir discrétionnaire du représentant du ministre lorsqu’il prend une mesure d’expulsion en application du paragraphe 44(2) de la LIPR?

2. Quelle est la portée des droits de participation devant être accordés lorsqu’un représentant du ministre, en application du paragraphe 44(2) de la LIPR, envisage de prendre une mesure d’expulsion?

[34] Dans l’arrêt Cha, la Cour fait généralement observer que, en comparaison avec d’autres genres de non‑citoyens, la LIPR n’accorde aux étrangers, qui sont des résidents temporaires, que peu de mesures de protection sur le plan de la forme ou du fond, et que le législateur a clairement montré qu’il se préoccupait beaucoup de la criminalité des non‑citoyens (Cha, aux para 23‑24).

[35] D’abord, pour ce qui est du pouvoir discrétionnaire de l’agent de ne pas établir le rapport visé au paragraphe 44(1), en ce qui concerne les étrangers déclarés coupables au Canada de certaines infractions, la Cour fait observer qu’il se limite aux cas où :

1. il y a réhabilitation;

2. il y a eu gain de cause en appel;

3. l’interdiction de territoire a résulté d’une déclaration de culpabilité pour deux infractions punissables uniquement par procédure sommaire et que l’étranger n’a été déclaré coupable d’aucune infraction pendant les cinq années qui se sont écoulées depuis le moment où les peines imposées ont été purgées;

4. l’infraction est qualifiée de contravention aux termes de la Loi sur les contraventions ou lorsqu’elle est réprimée par la Loi sur les jeunes contrevenants.

(Cha, au para 33)

[36] Ensuite, voici la réponse de la Cour à la première question certifiée dans l’arrêt Cha :

[34] Lorsque le rapport établi par un agent d’immigration contre un étranger ne se fonde sur aucun motif d’interdiction de territoire autre que la grande ou la simple criminalité au Canada, en vertu du paragraphe 228(1) du Règlement, le représentant du ministre est censé prendre une mesure d’expulsion s’il estime le rapport bien fondé (c’est‑à‑dire que l’agent d’immigration a conclu à juste titre que toutes les conditions énoncées plus haut sont réunies) et s’il conclut en outre qu’on n’a pas octroyé la réhabilitation à l’étranger au sens de l’article 18.1 du Règlement et que ce dernier remplit les conditions d’âge et d’état mental prévues par le paragraphe 228(4) du Règlement.

[35] Je conclus que le libellé des articles 36 et 44 de la Loi et des dispositions applicables du Règlement n’accorde aucune latitude aux agents d’immigration et aux représentants du ministre lorsqu’ils tirent des conclusions quant à l’interdiction de territoire en vertu des paragraphes 44(1) et (2) de la Loi à l’égard de personnes déclarées coupables d’infractions de grande ou de simple criminalité, sauf pour ce qui est des exceptions prévues explicitement par la Loi et le Règlement. La mission des agents d’immigration et des représentants du ministre ne consiste qu’à rechercher les faits, rien de plus, rien de moins. La situation particulière de l’intéressé, l’infraction, la déclaration de culpabilité et la peine échappent à leur examen. Lorsqu’ils estiment qu’une personne est interdite de territoire pour grande ou simple criminalité, ils ont respectivement l’obligation d’établir un rapport et d’y donner suite.

[37] En ce qui concerne la seconde question certifiée soumise à la Cour, le juge Décary examine les cinq facteurs précis énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, et tire la conclusion suivante :

[52] […] L’examen des cinq facteurs énoncés dans Baker me conduit, bien au contraire, à conclure que l’intéressé ne devrait disposer que d’un droit de défendre son point de vue relativement restreint. Je suis ainsi convaincu que les mesures suivantes satisfont aux exigences de l’obligation d’agir équitablement :

- remettre à l’intéressé copie du rapport de l’agent d’immigration;

- informer l’intéressé des allégations figurant dans ce rapport, de ce qu’il lui faudra démontrer et de la nature et des conséquences possibles de la décision devant être rendue;

- faire passer une entrevue à l’intéressé, face à face, par vidéoconférence ou par téléphone;

- donner à l’intéressé l’occasion de présenter des éléments de preuve pertinents et d’exprimer son point de vue.

[38] En l’espèce, le demandeur a été dûment avisé de l’entrevue, y a assisté avec son avocat, a reçu une copie du rapport et a eu la possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations.

[39] Il va de soi que les éléments de preuve et les observations présentés doivent relever du pouvoir discrétionnaire exercé par le délégué du ministre. Ils ne sont pas censés être axés sur la gravité de l’infraction, la situation particulière du demandeur ainsi que la déclaration de culpabilité le visant afin de décider de prendre ou non la mesure de renvoi (Cha, au para 39).

[40] Le demandeur ne met en avant aucune preuve ni observation qui aurait pu être présentée et qui aurait eu une incidence sur la façon dont le délégué du ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire très limité, et cet argument doit être rejeté.

VI. Conclusion

[41] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande sera rejetée. Les refus du délégué du ministre d’ajourner l’entrevue pourraient avoir eu une incidence sur les droits procéduraux du demandeur, mais je suis d’avis qu’il n’y a pas eu de manquement à l’obligation minimale d’équité procédurale dans les circonstances. En outre, il semble que l’ajournement ait été refusé en partie par la faute du demandeur qui a) n’a pas reporté l’entrevue initiale et b) n’a pas retenu les services d’un avocat plus tôt après avoir reçu l’avis d’entrevue. Par ailleurs, comme le demandeur n’a pas précisé quels éléments de preuve ou observations il aurait pu présenter qui auraient pu à juste titre influer sur le pouvoir discrétionnaire très limité du délégué du ministre, il est très probable qu’une nouvelle audience n’aboutirait qu’au même résultat, et serait donc inutile.

[42] Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier, et les faits de la présente affaire n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5145-22

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5145-22

 

INTITULÉ :

AMEERULLAH MAJEEDULLAH SHAIKH c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 FÉVRIER 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 MAI 2023

 

COMPARUTIONS :

Ali Yusuf

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Philippe Alma

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ali Yusuf

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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