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Date : 20230607


Dossier : IMM-8586-22

Référence : 2023 CF 797

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

JARED MOCHERE ONG’UTI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Jared Mochere Ong’uti, est citoyen du Kenya. Il affirme qu’il est exposé à un risque de persécution par des membres du Sungu Sungu en raison de son travail pour faire campagne pour le Mouvement démocratique orange [l’ODM]. Il soutient que ses cousins et son frère, qui étaient également des partisans de l’ODM, ont été agressés lors d’incidents distincts et sont décédés des suites de leur agression. Le demandeur a fui le Kenya en 2018 par avion et a demandé le statut de réfugié à son arrivée à l’aéroport.

[2] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 10 août 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté son appel et a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de rejeter sa demande d’asile au motif qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La question déterminante devant la SAR et la SPR portait sur la crédibilité. Après avoir procédé à une évaluation indépendante, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur manquait de crédibilité, avait intentionnellement déposé des documents inauthentiques et avait fabriqué une grande partie de son exposé circonstancié.

[3] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur : i) en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve du demandeur; ii) en ne tenant pas compte du rapport du psychothérapeute du demandeur; iii) dans son évaluation de la relation entre le demandeur et la personne qu’il allègue être son frère; iv) dans son appréciation des éléments de preuve provenant d’autres membres de la famille du demandeur; v) dans son appréciation de la preuve photographique; vi) dans son évaluation du travail du demandeur auprès de l’ODM; vii) en concluant que le Sungu Sungu n’avait plus d’intérêt à l’égard du demandeur. À l’audience, le demandeur a axé ses arguments oraux sur les points i), ii), iv) et vi) et s’est appuyé sur ses observations écrites pour les points iii), v) et vii).

[4] Le défendeur soutient que la décision de la SAR selon laquelle le demandeur n’était pas crédible est raisonnable, compte tenu du nombre important d’incohérences et d’omissions dans la preuve du demandeur. Il affirme que le demandeur cherche simplement à amener la Cour à apprécier à nouveau la preuve. Le défendeur s’oppose à certains des points présentés par le demandeur, principalement à celui concernant la façon dont la SAR a traité le rapport du psychothérapeute, au motif qu’ils n’ont pas été soulevés en appel devant la SAR.

[5] Après avoir examiné le dossier dont dispose la Cour, y compris les observations écrites et orales des parties, ainsi que le droit applicable, le demandeur ne m’a pas convaincue que la décision de la SAR est déraisonnable. Pour les motifs exposés ci-après, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Norme de contrôle

[6] Les parties s’entendent pour dire que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Une décision raisonnable est une décision qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12-13). Ainsi, il y a lieu de faire preuve de retenue, en particulier à l’égard des conclusions de fait et de l’appréciation de la preuve. À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne devraient pas modifier les conclusions de fait, et il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125).

III. Analyse

[7] Comme je l’ai mentionné précédemment, la question déterminante devant la SPR et la SAR était celle de la crédibilité. Les conclusions quant à la crédibilité font partie du processus de recherche des faits, et il faut faire preuve d’une grande retenue à leur égard lors du contrôle (Fageir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 966 [Fageir] au para 29; Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 721 [Tran] au para 35; Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6). Les conclusions quant à la crédibilité que tirent la SPR et la SAR requièrent un degré élevé de retenue judiciaire, et il n’y a lieu de les infirmer que « dans les cas les plus évidents » (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 720 [Liang] au para 12).

[8] Les conclusions quant à la crédibilité ont été décrites comme constituant « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits, […] et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve » (Fageir, au para 29; Tran, au para 35; Edmond c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 644 au para 22, citant Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 165 au para 9).

[9] Le demandeur a effectivement soulevé sept points concernant le traitement et l’appréciation de la preuve par la SAR. Sauf en ce qui a trait aux nouveaux éléments de preuve, le défendeur soutient que le demandeur demande simplement à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve examinés par la SAR et qu’il était raisonnable de la part de cette dernière de conclure que le demandeur n’était pas crédible.

[10] Je garde à l’esprit les directives données par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, à savoir que la cour de révision ne doit pas se pencher sur la décision sous‑jacente avec l’intention de se lancer dans une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (au para 102), mais qu’elle doit plutôt s’assurer que « la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (au para 15).

[11] Après avoir examiné le dossier et les observations des parties, je conclus que la décision de la SAR prise dans son ensemble est raisonnable compte tenu du dossier dont celle-ci disposait et qu’elle satisfait à l’exigence de justification prévue dans l’arrêt Vavilov. À mon avis, les arguments du demandeur reviennent à demander que la preuve prise en compte par la SAR soit appréciée à nouveau, ce à quoi il ne peut être fait droit (Vavilov, au para 125). De plus, ils ont trait aux conclusions de la SAR en matière de crédibilité, qui requièrent un degré élevé de retenue judiciaire (Liang, au para 12). Le demandeur ne m’a pas convaincue que les conclusions de la SAR en matière de crédibilité sont déraisonnables. Compte tenu des documents inauthentiques que le demandeur a déposés et des contradictions dans son témoignage et dans la preuve, il était loisible à la SAR de tirer ces conclusions.

[12] Deux des observations du demandeur méritent que l’on s’y attarde plus particulièrement. Tout d’abord, en ce qui a trait au rejet par la SAR des nouveaux éléments de preuve du demandeur, ce dernier soutient que la SAR aurait dû les accepter, surtout le certificat de naissance de la personne qui, selon le demandeur, était son frère. Nul n’allègue que la SAR n’a pas appliqué les bons critères, soit celui prévu au paragraphe 110(4) de la LIPR et ceux énoncés dans les arrêts Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96, et Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385. Le demandeur fait plutôt valoir que la SAR a commis une erreur en ne retenant pas son explication quant aux raisons pour lesquelles le certificat de naissance n’était pas accessible plus tôt.

[13] Le défendeur soutient qu’il était raisonnable de la part de la SAR de rejeter l’explication du demandeur, compte tenu des doutes quant à la crédibilité de ce dernier et à la fiabilité du document lui-même. Selon le défendeur, le demandeur tentait manifestement de suppléer au dossier incomplet dont disposait la SPR.

[14] Le demandeur ne m’a pas convaincue que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant ses nouveaux éléments de preuve. Je suis d’accord avec le défendeur que la SAR était en droit de conclure que l’explication du demandeur n’était pas crédible.

[15] En ce qui concerne le rapport de psychothérapie du demandeur, ce dernier soutient que la SAR a commis une erreur dans la façon dont elle l’a traité. Plus précisément, il fait valoir qu’elle aurait dû en tenir compte pour tirer ses conclusions quant à la crédibilité. Le défendeur s’oppose à ce que le demandeur formule cet argument, puisque la question du rapport de psychothérapie n’a pas été soulevée devant la SAR. Le défendeur soutient en outre que le rapport ne peut pas servir de panacée pour les lacunes relevées dans la preuve du demandeur, y compris les incohérences dans la preuve documentaire.

[16] Je suis d’accord avec le défendeur sur ce point, en ce sens qu’il n’est pas convenable pour le demandeur de contester la décision de la SAR sur la base d’une question qu’il n’a pas précédemment soulevée (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 636 [Singh] au para 16). En effet, on peut difficilement reprocher à la SAR de ne pas avoir examiné plus en profondeur le rapport de psychothérapie alors que la question n’a pas été soulevée devant elle en appel (Singh, au para 15; Onwuasoanya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1765 [Onwuasoanya] au para 15; Dakpokpo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 580 au para 14; Enweliku c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 228 au para 42).

[17] Le demandeur soutient que son état psychologique a nui à sa capacité à témoigner et que la SAR aurait dû évaluer le rapport de façon indépendante, que cette question ait été soulevée ou non. Comme je l’ai mentionné plus haut, une décision raisonnable est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Compte tenu des faits et de la preuve dont disposait la SAR, y compris le rapport de psychothérapie, je juge que les conclusions de la SAR en matière de crédibilité sont justifiées au vu du dossier dont elle disposait. À mon avis, le rapport de psychothérapie ne peut pas faire office de panacée pour les lacunes et les incohérences constatées dans la preuve du demandeur et les conclusions négatives en matière de crédibilité qui en découlent (Onwuasoanya, au para 16; Khatun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 159 au para 94).

IV. Conclusion

[18] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable (Vavilov, au para 100). En conséquence, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

[19] Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8586-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8586-22

 

INTITULÉ :

JARED MOCHERE ONG’UTI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er juin 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 juin 2023

 

COMPARUTIONS :

Gökhan Toy

 

Pour le demandeur

 

Jennifer Luu

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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