Date : 20230606
Dossier : IMM-3829-22
Référence : 2023 CF 786
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 6 juin 2023
En présence de madame la juge Go
ENTRE : |
Magdalene Imuesemen NWANKWO
|
Mason Chukwu IFEANYI
|
Maddison Onyinyechi IFEANYI
|
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Mme Magdalene Imuesemen Nwankwo [la demanderesse principale] et ses enfants mineurs, Mason Chukwu Ifeanyi et Maddison Onyinyechi Ifeanyi [ensemble, les demandeurs], ont présenté des demandes d’asile à leur arrivée au Canada en juillet 2019. Ils craignent d’être persécutés par les membres d’un club d’investissement appelé Auchi Indegene Benin Branch [l’AIB] parce que la demanderesse principale et sa mère n’ont pas remboursé un prêt destiné à financer le démarrage d’une entreprise par l’époux de la demanderesse principale, de qui cette dernière est désormais séparée. Ils craignent également de subir de la persécution ou un préjudice de la part de la famille de l’ex-époux, qui est également le père des demandeurs mineurs.
[2] En décembre 2021, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile pour des motifs liés à la crédibilité et en raison de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [la PRI] à Port Harcourt. Dans une décision rendue le 4 avril 2022 [la décision], la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé les conclusions de la SPR en matière de crédibilité et le fait que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
[3] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision.
[4] Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que les demandeurs n’ont pas établi que la décision était déraisonnable et que le SAR a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne leur offrant pas la possibilité de répondre aux doutes en matière de crédibilité. Par conséquent, je rejetterai la demande.
II. La question préliminaire
[5] Avant l’audience, j’ai attiré l’attention des parties sur le fait que certains documents contenus dans le dossier certifié du tribunal semblaient concerner un autre demandeur d’asile et n’auraient probablement pas dû être inclus. Les parties ont informé la Cour que ces documents se rapportaient à la demande déposée par la mère de la demanderesse principale.
[6] À l’audience, j’ai avisé les parties de mon intention d’ordonner le caviardage des documents liés à la demande de la mère de la demanderesse principale. Les parties n’ont pas formulé d’objection, sauf en ce qui concerne un document qui a été pris en compte par la SAR pour rendre sa décision, soit l’affidavit de M. Theophilus Okhe, le frère de la mère de la demanderesse principale [l’affidavit de M. Okhe]. Par conséquent, cet affidavit ne sera pas caviardé.
III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable
[7] Les arguments avancés par les parties font ressortir les questions en litige suivantes :
Le caractère raisonnable de la décision, c’est-à-dire :
La question de savoir si la SAR a porté atteinte au droit à l’équité procédurale des demandeurs dans son évaluation des affidavits présentés à l’appui de leur demande.
i. l’examen de la décision de la SPR par la SAR;
ii. l’évaluation qu’a faite la SAR de la nouvelle allégation visant la belle-famille de la demanderesse principale;
iii. l’évaluation, par la SAR, des circonstances entourant le contrat de prêt;
iv. l’évaluation des affidavits sur le fond effectuée par la SAR.
[8] J’appliquerai la norme de la décision raisonnable, conformément aux principes établis dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], pour examiner la décision sur le fond, y compris la manière dont la SAR a appliqué les règles de droit.
[9] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont dispose le décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes visées par la décision : Vavilov, aux para 88–90, 94, 133–135.
[10] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Ce ne sont pas toutes les erreurs dans une décision ni toutes les préoccupations qu’elle soulève qui justifient une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur et de modifier ses conclusions de fait, à moins de circonstances exceptionnelles : Vavilov, au para 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure »
: Vavilov, au para 100.
[11] Pour apprécier un argument relatif à l’équité procédurale, la cour de révision doit établir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35.
IV. Analyse
A. La décision était-elle déraisonnable?
[12] Les demandeurs soulèvent plusieurs arguments relatifs au caractère raisonnable de la décision, que j’aborderai ci-dessous.
[13] Premièrement, les demandeurs soulignent que la SAR était d’avis que la SPR avait effectivement commis plusieurs erreurs qui, selon eux, étaient déterminantes quant aux conclusions défavorables en matière de crédibilité tirées par la SPR. Sur cette seule base, les demandeurs soutiennent que la SAR aurait dû faire droit à leur appel et renvoyer l’affaire pour nouvelle décision. Je rejette cette observation. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les arguments des demandeurs à propos des conclusions de la SPR en matière de crédibilité sont essentiellement les mêmes qui ont été soulevés devant la SAR et examinés par celle-ci. La SAR a raisonnablement conclu qu’aucune des erreurs n’était déterminante quant à l’appel. Dans leurs arguments, les demandeurs expriment essentiellement leur désaccord face à l’évaluation de la preuve faite par la SAR.
[14] Deuxièmement, les demandeurs contestent la manière dont la SAR a évalué l’analyse, par la SPR, de l’allégation relative à la crainte des demandeurs envers la belle-famille de la demanderesse principale. Dans une version modifiée de l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire Fondement de demande d’asile [le formulaire FDA] qu’ils ont déposée avant l’audience de la SPR, les demandeurs ont ajouté que la demanderesse principale avait été accusée par sa belle-famille d’être une sorcière. La demanderesse principale a également témoigné à l’audience devant la SPR que le père de son époux l’avait menacée de lui enlever ses enfants. La SAR a reconnu que la SPR avait commis quelques erreurs dans son évaluation des allégations relatives au préjudice grave que pourrait subir la demanderesse principale au Nigéria de la part de la famille de son époux, mais elle a finalement rejeté la demande.
[15] Les demandeurs rappellent les préoccupations exprimées par la SPR du fait qu’ils ont présenté cette allégation tardivement et signalent que la SAR fait la distinction, dans ses motifs, entre une « présentation »
tardive des allégations, pour reprendre les termes de la SPR, et des « observations »
tardives. Les demandeurs soutiennent que la SAR s’est fondée sur une [traduction] « distinction sans importance »
et que tant la SPR que la SAR ont déraisonnablement écarté l’explication donnée par la demanderesse principale pour justifier de ne pas avoir divulgué plus tôt les accusations de sorcellerie. Les demandeurs ont aussi invoqué le paragraphe 23 de la décision Abu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 258, pour faire valoir que la SPR et la SAR n’ont pas tenu compte des éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays se rapportant aux accusations de sorcellerie.
[16] Les arguments des demandeurs ne me convainquent pas. La SAR a reconnu qu’ils avaient déposé une version modifiée de leur demande d’asile dans les délais prescrits, et elle a procédé à sa propre analyse des allégations qu’ils ont présentées quant à leur crainte d’être persécutés par le père des demandeurs mineurs et sa famille. La SAR a tiré une conclusion défavorable du fait que la demanderesse principale, dans la version modifiée de son exposé circonstancié, n’a pas mentionné s’être fait menacer de se faire enlever ses enfants. La SAR a également jugé que la SPR avait eu raison de conclure qu’aucun élément de preuve supplémentaire n’avait été présenté pour corroborer cette menace et a souligné que le conseil n’avait pas présenté d’arguments à l’appui de cette allégation en appel. Par conséquent, elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque personnel.
[17] Les demandeurs n’ont pas démontré que cette conclusion était erronée. La distinction qu’a faite la SAR entre la « présentation »
tardive et une « observation »
tardive n’a aucune importance et ne donne pas lieu à une erreur susceptible de contrôle. Je ne crois pas non plus qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de conclure que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque personnel notamment parce que la demanderesse principale a omis de préciser dans son exposé circonstancié qu’elle craignait que la famille de son époux lui enlève ses enfants.
[18] Troisièmement, les demandeurs contestent les principales conclusions de la SAR en matière de crédibilité relativement aux circonstances entourant le contrat de prêt. La SAR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité des réponses données par la demanderesse principale et sa mère sur la question de savoir si le prêteur avait tenté d’engager des poursuites pour se faire rembourser et afin d’expliquer pourquoi les prêteurs ne se sont pas tournés vers le système de justice pour réclamer leur dû et pourquoi la demanderesse principale et sa mère n’ont pas demandé aux autorités de les aider. La SAR a notamment conclu que l’AIB était un prêteur légitime et que les dispositions de l’entente en matière de sûreté et de garantie auraient permis de tirer un profit de l’exécution de la garantie.
[19] La SAR a rejeté l’affirmation selon laquelle l’AIB ne voudrait pas faire appel aux tribunaux pour faire exécuter l’entente parce que les démarches s’étaleraient sur des années. Elle a jugé que cette explication n’était pas cohérente avec la crainte de préjudice qui était alléguée et que, pour ne pas subir ce préjudice, les demandeurs auraient pu éviter les procédures judiciaires en transférant à l’AIB les biens donnés en garantie. Selon elle, l’allégation se rapportant au fondement de la demande d’asile était invraisemblable.
[20] Devant la Cour, les demandeurs soutiennent que le commentaire de la SAR selon lequel ils devraient prendre des mesures « raisonnables »
pour céder leurs biens est fondamentalement bancal, puisqu’ils ne sont pas en mesure de rembourser le prêt pour les raisons suivantes :
Les biens affectés en garantie appartiennent à l’ex-époux de la demanderesse principale;
Les biens affectés en garantie valent à peine 30 % du prêt et des intérêts;
Le contrat ne prévoit pas la liquidation des biens affectés en garantie, mais indique plutôt que le garant devient également responsable de la dette;
L’époux de la demanderesse principale a déjà vendu les biens affectés en garantie afin de liquider une partie du prêt.
[21] Les demandeurs font valoir que le commentaire de la SAR, soit qu’il serait plus logique que le prêteur porte l’affaire devant les tribunaux pour se faire rembourser, est fondé sur des hypothèses et fait fi des éléments de preuve contenus dans le cartable national de documentation, selon lesquels le processus judiciaire au Nigéria est miné par les grèves, la corruption « omniprésente »
et les difficultés entourant l’exécution des décisions de tribunaux civils. Ce faisant, les demandeurs reprochent à la SAR d’avoir appliqué un point de vue occidental en se fondant sur l’idée que des personnes raisonnables chercheraient à obtenir réparation en justice pour une rupture de contrat. Ils soutiennent en outre que, même en Occident, les usuriers utilisent des moyens illégaux pour obtenir le remboursement des dettes. Ils font valoir que l’hypothèse de la SAR est contredite directement par le témoignage de la demanderesse principale et la preuve documentaire, de sorte qu’elle ne peut être valable.
[22] Les arguments des demandeurs ne me convainquent pas. Au paragraphe 7 de la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 [Valtchev], la Cour rappelle que les tribunaux administratifs ne peuvent conclure à l’invraisemblance que dans les « cas les plus évidents »
. En ayant cette mise en garde à l’esprit, je suis d’avis que la conclusion d’invraisemblance tirée par le SAR était justifiée.
[23] Tout d’abord, la comparaison qu’ont faite les demandeurs entre l’AIB et des usuriers n’est pas fondée : selon la preuve qu’ils ont présentée, l’AIB est une entreprise agréée et enregistrée auprès du gouvernement avec laquelle la mère de la demanderesse principale avait des liens. J’estime également que la SAR n’a pas appliqué un point de vue occidental en concluant que l’AIB, une entreprise légitime, tenterait de recourir au système de justice pour faire exécuter le contrat de prêt conclu avec la demanderesse principale et sa mère.
[24] En outre, je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’une partie des explications fournies à la Cour par les demandeurs au sujet de la propriété et de la valeur des biens en garantie, de même que leur argument selon lequel la SAR n’a pas tenu compte des réalités du processus judiciaire au Nigéria, n’ont pas été portées à la connaissance de la SAR. Je reconnais que la version modifiée de l’exposé circonstancié du formulaire FDA des demandeurs et le témoignage de la demanderesse principale précisent que les biens affectés en garantie appartenaient à l’ex-époux, que la procédure de saisie-arrêt s’appliquerait à ses biens à lui, que ces biens n’existent plus puisqu’il les a vendus et qu’il ne réside plus au Nigéria.
[25] Toutefois, ces événements ultérieurs n’expliquent pas la principale préoccupation qu’a exprimée la SAR au sujet de la décision de la demanderesse principale et de sa mère de ne pas contacter les autorités pour obtenir de l’aide alors qu’elles se trouvaient encore au Nigéria. Ces événements ne remettent pas non plus en cause la conclusion de la SAR selon laquelle il était invraisemblable que l’AIB, une entreprise agréée, ait recours à la violence contre la demanderesse principale et sa famille plutôt qu’au système de justice lorsque le prêt n’a pas été remboursé. Je constate également que la demanderesse principale n’a fourni aucune des explications avancées par les demandeurs devant notre Cour pour justifier leurs actions lorsque ces mêmes questions ont été soulevées devant la SPR.
[26] Comme la SAR l’a souligné, et je suis d’accord avec elle, l’expression « les cas les plus évidents »
dans la décision Valtchev ne l’emporte pas sur le fardeau global qui incombe à un demandeur d’asile d’établir les éléments factuels de son cas selon la prépondérance des probabilités. Après avoir examiné la décision, je conclus qu’il était raisonnable de la part de la SAR d’appliquer cette norme de preuve pour évaluer l’élément essentiel de la demande d’asile.
[27] Quatrièmement, les demandeurs contestent la manière dont la SAR a évalué les affidavits, particulièrement celui souscrit par M. Ikhide Samuel, qui corrobore l’allégation de la demanderesse principale, soit qu’elle aurait été agressée alors qu’elle emmenait ses enfants à l’école le 15 janvier 2019 [l’affidavit de M. Samuel]. M. Samuel, un autre parent de l’école, a déclaré dans son affidavit qu’il a vu les bandits agresser la demanderesse principale sur le terrain de l’école, qu’il a remarqué plus tard dans l’année l’absence des enfants à l’école et qu’il a appris que les « mêmes assaillants »
étaient « encore à [sa] recherche »
. La SAR a jugé problématique le manque de détails sur la manière dont M. Samuel avait « découvert »
que les bandits étaient toujours à la recherche de la demanderesse principale et a accordé peu de poids à son affidavit.
[28] Les demandeurs font valoir que la SAR a appliqué une norme de preuve trop exigeante lors de son évaluation de l’affidavit de M. Samuel. Ils soulignent que l’affidavit de M. Samuel corrobore dans tous les détails l’incident décrit dans l’exposé circonstancié modifié du formulaire FDA, où la demanderesse principale explique que les bandits ont mentionné qui les envoyait et pour quelle raison. Selon les demandeurs, puisque l’exposé circonstancié précise que les bandits ont affirmé devant témoins qu’ils reviendraient pour s’en prendre aux demandeurs, alors « la manière dont [M. Samuel] l’a su était évidente »
, car il était « physiquement »
présent lorsque les menaces ont été faites.
[29] Les demandeurs invoquent le paragraphe 58 de la décision Sivaraja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 732, citant Mahmud c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 729 au para 11, pour faire valoir qu’un tribunal commet une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il juge un élément de preuve pour ce qu’il garde sous silence plutôt que pour ce qu’il dit. Ils se fondent également sur le paragraphe 21 de la décision Belek c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 205 [Belek], dans laquelle la Cour déclare que « les documents qui corroborent certains aspects [du récit du demandeur] ne peuvent être écartés simplement parce qu’ils ne corroborent pas certains autres aspects du même récit »
.
[30] J’estime que les faits des cas cités par les demandeurs se distinguent des faits en l’espèce et je ne suis pas d’accord pour dire que la SAR a écarté l’affidavit de M. Samuel pour ce qu’il gardait sous silence. La SAR n’a pas contesté ce que M. Samuel alléguait avoir vu en tant que témoin direct. Toutefois, elle a souligné à juste titre que M. Samuel n’indiquait pas dans son affidavit avoir entendu quoi que ce soit qui révélerait l’affiliation des agresseurs. Par conséquent, la SAR a conclu que l’affidavit ne confirmait pas que l’AIB était responsable de l’agression. C’est sur cette base qu’elle a jugé que l’affidavit de M. Samuel n’affaiblissait pas la conclusion d’invraisemblance concernant le fondement des demandes d’asile. Ainsi, contrairement à ce qu’affirme la Cour au paragraphe 22 de la décision Belek, je ne suis pas d’avis que l’évaluation qu’a faite la SAR de l’affidavit de M. Samuel a « nui à la décision rendue »
. Il était plutôt raisonnable de la part de la SAR de conclure que cette corroboration ne suffisait pas à rendre le récit vraisemblable.
[31] Le cinquième et dernier argument avancé par les demandeurs en lien avec le caractère raisonnable de la décision a trait à l’évaluation de la SAR quant à la fiabilité des autres affidavits fournis par des membres de la famille élargie des demandeurs et par des amis. Plus précisément, les demandeurs contestent la décision de la SAR de ne leur accorder aucun poids parce que les déposants n’étaient pas des témoins directs des événements qui y sont relatés. Ils font valoir qu’en exigeant des éléments de preuve objectifs des demandeurs pour corroborer leur récit, la SAR ne tient pas compte du fait que la preuve par ouï-dire est admissible dans le contexte des demandes d’asile. Les demandeurs invoquent les alinéas 170g) et h) de la la LIPR, qui confirment que la SPR n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve.
[32] Les demandeurs se reportent à la décision Shahaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1044 au para 9, dans laquelle la Cour a conclu que le tribunal avait commis une erreur, car il ne lui appartenait pas « de s’imposer à [lui]-même ou d’imposer à des demandeurs des restrictions dont le Parlement les a libérés en ce qui a trait à la preuve »
. Ils se reportent également au paragraphe 75 de la décision Briand c Canada (Procureur général), 2018 CF 279, où la Cour réitère que l’attestation fournie sous serment crée une présomption selon laquelle les allégations sont véridiques à défaut de raison de douter de leur véracité, d’après Maldonado c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé), [1980] 2 CF 302 (CAF) au para 5.
[33] Je ne suis pas convaincue que la SAR a commis les erreurs que lui reprochent les demandeurs.
[34] Je souligne que la SAR a bien admis les affidavits en question et a conclu que la SPR avait eu tort de ne pas les examiner. La SAR les a ensuite évalués, en plus de l’affidavit de M. Okhe et d’un affidavit déposé par un ami de l’époux de la demanderesse principale. Dans les deux cas, la SAR a souligné que le déposant n’était pas un témoin direct des événements puisqu’il n’était pas présent au moment de l’incident décrit dans l’affidavit. Notre Cour a conclu qu’il n’était pas déraisonnable de la part d’un décideur d’accorder peu de poids à un affidavit dont l’auteur n’a pas de connaissance directe des questions en cause : Nsofor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 274 au para 30; Abraham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 70 aux para 17, 21–22. Il était loisible à la SAR de soupeser les affidavits comme elle l’a fait. Les arguments des demandeurs reviennent à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas son rôle.
B. La SAR a-t-elle manqué à l’équité procédurale?
[35] Les demandeurs contestent l’évaluation indépendante qu’a faite la SAR du contenu des affidavits et qui l’a menée à leur accorder peu de poids. Ils soutiennent qu’il s’agit de nouvelles conclusions en matière de crédibilité tirées en appel et que ces questions n’ont pas été soumises à la SPR.
[36] Les demandeurs s’appuient sur la décision Ojarikre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 896 au para 21, de même que sur plusieurs autres décisions de la Cour, pour faire valoir que le principe d’équité procédurale oblige la SAR à leur donner la possibilité de répondre aux nouvelles questions soulevées en appel : voir aussi Ugbekile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1397 au para 22; Husian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684 au para 10; Palliyaralalage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 596 au para 9; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 442 aux para 24–29.
[37] En outre, les demandeurs soutiennent plus particulièrement que la SAR aurait dû leur donner l’occasion de répondre lors d’une audience puisque la décision était centrée sur la crédibilité de leurs demandes d’asile et de la preuve. Ils rappellent les facteurs énumérés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2022-227, qui servent à décider si la tenue d’une audience est requise pour l’application de l’alinéa 113b) de la LIPR.
[38] Les demandeurs soutiennent que la SAR, en ne leur donnant pas l’occasion de répondre à ses doutes relativement à la crédibilité des affidavits, a commis un manquement à l’équité procédurale suffisant en l’espèce pour justifier l’annulation de la décision : Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643 à la p 660.
[39] Je rejette les arguments des demandeurs.
[40] Tout d’abord, je souligne que l’évaluation des facteurs servant à décider si la tenue d’une audience est requise pour l’application de l’alinéa 113b) de la LIPR est discrétionnaire à cause du libellé permissif de cette disposition. Ainsi, l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Or les demandeurs ne mettent pas en doute le caractère raisonnable de la décision de ne pas tenir d’audience.
[41] Sauf pour ce qui est de l’affidavit de M. Okhe, je ne suis pas d’avis que la SAR, dans son évaluation des affidavits, a tiré des conclusions en matière de crédibilité. Comme je l’ai souligné précédemment, elle a décidé d’accorder peu de poids à ces affidavits parce que les déposants n’avaient pas une connaissance directe des événements ou parce que le document ne corroborait pas une allégation se rapportant au fondement de la demande d’asile. Je suis d’accord avec le défendeur que la SAR n’est pas tenue de demander d’autres observations lorsqu’elle évalue et apprécie les éléments de preuve que les demandeurs ont déjà eux-mêmes présentés.
[42] La SAR a bien tiré une conclusion quant à la crédibilité de l’affidavit de M. Okhe. Plus précisément, elle a souligné que M. Okhe a affirmé que la demanderesse principale était allée voir la police et avait déposé une plainte au sujet des menaces, ce qui contredit les propos de la demanderesse principale, qui avait prétendu ne pas avoir signalé l’incident à la police. La SAR a conclu que cette contradiction « min[ait] la crédibilité de l’affidavit et la fiabilité de ce qui a[vait] été dit au déposant »
Pour cette raison, la SAR n’a accordé aucun poids à l’affidavit de M. Okhe.
[43] À l’audience, l’avocat des demandeurs a avancé un nouvel argument selon lequel puisque l’affidavit de M. Okhe faisait au fond partie du dossier relatif à la demande d’asile de la mère de la demanderesse principale et n’avait pas été déposé par cette dernière, la SAR aurait dû inviter les demandeurs à présenter des observations au sujet du document avant de juger de sa crédibilité.
[44] Après avoir examiné le dossier certifié du tribunal, je suppose que l’affidavit de M. Okhe a été ajouté au dossier compilé par la SPR pour l’audience relative à la demande d’asile [le dossier de la SPR]. Plus précisément, l’affidavit de M. Okhe faisait partie de la [traduction] « communication de renseignements sur le pays d’origine (RPO) - conseil »
datée du 6 mars 2020 et figurant sur la liste générale de documents versée au dossier de la SPR : dossier certifié du tribunal à la p 307.
[45] Bien qu’il ne soit pas certain que les demandeurs aient eu connaissance de cette communication avant leur appel devant la SAR, je conclus que le fait que la SAR se soit appuyée sur l’affidavit de M. Okhe ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale.
[46] Au paragraphe 30 de la décision Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600, qui est cité au paragraphe 32 de la décision Ajayi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 573 [Ajayi], décision invoquée par le défendeur, la Cour a déclaré ce qui suit :
[…] il y a une ligne fine […] entre des situations où la SAR soulève et aborde une « nouvelle question » et celles où elle fait simplement référence à un autre élément de preuve au dossier pour étayer une conclusion déjà existante de la SPR concernant une évaluation factuelle ou une question de crédibilité.
[47] En l’espèce, la crédibilité des prétentions des demandeurs relatives au défaut de remboursement du prêt et aux circonstances qui en ont découlé était une question clairement soulevée et analysée par la SPR dans sa décision. Cette question a également été soulevée par les demandeurs dans leurs observations en appel devant de la SAR. Bien que la trame factuelle en l’espèce puisse se distinguer de l’affaire Ajayi, le principe énoncé au paragraphe 32 de cette décision continue de s’appliquer.
[48] Dans un deuxième temps, comme le défendeur, je constate que la SAR s’est fondée sur plusieurs motifs pour tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité des demandeurs, principalement l’invraisemblance concernant le contrat de prêt, qui est l’élément central de la demande d’asile. C’est ce qui distingue la présente affaire des autres cas invoqués par les demandeurs, dans lesquels les nouvelles conclusions en matière de crédibilité avaient eu une incidence plus importante sur les décisions et, pour cette raison, auraient dû être communiquées aux demandeurs afin qu’ils aient la possibilité d’y répondre.
V. Conclusion
[49] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
[50] Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM-3829-22
LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :
La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
Le dossier certifié du tribunal déposé avant le présent jugement est désigné comme confidentiel.
La Cour ordonne à la Section d’appel des réfugiés de modifier le dossier certifié du tribunal en supprimant les pages 377 à 379 et les pages 382 à 422 du présent dossier certifié du tribunal, dans le mois suivant le présent jugement.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Avvy Yao-Yao Go »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-3829-22 |
INTITULÉ :
|
MAGDALENE IMUESEMEN NWANKWO, MASON CHUKWU IFEANYI, MADDISON ONYINYECHI IFEANYI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TORONTO (ONTARIO)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 24 MAI 2023
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE GO
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 6 JUIN 2023
|
COMPARUTIONS :
Osasenaga Obazee |
POUR LES DEMANDEURS |
John Loncar |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Osasenaga Obazee Obazee Law North York (Ontario) |
POUR LES DEMANDEURS |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
Pour le défendeur |