Date : 20230531
Dossier : IMM-6157-22
Référence : 2023 CF 763
[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]
Vancouver (Colombie-Britannique), le 31 mai 2023
En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond
ENTRE :
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JUAN ESCOBEDO CERDA
LAURA ELIZABETH CASTELAN ORTIZ
NANCY MARIBEL ORTIZ ONOFRE
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ |
défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
(Prononcés à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 31 mai 2023)
[1] Les demandeurs sont citoyens du Mexique. Ils y exploitaient une petite entreprise. Ils ont été victimes d’extorsion et ont été forcés de verser des paiements à une organisation criminelle. Lorsque les demandes d’extorsion ont augmenté, ils n’ont plus été en mesure de verser les sommes demandées. Ils ont alors fermé leur entreprise et déménagé dans une autre ville située dans le même État. À cet endroit, leur fille a reçu un appel téléphonique d’une personne associée à l’organisation criminelle, qui a affirmé savoir où se trouvaient les demandeurs et qui a réclamé trois mois de paiements, faute de quoi ils risquaient la mort. Ils sont alors venus au Canada et ont demandé l’asile.
[2] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a rejeté leurs demandes d’asile. Elle a relevé un certain nombre d’enjeux concernant le témoignage des demandeurs qu’elle a qualifiés de problèmes de crédibilité. Ces enjeux concernaient les affirmations des demandeurs selon lesquelles (1) ils sont restés dans leur ville d’origine après avoir omis de faire un paiement et ne sont partis que quelques semaines plus tard; (2) le locataire actuel de leur maison située dans leur ville d’origine n’a jamais reçu la visite de l’organisation criminelle; et (3) l’organisation criminelle n’a pas tenté de les retrouver dans la deuxième ville, alors que la personne qui leur a téléphoné a affirmé qu’elle savait où ils se trouvaient. Quoi qu’il en soit, la SPR a ensuite conclu que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] dans diverses villes mexicaines.
[3] La Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la CISR a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs. La SAR a conclu que les problèmes soulevés par la SPR n’avaient pas d’incidence sur la crédibilité des demandeurs. Elle a jugé que les demandeurs étaient crédibles en général. En ce qui concerne la question de la PRI, la SAR a conclu que l’organisation criminelle n’avait plus aucun motif de s’en prendre aux demandeurs, trois ans après les faits. La SAR a fondé sa conclusion sur le fait que l’organisation criminelle n’a pris aucune mesure concrète pour extorquer la somme due ni dans la ville d’origine des demandeurs ni dans la deuxième ville. Elle a également conclu que, puisque les demandeurs restaient actifs sur les médias sociaux et que des membres de leur famille résidaient encore dans les deux villes en question, l’organisation criminelle aurait pu tenter de les retrouver si elle l’avait voulu. La SAR a également pris acte de la preuve sur les conditions dans le pays qui démontre que les cartels ne s’en prennent habituellement pas aux victimes d’extorsion qui ferment leurs entreprises et qui déménagent ailleurs dans le pays. Ainsi, la SAR a conclu que les demandeurs disposaient d’une PRI à Guadalajara.
[4] Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR. J’ai tenu compte de leurs observations écrites ainsi que de leur brève plaidoirie.
[5] Les demandeurs tentent d’abord de qualifier les conclusions de la SAR de conclusions d’invraisemblance. Je suis en désaccord. La SAR tire une conclusion d’invraisemblance lorsqu’elle ne croit pas un demandeur parce que les faits n’auraient pas pu se produire comme ils ont été décrits. Une conclusion d’invraisemblance est une sorte de conclusion défavorable quant à la crédibilité. Cependant, la SAR a cru les demandeurs. Par conséquent, elle n’a pas jugé que leur récit était invraisemblable. Elle a plutôt conclu qu’ils ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait de prouver qu’ils ne seraient pas en sécurité dans l’endroit proposé comme PRI.
[6] Je rejette le deuxième argument des demandeurs pour la même raison. Ils affirment que la SAR a émis des hypothèses infondées concernant les motifs des auteurs du préjudice. Cependant, la SAR n’a pas fait cela. Elle a tout simplement conclu que la preuve était insuffisante pour prouver que l’organisation criminelle poursuivrait les demandeurs à Guadalajara.
[7] Troisièmement, les demandeurs affirment que la SAR s’est contredite lorsqu’elle s’est basée sur les conclusions erronées de la SPR pour justifier sa conclusion selon laquelle ils disposaient d’une PRI à Guadalajara. Encore une fois, il s’agit d’une mauvaise interprétation du raisonnement de la SAR. Celle-ci a conclu que les parties du témoignage mises en évidence par la SPR ne soulevaient pas de problèmes de crédibilité. Cependant, même si ces faits sont vrais, ils ne sont pas suffisants pour justifier le statut de réfugié. Ce sont là deux questions distinctes. La SAR ne s’est pas contredite lorsqu’elle s’est appuyée sur ces faits pour conclure à l’existence d’une PRI. Je réitère que la SAR n’a tiré aucune conclusion d’invraisemblance.
[8] Quatrièmement, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle s’est fondée sur la preuve objective concernant le mode opératoire des organisations criminelles au Mexique. Ils affirment que cela revient à émettre des hypothèses sur les motifs des agents de persécution et, en particulier, sur la question de savoir si les propriétaires d’entreprise qui déménagent pour éviter l’extorsion sont vraiment en sécurité. À mon avis, à défaut de preuves plus précises, la SAR était en droit de s’appuyer sur la preuve concernant le mode opératoire des organisations criminelles pour apprécier le risque de préjudice pour les demandeurs dans l’endroit proposé comme PRI. Les demandeurs n’ont pas démontré que la SAR a mal interprété la preuve ou commis une autre erreur susceptible de contrôle.
[9] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
JUGEMENT dans le dossier IMM-6157-22
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question n’est certifiée.
« Sébastien Grammond »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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Dossier :
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IMM-6157-22
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INTITULÉ :
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JUAN ESCOBEDO CERDA, LAURA ELIZABETH CASTELAN ORTIZ, NANCY MARIBEL ORTIZ ONOFRE c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 31 MAI 2023
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE GRAMMOND
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DATE DES MOTIFS :
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LE 31 MAI 2023
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COMPARUTIONS :
Dorab Colah
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Pour les demandeurs
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Philippe Alma
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Safe Harbour Immigration Law
Vancouver (Colombie-Britannique)
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Pour les demandeurs
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Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie-Britannique)
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Pour le défendeur
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