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Date : 20230516


Dossiers : T‑1074‑21

T‑1863‑21

Référence : 2023 CF 689

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2023

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

HUSEIN GIUMA ABOUDLAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Husein Giuma Aboudlal, est citoyen de la Libye. Le 7 octobre 2010, il est devenu résident permanent du Canada. En 2014, avec son épouse et ses enfants, il a présenté une demande de citoyenneté canadienne. Toutefois, il a été découvert que le demandeur n’avait pas été présent au Canada pendant 1 095 jours au cours d’une période de 4 ans (la période applicable à ce moment‑là), soit le nombre de jours requis en vertu du sous‑alinéa 5(1)c)(i) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 [la Loi]. Le demandeur n’a pas satisfait à ce critère parce qu’il avait fait des allers‑retours en Libye à des fins d’emploi.

[2] Le dossier du demandeur a été suspendu en vertu de l’article 13.1 de la Loi le 12 avril 2016, après plusieurs entrevues et enquêtes. À partir de là, aucun travail substantiel n’a été effectué au dossier jusqu’en 2021, lorsque le demandeur a présenté une demande de mandamus.

[3] Le 19 novembre 2021, la demande de citoyenneté du demandeur a été refusée parce qu’il n’avait pas été présent au Canada pendant le nombre de jours requis et qu’il a fait de fausses déclarations au sujet de son séjour au Canada. Par conséquent, le décideur a jugé que le demandeur n’était pas admissible à la citoyenneté en vertu de la Loi. De plus, le décideur a conclu qu’en raison des fausses déclarations, la Loi interdisait au demandeur d’obtenir la citoyenneté pour une période de cinq ans.

[4] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Étant donné que la demande de citoyenneté a été reçue le 29 mai 2014, mais que la décision n’a été rendue que le 19 novembre 2021, la principale question à trancher est de savoir si le délai constitue un abus de procédure.

[5] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. À mon avis, le demandeur n’a pas satisfait à l’obligation de résidence. Bien que le délai n’ait pas nui à la capacité du demandeur de répondre aux allégations faites contre lui, le délai du décideur à prendre et à communiquer la décision était toutefois excessif et a causé un préjudice important au demandeur. Le préjudice important tient au fait qu’il ne peut plus présenter de demande de citoyenneté avant 2026, alors qu’il aurait pu le faire en 2022 si la décision avait été prise en temps opportun. L’incidence du délai est donc manifestement injuste et déconsidère l’administration de la justice.

II. Contexte

[6] Le 21 mai 2014, le demandeur (ainsi que son épouse et les membres de sa famille) a présenté sa demande de citoyenneté canadienne en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi. La demande a été reçue le 29 mai 2014.

[7] La période de résidence est calculée à partir du jour de la résidence permanente jusqu’au jour de la demande de citoyenneté. Dans la présente affaire, la période pertinente s’étend du 7 octobre 2010 au 21 mai 2014.

[8] Dans sa demande de citoyenneté, le demandeur a inclus un calculateur de résidence qui fournit des renseignements comme la date d’arrivée, la date de résidence permanente, la date de la demande, les jours d’absence et la présence physique. Le demandeur a déclaré avoir été physiquement présent au Canada pendant 1 321 jours. Il a également déclaré zéro jour d’absence du Canada.

[9] Dans le cadre du processus de triage initial, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a demandé des renseignements supplémentaires avant l’entrevue « aux fins de la préservation de l’intégrité du programme » du demandeur afin de s’assurer que l’obligation de résidence avait été respectée.

[10] Le 8 octobre 2014, IRCC a remis un questionnaire sur la résidence [le QR] au demandeur. Le 24 octobre 2014, le demandeur a présenté son QR rempli, avec les documents à l’appui, de Tripoli, en Libye. Dans sa réponse au QR, le demandeur a indiqué qu’il avait été absent 9 fois du Canada, totalisant 179 jours. Il a été déterminé par la suite que les 9 absences déclarées par le demandeur totalisaient 187 jours.

[11] Le 2 mars 2015, le demandeur s’est présenté à un examen de citoyenneté et à une entrevue aux fins de la préservation de l’intégrité du programme au bureau d’Ottawa d’IRCC. Il a réussi l’examen de citoyenneté. Au cours de l’entrevue, ses entrées au Canada ont été vérifiées en fonction du rapport du Système intégré d’exécution des douanes [le SIED] et des timbres de passeport, ainsi que de ses passeports libyens.

[12] Le 12 avril 2016, le dossier du demandeur a été confié à un superviseur d’IRCC aux fins d’examen pour déceler de fausses déclarations possibles, ce qui contrevient à l’alinéa 22(1)e.1) de la Loi. À cette même date, le dossier a été suspendu en vertu de l’article 13.1 de la Loi.

[13] Le dossier démontre qu’en date du 12 avril 2016, IRCC avait déjà en sa possession tous les renseignements nécessaires – et qu’il les a finalement utilisés – pour prendre sa décision finale. La preuve avait alors déjà démontré que le demandeur n’avait pas été physiquement présent au Canada pendant le nombre de jours requis (1 095 jours au Canada au cours des 4 années précédentes, la période applicable à ce moment‑là). IRCC avait également en sa possession la demande de citoyenneté du demandeur indiquant que ce dernier n’avait passé aucun jour hors du Canada, mais les réponses du demandeur au QR indiquaient qu’il avait en fait été absent pendant au moins 179 jours, et les renseignements du passeport du demandeur indiquaient qu’il avait effectivement fait plusieurs allers‑retours hors du Canada.

[14] À l’audience, le défendeur a concédé qu’il y avait peu ou pas de preuve importante de communication et d’évolution dans l’enquête du demandeur entre la suspension du dossier le 12 avril 2016 et la décision finale le 19 novembre 2021. Le dossier montre une très faible activité, et rien ne laisse croire qu’une enquête de fond était en cours.

[15] En octobre 2020, plus de quatre ans après la suspension du dossier du demandeur par IRCC (à l’insu du demandeur), le demandeur a envoyé une lettre à IRCC pour exiger qu’une décision soit prise au plus tard le 14 novembre 2020, à défaut de quoi une demande de mandamus serait présentée. Le 24 novembre 2020, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant à obtenir un [traduction] « bref de mandamus obligeant le défendeur à traiter [sa] demande de citoyenneté canadienne et à rendre une décision à [son] égard ». Cette demande a été abandonnée le 9 mai 2022.

[16] Le 2 mars 2021, une évaluation subséquente effectuée par IRCC a détaillé toutes les absences du demandeur au moyen d’un nouveau calculateur de résidence. Il est important de noter que cette évaluation a été effectuée à l’aide des renseignements qui étaient déjà en la possession d’IRCC depuis le 12 avril 2016. L’évaluation a relevé une période d’absence totale de 435 jours pendant 13 absences (dont 2 absences non confirmées), ce qui contredit les chiffres précédents de 9 absences totalisant 179 ou 187 jours.

[17] Le 17 mars 2021, IRCC a envoyé une lettre d’équité procédurale [la première LEP] au demandeur par courriel, l’avisant de ce qui suit :

[traduction]

Selon la prépondérance des probabilités, la preuve semble indiquer que vous avez fait de fausses déclarations au cours du processus de citoyenneté en omettant des faits essentiels, à savoir vos absences réelles du Canada pendant la période concernée dans le but de simuler votre présence physique au Canada; à ce titre, votre déclaration inexacte de faits essentiels pourrait avoir entraîné une erreur dans l’application de la Loi.

[18] En réponse, le 18 mai 2021, le demandeur a fait valoir que le temps écoulé était tel que ses souvenirs des dates de voyage pertinentes (et ceux des témoins potentiels) étaient limités, et que les documents de voyage auraient pu être détruits ou perdus. De plus, le demandeur a demandé qu’IRCC [traduction] « abandonne la procédure de fausses déclarations » et a cité le délai comme un abus de procédure.

[19] Le 7 juillet 2021, une deuxième lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée au demandeur [la deuxième LEP]. La deuxième LEP donnait au demandeur une nouvelle occasion de répondre aux préoccupations relatives aux fausses déclarations lors d’une entrevue prévue le 15 juillet 2021. Dans cette deuxième LEP, IRCC rejetait la demande de suspension de la procédure de fausses déclarations du demandeur en raison de la preuve, [traduction] « qui indiqu[ait] que [le demandeur] a, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait essentiel quant à un objet pertinent ou omis de révéler un tel fait (c.‑à‑d. ses absences du Canada), entraînant ou risquant d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur la citoyenneté (c.‑à‑d. l’attribution de la citoyenneté sans satisfaire aux exigences en matière de résidence. » Enfin, la deuxième LEP indiquait qu’étant donné qu’aucune décision n’avait encore été prise au sujet des fausses déclarations, [traduction] « il [était] trop tôt pour s’avancer » sur le résultat de la décision sans donner au demandeur la possibilité de répondre aux allégations énoncées dans les deux LEP.

[20] Le 7 juillet 2021, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sollicitant une ordonnance de suspension de la procédure de fausses déclarations à son égard (dossier de la Cour no T‑1074‑21). C’est la deuxième demande de contrôle judiciaire qui fait l’objet de cette décision.

[21] L’entrevue a finalement eu lieu par téléphone le 26 octobre 2021, puisque le demandeur se trouvait en Libye. Le défendeur soutient que l’objet de cet appel était de donner au demandeur l’occasion de répondre aux allégations de fausses déclarations.

[22] Le 19 novembre 2021, la demande du demandeur a été refusée [la décision].

III. La décision

[23] La décision souligne qu’en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi, le demandeur [traduction] « doit avoir résidé au Canada pendant la période requise, soit au moins 1 095 jours au cours des quatre années précédant la date de sa demande […] [une période de quatre ans était requise à l’époque]. Par conséquent, la période pertinente pour [sa] demande de citoyenneté [était] du 7 octobre 2010 au 21 mai 2014. »

[24] La décision précise qu’en plus de l’exigence d’avoir résidé au Canada pendant 1 095 jours au cours de la période applicable, les demandeurs de citoyenneté ne doivent pas non plus faire l’objet d’interdictions aux termes de l’article 22 de la Loi. En particulier, l’alinéa 22(1)e.1) prévoit que les demandeurs ne doivent pas avoir fait une présentation erronée sur des renseignements ou omis de révéler de tels renseignements qui pourraient entraîner une erreur dans l’application de la Loi.

[25] La lettre de décision résume ensuite les divergences entre les absences déclarées par le demandeur (premièrement, aucune absence indiquée dans la demande initiale de 2014; ensuite, 9 absences pour un total de 179 jours sur le QR [corrigé par IRCC à 187 jours], et celles déterminées par IRCC [13 absences totalisant au moins 435 jours, dont 2 absences d’une durée inconnue].

[26] La décision a également souligné qu’en 2014, le demandeur a fourni des copies de ses deux passeports libyens qui ne contenaient aucun timbre d’entrée ni de sortie après 2011. Toutefois, le demandeur a fourni les mêmes passeports à une date ultérieure qui comprenaient alors des timbres d’entrée ou de sortie datant de 2012, 2013 et 2014, chacun tombant dans la période concernée de quatre ans (applicable à l’époque). De ce fait, l’agent d’IRCC a souligné qu’il semblait que la trousse de demande initiale de 2014 du demandeur avait dissimulé des faits essentiels et pertinents, y compris les timbres d’entrée et de sortie pertinents relatifs aux absences du demandeur du Canada.

[27] La décision a souligné que, lors de l’appel téléphonique du 26 octobre 2021, le demandeur a admis avoir été absent du Canada pendant au moins 435 jours. La décision a en outre souligné que, lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait d’abord déclaré avoir été absent du Canada pendant zéro jour, le demandeur n’a pas été en mesure de répondre, sauf pour faire valoir qu’il s’agissait d’un malentendu et que toute erreur n’avait pas été commise intentionnellement. De plus, l’agent d’IRCC a également déterminé que le demandeur n’avait pas été en mesure de fournir une explication des divergences entre les passeports.

[28] L’agent d’IRCC a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur avait [traduction] « fait une présentation erronée sur un fait essentiel quant à un objet pertinent, ce qui risqu[ait] d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi ». Par conséquent, l’agent a conclu que non seulement le demandeur n’était pas admissible à la citoyenneté, mais qu’il lui était également interdit de l’obtenir pour une période de cinq ans à compter de la date de la décision en vertu de l’alinéa 22(1)e.2) de la Loi, soit jusqu’au 19 novembre 2026.

[29] Notamment, les parties ont informé la Cour à l’audience que l’épouse et les enfants du demandeur avaient obtenu la citoyenneté en janvier 2023.

IV. Questions en litige

[30] Selon moi, la présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Y a‑t‑il eu abus de procédure?

    1. Le délai a‑t‑il nui à la capacité du demandeur de répondre aux allégations portées contre lui?

    2. Par ailleurs, le délai a‑t‑il causé un préjudice important de manière à déconsidérer l’administration de la justice?

  2. Si le délai est manifestement injuste et jette du discrédit sur l’administration de la justice, quelle est la réparation appropriée?

V. Question préliminaire : dossiers de la Cour T‑1074‑21 et T‑1863‑21

[31] Étant donné que les dossiers de la Cour T‑1074‑21 et T‑1863‑21 sont mutuellement pertinents, un seul jugement et un seul exposé de motifs sont appropriés pour trancher les deux affaires. Le présent jugement et les motifs qui l’accompagnent sont donc versés dans chacun des dossiers.

VI. Norme de contrôle

[32] Dans le contexte de procédures administratives, l’abus de procédure est une question d’équité procédurale (Law Society of Saskatchewan c Abrametz, 2022 CSC 29 [Abrametz], aux para 26 à 30 et 38). En tant que tel, le contrôle judiciaire s’effectue selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au para 79) ou fait l’objet d’un « exercice de révision […] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » (Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique], au para 54; Ganeswaran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1797, aux para 21 à 28). La cour de révision doit essentiellement déterminer si la procédure suivie a permis au demandeur de connaître la preuve à réfuter et d’avoir la possibilité complète et équitable d’y répondre (Canadien Pacifique, aux para 54 à 56; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, au para 35).

[33] Dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Parekh, 2010 CF 692 [Parekh], la juge Danièle Tremblay‑Lamer a examiné la décision de la Cour suprême du Canada dans Blencoe c Colombie‑Britannique (Commission des droits de la personne), 2000 CSC 44 [Blencoe] et a conclu que :

[24] De manière générale, une cour de justice conclura que des efforts en vue d’appliquer ou d’exécuter la loi constituent un abus de procédure quand l’intérêt du public à l’exécution de la loi est supplanté par l’intérêt du public à l’équité des procédures administratives ou judiciaires; voir Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 120, où le critère est ainsi défini :

Pour conclure qu’il y a eu abus de procédure, la cour doit être convaincue que [traduction] « le préjudice qui serait causé à l’intérêt du public dans l’équité du processus administratif, si les procédures suivaient leur cours, excéderait celui qui serait causé à l’intérêt du public dans l’application de la loi, s’il était mis fin à ces procédures » (Brown, Donald J. M. et John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada. Toronto : Canvasback, 1998 (feuilles mobiles), pages 9 à 68). Selon le juge L’Heureux‑Dubé dans [R. c. Power, 1994 CanLII 126 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 601] à la page 616, d’après la jurisprudence, il y a « abus de procédure » lorsque la situation est à ce point viciée qu’elle constitue l’un des cas les plus manifestes. À mon sens, cela s’appliquerait autant à l’abus de procédure en matière administrative. Pour reprendre les termes employés par le juge L’Heureux‑Dubé, il y a abus de procédure lorsque les procédures sont « injustes au point qu’elles sont contraires à l’intérêt de la justice » (p. 616). « Les cas de cette nature seront toutefois extrêmement rares » (Power, précité, à la p. 616). Dans le contexte administratif, il peut y avoir abus de procédure lorsque la conduite est tout aussi oppressive.

[25] Une telle situation peut découler d’un délai injustifié dans l’exécution de la loi. Il en sera souvent ainsi quand le délai fait en sorte que le processus d’audition de l’affaire devient injuste (par exemple, parce que les souvenirs des témoins se sont estompés ou que des éléments de preuve ne sont plus disponibles). Toutefois, le juge Bastarache, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt Blencoe, précité, au paragraphe 115, était « disposé à reconnaître qu’un délai inacceptable peut constituer un abus de procédure dans certaines circonstances, même lorsque l’équité de l’audience n’a pas été compromise ». Le juge LeBel, dissident en partie, mais pas sur cette question, a exprimé la même idée avec encore plus de force au paragraphe 154 : « Le délai administratif abusif est répréhensible, et ce, peu importe qu’il ne ruine que la vie d’une personne sans affecter l’audition à laquelle elle a droit. »

VII. Y a‑t‑il eu abus de procédure?

A. La doctrine de l’abus de procédure

[34] La question du délai administratif comme forme d’abus de procédure a été examinée par la Cour suprême du Canada [la CSC] dans l’arrêt Blencoe et récemment réexaminée dans l’arrêt Abrametz.

[35] Dans l’arrêt Abrametz, la CSC a confirmé sa directive antérieure selon laquelle il existe deux catégories dans lesquelles le délai peut constituer un abus de procédure (Abrametz, aux para 40 à 42). La première catégorie est lorsque le délai compromet l’équité d’une audience en nuisant à la capacité d’une partie de répondre à la plainte portée contre elle. La deuxième catégorie est celle où, même sans compromettre l’équité de l’audience, un délai excessif cause un préjudice important.

[36] En ce qui concerne la deuxième catégorie, une analyse à trois volets s’applique pour déterminer si le délai constitue un abus de procédure. Comme l’a résumé la CSC dans Abrametz, au paragraphe 43 (voir aussi les para 72 et 101) :

[43] L’arrêt Blencoe établit une analyse à trois volets pour déterminer si un délai qui ne porte pas atteinte à l’équité de l’audience constitue néanmoins un abus de procédure. Premièrement, le délai en cause doit être excessif. Deuxièmement, ce délai doit avoir directement causé un préjudice important. Lorsque ces deux conditions sont réunies, le tribunal judiciaire ou administratif procède à une dernière évaluation afin de déterminer si le délai constitue un abus de procédure. Un délai constituera un abus de procédure s’il est manifestement injuste envers une partie ou s’il déconsidère d’une autre manière l’administration de la justice.

[Références omises.]

[37] Dans la présente affaire, les parties ont plaidé les deux catégories d’abus de procédure.

B. Catégorie 1 : le délai n’a pas nui à la capacité du demandeur de répondre à l’enquête sur les fausses déclarations à un point tel qu’il s’agit d’un abus de procédure

[38] Le demandeur s’appuie sur Blencoe au paragraphe 102 et soutient que le délai a nui à sa capacité de répondre parce que, à la date de réception des LEP, il n’avait plus : a) accès aux documents de voyage datant de 2014 et d’avant (y compris les passeports, les cartes d’embarquement, etc.); b) de souvenir de ses voyages ni de ses réponses au QR et à la demande de citoyenneté; c) de témoins potentiels qui se souvenaient de ses voyages.

[39] Le demandeur s’appuie également sur Fabbiano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1219, aux paragraphes 24 à 25, et Beltran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 516, aux paragraphes 51 à 54, pour faire valoir que, n’ayant reçu aucune communication d’IRCC, il a raisonnablement conclu qu’il ne risquait pas de faire l’objet d’une enquête au sujet de sa demande. Il soutient également qu’il était « abusif » pour IRCC de refuser de l’informer des renseignements pendant si longtemps et qu’il a perdu l’occasion de répondre aux allégations portées contre lui.

[40] À mon avis, le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que la décision d’IRCC constituait un abus de procédure. Le délai n’a pas empêché le demandeur de répondre.

[41] Premièrement, je ne suis pas convaincu par les arguments du demandeur quant à la façon dont sa capacité de répondre a été compromise. Comme l’a fait valoir le défendeur, le demandeur aurait raisonnablement dû savoir que le nombre de jours où il a été présent au Canada pour la période pertinente était remis en question au moins dès le 8 octobre 2014, quand IRCC lui a envoyé un QR dans lequel le demandeur a répondu et a fait des déclarations qui allaient à l’encontre de sa demande de citoyenneté précédente. En effet, les absences déclarées dans le QR (179 jours) étaient incompatibles avec les déclarations faites dans la demande de citoyenneté initiale du 21 mai 2014 (0 jour).

[42] Deuxièmement, le 2 mars 2015, le demandeur a pris part à une entrevue aux fins de la préservation de l’intégrité du programme au cours de laquelle il a été interrogé au sujet de ses déclarations concernant ses absences. Comme il est indiqué dans la première LEP, [traduction] « l’agent chargé de l’entrevue a noté une absence de quatre mois en Libye [dans ses notes d’entrevue] ». Le demandeur a été en mesure de fournir tous les éléments de preuve nécessaires pour établir sa preuve à ce moment‑là. Comme aucun autre renseignement obtenu par la suite n’a été utilisé par le décideur, le délai n’a pas porté préjudice au demandeur.

[43] Troisièmement, comme l’a fait remarquer le défendeur, même si le demandeur avait été avisé de la suspension et de l’enquête, ou même s’il n’y avait pas eu de délai, on ne voit pas quels éléments de preuve supplémentaires le demandeur aurait pu présenter, ni en quoi la documentation « perdue » ou les « témoins » auraient pu avoir une incidence sur le dossier. Après tout, le demandeur a eu l’occasion de présenter cette preuve à l’entrevue du 2 mars 2015, mais il ne l’a pas fait.

[44] Enfin, le demandeur n’a pas contesté les conclusions du rapport du défendeur et a en fait accepté sa décision finale selon laquelle il avait été absent du Canada pendant au moins 435 jours.

[45] À la lumière de ce qui précède, je conclus que le délai n’a pas nui à la capacité du demandeur de répondre à l’enquête sur les fausses déclarations au point de correspondre à la première catégorie d’abus de procédure.

[46] En effet, non seulement le dossier du demandeur n’a pas été compromis par le délai, mais la preuve montre clairement que le demandeur ne s’est pas conformé à l’obligation de résidence pendant la période applicable et qu’il n’était donc pas admissible à la citoyenneté lorsqu’il a présenté sa demande le 21 mai 2014.

C. Catégorie 2 : le demandeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il a subi un préjudice important, en raison d’un délai excessif, qui est manifestement injuste ou qui déconsidère l’administration de la justice

[47] À mon avis, et comme il est précisé dans les motifs ci‑dessous, le demandeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il y avait eu abus de procédure dans la deuxième catégorie.

(1) Le délai était excessif

[48] Aux paragraphes 50 à 51 de l’arrêt Abrametz, la CSC a récemment reformulé le critère applicable :

[50] Le fait qu’un processus a demandé un temps considérable ne constitue pas en soi un délai excessif. Il faut plutôt considérer la période en question à la lumière des circonstances de l’affaire (Brown et Evans, § 9:57 et 9:58; R. W. Macaulay, J. L. H. Sprague et L. Sossin, Practice and Procedure Before Administrative Tribunals (feuilles mobiles), § 16:81; Blencoe, par. 122). Un processus qui semble long peut être justifié pour des raisons d’équité.

[51] Pour déterminer si un délai est excessif, le tribunal judiciaire ou administratif doit tenir compte des facteurs contextuels suivants : a) la nature et l’objet des procédures, b) la longueur et les causes du délai, et c) la complexité des faits de l’affaire et des questions en litige. Comme il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, d’autres facteurs contextuels peuvent être pris en considération dans une affaire donnée.

(a) Nature et objet des procédures

[49] Les deux parties conviennent que les droits et les intérêts du demandeur sont en jeu et que l’objet de la procédure de fausses déclarations est d’assurer l’intégrité du processus de citoyenneté. De plus, le caractère obligatoire de la loi oblige le défendeur à s’assurer de l’exactitude des renseignements fournis dans les demandes de citoyenneté et à utiliser les moyens de vérification disponibles, et ce processus peut prendre du temps. La durée d’une enquête dépend des faits.

(b) Longueur et causes du délai

[50] La demande a été reçue le 29 mai 2014, et la décision a été rendue le 19 novembre 2021.

[51] Toutefois, comme l’a conclu la CSC dans l’arrêt Abrametz aux paragraphes 58 à 59, l’obligation d’équité est pertinente à toutes les étapes des procédures administratives, y compris à l’étape de l’enquête, et un long délai n’est pas en soi excessif. De plus, le contexte et les causes du délai peuvent le rendre justifiable (Abrametz, aux para 59 et 61 à 62).

[52] En l’espèce, le délai dépasse sept ans. Cependant, ses causes ne découlent pas seulement de la longue enquête d’IRCC, mais aussi des faux renseignements fournis par le demandeur.

[53] À mon avis, le processus suivait son cours jusqu’à ce qu’IRCC suspende le dossier du demandeur le 12 avril 2016. Toutes les activités d’enquête menées avant cette date étaient justifiables.

[54] Le défendeur a admis qu’il n’y avait pas eu beaucoup d’évolution dans l’enquête du demandeur entre la suspension du dossier le 12 avril 2016 et l’enquête finale ayant mené à la décision en novembre 2021.

[55] Bien qu’elle puisse être en partie responsable de ce délai, la pandémie de COVID‑19 ne peut à elle seule l’expliquer entièrement (Almuhtadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 712, au para 47).

[56] La différence entre les calculs respectifs des parties se résume à leurs points de vue divergents quant à la validité de la suspension en vertu de l’article 13.1 entre le 12 avril 2016 et le 19 novembre 2021. Le défendeur soutient que la suspension était valide et que, par conséquent, il n’y avait pas d’obligation en droit public d’agir (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Nilam, 2017 CAF 44, au para 27). Par conséquent, le défendeur soutient que la période de suspension ne devrait pas être prise en compte dans le calcul, à moins que la Cour juge la suspension déraisonnable en s’appuyant sur la décision de la Cour dans Gentile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 452 (CanLII) [Gentile], au paragraphe 30. Enfin, le défendeur soutient que, comme il a été conclu dans Niu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 520 [Niu], au paragraphe 12, l’absence d’avis de la suspension au demandeur n’a rien à voir avec son caractère raisonnable puisque les fonctionnaires de la citoyenneté sont tenus d’informer le demandeur d’une suspension en vertu de l’article 13.1 seulement si le demandeur leur demande expressément. Autrement, comme c’est le cas en l’espèce, le défendeur soutient qu’il n’y a aucune obligation d’informer proactivement un demandeur, et que le défaut de le faire ne rend pas automatiquement la suspension déraisonnable.

[57] Dans les circonstances actuelles, comme il a été mentionné, la suspension du dossier du demandeur visait à permettre à IRCC de poursuivre son enquête. Mais la preuve démontre que l’enquête n’était pas nécessaire pour trancher la question (puisque la décision finale a été prise en fonction des preuves existantes depuis 2015), et qu’il ne semble pas y avoir eu d’enquête supplémentaire sérieuse.

[58] La suspension du dossier du demandeur en vertu de l’article 13.1 de la Loi n’a donc aucune incidence sur le calcul du délai dans la présente affaire. L’article 13.1 de la Loi permet au ministre de « suspendre, pendant la période nécessaire, la procédure d’examen d’une demande : a) dans l’attente de renseignements ou d’éléments de preuve ou des résultats d’une enquête, afin d’établir si le demandeur remplit, à l’égard de la demande, les conditions prévues sous le régime de la présente loi… » Si la preuve avait démontré qu’IRCC poursuivait son enquête tout au long de la période et attendait de recevoir de l’information, la suspension pourrait être pertinente. Mais en l’espèce, comme il n’y avait aucune activité importante au dossier et qu’aucune enquête n’a donné lieu à de nouveaux renseignements pertinents, on ne peut pas invoquer la suspension en vertu de l’article 13.1 pour justifier le délai.

[59] Le délai pour faire enquête et prendre une décision a donc été plus long que nécessaire. Même si la suspension du dossier en vertu de l’article 13.1 de la Loi était valide (ce qui n’est pas remis en question), les activités au dossier entre la suspension du 12 avril 2016 et le 2 mars 2021 visaient essentiellement à transférer le dossier à d’autres gestionnaires ou personnes. Le dossier ne fait état d’aucune enquête de fond visant à trouver des renseignements supplémentaires et ne précise pas quels renseignements ont été demandés et requis pour poursuivre l’enquête. Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] en particulier indiquent qu’il y a eu peu ou généralement peu d’activité discernable dans le dossier du demandeur entre 2016 et 2020. Par exemple, la majorité des entrées semblent être des demandes de suivi provenant du bureau du député local du demandeur.

[60] La preuve est plutôt claire : la décision repose sur des renseignements qui existaient et qui étaient en la possession d’IRCC le 2 mars 2015. À cette date, le demandeur a pris part à une entrevue aux fins de la préservation de l’intégrité du programme à un bureau d’IRCC où ses entrées au Canada ont été vérifiées à la lumière du rapport du SIED et des timbres de passeport, ainsi que de ses passeports libyens et de son QR.

[61] En fin de compte, dans la mesure où il y a eu enquête entre le 12 avril 2016, date à laquelle le dossier a été suspendu en vertu de l’article 13.1 de la Loi, et le 2 mars 2021, cette enquête n’a pas donné lieu à de nouveaux renseignements sur lesquels le défendeur s’est fondé pour rendre la décision contestée.

[62] Pour être clair, la Cour ne statue pas que la suspension prévue à l’article 13.1 était déraisonnable. La Cour n’est pas saisie de cette question. La Cour ne statue pas non plus qu’une période de cinq ans pour mener une enquête est déraisonnable en soi. Toutefois, dans les circonstances particulières de l’espèce, la preuve démontre qu’un délai inexpliqué d’environ cinq ans s’est produit dans le cadre de l’enquête du demandeur (voir Sharafaldin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 768 [Sharafaldin], aux para 44 à 46; Niu, au para 14; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 938, au para 38; Gentile, au para 20). Ce délai n’était pas nécessaire pour qu’IRCC prenne sa décision finale. C’est la raison pour laquelle le délai est excessif en l’espèce et est à l’origine de difficultés, comme nous le verrons ci‑dessous.

[63] Bien que la suspension en soi ne soit pas invalide, la preuve démontre qu’elle était certainement beaucoup plus longue que raisonnablement nécessaire. Dans la mesure où la décision a été rendue le 19 novembre 2021 et que la preuve semble démontrer qu’IRCC a repris son enquête le 2 mars 2021, une enquête d’environ huit mois aurait dû suffire.

[64] Le demandeur aurait donc dû recevoir sa décision défavorable à la fin de 2016 (plus de huit mois après la suspension de son dossier le 12 avril 2016, pour qu’IRCC fasse enquête et prenne une décision). Il a plutôt reçu la décision le 19 novembre 2021, soit près de cinq ans plus tard.

[65] Comme il est indiqué ci‑dessous, le délai de cinq ans crée un effet disproportionné en l’espèce en raison de l’application de l’alinéa 22(1)e.1) de la Loi. Cela signifie que le demandeur n’est pas admissible à présenter une demande de citoyenneté pendant les cinq années suivant la date de la décision. Si la décision avait été prise au plus tard le 31 décembre 2016, par exemple, le demandeur aurait été admissible à présenter une nouvelle demande à compter du 31 décembre 2021. Comme la décision est datée du 19 novembre 2021, le demandeur est maintenant inadmissible jusqu’au 19 novembre 2026.

(c) Complexité des faits et des questions en litige dans l’affaire

[66] L’enquête dans la présente affaire n’était pas une simple enquête sur de fausses déclarations. Compte tenu du manque de fiabilité des renseignements fournis par le demandeur, IRCC devait examiner les déclarations discordantes, les copies différentes des mêmes passeports et les renseignements du SIED qui fournissaient d’autres renseignements contradictoires.

[67] Cependant, la question en l’espèce n’est pas de savoir si l’affaire était complexe ou non, mais si elle avait vraiment besoin de durer sept ans.

[68] Comme nous en avons discuté, à mon avis, même si les questions étaient complexes et découlaient des contradictions et des fausses déclarations du demandeur, tous les renseignements nécessaires pour tirer une conclusion de fausses déclarations étaient déjà en la possession d’IRCC en date du 2 mars 2015. De plus, lorsqu’il a finalement examiné le dossier du demandeur en mars 2021, IRCC a rendu sa décision dans un délai d’environ 8 mois (et un délai de 103 jours au cours de cette période de 8 mois est attribuable au demandeur). Lorsqu’IRCC a finalement entamé le processus de prise de décision, les faits et les questions n’étaient pas d’une telle complexité qu’ils nécessitaient un délai prolongé pour en arriver à une conclusion (Parekh, aux para 32, 34, 39‑40 et 42; Almrei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1002, au para 57).

(d) Conclusion : le délai était excessif

[69] Bien que j’accepte le caractère obligatoire des exigences de la loi, ainsi que le fait que le demandeur ait pu contribuer au délai de son dossier, un délai d’environ sept ans (de 2014 à 2021) est démesuré dans le présent cas parce qu’IRCC a laissé une enquête étalée sur plusieurs années se dérouler bien au‑delà de son point d’utilité, pour finir par rendre une décision sur la base de renseignements dont il disposait déjà avant la phase finale de l’enquête. Notamment, il n’a fallu qu’environ huit mois pour fournir une réponse au demandeur une fois qu’IRCC a repris son processus décisionnel en mars 2021.

(2) Le délai a causé un préjudice important

[70] Dans Abrametz, au paragraphe 67, la Cour suprême du Canada indique que la « preuve d’un préjudice important » est requise. De plus, la CSC indique que c’est le préjudice important causé par le délai, et non la procédure d’enquête, que la cour de révision doit examiner, à moins que le préjudice causé par l’enquête soit exacerbé par un délai excessif (au para 68). La CSC a ensuite indiqué que le préjudice est une question de fait et a inclus les exemples suivants :

[69] L’existence ou non d’un préjudice est une question de fait. Par exemple, il peut s’agir d’un préjudice psychologique important, d’une réputation entachée, d’une vie familiale perturbée ou encore de la perte d’un emploi ou d’occasions d’affaires. Le préjudice peut également prendre la forme d’une attention médiatique prolongée et envahissante, particulièrement en raison des progrès technologiques, de la vitesse à laquelle l’information peut circuler de nos jours et de la facilité avec laquelle il est possible d’y accéder.

[71] Le délai excessif a causé un préjudice important au demandeur en l’espèce. Je ne doute pas que le délai ait causé un préjudice sous forme d’anxiété et de stress, de difficultés financières, de restrictions à l’emploi pour lui‑même et les membres de sa famille, ou qu’il y ait eu un préjudice psychologique (voir par exemple Parekh, au para 47).

[72] Toutefois, la preuve par affidavit à l’appui de l’argument du demandeur sur le préjudice n’avait pas été présentée au décideur à l’époque. Le demandeur a expressément demandé qu’IRCC [traduction] « abandonne la procédure de fausses déclarations » en raison d’un délai, mais il n’a pas présenté certains des éléments de preuve sur lesquels il s’appuie maintenant. Étant donné qu’elle se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur, la Cour ne peut pas tenir compte des nouveaux éléments de preuve du demandeur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright], aux para 19‑20).

[73] De plus, le demandeur allègue un préjudice, mais ce préjudice aurait pu se produire de toute façon si la décision avait été prise en 2016. À mon avis, la preuve démontre clairement que le demandeur n’était pas admissible à la citoyenneté lorsqu’il a présenté sa demande en 2014. Par conséquent, si la décision avait été rendue au plus tard le 31 décembre 2016, comme je l’ai indiqué ci‑dessus, le demandeur se serait vu refuser la citoyenneté et aurait fait l’objet d’une interdiction légale de demander la citoyenneté pendant cinq ans à partir de ce moment‑là. Plusieurs des préjudices allégués dans son affidavit auraient donc eu lieu de toute façon, et son préjudice doit être examiné dans ce contexte.

[74] Le préjudice important en l’espèce est causé par le délai dans la tenue de l’enquête, en combinaison avec l’application de l’alinéa 22(1)e.2) de la Loi. Je réitère donc que le temps écoulé, soit cinq ans, dans l’enquête d’IRCC, y compris la suspension du dossier du demandeur, n’est pas en soi excessif et suffisant pour causer un préjudice important. Si IRCC avait été en mesure de démontrer que, pendant la suspension, il avait activement mené une enquête et qu’il cherchait des renseignements précis, par exemple auprès d’organismes partenaires, il aurait pu justifier le délai. Mais IRCC n’a pas été en mesure de faire cette démonstration.

[75] En raison de la constatation de fausses déclarations, le demandeur ne peut pas demander la citoyenneté pour une période de cinq ans. Le délai excessif au cours de l’enquête, combiné à la conclusion de fausses déclarations et au rejet de la demande de citoyenneté du demandeur, équivalait en fait à une double punition, d’abord par un délai de cinq ans pour le traitement de sa demande de citoyenneté; ensuite, par l’imposition d’une interdiction légale de cinq ans après la décision. Par conséquent, le demandeur ne peut pas présenter de demande de citoyenneté avant le 19 novembre 2026.

[76] Je suis d’accord avec l’observation du demandeur selon laquelle il est essentiellement puni deux fois parce que, si la décision avait été prise rapidement en 2016, l’interdiction d’attribution de la citoyenneté aurait expiré en 2021, au lieu du 19 novembre 2026. Le fait que le demandeur doive maintenant attendre jusqu’en novembre 2026 n’est pas attribuable à ses fausses déclarations, mais plutôt au délai excessif pour qu’IRCC rende sa décision.

[77] Comme on peut le lire au paragraphe 68 de l’arrêt Abrametz, bien que le délai à lui seul ne soit pas suffisant, le préjudice peut être exacerbé par un délai excessif :

[68] La réalité est qu’une enquête ou des procédures visant une personne tendent à perturber sa vie. C’était le cas dans l’affaire Blencoe, dans laquelle les juges majoritaires ont reconnu que M. Blencoe et sa famille avaient subi un préjudice dès que les allégations de harcèlement sexuel formulées contre lui avaient été rendues publiques. La Cour a toutefois conclu qu’on ne pouvait pas dire que ce préjudice résultait directement du délai qui avait caractérisé les procédures en matière de droits de la personne. Il découlait plutôt du fait que de telles procédures avaient été engagées : par. 133. C’est le préjudice causé par le délai excessif qui est pertinent dans l’analyse relative à l’abus de procédure. Cela dit, le préjudice causé à une personne par l’enquête ou les procédures dont elle fait l’objet peut être exacerbé par un délai excessif. Cela doit être pris en compte : par. 68‑73 et 133.

[Non souligné dans l’original.]

[78] En l’espèce, le préjudice ne tient pas au fait que le demandeur n’a pas obtenu la citoyenneté, ni même au fait que la décision le rendait inadmissible à présenter une nouvelle demande pendant cinq ans. Le préjudice tient au fait que, s’il n’y avait pas eu un tel délai, le demandeur aurait assumé les conséquences de sa punition et aurait pu présenter une nouvelle demande. Le délai excessif cause donc un préjudice important (une période d’attente supplémentaire de cinq ans).

[79] Pour ce motif, je suis convaincu que le délai excessif a causé un préjudice important au demandeur.

(3) Il s’agit d’un abus de procédure.

[80] Dans Blencoe, au paragraphe 120, la CSC a conclu que la Cour doit être convaincue que « le préjudice qui serait causé à l’intérêt du public dans l’équité du processus administratif, si les procédures suivaient leur cours, excéderait celui qui serait causé à l’intérêt du public dans l’application de la loi, s’il était mis fin à ces procédures ». Dans l’arrêt Abrametz, au paragraphe 72, la CSC a conclu qu’il y aura abus de procédure « si le délai est manifestement injuste envers la partie aux procédures ou s’il déconsidère d’une autre manière l’administration de la justice ».

[81] En l’espèce, le délai était manifestement injuste et déconsidère l’administration de la justice. Bien que j’accepte que le demandeur ne soit pas sans faute à la lumière de ses fausses déclarations et de son manque de franchise, je ne peux accepter qu’un délai d’environ cinq ans dans le dossier du demandeur ne soit pas manifestement injuste.

[82] Le défendeur a habilement argumenté que le délai était attribuable à la conduite du demandeur et à ses déclarations malhonnêtes. Cet argument n’est vrai qu’en partie. La conduite du demandeur n’a déclenché que l’enquête, et non le délai excessif qui a suivi. Comme je l’ai expliqué dans mon analyse du délai excessif ci‑dessus, aucune raison discernable ni convaincante ne justifie que le dossier du demandeur est resté inactif pendant une si longue période. Bien que je puisse voir dans les notes du SMGC de 2019 que le défendeur attendait une rétroaction d’un organisme partenaire qui n’est pas nommé, les observations du défendeur qui m’ont été présentées n’ont pas permis d’éclaircir davantage les faits connexes. En effet, le défendeur n’a pas établi devant moi que la décision a été prise avec des renseignements supplémentaires fournis par un autre organisme partenaire.

[83] De même, je ne suis pas convaincu par l’argument du défendeur concernant le caractère obligatoire de l’enquête en vertu de la Loi. Le fait que la loi exige que le défendeur mène une enquête ne lui permet pas automatiquement de traîner les pieds. Je comprends que le défendeur doit jongler avec une lourde charge administrative, mais je ne considère pas que ce facteur soit prépondérant. Comme il est bien compris en droit administratif, et compte tenu de la mise en garde expresse de la CSC contre les délais administratifs typiques de l’arrêt Jordan (Abrametz, aux para 45 à 49), la prise de décisions administratives demeure assujettie aux principes de justice naturelle et à l’obligation d’équité. Par conséquent, il incombait au défendeur de justifier adéquatement le temps écoulé. Dans le cas qui nous occupe, il ne l’a pas fait.

[84] Dans ces circonstances, le demandeur a subi un préjudice important en raison d’un délai excessif et inexpliqué. Si le public a intérêt à ce que la législation soit appliquée, il a également intérêt à ce que la procédure administrative soit équitable. Compte tenu de mes conclusions quant à l’insuffisance de la preuve relative à toute justification du délai excessif du défendeur, ainsi que du préjudice important infligé au demandeur, l’intérêt public dans l’équité du processus administratif est miné.

[85] Par conséquent, le délai excessif dans la présente affaire a causé un préjudice important qui équivaut à un abus de procédure.

VIII. Quelle est la réparation appropriée?

[86] À l’audience, la Cour a ordonné aux parties de présenter des observations supplémentaires sur la réparation appropriée à la lumière de la décision de la Cour dans l’affaire Sharafaldin.

[87] Dans son avis de demande, le demandeur demandait à la Cour d’annuler la décision, de surseoir à l’enquête sur les fausses déclarations et de renvoyer la demande de citoyenneté à un autre agent aux fins d’un nouvel examen, avec dépens en faveur du demandeur. Le problème avec la demande du demandeur est qu’elle ne convient pas à sa situation. En effet, dans la décision, IRCC note que le demandeur a fait une fausse déclaration au sujet de sa présence au Canada et qu’il ne satisfaisait pas à l’obligation de résidence pendant la période pertinente pour être admissible à la citoyenneté.

[88] Le fait d’accorder une suspension de l’instance sur la question des fausses déclarations et de renvoyer la décision à un autre décideur, mais en se fondant sur les mêmes renseignements, ne changera rien au fait que le demandeur n’était tout simplement pas admissible aux fins de l’obtention de la résidence. Sa demande de citoyenneté est vouée à l’échec. Une réparation appropriée doit plutôt permettre au demandeur de présenter une nouvelle demande lorsqu’il est admissible, et permettre qu’il puisse le faire avant novembre 2026.

[89] Dans ses observations supplémentaires, et en se fondant sur l’arrêt Sharafaldin aux paragraphes 76 et 77, le demandeur soutient que la Cour devrait renvoyer la décision, mais ordonner qu’un autre décideur ne puisse pas refuser la citoyenneté au motif que le demandeur ne satisfaisait pas à l’obligation de résidence. Essentiellement, la réparation proposée combinerait le certiorari, le mandamus et l’interdiction. Le demandeur soutient qu’une telle ordonnance n’obligerait pas le ministre à agir contrairement à la Loi; elle ferait plutôt en sorte que la loi soit appliquée d’une manière conforme aux principes de justice naturelle.

[90] Autrement, au lieu d’ordonner que le décideur ne puisse pas refuser la demande parce que le demandeur ne s’est pas conformé à l’obligation de résidence, le demandeur propose que la Cour ordonne au décideur de tenir compte des périodes entre 2010 et 2021 afin de lui permettre de satisfaire à l’obligation de résidence. Par ailleurs, le demandeur suggère que le décideur tienne compte d’une période entre 2014 et la date de toute nouvelle demande.

[91] Le défendeur soutient que, même si l’allégation d’abus de procédure a été accueillie, les circonstances de l’affaire n’atteignent pas la gravité requise pour justifier un sursis. Citant Blencoe et Abrametz (au para 83), le défendeur soutient qu’une suspension de l’instance est l’« ultime réparation » qui devrait être accordée dans les « cas les plus manifestes ».

[92] Le défendeur soutient qu’une [traduction] « réparation ordonnée pour remédier à un abus de procédure ne peut pas servir à usurper, ignorer ni réécrire la loi que le décideur administratif est censé appliquer ». Le défendeur soutient que la décision Sharafaldin ne devrait pas être invoquée parce qu’elle s’appuie sur ses propres faits et qu’elle [traduction] « a indûment utilisé un bref d’interdiction pour empêcher IRCC de tenir compte de la condition préalable à la résidence prescrite par la loi pour obtenir la citoyenneté ».

[93] Le défendeur soutient également que la Cour ne peut pas ordonner à IRCC de prendre en compte un délai de résidence autre que la période de résidence pertinente de 2010 à 2014. En effet, la Loi exige maintenant que toute exigence de résidence soit satisfaite au cours de la période quinquennale précédant la demande. En l’espèce, la Cour ne pouvait pas ordonner à un décideur de tenir compte des périodes postérieures à la date de la demande.

[94] Le défendeur soutient plutôt qu’une réparation appropriée qui tiendrait compte de la situation du demandeur consisterait simplement à annuler la décision et à ordonner à ce dernier de retirer sa demande de 2014. Par conséquent, le demandeur n’est pas frappé d’interdiction et pourra présenter une demande à tout moment lorsqu’il satisfera à l’exigence de résidence et, puisqu’il présentera une demande en sachant qu’il satisfait à l’exigence de résidence, il n’y aura aucun problème en ce qui concerne l’enquête sur les fausses déclarations.

[95] À mon avis, la réparation la plus appropriée consiste à annuler la décision sans la renvoyer pour réexamen et à ordonner qu’IRCC autorise le demandeur à retirer sa demande. Le demandeur pourra alors présenter une nouvelle demande à la date qu’il aura choisie.

[96] La réparation proposée tient compte de la situation du demandeur, mais est également conforme à la Loi. Bien que l’on puisse s’appuyer sur la décision Sharafaldin pour élaborer des réparations particulières, la décision Sharafaldin est un cas exceptionnel où il était entendu que le demandeur satisfaisait par ailleurs aux exigences de citoyenneté. Par comparaison, les faits de la présente affaire ne m’amènent pas à la même conclusion.

[97] Par exemple, même si l’on sait que le demandeur ne se conformait pas à l’obligation de résidence en 2014, rien n’indique que le demandeur satisfait à l’exigence à l’heure actuelle. Des éléments de preuve donnent à penser qu’il y a eu une période entre 2015 et 2021 au cours de laquelle le demandeur a peut‑être satisfait à l’exigence, mais ces éléments de preuve ne sont pas convaincants. La preuve donne également à penser que le demandeur quitte fréquemment le Canada pour de longues périodes de travail.

[98] Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire qu’il ne revient pas à la Cour d’accorder des réparations qui servent à réécrire la loi que le décideur administratif est censé appliquer. Dans ces circonstances, je conviens que l’alinéa 5(1)c) de la Loi exige sans ambiguïté que l’agent tienne maintenant compte de la période de cinq ans « qui [a] précédé la date » de la demande de citoyenneté du demandeur. Bien que Sharafaldin ait accordé une réparation adaptée aux faits particuliers en l’espèce, il existait des preuves incontestables selon lesquelles le demandeur satisfaisait à l’exigence de résidence au cours des périodes depuis sa demande, car il n’avait pas quitté le Canada au cours des 13 dernières années. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

[99] Dans la présente affaire, une réparation appropriée doit donc permettre au demandeur de déposer une nouvelle demande. Cela répondra aux deux problèmes auxquels il fait face : a) il sera en mesure de démontrer qu’il satisfait à l’obligation de résidence (par conséquent, toute question relative à une enquête sur une fausse déclaration ne s’applique pas); b) il pourra déposer sa demande avant novembre 2026.

[100] Une ordonnance annulant la décision et ordonnant au demandeur de retirer sa demande répond à ces deux problèmes. Premièrement, en vertu d’une telle réparation, le demandeur n’est pas assujetti à l’interdiction de présenter une nouvelle demande pendant cinq ans. À mon avis, cela évite la double punition qui se produirait autrement si la décision était maintenue. En effet, si l’enquête et la décision avaient été traitées en temps opportun, il est juste de supposer que l’interdiction de cinq ans imposée au demandeur aurait déjà expiré.

[101] Deuxièmement, une telle réparation permet au demandeur de présenter une nouvelle demande lorsqu’il satisfait à l’obligation de résidence et, en même temps, il permet à IRCC de se conformer à l’obligation légale d’examiner la période « qui [a] précédé la date de » la demande.

IX. Dépens

[102] Le demandeur demande une indemnisation substantielle en vertu de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés (DORS/93‑22) [les Règles]. À l’appui de sa demande, le demandeur mentionne le [TRADUCTION] « délai déraisonnable et injustifiable », que le défendeur [traduction] « a caché la raison du délai », a manqué de diligence et a omis de collaborer jusqu’au dépôt de la demande de mandamus. Fait intéressant, le demandeur soutient que ce traitement négligent l’a amené à présenter [traduction] « de nombreuses demandes de renseignements et demandes ainsi que trois demandes de contrôle judiciaire », ce qui a entraîné des frais juridiques inutiles.

[103] Le défendeur soutient que les allégations du demandeur sont peu ou pas fondées. Premièrement, à moins qu’il n’y ait des « raisons spéciales », les questions d’immigration et de citoyenneté ne donnent pas lieu à des dépens. Deuxièmement, le défendeur soutient que des frais d’indemnisation substantiels ne sont adjugés que s’il y a eu « une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante », ce qui est rare. En ce sens, un délai, même s’il est déraisonnable, n’entraîne pas automatiquement une conclusion de comportement répréhensible, scandaleux ou outrageant. Compte tenu de l’absence de preuve à cet effet, l’adjudication des dépens ne serait pas justifiée, et [traduction] « encore moins les dépens sur une base d’indemnisation substantielle ».

[104] Après examen, j’estime qu’aucuns dépens ne sont justifiés en l’espèce. Bien qu’il y ait eu un délai excessif et inexpliqué, et qu’un délai puisse, dans certaines circonstances, entraîner des coûts spéciaux (Ndungu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 208 [Ndungu], aux para 6 à 7), ces coûts ne sont pas justifiés en l’espèce.

[105] Premièrement, le seuil des dépens en vertu de l’article 22 des Règles est élevé. Deuxièmement, même lorsqu’il y a eu un délai dans le traitement d’une demande, « il est rare qu’il y ait des raisons spéciales justifiant l’octroi de dépens » (Bankole c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 372, au para 9; voir aussi Uppal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1133, au para 5). Enfin, la preuve en l’espèce ne démontre pas que le défendeur s’est conduit « de manière inéquitable, abusive, inconvenante, ou qu’[il a] agi de mauvaise foi », ni que sa conduite était répréhensible, scandaleuse ou outrageante (Kanthasamyiyar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1248, au para 61; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1306, au para 45; Ukaobasi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 561, aux para 25 et 26).

[106] En l’espèce, et contrairement aux affaires citées dans Ndungu (Nalbandian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1128; John Doe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 535; Jaballah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CF 1182), le demandeur porte une certaine responsabilité à l’égard de sa situation. La preuve établit clairement qu’il a demandé la citoyenneté alors qu’il savait, ou aurait dû savoir, qu’il n’était pas admissible. S’il avait attendu d’être admissible à présenter une demande, les circonstances de l’affaire, y compris les coûts institutionnels liés à toute enquête, n’auraient pas eu lieu.

[107] La demande d’indemnisation substantielle est donc rejetée.

X. Question à certifier

[108] À l’audience, les parties ont fait valoir qu’il n’existait aucune question de portée générale et qu’aucune question ne devrait être certifiée.

[109] Après que la Cour a ordonné aux parties de produire des observations supplémentaires relativement à Sharafaldin, le défendeur a envoyé une lettre dans laquelle il posait des questions de portée générale, au cas où la Cour déciderait de suivre Sharafaldin et d’ordonner une réparation qui empêcherait l’IRCC de prendre en compte une condition de résidence ou qui interdirait à l’IRCC de s’acquitter de ses obligations en vertu de la Loi.

[110] Comme j’ai finalement refusé de suivre Sharafaldin, aucune question de portée générale ne se pose.

XI. Conclusion

[111] Pour les motifs qui précèdent, le délai dans le dossier du demandeur était excessif, a causé un préjudice important et équivalait à un abus de procédure.

[112] Les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies.

[113] La décision est annulée sans qu’elle soit renvoyée pour réexamen.

[114] Le demandeur sera autorisé à retirer sa demande de 2014 et à présenter une nouvelle demande de citoyenneté au moment de son choix.

[115] En terminant, j’aimerais remercier les deux avocats de leurs observations courtoises et utiles.


JUGEMENT dans les dossiers T‑1074‑21 et T‑1863‑21

LA COUR STATUE :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies.

  2. La décision est infirmée.

  3. Le demandeur sera autorisé à retirer sa demande de citoyenneté de 2014.

  4. Le demandeur sera autorisé à présenter une nouvelle demande de citoyenneté au moment de son choix.

  5. Aucune question à certifier n’a été débattue, et je conviens qu’il ne s’en pose aucune.

  6. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Guy Régimbald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1074‑21, T‑1863‑21

 

INTITULÉ :

HUSEIN GIUMA ABOUDLAL C LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 FÉVRIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS :

LE 16 MAI 2023

COMPARUTIONS :

Marwa Racha Younes

POUR LE DEMANDEUR

Jennifer Bond

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Younes Law

Avocat et procureur

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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