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Date : 20230505


Dossier : IMM-2802-22

Référence : 2023 CF 656

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2023

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

NDIAGIEN KINGSLEY NDI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 23 février 2022 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a fait droit à la demande présentée par le ministre au titre de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et a annulé la décision antérieure par laquelle la demande d’asile du demandeur avait été accueillie.

[2] Le demandeur est un citoyen du Cameroun âgé de 47 ans qui a obtenu le statut de réfugié au Canada le 16 juillet 2010 au titre de l’article 96 de la LIPR en raison de ses opinions politiques et de son appartenance au Conseil national du sud Cameroun [le CNSC].

[3] En 2016, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] a reçu de nouveaux éléments de preuve donnant à penser que le demandeur avait fait des présentations erronées sur un fait important dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels [le FRP]. Le ministre a présenté une demande d’annulation de la demande d’asile du demandeur.

[4] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée. À mon avis, la SPR a correctement appliqué l’article 109 de la LIPR et il était raisonnable de sa part de conclure que le demandeur avait fait des présentations erronées sur un fait important dans sa demande d’asile et qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’asile malgré les présentations erronées.

II. Contexte

[5] Le demandeur est arrivé au Canada en 2008 et a demandé l’asile parce qu’il craignait d’être persécuté au Cameroun. Le 19 juillet 2019, la SPR a accueilli sa demande d’asile et a conclu qu’il avait qualité de réfugié au sens de la Convention du fait de ses opinions politiques et de son appartenance alléguée au CNSC.

[6] Dans l’exposé circonstancié du FRP présenté dans le cadre de sa demande d’asile, le demandeur a déclaré qu’il s’appelait Ndiagien Kingsley Ndi et qu’il était arrivé au Canada en provenance du Cameroun en passant par Yaoundé et Paris. Il a également déclaré qu’il avait été persécuté au Cameroun entre 2001 et 2008 du fait de son appartenance au CNSC.

[7] Plus précisément, le demandeur a prétendu que, en octobre 2001, alors qu’il assistait à une célébration annuelle de l’indépendance organisée par le CNSC, il a été battu par la police et arrêté. Le demandeur a ensuite été jeté en prison, où il a été torturé pendant des semaines. Quand il est sorti, il s’est rendu à l’hôpital provincial de Bamenda, où il a été soigné pour la malaria, la diarrhée et la typhoïde. En outre, le demandeur a affirmé qu’il avait été battu et arrêté par les forces de sécurité camerounaises en 2005 et 2007, qu’il avait fait l’objet d’une chasse à l’homme par la police en 2007 et qu’il avait fui son village en 2008 pour éviter de se faire arrêter.

[8] Le 20 mars 2012, le demandeur est devenu résident permanent du Canada.

[9] Après l’obtention de l’asile et de la résidence permanente canadienne par le demandeur, le ministre a reçu de nouveaux éléments de preuve montrant que le demandeur avait fait des présentations erronées sur un fait important concernant sa demande d’asile. Les empreintes digitales et les données biométriques reçues en mai 2016 ont révélé une correspondance entre le demandeur et une personne connue sous le nom de Ndi NDI, qui était entrée aux États-Unis en 2003, avait demandé l’asile et avait fait l’objet d’une procédure de renvoi en 2006.

[10] Compte tenu de ces nouveaux éléments de preuve, le ministre a conclu que les renseignements contenus dans l’exposé circonstancié du demandeur ne pouvaient pas être vrais, puisque le demandeur était aux États-Unis de 2003 à 2008 et que, par conséquent, il ne pouvait pas avoir vécu les événements qui étaient censés s’être produits en 2005 et en 2007.

[11] Lorsque les nouveaux éléments de preuve ont été portés à son attention, le demandeur a admis qu’il était entré aux États-Unis le 22 décembre 2003, sous le faux nom de Ndi NDI. Le demandeur a affirmé avoir utilisé cette fausse identité pour quitter le Cameroun et présenter sa demande d’asile aux États-Unis.

[12] La demande d’asile de M. Ndi aux États-Unis a finalement été rejetée le 2 mai 2007. Le demandeur prétend que, à ce moment-là, il lui a été conseillé de se rendre au Canada et d’y présenter une demande d’asile.

[13] Le demandeur est entré au Canada en mars 2008 et il a présenté sa demande d’asile le 17 mars 2008, en utilisant son vrai nom.

[14] Dans l’exposé circonstancié de son FRP, M. Ndi a déclaré qu’il était parti du Cameroun pour venir au Canada, en passant par la France. Le demandeur a admis qu’il avait changé les dates de ses antécédents personnels et qu’il avait notamment omis la période pendant laquelle il avait vécu aux États-Unis, de 2003 à 2008. Il a également changé les dates des événements qui l’ont poussé à fuir le Cameroun, en déclarant qu’ils s’étaient produits entre 2001 et 2008, alors qu’ils se seraient réellement produits entre 2001 et 2003, avant sa fuite aux États-Unis.

[15] Le 30 mai 2016, le ministre a présenté une demande au titre de l’article 109 de la LIPR visant à faire annuler le statut de réfugié du demandeur. La demande était fondée sur le fait que le demandeur avait fait des présentations erronées sur des éléments centraux de sa demande d’asile pendant le processus d’octroi de l’asile, ce qui minait la crédibilité de sa demande d’asile. Le ministre a affirmé que, ce faisant, le demandeur n’a pas présenté un portrait exact de sa situation quant à des éléments cruciaux de sa demande d’asile.

III. La décision de la SPR

[16] Dans une décision datée du 23 février 2022, la SPR a accueilli la demande du ministre et a annulé le statut de réfugié du demandeur.

[17] La SPR a conclu que le premier élément de l’article 109 était respecté, puisque le demandeur a admis avoir fait des présentations erronées sur un fait important à l’appui de sa demande d’asile.

[18] En ce qui concerne le deuxième élément, la SPR a jugé que, selon la prépondérance des probabilités, les événements qui, selon les allégations formulées par la suite par le demandeur, se seraient produits entre 2001 et 2003, ne pouvaient être établis, car sa crédibilité avait été gravement minée par la fausse déclaration faite dans l’exposé circonstancié de son FRP et également reprise dans les affidavits. Par conséquent, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’asile malgré les présentations erronées.

[19] La SPR a également conclu que la présomption de crédibilité du demandeur avait été réfutée en raison des présentations erronées. S’appuyant sur la décision Otabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 830 [Otabor] au paragraphe 41, la SPR a conclu qu’elle ne pouvait pas « prendre en considération une nouvelle version des événements dans laquelle [le demandeur] avai[t] simplement changé les dates des incidents qui l[ui] étaient arrivés ».

[20] En outre, la SPR a conclu que, comme les dates des événements clés présentés dans l’exposé circonstancié étaient appuyées par une preuve par affidavit, mais que le demandeur avait admis que ces dates étaient fausses, l’intégralité de sa preuve par affidavit était donc viciée en raison des présentations erronées et qu’aucun poids ne pouvait lui être accordé.

[21] Enfin, la SPR a jugé que, comme les éléments de preuve du demandeur démontraient qu’il avait réussi à obtenir des documents frauduleux à l’appui de sa demande d’asile, il était impossible de se fonder sur sa preuve corroborante relative à des événements antérieurs à 2003.

[22] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SPR du 23 février 2022 par laquelle son statut de réfugié a été annulé en application de l’article 109 de la LIPR.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[23] La question générale consiste à savoir si les conclusions de la SPR étaient raisonnables. Deux questions sont soulevées dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire :

  • a)La SPR a-t-elle rendu une décision déraisonnable en concluant que la décision initiale par laquelle la demande d’asile avait été accueillie résultait de présentations erronées sur un fait important?

  • b)La SPR a-t-elle rendu une décision déraisonnable en concluant qu’il ne restait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’asile?

[24] Dans la présente affaire, le demandeur a admis qu’il y a eu des présentations erronées sur un fait important. Il soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve, sans tenir compte des présentations erronées, pour justifier l’asile.

[25] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à une demande d’annulation au titre de l’article 109 de la LIPR est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, para 85).

[26] Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de déférence envers le décideur et qu’elle interprète les motifs de façon globale et contextuelle (au para 97). La Cour doit tenir compte du résultat de la décision et du raisonnement sous-jacent afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, aux para 15, 95, 136). Le contrôle judiciaire n’est pas « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (au para 102). Le décideur n’est pas tenu de répondre à tous les arguments ni de mentionner chacun des éléments de preuve – en fait, il est présumé avoir examiné tous les éléments de preuve et les arguments au dossier (aux para 127-128).

V. Régime législatif – Article 109 de la LIPR

[27] Aux termes du paragraphe 109(1) de la LIPR, la SPR peut annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait. Aux termes du paragraphe 109(2) de la LIPR, la SPR peut rejeter une demande d’annulation si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile :

Demande d’annulation

Vacation of refugee protection

109 (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

109 (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

Rejet de la demande

Rejection of application

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

Effet de la décision

Allowance of application

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[28] Ainsi, lorsqu’elle examine une demande d’annulation au titre de l’article 109 de la LIPR, la SPR doit d’abord conclure que la décision par laquelle l’asile a été accordé résultait de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait. Le fardeau de la preuve à l’égard du premier élément de l’article 109 incombe au ministre (Nur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 636 au para 21; Begum c Canada, 2005 CF 1182 au para 8).

[29] Si la SPR conclut que le ministre s’est acquitté du fardeau qui lui incombait et a démontré qu’il y a bel et bien eu des présentations erronées, elle peut néanmoins rejeter la demande d’annulation s’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de l’examen de la demande d’asile, pour justifier l’asile. Le fardeau de la preuve à l’égard du deuxième élément incombe au demandeur, comme ce serait le cas s’il s’agissait d’une demande d’asile (Ghorban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 861 au paragraphe 5; Mansoor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 420 [Mansoor] au para 23).

VI. La décision de la SPR est raisonnable

[30] Dans la décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Gunasingam, 2008 CF 181 [Gunasingam] au paragraphe 7, la Cour a énoncé un critère en trois volets applicable à une requête visant l’annulation du statut de réfugié au titre de l’article 109 de la LIPR. La SPR doit déterminer si les critères suivants sont remplis :

  • a)il doit y avoir eu des présentations erronées sur un fait important ou à une réticence sur ce fait;

  • b)ces présentations erronées doivent se rapporter à un objet pertinent;

  • c)il doit exister un lien de causalité entre les présentations erronées et le résultat favorable obtenu.

[31] Même si la SPR conclut qu’il y a eu des présentations erronées de cet ordre, la demande du ministre peut quand même être rejetée, comme il est énoncé au paragraphe 109(2), si la SPR « estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile ».

[32] Dans le cadre de cet examen, la personne qui demande l’asile ne peut pas fournir une version nouvelle ou révisée des incidents en changeant les dates dans l’exposé circonstancié de son FRP (Gunasingam, para 15-16; Otabor, au para 41). De plus, comme la Cour l’a déclaré dans l’arrêt Coomaraswamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 153 au paragraphe 15, la personne qui demande l’asile n’est pas autorisée à présenter de nouveaux éléments de preuve à l’audience d’annulation :

[15] Pour dissiper tout doute possible au sujet de l’interprétation du paragraphe 69.3(5), on se demande quel objet législatif serait servi si l’on accordait à des revendicateurs qui ont obtenu gain de cause en trompant la Commission une possibilité de présenter des éléments de preuve supplémentaires afin de prouver de nouveau à l’audience d’annulation que leurs revendications étaient authentiques. Une telle possibilité n’est pas offerte aux revendicateurs sincères ou de mauvaise foi dont les revendications du statut de réfugié sont rejetées. Offrir à un revendicateur qui a obtenu gain de cause en trompant la Commission une deuxième part du gâteau en le laissant présenter une nouvelle preuve lors de l’audience d’annulation reviendrait à récompenser la tromperie et à ne pas inciter à dire la vérité.

[16] Pour ces raisons, le paragraphe 69.3(5) devrait être interprété de façon à limiter les documents que la Commission peut examiner lors d’une audience d’annulation à ce dont elle disposait lorsqu’elle a accueilli la revendication du statut de réfugié. Je suis donc d’accord avec le juge saisi de la demande en l’espèce et je souscris aux décisions antérieures rendues par la Section de première instance à cet effet, notamment : Guruge c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 160 F.T.R. 297; Sayed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 195 F.T.R. 121; et Maheswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2000), 195 F.T.R. 254.

[Non souligné dans l’original.]

[33] Enfin, dans la décision Hailu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 15 [Hailu] au paragraphe 24, la Cour a conclu que, lorsqu’un demandeur d’asile fournit de faux documents ou de fausses déclarations, le préjudice que cela occasionne pour la crédibilité du demandeur d’asile peut raisonnablement se répercuter sur d’autres aspects de la preuve (voir également Shahzad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 905 au para 39; Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1979 CanLII 4098 (CAF), [1980] 2 CF 302 (CA) à la p 305).

[34] Dans l’affaire qui nous occupe, la question en litige ne porte que sur la décision de la SPR à l’égard du deuxième élément du critère, car le demandeur a admis qu’il avait fait des présentations erronées et que la décision par laquelle sa demande d’asile a été accueillie résultait, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait. Autrement dit, la seule question à trancher est celle de savoir s’il restait suffisamment d’« éléments de preuve non viciés » pour justifier l’asile. Cependant, ces « éléments de preuve non viciés » doivent provenir de l’exposé circonstancié du FRP et de la preuve produits initialement par le demandeur. D’ailleurs, comme le paragraphe 109(2) prévoit qu’il doit rester « suffisamment d’éléments de preuve […] pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile », ceux-ci doivent avoir été présentés à l’audience initiale.

[35] Par conséquent, la version révisée des événements présentée par le demandeur pendant l’audience d’annulation ne peut être prise en considération, car elle n’avait pas été présentée au départ au décideur initial.

[36] Le demandeur soutient qu’il y a de nombreux éléments de preuve qui démontrent pourquoi il a fait des présentations erronées et qui appuient également ses allégations portant que les événements prétendus dans son exposé circonstancié ont bel et bien eu lieu, mais entre 2001 et 2003, et non entre 2001 et 2007, comme il l’avait déclaré. En fait, il est admis que tous les événements décrits dans l’exposé circonstancié qui devaient s’être produits entre 2003 et 2008 n’ont pas pu avoir lieu à ces dates, puisque le demandeur était aux États-Unis pendant cette période.

[37] Les éléments de preuve sur lesquels le demandeur s’appuie comprennent une carte de membre du CNSC datée de 2000, un rapport médical du Dr Djokam Liapoe Jules concernant une admission à l’hôpital en 2001, ainsi qu’une lettre du Dr Gilles de Margerie, datée du 23 juin 2010. Le demandeur soutient que ces éléments de preuve sont authentiques, ne sont aucunement frauduleux et corroborent sa demande d’asile.

[38] Le demandeur fait valoir que, dans la décision Babar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 216 [Babar] aux paragraphes 5 et 9, la Cour a déclaré que la SPR doit mener un processus équitable pour déterminer les éléments de preuve qui sont réellement viciés en raison des présentations erronées. Par conséquent, la SPR aurait dû mener une analyse méticuleuse de ces éléments de preuve et « reconsidérer l’opinion selon laquelle l’entière version des faits du demandeur n’est pas crédible » (Babar, au para 6). Selon le demandeur, la SPR « était tellement dominée par les fausses indications » qu’elle a décidé « qu’il [n’était pas] question de procéder à un exercice d’évaluation approfondi » (Babar, au para 8), ce qui était déraisonnable. Le demandeur affirme que, au contraire, sans tenir compte des présentations erronées, il restait suffisamment d’éléments de preuve non viciés, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

[39] Le défendeur soutient que, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, l’examen de la preuve effectué par la SPR, tant la preuve qui portait sur les événements survenus avant 2003 que celle qui portait sur les événements survenus après, était conforme aux exigences énoncées au paragraphe 109(2) de la LIPR. En concluant qu’« il ne reste aucun élément qui aurait pu justifier la décision de 2010, malgré les présentations erronées » (décision de la SPR, au para 22), la SPR a jugé qu’il ne restait aucun élément de preuve à prendre en considération qui aurait pu étayer la décision initiale de 2010. Autrement dit, contrairement à ce que le demandeur affirme, la SPR n’a pas automatiquement écarté d’« autres » éléments de preuve qui avaient été présentés initialement au décideur en 2010.

[40] La SPR a remis en cause la fiabilité de toute la preuve par affidavit déposée par le demandeur (à une fin autre que pour établir sa véritable identité), car la preuve dans son ensemble démontre que le demandeur a pu obtenir une preuve par affidavit qui comprenait de fausses déclarations et des documents contrefaits. La SPR a jugé qu’aucun des éléments de preuve du demandeur n’était fiable.

[41] Finalement, la SPR a jugé que la preuve n’établissait pas la crédibilité du demandeur. En effet, comme c’était le cas dans l’affaire Hailu, la SPR a exprimé des doutes au sujet des documents présentés par le demandeur. Les fausses déclarations du demandeur, lesquelles étaient reproduites dans les affidavits qu’il avait présentés en preuve (y compris dans la preuve psychologique), ont miné sa crédibilité et se sont répercutées sur les autres aspects de sa preuve.

[42] À mon avis, la décision de la SPR est raisonnable à cet égard. La SPR a procédé à un examen méticuleux des documents qui n’étaient prétendument pas « frauduleux » et elle a conclu que, comme le récit contenu dans les affidavits du demandeur à l’appui de sa demande d’asile reprenait ses fausses déclarations, il était impossible de se fonder sur quelque preuve que ce soit de façon concluante.

[43] En effet, comme les fausses déclarations sont reprises dans tous les éléments de preuve de fond qui ont été présentés par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile devant le décideur initial, il s’agit principalement d’une preuve par ouï-dire ou d’une preuve fausse ou insuffisante pour constituer le fondement d’une demande d’asile. À titre d’exemple, certains des éléments de preuve présentés (y compris l’évaluation psychologique) mentionnent que le demandeur a été persécuté entre 2003 et 2007. Comme il est maintenant admis que le demandeur était aux États-Unis pendant cette période, cet élément de preuve est faux. Les déposants ayant déclaré que ces événements s’étaient produits n’ont donc pas pu en être témoins (puisqu’ils ne se sont pas produits), ce qui signifie que leur preuve n’est pas fiable, car il s’agit d’une preuve par ouï-dire. À titre subsidiaire, comme l’a mentionné la SPR, les affidavits, à tout le moins, démontrent que leurs auteurs ont convenu de modifier les événements clés afin de produire des déclarations frauduleuses pour appuyer le demandeur (décision de la SPR, au para 19).

[44] Le demandeur fait valoir que seuls les paragraphes 20 et 21 de la décision de la SPR démontrent que ces éléments de preuve ont été examinés, ce qui, selon lui, n’est pas suffisant. À mon avis, la SPR a clairement procédé à une évaluation approfondie et minutieuse de tous les éléments de preuve. Il serait faux d’affirmer que l’analyse de la SPR était tellement dominée par les présentations erronées du demandeur que la SPR a décidé, de façon déraisonnable, qu’il n’était pas question de procéder à un exercice d’évaluation approfondi.

[45] Pour justifier sa demande d’asile devant le décideur initial, le demandeur s’est appuyé sur quatre éléments de preuve différents. Le premier est une carte de membre du CNSC datée de 2000 et sur laquelle figure le vrai nom du demandeur, fournie en tant que pièce jointe à l’affidavit d’Asha Collins Ndoh, daté du 7 novembre 2008. Toutefois, cet affidavit comprend également des allégations sur des événements clés survenus en 2005 et par la suite, événements dont on sait maintenant qu’ils ne se sont pas produits. En outre, en ce qui concerne la carte de membre du CNSC appartenant au demandeur, il a été prouvé que le demandeur avait une carte de membre du CNSC sur laquelle figurait un faux nom, qu’il a présentée pour étayer sa demande d’asile aux États-Unis. Cela a amené la SPR à conclure qu’il était possible pour le demandeur d’obtenir des documents contrefaits dans le cadre d’un stratagème complexe et élaboré pour justifier l’asile. Par conséquent, la SPR n’a pas pu conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était effectivement membre du CNSC (décision de la SPR, au para 21).

[46] Le deuxième élément de preuve est un affidavit de Prince Mbinglo H. Humphrey, signé le 29 octobre 2008. Dans cet affidavit, il est également mentionné que le demandeur est membre du CNSC, mais il y est aussi question d’événements qui se sont produits en 2005. Ces événements n’ont pas eu lieu non plus, ou alors n’ont pas eu lieu en 2005.

[47] À mon avis, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure à l’absence de crédibilité des éléments de preuve du demandeur en ce qui concerne son appartenance au CNSC. Manifestement, il a été possible pour le demandeur de contrefaire une carte de membre, comme il l’a fait à tout le moins pour entrer aux États-Unis. Il était raisonnable de la part de la SPR d’évaluer le contenu des éléments de preuve, et il était loisible à la SPR de conclure qu’ils n’étaient pas crédibles parce qu’ils étaient viciés en raison des présentations erronées, à plus forte raison que ces présentations erronées étaient également reprises dans la preuve par affidavit.

[48] Le troisième élément de preuve est une lettre écrite par le Dr Gilles de Margerie, datée du 23 juin 2010, laquelle comprenait une évaluation psychologique. Or, cette évaluation psychologique a été effectuée à partir des propres déclarations du demandeur, lesquelles comportaient des présentations erronées sur des événements clés qui se seraient produits entre 2001 et 2005, mais qui n’ont pas eu lieu (ou qui se sont produits non pas aux dates données, mais de nombreuses années avant). Par conséquent, la preuve et le diagnostic du Dr de Margerie étaient fondés sur des renseignements faux et sont viciés en raison des présentations erronées. À mon avis, la conclusion de la SPR quant à la lettre du Dr de Margerie est raisonnable. Le demandeur a fourni au Dr de Margerie des renseignements qui étaient faux, puisqu’il était aux États-Unis quand les événements qui auraient causé son traumatisme se sont produits. Par conséquent, même s’il est peut-être vrai que ces événements ont bel et bien eu lieu avant 2003, cela peut avoir eu une incidence sur le diagnostic du Dr de Margerie, et la conclusion de la SPR selon laquelle cette preuve n’est pas crédible est raisonnable.

[49] Enfin, le demandeur s’appuie sur un certificat médical d’un médecin, qui fait état d’une admission à l’hôpital en 2001 à la suite de la participation prétendue du demandeur à la célébration annuelle de l’indépendance, qui a mené à son arrestation, à sa détention et aux mauvais traitements qu’il a subis. Au paragraphe 21 de sa décision, la SPR renvoie expressément au rapport médical de 2001 et affirme qu’il constitue un élément de preuve corroborant un événement antérieur à 2003. Cependant, la SPR conclut que, étant donné que le demandeur a démontré qu’« il peut facilement obtenir des documents frauduleux » et que les « documents antérieurs à 2003 sont également préoccupants », elle « n’accorde aucun poids aux documents présentés par [le demandeur] pour corroborer les épisodes de persécution du passé, car [elle] conclu[t] que [le demandeur] a produit plusieurs documents frauduleux dans le cadre d’un stratagème complexe et élaboré destiné à induire le tribunal initial en erreur […] et [que ces documents] ne peuvent être présumés exacts ». En d’autres termes, la SPR a jugé que, même si le rapport médical de 2001 pouvait avoir une certaine crédibilité, il n’était pas suffisant, selon la prépondérance des probabilités, pour permettre au demandeur de s’acquitter du fardeau qui lui incombait et pour justifier que l’asile lui soit accordé.

[50] À mon avis, étant donné que la plupart des éléments de preuve qui ont été présentés au décideur initial comprenaient des détails d’événements clés qui ne se sont pas produits, ou à tout le moins, pas à la date déclarée, il était loisible à la SPR de conclure que les éléments de preuve étaient viciés en raison des présentations erronées et n’étaient pas crédibles. De plus, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que la crédibilité du demandeur en ce qui concerne les éléments de preuve portant sur des événements antérieurs à 2003 était également minée du fait qu’il avait fourni de faux documents ou de fausses déclarations (Hailu, au para 24).

[51] Enfin, le demandeur s’appuie également sur la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Davidthamby Chery, 2008 CF 1001 [Davidthamby Chery], une affaire présentant de grandes similitudes avec la présente affaire et qui comprenait également une chronologie présentée de façon erronée qui a entaché la plupart des éléments de preuve. Dans cette affaire, l’analyse au titre du paragraphe 109(2) a été menée, et les autres éléments de preuve non viciés, qui étaient antérieurs à la chronologie présentée de façon erronée, ont été jugés suffisants pour justifier l’asile. Le demandeur a aussi fait valoir que, bien qu’il ne lui ait pas été permis de présenter une « version “corrigée” des incidents », comme il est énoncé dans la décision Gunasingam, il restait suffisamment d’éléments de preuve indépendants et non viciés, parmi ceux qui avaient été présentés au décideur initial, selon lesquels « le récit général » de la persécution du demandeur était vrai, comme c’était le cas, par exemple, dans la décision Sethi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1178 [Sethi] au paragraphe 25. En outre, suivant la décision Mansoor au paragraphe 32, la SPR devait fournir des motifs clairs quant à la raison pour laquelle il ne restait pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer la décision initiale, et elle ne l’a pas fait.

[52] À mon avis, et contrairement au contexte des décisions Mansoor, Babar, Sethi et Davidthamby Chery, dans la présente affaire, la SPR a mené une « évaluation minutieuse et prudente » (Babar, au para 9), et il était raisonnable de sa part de conclure qu’il ne restait pas suffisamment d’éléments de preuve non viciés et crédibles qui pouvaient étayer la demande d’asile initiale du demandeur. Il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que l’incidence des fausses déclarations sur la crédibilité du demandeur était telle que les autres éléments de preuve qu’il a déposés en ont été entachés.

[53] En outre, malgré les similitudes de l’espèce avec le contexte de la décision Davidthamby Chery, à mon avis, il était raisonnable que la SPR juge que les autres éléments de preuve dans la présente affaire étaient viciés ou n’étaient pas suffisamment crédibles pour qu’il soit justifié de rejeter la demande d’annulation présentée par le ministre. Comme il est mentionné ci-dessus, la SPR a dûment appliqué le raisonnement suivi dans l’affaire Gunasingam en prenant en considération la preuve médicale et la preuve psychologique, ainsi que la carte de membre du CNSC du demandeur. Il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que tous les éléments de preuve présentés par le demandeur étaient viciés ou qu’ils n’étaient pas fiables, étant donné que le demandeur a démontré qu’il pouvait obtenir des éléments de preuve frauduleux.

VII. Conclusion

[54] La conclusion de la SPR au titre du paragraphe 109(2) de la LIPR selon laquelle il ne restait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour justifier l’asile est raisonnable.

[55] La conclusion de la SPR selon laquelle les éléments de preuve produits par le demandeur étaient viciés en raison des présentations erronées et étaient insuffisants pour justifier l’asile était fondée sur un raisonnement logique et cohérent.

[56] Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[57] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2802-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2802-22

 

INTITULÉ :

NDIAGIEN KINGSLEY NDI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 MARS 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS :

LE 5 MAI 2023

COMPARUTIONS :

Arghavan Gerami

POUR LE DEMANDEUR

Heather Kennedy

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gerami Law Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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