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Date : 20230503

Dossier : IMM-1371-22

Référence : 2023 CF 638

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 3 mai 2023

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

PRABAKARAN SATHASIVAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur sollicite l’annulation de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) le 20 janvier 2022.

[2] Le demandeur a demandé l’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). La SPR a rejeté sa demande. La question déterminante était la crédibilité.

[3] Le demandeur a fait valoir que la décision de la SAR était déraisonnable, suivant les principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande en l’espèce doit être rejetée. Le demandeur n’a pas démontré que la SPR avait commis une erreur susceptible de contrôle dans sa décision.

I. Les événements à l’origine de la demande en l’espèce

[5] Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka originaire de la province de Valvetty, située dans le nord du pays.

[6] Le demandeur est arrivé au Canada en septembre 2020 en provenance des États-Unis. Il a demandé l’asile en vertu de la LIPR parce qu’il craignait les autorités sri-lankaises (dont l’armée et les groupes paramilitaires) en raison de son origine ethnique tamoule.

[7] La demande d’asile est fondée sur les allégations factuelles suivantes, qui découlent notamment de deux incidents qui sont devenus importants pour la SPR dans son analyse – le premier s’est produit en 2012 et l’autre, en 2019.

[8] Au Sri Lanka, le demandeur exploitait un minibus pour son propre compte. Il a expliqué que les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET), lorsqu’ils étaient au pouvoir, recrutaient de nombreux jeunes par la force et que l’armée sri-lankaise pourchassait les jeunes Tamouls comme lui. Les arrestations arbitraires, les détentions et les disparitions de jeunes Tamouls étaient nombreuses. À plusieurs occasions, le demandeur a été intercepté et interrogé par des militaires, des policiers et des militants tamouls progouvernementaux sur la base de simples soupçons. Parfois, il était détenu pendant quelques heures et maltraité.

[9] En avril 2012, le demandeur a été arrêté, suspendu par les pieds, battu et brûlé avec une barre métallique par des membres des forces de sécurité, puis accusé d’être un partisan des TLET. Il est resté en détention jusqu’au lendemain.

[10] Après cet incident survenu en 2012, le demandeur a [traduction] « repris sa routine » et n’a eu aucun ennui jusqu’en 2019.

[11] En février 2019, le demandeur a fait l’achat d’un minibus. Il a raconté dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA) que ses voisins ont demandé un jour à utiliser le véhicule. Il a refusé et les voisins lui en ont voulu. Pour se venger, ils l’ont dénoncé aux militaires en l’accusant d’être membre des TLET, ce qui était faux.

[12] En mai 2019, ce mensonge a alimenté les soupçons de l’armée à l’endroit du demandeur, parce qu’il était un jeune Tamoul. Par conséquent, selon le demandeur, l’armée a saisi son minibus le 14 mai 2019 et, cette nuit-là, les militaires se sont présentés chez lui pour l’arrêter. Roué de coups et maltraité, le demandeur s’est fait aussi briser deux dents. Les militaires l’ont libéré le lendemain en l’avertissant qu’ils le surveilleraient de près. L’armée a également endommagé le minibus, qui a dû être réparé à grands frais.

[13] Le demandeur a quitté le Sri Lanka le 24 juillet 2019. Il craint d’être à nouveau arrêté, détenu, torturé et même tué s’il retourne au Sri Lanka.

II. La décision de la SPR

[14] Dans sa décision du 20 janvier 2022, la SPR a rejeté la demande de protection du demandeur.

[15] La SPR a tenu deux audiences distinctes pour entendre les affirmations du demandeur. Sa décision a révélé que le demandeur, lors de la première audience, était « très vague » dans ses réponses et « accueillait souvent les questions dans un silence absolu ». La SPR et le conseil du demandeur ont convenu qu’un psychologue devrait évaluer ce dernier.

[16] À la suite de l’évaluation psychologique, la SPR a convoqué une deuxième audience à laquelle le demandeur a témoigné. Dans ses motifs, la SPR a tenu compte du rapport du psychologue et constaté qu’aucun problème majeur n’avait été diagnostiqué chez le demandeur et que les réponses tardives, d’après le psychologue, ne pouvaient s’expliquer par un problème de santé mentale. La SPR a souligné que le rapport faisait état d’un degré d’anxiété moyen à élevé chez le demandeur, ce qui pourrait expliquer en partie le caractère vague de ses réponses. Elle a donc décidé de prendre des mesures d’adaptation en répétant les questions lorsque le demandeur ne disait mot, comme l’avait demandé le conseil et suivant la conclusion du rapport selon laquelle le demandeur avait peut-être vécu de l’anxiété à la première audience. En outre, la SPR n’a pas tenu compte des contradictions dans le témoignage du demandeur entre la première audience et la deuxième.

[17] À la seconde audience, selon la SPR, le demandeur « a répondu plus clairement aux questions et n’a pas semblé anxieux, mais il a tout de même eu des moments de silence ».

[18] Dans sa décision, la SPR a affirmé que la question déterminante était la crédibilité et a examiné par ailleurs le risque auquel le demandeur était exposé en tant que demandeur d’asile de retour dans son pays.

A. Les conclusions de la SPR en matière de crédibilité

[19] L’analyse de la crédibilité faite par la SPR comportait plusieurs éléments. La principale préoccupation de la SPR se rattachait au fait que le demandeur, dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, avait indiqué que des [traduction] « voisins » avaient souhaité utiliser son minibus et l’avaient ensuite dénoncé à l’armée comment étant membre des TLET. Or, la SPR a constaté que le demandeur avait déclaré à l’audience que des membres du groupe paramilitaire appelé « Parti démocratique populaire de l’Eelam » (l’EPDP) avaient réclamé son minibus pour leurs activités politiques, mais qu’il avait refusé. L’armée aurait alors saisi le minibus, puis des événements se seraient produits en conséquence le 14 mai 2019.

[20] La SPR a souligné que le demandeur n’avait pas mentionné l’EPDP dans son formulaire FDA et qu’il a mis du temps à expliquer clairement cette divergence, pour finalement préciser que la personne en question était membre de l’EPDP et un voisin. Il ne pouvait pas expliquer pourquoi son frère au Sri Lanka avait aussi mentionné dans une lettre que des [traduction] « voisins » avaient souhaité utiliser le minibus.

[21] La RPD a jugé que le demandeur n’avait pas expliqué clairement pourquoi il avait employé un terme vague comme [traduction] « voisins » afin de préciser qu’un groupe paramilitaire tel que l’EPDP voulait utiliser son minibus pour des activités politiques. Le demandeur n’a pas été en mesure non plus de préciser pour quelles « activités politiques » l’EPDP voulait se servir du minibus.

[22] La SPR a formulé d’autres doutes relativement à la crédibilité du demandeur, dont les suivants :

  • Le demandeur a affirmé s’être adressé à un ancien du village après l’incident de mai 2019, mais ce détail ne figurait pas dans son exposé circonstancié;

  • Le demandeur ne pouvait se rappeler le nom de l’atelier qui avait réparé son minibus, ce qui était peu probable aux yeux de la SPR, puisqu’il a présenté une facture comme document justificatif et avait payé une somme importante (70 000 $ CA) pour les réparations.

[23] La SPR a conclu également que les lettres du frère et d’un voisin du demandeur au Sri Lanka ne font que reprendre, en termes plus simples, les déclarations déjà faites par le demandeur dans son formulaire FDA et qu’il a contredites dans son témoignage. Les lettres en question n’ont pas permis de dissiper les doutes de la SPR en matière de crédibilité découlant du témoignage du demandeur et n’ont pas fourni d’informations claires étayant son exposé circonstancié. Les renseignements supplémentaires contenus dans les lettres étaient trop vagues pour établir la réalité d’événements qui se seraient produits après le départ du demandeur du Sri Lanka.

[24] Pour ces motifs, la SPR estimait que « le demandeur d’asile avait des problèmes directs de crédibilité au sujet de la personne qui avait demandé [le minibus], de ses actions à lui après la confiscation [du véhicule] et de la manière dont [ce dernier] avait été réparé ». Selon la SPR, le demandeur a fourni très peu d’explications concernant ses interactions avec la police et les représentants de l’armée malgré les questions répétées du tribunal. Il n’a donné aucune précision au sujet des visites des militaires et des menaces proférées à son endroit après l’incident du 14 mai 2019.

[25] La SPR a conclu que les événements du 14 mai 2019 ne s’étaient pas produits. Elle a déclaré ce qui suit :

Vu les problèmes liés aux omissions et aux contradictions dans son formulaire FDA touchant la cause des événements survenus ce jour-là, les problèmes liés à l’un des documents qu’il a fournis ainsi que de son ignorance et l’absence de descriptions de ses expériences, le tribunal estime que le demandeur d’asile n’a pas établi de façon crédible, selon la prépondérance des probabilités, que les événements du 14 mai 2019 se sont produits.

[26] Pour la SPR, cette conclusion « [forme] le cœur de la demande d’asile, puisque les ennuis du demandeur d’asile au Sri Lanka qui l’ont incité à partir, à l’exception d’un incident survenu en 2012, se seraient produits le 14 mai 2019 ».

[27] Elle a donc conclu que le demandeur d’asile n’avait pas établi qu’il est exposé à une possibilité sérieuse de persécution pour un des motifs prévus dans la Convention ou, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait exposé soit à une menace à sa vie, soit au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture s’il retournait au Sri Lanka, compte tenu des événements qu’il a décrits.

B. L’évaluation des risques faite par la SPR

[28] La SPR a estimé que le demandeur, en tant que Tamoul hindou célibataire originaire du nord du pays, présentait certains éléments du profil type des personnes qui risquent d’être soumises à un interrogatoire prolongé à leur retour au Sri Lanka.

[29] La SPR a souligné que le demandeur avait affirmé « n’avoir eu aucun ennui au Sri Lanka entre son arrestation en 2012 et 2019 » et n’a pas jugé crédible son témoignage au sujet de problèmes survenus cette année-là. Le demandeur a raconté que les autorités ne l’avaient accusé directement de rien en 2019 lorsqu’elles le harcelaient et qu’il avait quitté l’aéroport sans incident.

[30] La SPR a examiné des éléments de preuve objectifs sur les conditions dans le pays indiquant quelles personnes reçoivent le plus d’attention à leur arrivée au Sri Lanka. Elle a souligné que le demandeur « a quitté le Sri Lanka légalement, sans problème, muni des documents légaux, et [qu’il] n’a pas établi de façon crédible qu’il avait été détenu en 2019 ni que, outre son arrestation en 2012, il serait considéré pour une raison quelconque comme un opposant politique des Rajapaksa ou comme un membre des TLET ». Elle a donc conclu « qu’il n’existe pas plus qu’une simplement possibilité » que le demandeur « qui est rentré [au pays] et [en est] sorti pacifiquement […] à divers endroits […] sans incident, fasse l’objet d’un contrôle, d’une arrestation ou d’un préjudice éventuel lorsqu’il retournera au Sri Lanka » [note de fin de document omise].

[31] La SPR a par conséquent rejeté la demande d’asile fondée sur la LIPR.

III. Analyse

[32] La norme de contrôle applicable à la décision de la SPR est celle de la décision raisonnable. Le contrôle selon cette norme constitue une évaluation respectueuse et rigoureuse visant à déterminer si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12–13, 15. Les motifs du décideur, qui doivent être interprétés de façon globale et contextuelle et lus en corrélation avec le dossier dont était saisi le décideur, sont le point de départ du contrôle. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, particulièrement aux para 85, 91–97, 103, 105–106, 194; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 RCS 900 aux para 2, 28–33, 61.

[33] La position du demandeur consistait à soutenir que la décision de la SPR était fondée sur des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité et que la SPR aurait dû analyser séparément l’incident de 2012 comme un possible cas de torture visé à l’alinéa 97(1)a) de la LIPR. Je vais examiner ces arguments l’un après l’autre.


A. La SPR a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse de la crédibilité?

[34] Le demandeur a reproché à la SPR d’avoir commis une erreur dans son analyse de la crédibilité et a contesté chacune de ses conclusions défavorables à ce sujet. Il a expliqué que la mention, dans son témoignage, du fait que son voisin était membre de l'EPDP lui avait permis d’apporter une précision et ne contredisait pas son formulaire FDA. Selon lui, la SPR aurait dû reconnaître, après avoir lu l’évaluation psychologique, qu'il était extrêmement anxieux en raison de la gravité de l’audience. Il a prétendu qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de tirer une conclusion défavorable du fait qu’il avait « finalement » donné une explication et n'avait pu fournir de réponses claires aux questions. Il a également affirmé que la SPR avait fait preuve d’un excès de zèle et de minutie dans son analyse de la crédibilité.

[35] Ces arguments ne sont pas convaincants. En premier lieu, la SPR était clairement au courant de la teneur de l’évaluation psychologique. Dans ses observations, le demandeur a demandé au fond à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve en tenant compte de son anxiété et de ses conséquences. Or la Cour n’y est pas autorisée et, en l’espèce, la SPR était beaucoup mieux placée qu'elle pour comprendre comment le demandeur avait témoigné et pour déterminer l'incidence de l’évaluation psychologique sur le déroulement de l’audience et l'évaluation du témoignage du demandeur.

[36] En deuxième lieu, le demandeur a affirmé qu’il apportait simplement une précision lorsqu'il a déclaré, dans son témoignage, que le voisin était un membre de l’EPDP; je ne suis pas d’accord. Dans son formulaire FDA, le demandeur a indiqué que les voisins souhaitaient utiliser son minibus et l’avaient dénoncé pour se venger, alors que, dans son témoignage devant la SPR, il a affirmé que l’EPDP – un groupe paramilitaire – avait besoin du minibus pour ses activités politiques, ce qui avait mené à l’incident du lendemain avec les militaires et engendrait les risques sur lesquels il a fondé sa demande de protection. Il était loisible à la SPR de conclure que l’omission de toute référence à l’EPDP dans le formulaire FDA touchait au cœur de la demande d’asile.

[37] En troisième lieu, le demandeur n’a pas établi que les conclusions défavorables de la SPR sur sa crédibilité, individuellement ou collectivement, avaient entraîné une erreur susceptible de contrôle. En outre, les motifs d’un tribunal administratif doivent être évalués dans leur ensemble. L’analyse d’une cour de révision ne consiste pas à déterminer si chaque élément du raisonnement du décideur satisfait au critère du caractère raisonnable, y compris chacune des contradictions et invraisemblances l’ayant amené à conclure que le demandeur n’était pas crédible : Jarada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409 au para 22; Shatirishvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 407 au para 35; Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1052 au para 38; Zomachi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1286 aux para 13–14; Vavilov, au para 102, citant Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 RCS 458 au para 54.

[38] J’estime, à l’instar du défendeur, que la SPR a évalué raisonnablement le formulaire FDA et le témoignage du demandeur, les incohérences entre les deux et les documents déposés par le demandeur afin de prouver l’existence des incidents du 14 mai 2019. Les observations du demandeur ne m’ont pas convaincu qu’il n’était pas loisible à la SPR de conclure que ces incidents n’avaient pas eu lieu. Voir aussi Gulal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1151 aux paras 16–17.

B. La SPR a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse du risque éventuel?

[39] Le demandeur a soutenu que la SPR n’a pas évalué adéquatement l’incident d’avril 2012. Selon lui, cet incident aurait pu être considéré comme de la torture, et la SPR a sous-estimé les événements en omettant de mentionner qu’il avait déclaré, dans son formulaire FDA, avoir été suspendu par les pieds et brûlé avec une barre métallique. Le demandeur a fait valoir que la SPR aurait dû analyser séparément cet incident à la lumière de l’alinéa 97(1)a) de la LIPR afin d’évaluer le risque de préjudice qu’il courrait à son retour au Sri Lanka. Le demandeur s'est reporté à la décision Kanagarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 145. Il reprochait à la SPR, dans son analyse du risque, d'avoir traité séparément l’incident de 2012 (en utilisant des formules comme « à l'exception de » ou « outre» relativement à son arrestation de 2012) sans évaluer les risques éventuels qui en découlaient.

[40] En revanche, le défendeur a soutenu (en mentionnant Cessa Mancillas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 114) qu’il incombait au demandeur de prouver l’existence d’un risque éventuel de persécution, ce que celui-ci n’a pas fait. Le défendeur était d'avis que la SPR a examiné raisonnablement les allégations du demandeur quant à son arrestation en 2012 et à l’incident de 2019. La SPR a conclu que l’incident de 2019 n’avait pas eu lieu et que, cette année-là, le demandeur n'avait fait l’objet d’aucune accusation directe, alors qu’il avait au contraire affirmé courir un risque puisqu'il était perçu comme étant associé aux TLET. Le défendeur a rappelé que la SPR avait déterminé que le demandeur n'avait pas établi qu'il avait connu des problèmes récemment, étant donné qu’il a pu quitter le Sri Lanka et y retourner sans incident depuis 2019. La SPR a raisonnablement conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un risque s'il retournait au Sri Lanka. Analysis

[41] Pour les motifs exposés ci-dessous, je souscris, pour l’essentiel, à la position du défendeur.

[42] Durant l’incident de 2012, le demandeur aurait été arrêté et blessé parce qu’il était soupçonné d’appartenir aux TLET. Le demandeur a affirmé dans son témoignage qu’il n’avait eu aucun ennui après cet incident, survenu en 2012, jusqu’en 2019. Selon la SPR, quand il a été harcelé par les autorités en 2019, le demandeur n’a pas allégué qu’il avait été accusé directement de quoi que ce soit – ce qui veut dire, dans les circonstances, que les autorités ne l’ont pas lié aux TLET en 2019. En outre, il était raisonnable pour la SPR de conclure que l’événement du 14 mai 2019 n’avait pas eu lieu. Elle a évalué le risque auquel serait exposé le demandeur s’il retournait au Sri Lanka en fonction du préjudice qu’il subirait à son retour et souligné qu’il avait quitté le pays et y était retourné muni d’un passeport valide sans incident. Elle a reconnu que son arrestation en 2012 était la seule raison pour laquelle il risquait d’être associé aux TLET. En conséquence, elle a conclu qu’il n’existait pas plus qu’une simple possibilité que le demandeur « fasse l’objet d’un contrôle, d’une arrestation ou d’un préjudice éventuel lorsqu’il retournera au Sri Lanka ».

[43] À mon avis, la SPR a effectué une analyse intelligible et transparente tout en exposant de façon raisonnée les motifs qui l’ont amenée à sa conclusion relative au risque éventuel. Le demandeur n’a pas contesté les conclusions factuelles ou les inférences que contient l’analyse du risque de la SPR. Comme l’a souligné le défendeur, cette analyse avait pour but d’évaluer les risques éventuels auxquels était exposé le demandeur. Or cette analyse des risques repose entre autres sur les événements passés à partir desquels le risque peut être inféré. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mileva c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 CF 398 (CA) : « La question que soulève la revendication du statut de réfugié, en effet, n’est pas celle de savoir si le revendicateur a déjà eu, dans le passé, des motifs de craindre la persécution, mais bien celle de savoir s’il a aujourd’hui, au moment où l’on statue sur sa revendication, des motifs sérieux de craindre d’être persécuté dans l’avenir ».

[44] Même si la décision rendue par la SPR en 2022 ne comportait pas d’analyse distincte des faits supplémentaires relatifs à l’incident de 2012 présentés dans le formulaire FDA comme pouvant être de la torture, elle contenait une conclusion explicite quant au préjudice que pourrait subir le demandeur à son retour au Sri Lanka et quant au fait que le demandeur ne risquait pas d’être soumis à la torture. Compte tenu des circonstances propres à la présente affaire – dans laquelle l’appelant a raconté avoir vécu au Sri Lanka pendant sept ans après les événements de 2012 sans avoir aucun ennui et sans être l’objet d’aucune accusation en 2019 (notamment en raison de son appartenance aux TLET), puis avoir pu quitter le Sri Lanka et y retourner sans incident avant de venir au Canada – je ne crois pas que la loi exigeait une analyse distincte des faits sous-jacents supplémentaires concernant l’incident de 2012 qui permettrait d’évaluer le risque éventuel pour le demandeur. L’analyse effectuée par la SPR du risque éventuel de préjudice était adéquate selon les règles de droit applicables.

[45] Dans ses plaidoiries, le demandeur a fait valoir également que la SPR aurait dû procéder à une évaluation cumulative pour déterminer si les événements constituaient de la persécution (d’après l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Munderere, 2008 CAF 84). Il a soutenu que, outre l’incident de 2012, son formulaire FDA mentionnait [traduction] « plusieurs occasions » durant lesquelles il a été détenu par les autorités et interrogé sur la base de simples soupçons (vraisemblablement parce qu’il était un jeune homme tamoul). Ces incidents n’ont pas été mentionnés par le SPR.

[46] D’après le formulaire FDA, il semble que ces incidents se soient produits avant 2012. Comme il est indiqué plus haut, le demandeur précisait aussi dans ce formulaire que, après 2012, il avait [traduction] « repris sa routine »; dans son témoignage, il a affirmé n’avoir eu aucun ennui pendant sept ans, jusqu’en 2019. La SPR a conclu que les événements de mai 2019 ne s’étaient pas produits. Elle a procédé à une évaluation raisonnable des risques de préjudice pour le demandeur à son retour au Sri Lanka, compte tenu de son profil et de sa situation, qui sont décrits ci-dessus. Par conséquent, la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en omettant d’effectuer une évaluation cumulative en fonction de tous les incidents dont faisait état le formulaire FDA du demandeur : Vavilov, au para 100; Sellathambi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1227 aux para 29–35.

IV. Conclusion

[47] Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que la demande doit être accueillie.

[48] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune question ne sera énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1371-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1371-22

 

INTITULÉ :

PRABAKARAN SATHASIVAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 AVRIL 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 3 MAI 2023

COMPARUTIONS :

Michael Crane

POUR LE DEMANDEUR

 

Allison Grandish

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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