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Date : 20230420


Dossier : IMM-4138-22

Référence : 2023 CF 568

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2023

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

MOHAMMAD REZA NESARZADEH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Le demandeur, Mohammad Reza Nesarzadeh, est étudiant au secondaire en Iran. Il a présenté une demande de visa d’étudiant pour venir faire sa 12e année au Canada, et il a expliqué qu’il espérait poursuivre des études postsecondaires au Canada, puis retourner en Iran pour continuer de travailler à la ferme familiale. Il affirme qu’il héritera de la ferme que sa famille exploite depuis 100 ans et qu’il veut étudier au Canada pour améliorer ses compétences et ses capacités afin d’assurer la prospérité de l’entreprise dans l’avenir.

[2] La demande de visa d’étudiant du demandeur a été rejetée, et il demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision. Voici les passages clés des motifs de l’agent :

  • Le but de la visite ne semblait pas raisonnable, puisque le demandeur pouvait terminer ses études secondaires en Iran à une fraction du coût.

  • Le demandeur est célibataire, mobile et peu établi, et il n’a donc pas démontré l’existence de liens suffisamment solides avec l’Iran (la lettre de décision mentionne également [traduction] « des liens familiaux au Canada », mais il a été reconnu qu’il s’agissait d’une erreur et que ce motif n’avait pas été pris en considération par l’agent).

  • Compte tenu de ces facteurs, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[3] La seule question en litige en l’espèce est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

II. Cadre juridique

[4] La Cour a analysé le cadre juridique qui régit le contrôle judiciaire des refus de visa d’étudiant dans beaucoup de décisions récentes. Les principes qui suivent, tirés de la jurisprudence, sont particulièrement pertinents pour l’examen de la décision en l’espèce.

[5] Une décision raisonnable doit expliquer le résultat obtenu, à la lumière du droit et des principaux faits : d’après le cadre établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le rôle d’une cour de révision « consiste à examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et à déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Postes Canada] au para 2). Il incombe au demandeur de convaincre la Cour que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100, cité avec approbation dans Postes Canada, au para 33).

[6] L’arrêt Vavilov cherche à renforcer une « culture de la justification » obligeant les décideurs à expliquer logiquement le résultat obtenu et à tenir compte des observations des parties, mais obligeant aussi la cour de révision à prendre en considération le contexte du processus décisionnel. Selon le cadre établi dans l’arrêt Vavilov, l’accent est mis sur la décision même qui a été rendue, et le raisonnement exposé doit étayer la conclusion. Autrement dit « […], il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » (Vavilov, au para 86).

[7] Les agents des visas reçoivent une avalanche de demandes, et leurs motifs n’ont pas besoin d’être longs ou détaillés. Cependant, les motifs doivent exposer les principaux éléments de l’analyse de l’agent et tenir compte de l’essentiel des observations du demandeur sur les points les plus pertinents. Voir par exemple : Lingepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 552 au para 13, cité avec approbation dans Ocran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 175 [Ocran] au para 15; Afuah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 596 aux para 9-10; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 au para 17, cité avec approbation dans Motlagh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1098 au para 22.

[8] Il incombe au demandeur de convaincre l’agent qu’il satisfait aux exigences de la loi qui s’appliquent à l’examen des demandes de visa d’étudiant, notamment qu’il quittera le pays à la fin du séjour autorisé : les exigences comprennent celles énoncées dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2022-227 [le RIPR]. Suivant l’alinéa 216(1)b) du RIPR, l’agent ne délivre pas de permis d’études à l’étranger s’il n’est pas convaincu que ce dernier quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable.

[9] Les agents des visas doivent prendre en considération les facteurs « d’incitation au départ » et « d’attraction » qui pourraient soit amener un demandeur à prolonger son séjour au-delà de la période de validité de son visa et à rester au Canada, soit l’encourager à retourner dans son pays d’origine : Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 au para 14, cité avec approbation dans Ocran, au para 23.

III. Analyse

[10] Après avoir appliqué les principes exposés plus haut, je conclus que la décision est déraisonnable.

[11] Un facteur clé à prendre en considération dans le contrôle judiciaire du refus d’un visa d’étudiant par un agent des visas est la question de savoir si les motifs satisfont à la norme de la « justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées » établie dans l’arrêt Vavilov. Le contexte du processus décisionnel est un facteur important dans cette évaluation, en particulier le volume élevé de demandes à traiter ainsi que la nature des intérêts en cause, y compris le fait que, dans la plupart des cas, le demandeur peut simplement présenter une nouvelle demande.

[12] En l’espèce, la décision de l’agent repose sur deux conclusions clés : le but de la visite n’était pas raisonnable parce que le demandeur pouvait terminer ses études secondaires en Iran à une fraction du coût et il n’avait pas de liens suffisamment solides avec l’Iran.

[13] Cependant, j’estime que la décision ne satisfait pas aux exigences minimales de la « justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées », car le demandeur avait fourni des renseignements précis et importants qui sont directement liés aux deux motifs sur lesquels repose la décision de l’agent. L’agent n’avait pas à accepter tout ce qui avait été présenté par le demandeur, mais il était tenu d’expliquer comment il avait tenu compte de ces renseignements dans son analyse. Une décision raisonnable doit démontrer que le décideur a examiné les principaux éléments de preuve pertinents, compte tenu du cadre juridique qui s’applique. L’agent ne l’a pas fait en l’espèce.

[14] Les principales conclusions et mon analyse de chacune sont exposées ci-dessous :

  1. L’agent a conclu que le projet d’études n’était pas logique, car le demandeur pouvait terminer ses études secondaires en Iran à une fraction du coût que représenterait le fait de venir étudier au Canada.

Analyse :

[15] Le demandeur a expliqué qu’il voulait terminer l’école secondaire au Canada parce que cela l’aiderait à être accepté dans des établissements postsecondaires ici. Même s’il était d’avis que le demandeur et sa famille faisaient une erreur en dépensant autant d’argent pour envoyer le demandeur au Canada terminer son secondaire, l’agent devait expliquer pourquoi il en était arrivé à cette conclusion compte tenu des raisons données par le demandeur.

  1. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas de liens suffisamment solides avec l’Iran.

Analyse :

[16] Le demandeur a expliqué qu’il hériterait de la ferme familiale, qui appartenait à sa famille depuis 100 ans et était une entreprise prospère. Il a affirmé que le fait d’étudier au Canada augmenterait ses chances d’assurer la prospérité de la ferme à l’avenir. Encore une fois, même si l’agent ne trouvait pas cet argument convaincant, il devait expliquer pourquoi.

[17] De plus, le fait qu’une personne qui commence sa 12e année ne soit pas mariée et n’ait pas d’enfants peut étayer la conclusion selon laquelle les facteurs « d’attraction » amèneraient le demandeur à tenter de rester au Canada, selon les circonstances particulières de l’affaire (par exemple si tous les autres membres de sa famille proche étaient venus au Canada auparavant). Cela dépend des faits de chaque affaire, puisque, comme la Cour l’a souvent déclaré, il n’est pas rare que les jeunes soient célibataires et sans personnes à charge. La pertinence de ce fait particulier doit être expliquée par l’agent qui souhaite l’invoquer. En l’espèce, l’agent ne l’a pas fait.

[18] De plus, et peut-être plus important encore, l’agent devait montrer qu’il avait également pris en considération le plus important facteur « d’incitation au départ » énoncé dans l’exposé circonstancié du demandeur, à savoir son désir de retourner exploiter la ferme familiale avec son père, ferme dont il hériterait ultérieurement. L’agent ne l’a pas fait non plus, de sorte que cette partie de l’analyse ne satisfait pas à la norme de la « justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées » établie dans l’arrêt Vavilov.

[19] Le défendeur a présenté des arguments à l’appui de la décision, mais j’estime qu’ils visent pour la plupart à compléter les motifs de l’agent. À titre d’exemple, le fait que le demandeur ne semblait pas tout à fait certain du programme d’études postsecondaires qu’il suivrait (il parle d’étudier en sciences agricoles ou de faire un baccalauréat en commerce) n’est pas mentionné par l’agent comme motif de rejet de la demande, et il ne ressort pas clairement des notes versées au SMGC ni du dossier qu’il s’agissait d’un facteur pris en considération. De même, le fait que le demandeur semble avoir reçu une certaine aide financière de l’école au Canada peut être un facteur pertinent, mais l’agent ne le mentionne pas précisément. Aucun des arguments du défendeur ne me convainc que la décision de l’agent est justifiée à la lumière de la preuve au dossier.

[20] Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que la décision est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[21] La décision sera annulée. L’affaire sera renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen.

[22] Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4138-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen.

  3. Il n’y a pas de question sérieuse de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4138-22

INTITULÉ :

MOHAMMAD REZA NESARZADEH c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 AVRIL 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 20 avril 2023

COMPARUTIONS :

Anna Davtyan

 

POUR LE DEMANDEUR

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EME Professional Corp.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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