Date : 20230323
Dossier : IMM‑2480‑22
Référence : 2023 CF 405
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 23 mars 2023
En présence de monsieur le juge Zinn
ENTRE :
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NAEEM MUHAMMAD
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FAHAD NAEEM
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SUMAIRA MUHAMMAD NAEEM
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MUHAMMAD RIYAN
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DANISH NAEEM
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie et l’affaire sera renvoyée devant la SAR pour qu’un autre commissaire rende une nouvelle décision.
[2] Les demandeurs sont des citoyens pakistanais qui craignent de subir un préjudice de la part du frère du demandeur principal, Saleem, au Pakistan.
[3] En 2013, le demandeur principal et son frère se sont disputés au sujet d’intérêts commerciaux et d’une propriété. Saleem a menacé de tuer le demandeur principal. Ce dernier est parti pour les États‑Unis, mais il est revenu en 2014 pour tenter de se réconcilier avec son frère. Il a alors été attaqué physiquement par Saleem et il a dû être hospitalisé pendant deux jours. À sa sortie de l’hôpital, il est retourné aux États‑Unis pour y rejoindre sa famille. Ils ont dépassé la durée de validité de leurs visas et, en juillet 2019, ils ont franchi la frontière du Canada et y ont demandé l’asile.
[4] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] avait rejeté leurs demandes, en concluant que le demandeur principal [traduction] « n’était pas un témoin crédible et digne de foi »
. Au moment où elle avait tiré cette conclusion, la SPR n’avait pas examiné la question de la possibilité de refuge intérieur [PRI].
[5] La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité et elle a estimé que les demandeurs étaient crédibles. Elle a permis aux demandeurs et au ministre de présenter des observations supplémentaires sur la question de la PRI. Les demandeurs ont demandé à la SAR de renvoyer cette question pour décision devant la SPR. La SAR a rejeté cette demande et elle a rendu sa propre décision sur la question de l’existence d’une PRI valable.
[6] Au début de l’audience, l’avocat des demandeurs a informé la Cour qu’il souhaitait soulever une nouvelle question, soit celle de savoir si la SAR avait commis une erreur en refusant de renvoyer la question de la PRI devant la SPR. L’avocat du défendeur s’y est opposé. De plus, alors que le refus de renvoi de la SAR est mentionné dans les motifs de sa décision et que les demandeurs en avaient donc connaissance depuis plus d’un an, ils ont omis de soulever la question plus tôt. Pour ces raisons, notre Cour a refusé leur demande d’élargir les motifs de contrôle judiciaire.
[7] Dans leur mémoire, les demandeurs soulignent qu’au vu de la décision de la SAR, il n’est pas possible de déterminer clairement si la ou les régions proposées comme PRI est seulement Hyderabad, ou bien à la fois Hyderabad et Karachi. Aux paragraphes 6 et 19 de la décision, le commissaire affirme que la PRI est Hyderabad, alors qu’au paragraphe 7, il mentionne à la fois Hyderabad et Karachi. Les demandeurs soutiennent que la décision est à cet égard inintelligible et que cela constitue, en soi, un motif suffisant pour l’infirmer.
[8] Je ne suis pas d’accord. Devant la SPR, il est clair que Karachi et Hyderabad ont toutes deux été évoquées comme PRI. En revanche, la SAR s’est manifestement concentrée sur Hyderabad. L’inclusion supplémentaire de Karachi, dans un passage des motifs, ne rend pas la décision inintelligible.
[9] La SAR a fait application du critère approprié à deux volets pour examiner la question de savoir si cette famille disposait d’une PRI : Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (C.A.), [1992] 1 CF 706, et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.), [1994] 1 CF 589.
[10] La SAR s’est d’abord demandé si, selon la prépondérance des probabilités, il y avait un risque sérieux que le demandeur soit persécuté dans la région proposée comme PRI. Puis, elle s’est demandé si la situation dans la région proposée comme PRI était telle qu’il serait déraisonnable pour le demandeur de s’y installer.
[11] Les demandeurs ont raison d’affirmer qu’en se penchant sur le premier volet du critère, la SAR a nécessairement accepté le fait que le frère du demandeur principal avait la motivation de poursuivre les demandeurs, en raison de son déshonneur lié à l’implication de membres de la famille dans un différend immobilier. Comme le soulignent les demandeurs, le commissaire s’est référé au [traduction] « récit crédible »
à ce sujet. L’analyse du commissaire s’est concentrée sur les moyens dont disposait le frère pour retracer la famille dans la région proposée comme PRI.
[12] Les demandeurs ont avancé différentes façons dont le frère pourrait les retrouver dans la région proposée comme PRI. Selon la Cour, la plus convaincante est celle qui fait intervenir les membres de la famille. À cet égard, le commissaire écrit :
[…] L’appelant principal a déclaré qu’il pense que Saleem finirait par apprendre où sa famille se trouve par l’entremise de la parenté ou à cause de l’école des enfants. L’appelant principal a aussi affirmé à l’audience qu’il communique toujours avec d’autres membres de la famille, comme ses sœurs, par téléphone, simplement pour prendre des nouvelles. Les appelants n’ont pas déposé d’éléments de preuve indiquant que Saleem fait appel aux membres de la famille pour les retrouver. […] [Non souligné dans l’original.]
[13] À mon avis, il est déraisonnable, de la part du commissaire, d’attendre des demandeurs qu’ils démontrent que Saleem fait appel aux membres de la famille pour les retrouver. La question appropriée à se poser était plutôt de savoir s’il était plus probable qu’improbable que Saleem découvre leur lieu de PRI par l’intermédiaire des membres de la famille. Cette omission de traiter la question appropriée a pour effet de rendre la décision déraisonnable.
[14] Il est établi que le demandeur principal reste en contact avec sa sœur au Pakistan. On ne peut exiger ou attendre de cette dernière qu’elle cache la localisation des demandeurs à son frère Saleem. Il a déjà été observé qu’un lieu ne peut constituer une véritable PRI si on doit y vivre dans la clandestinité : AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 915 au para 20. De même, un lieu ne peut constituer une PRI raisonnable si on ne peut le révéler à sa famille.
[15] Quant au deuxième volet du critère, les demandeurs soumettent que l’analyse du commissaire est déraisonnable, en ce qu’il a omis de tenir compte du fait que le demandeur principal avait vécu la plus grande partie de sa vie en Arabie saoudite, et du fait que les deux enfants du couple étaient nés aux Émirats arabes unis et n’avaient jamais vécu au Pakistan. Ils ajoutent que la preuve relative à la situation dans le pays démontre qu’il existe un taux de chômage très élevé et une pénurie de logement au sein de la région proposée comme PRI. Ils soumettent que [traduction] « l’analyse du caractère raisonnable de la PRI, faite par le commissaire, est insuffisante »
.
[16] En réponse, le ministre invoque la décision Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CA), [2001] 2 CF 164 au para 15, où la Cour d’appel, dans son analyse relative à la question de savoir s’il était raisonnable ou non, pour un demandeur d’asile, de chercher refuge à l’endroit envisagé comme PRI, écrit ce qui suit quant au critère d’une PRI déraisonnable : « Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un [demandeur] tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. »
[17] Toutefois, cette affirmation doit être remise dans le contexte global du jugement de la Cour d’appel, lequel précise aussi qu’« il s’agit d’un critère souple qui tient compte de la situation particulière du demandeur et du pays particulier en cause »
et conclut que « s’il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs de statut sont tenus de s’en prévaloir à moins qu’ils puissent démontrer qu’il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire »
. [Soulignement ajouté.]
[18] Ce qui manque, dans l’analyse de la SAR, c’est la prise en compte de la question de savoir si, dans la région proposée comme PRI, la gravité de la situation, en termes d’emploi, de logement, ou d’autres services nécessaires, est telle que l’on puisse dire des membres de cette famille qu’ils mettent leur vie en péril en y déménageant. L’omission de considérer les éléments de preuve a pour effet de rendre la décision déraisonnable.
[19] Pour ces motifs, l’affaire doit être renvoyée devant la SAR.
[20] Aucune question n’a été proposée pour certification.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑2480‑22
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision faisant l’objet du contrôle est annulée, que la demande est renvoyée devant un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés pour qu’il rende une nouvelle décision, et qu’aucune question n’est certifiée.
« Russel W. Zinn »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑2480‑22 |
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INTITULÉ :
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NAEEM MUHAMMAD, FAHAD NAEEM, SUMAIRA MUHAMMAD NAEEM, MUHAMMAD RIYAN, DANISH NAEEM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 22 MARS 2023
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE ZINN
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 23 marS 2023
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COMPARUTIONS :
Vakkas Bilsin |
POUR LES DEMANDEURS |
Leanne Briscoe |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lewis & Associates Avocats Toronto (Ontario) |
pour LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
pour le défendeur
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